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”L'Algérie de Kamel Daoud” (Oran en vedette). Documentaire de Jean-Marc Giri.

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Sur la 5, en replay. Kamel Daoud, Oran... Des témoignages,
sans aucun tabou. Et des moments forts. Comme la parole
de ceux qui partagent vie intellectuelle et quotidien convivial
avec Kamel Daoud, connaissent beaucoup de lui. Un portrait
d'Oran, dans sa spécificité. Ville unique, imprégnée d'Espagne
aussi (on a entendu des échos d'espagnol). Et ce que dit Kamel
Daoud de son écriture en réponse au livre de Camus, L'étranger,
évacue les projections et instrumentalisations. Il insiste sur le fait
que son roman n'est pas "contre" Camus, mais, dit-il, "un exercice
d'admiration", un peu insolent, une "conversation". Il est,
en fait, un camusien authentique, avec la liberté de pensée de qui peut
affronter tout en aimant, non pas parce qu'il fait, lui, un contresens
sur l'intention de Camus dans sa propre création, mais pour être
dans une parole commune qui pose des nuances clés sur les
perceptions intimes du réel. Kamel Daoud parle, à un moment,
de l'altérité, du manque d'altérité quand l'autre est absent et
qu'on le réinvente négativement, justement parce qu'il est absent.

 
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ll revient sur l'islamisme, comme l'a fait un de
ses amis en rappelant que tous les jeunes Algériens des années
80 avaient été influencés par l'islamisme, et Kamel Daoud aussi,
par le Fis, mais lui a su s'en distancer pour combattre d'autant
plus l'idéologie mortifère. Et, sur l'islamisme, Kamel Daoud dit
que pas mal de pays du Moyen-Orient se sont débarrassés
de leurs islamistes... qui sont venus en Algérie.
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Il est fait retour sur le rapport à la langue pendant la période
française, un sentiment de dépossession de la langue du vécu
de tous les jours, langue perdant sa légitimité, souffrance
intime. Superbe moment de télévision…
kamel daoud,jean-marc giri,oran,algérie,hirak,l'algérie de kamel daoud,livresLIENhttps://mobile.france.tv/france-5/la-case-du-siecle/12309...
………………………………………….
Autres LIENS…
Page "auteur", sur le site du Point. L’essentiel résumé en quelques 
lignes… https://www.lepoint.fr/journalistes-du-point/kamel-daoud
Et une de ses chroniques.
"Où en est le rêve algérien ?", Kamel Daoud, 12-01-2020, Le Point... 
https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sebastien-le-fol/k... 
Cette chronique lui a valu des critiques très dures dans la presse 
algérienne, libanaise, et française. Y voyant un ralliement au pouvoir,
opposé à sa participation au Hirak au début. (Mais il avait dit que
marcher ne pouvait suffire, qu’il fallait des propositions, des alternatives
en personnalités et idées.) Ses positions sont depuis toujours lues
avec passion, soit pour le soutenir (et le remercier pour ses analyses,
comme sur des pages de soutien sur Facebook, très suivies), soit pour
le critiquer violemment. C’est une fracture dans l’opinion.
PAGES FACEBOOK….
Solidarité avec Kamel Daoud... https://fr-fr.facebook.com/pg/Solidarite.avec.Kamel.DAOUD/posts/
Et une, publique, à son nom. (Mais attention, d’autres sont fausses).

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17/02/2020 | Lien permanent

Que penser du rapport de Benjamin Stora ?

STORA.jpgNous devrions nous taire
Si fiers de nos histoires, si fiers de nos mémoires
Si macabres et sans gloire…
Nous devrions nous taire
Se parler pour dire quoi ?
Qui comprend qui ? Qui comprend quoi ?
(…)
Les mots sourds… Les mots sont trop courts...
(…)
Depuis qu’il pleut ces mots,
n’y a-t-il plus de frontières ?
(…)
Et ces milliards d’écrits,
et ces milliards de cris
qui fondent dans l’oubli…
(…)
On nous dit que les mots,
que les mots sont des armes,
que les guerres ils désarment...
(…)
Mais
combien de fois le mot 'haine'
a vaincu les mots 'j’aime'
(…)
Les mots sourds… des comptes à rebours.
Nicolas Granier, chanson (paroles et musique). Les mots sourds
 
… Cet exergue s’est imposé, à l’issue du long travail de réflexion sur ce sujet,  déchiré entre différentes mémoires, dont certaines trahies par les mensonges de pouvoirs ou d’auteurs influencés par leur idéologie. Je ne sais pas à quoi pensait l’auteur exactement en écrivant cela. Sans doute pas à mon sujet, mais peut-être réfléchissait-il en fonction de ses lectures de la presse sur différents thèmes d’actualité (tant d’avis divers, tant de contradictions). Le poète-chanteur écrit, imprégné des douleurs qu’on entend ou lit, qui se mêlent à ses propres blessures, à cette difficulté de dire la complexité du réel, où le vrai se mêle au faux, où l’individu souffre de ce qui le nie, mais aussi de sa difficulté à ne pas se trahir lui-même, en choisissant les mots … 
 
Mais je l’associe à ceux qui suivent, dans l’axe du sujet traité…  Poème d’un auteur algérien, penseur en lucidité et humanisme, Ahmed Azeggah, citations de René-Jean Clot et Khrishnamurti...
Charef.jpgArrêtez de célébrer les massacres
Arrêtez de célébrer des noms
Arrêtez de célébrer les fantômes
Arrêtez de célébrer des dates
Arrêtez de célébrer l'Histoire
(…)
Ce sang coagulé
Venin de la haine
Levain du racisme
(…)
On en a marre de vos histoires et vos Idées
Elles rebuteraient tous les rats écumeurs de poubelles
(…)
Laissez-noius laissez-les vivre
En paix
Sur cet îlot de l’univers
L’univers seule patrie
Ahmed Azeggah, Arrêtez. Anthologie de la poésie algérienne, Quand la nuit se brise, Points.
 
Qu’avons-nous appris ? À vivre sans sombrer dans la haine. 
René-Jean Clot, Une Patrie de Sel ou Le Souvenir d’Alger 

Pour instaurer la paix dans le monde, pour mettre fin à toutes les guerres. (…)  Il faut une révolution dans l'individu, en vous et moi. (...) Ce qui nous apportera la paix ce sera une transformation intérieure qui nous conduira à une action extérieure. (...) Il n'y a pas de pensée claire sans connaissance de soi. Sans connaissance de soi, il n'y a pas de paix.                        Khrishnamurti (La Première et Dernière liberté)

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SOMMAIRE de la note (repérer les titres en majuscules) :
 
. Le rapport Stora dans l'actualité. Et Benjamin Stora, à travers son estime d'Albert Camus. 
. Mémoires à guérir et mémoires ostracisées encore. Mémoire et traces. Histoire du rabbin de Vienne. Le concept d’hantologie (Jacques Derrida). Albert Camus, d’avance… 
. Le rapport Stora (dont lien pour lecture, pdf en ligne, et livre éd. Albin Michel)
. Les enjeux du rapport Stora. (Deux regards, deux rives : affronter une parole authentique, et le futur en France et en Algérie)
. Albert Camus, au cœur d’affrontements. Lectures sur les deux rives, et rejets pour stratégies de pouvoir 
. Analyse critique d’historiens (JJ Jordi, Guy Pervillé et signataires)
. Synthèse critique, par Mohand Hamoumou, spécialiste de l’histoire des harkis. Et synthèse pour lectorat jeune, presse.
. Synthèse des réactions diverses, vues à l’étranger
. Réactions des communautés concernées (Pieds-Noirs, Harkis, anciens combattants). Différentes associations, textes et liens
. Réactions algériennes (et réponse de Benjamin Stora)
. Mémoires, blessures, traumatismes, textes et témoignages
. Mémoire, histoire, terrorisme. Citations (deux rives)
. Histoire, guerre, colonisation et décolonisation
. Articuler mémoire et histoire, analyses
. Le présent algérien (regard de J. Ferrandez, bédéiste + la presse algérienne, titres à lire en ligne)
. Le futur de l’Algérie 
. Le futur des relations France-Algérie (textes, liens) dont documentaire à deux voix (fille de Pieds-Noirs, et Algérien). Et éclairage tunisien...
. BIBLIOGRAPHIE. Dont LISTES et citations (liens) 
…………………………………………………………………………...................................
 
Sirocco.jpgLE RAPPORT STORA DANS L’ACTUALITÉ...
 
Depuis des semaines, et plus, les discussions sur le rapport de Benjamin Stora, au lieu d’apaiser les esprits et d’aider le dialogue entre les rives (d’une part) et, en France, entre les communautés humaines concernées (d’autre part), n’ont fait qu’accentuer les tensions et remettre dans l’actualité des blessures que seuls l’Histoire et le temps peuvent calmer. J’ai l’impression qu’il y a des paris faits sur la disparition des générations directement impliquées (Algériens d’avant 62, indépendantistes engagés, Pieds-Noirs exilés, Harkis trahis, Franco-Algériens et Français d’origine algérienne par les parents, appelés traumatisés, etc.). Mais cela c’est oublier la transmission trans-générationnelle directe ou inconsciente. Les refoulés des traumatismes sortent plus violemment.  
 
De plus ces mémoires complexes (colonisation, décolonisation, guerre, terrorisme, massacres, exils) sont traitées très diversement par des courants politiques qui s’en saisissent. Soit pour attiser les douleurs en les manipulant idéologiquement et politiquement. Soit pour instrumentaliser la mémoire du passé pour des intérêts de pouvoir, des stratégies électoralistes, ou simplement se servir des émotions qu’on actualise pour créer des tensions et des haines. Diviser, certains partis extrémistes le cherchent. Il y a encore une extrême droite, en France, qui reste nostalgique d’une Algérie d’avant 62 dont le statut français serait inchangé. Posture a-historique que le FN/RN encourage. Mais il y a aussi les anciens porteurs de valises (favorables au FLN créateur d’un système que l’Algérie refuse et à ses méthodes, dont le terrorisme contre les civils). On les voit s’exprimer là et là, n’hésitant pas à mentir pour tordre les faits à leur manière (occultant, déformant). On pourrait croire que le débat Sartre contre Camus continue…  On trouve cela, cette fois, plutôt au PCF, chez Médiapart, et diverses extrêmes gauches… 
 
Le président Emmanuel Macron, qui cherche à clore des rapports faussés par des choix du passé (Afrique, Algérie, etc.), parfois très justement (Rwanda), parfois maladroitement (certaines déclarations sur la colonisation), le président, donc, a demandé à un historien, spécialiste de l’Histoire de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora, de rédiger un rapport qui servirait de base à un nouveau dialogue avec l’Algérie , pouvoir et peuple. (En fait avec le pouvoir algérien actuel, qui utilise la colonisation pour masquer tous les manques de sa politique). 
Première erreur. Car (même en relation avec un historien algérien) un historien est un individu qui pense aussi en fonction de sa vision, de son positionnement idéologique (racines d’extrême gauche dans ce cas). Erreur, d’autant plus que des historiens spécialistes de cette histoire de l’Algérie avant 62  il y en a plusieurs de grande qualité. Dont certains sont pieds-noirs, une fille de harki, d’autres simplement des Français intéressés par cette période historique, du fait des drames qui y sont associés et des conséquences dans la société française.
 
Il n’est pas question de faire un procès d’intention à Benjamin Stora, natif d’Algérie, certainement sincèrement passionné par le sujet et les enjeux. Mais limité par l’immensité d’un matériel dont il ne domine pas tout (on le voit dans des erreurs pointées par les uns ou les autres, lisibles dans des réponses qui ont été rédigées). Et limité aussi par ses options idéologiques, un manque de recul critique au sujet du pouvoir algérien, des projections sur des réalités par méconnaissance du sujet (voir, encore, des textes  en réponse critique).
D’autant plus que Benjamin Stora (je l’ai écrit dans la note sur l’École d’Alger) montrait son attention aux mémoires partagées, en mentionnant la connivence qu’il avait notée entre les nombreux écrits de récits de femmes, algériennes et pieds-noirs (article de lui dans la revue Expressions maghrébines). Et en relisant plusieurs de ses déclarations au sujet d'Albert Camus on voit qu’on ne peut le considérer de manière manichéiste. Dans un entretien publié dans un hors-série de Philosophie magazine (avril-mai 2013) il rappelait l’évolution des positions de Camus, appelant à la trêve avec Ferhat Abbas, puis se rapprochant ensuite de Messali Hadj, du MNA (qui avait des affinités d’analyse avec Camus : "pour la pluralité politique, antistalinienne, antitotalitaire". C’est le massacre de Melouza (par le FLN, pour sanctionner leur choix du MNA) qui rapproche Camus de Messali Hadj. Or c’est sur Messali Hadj que Stora a fait sa thèse (on peut lire aussi le livre de la fille de cet homme sacrifié par le FLN, et exilé définitivement, désespéré). De Camus Stora dit qu’il est "homme de passerelles, pas un éradicateur", "attaché à une histoire méditerranéenne commune, faite de strates mêlées d’influences européennes et algériennes". Pour Stora, Le Premier Homme est le plus grand livre de Camus. 
Dans un autre entretien, Le Figaro du 24-10-2013. Benjamin Stora dit voir en Camus la possibilité de construire, à travers lui, "une passerelle entre les deux rives". Et il ajoute "d’autant plus que les extrémismes existent des deux côtés de la Méditerranée", et dit regretter que rien n’ait été fait à Alger pour signaler la maison où Camus a grandi.
C’est pourquoi c’est dommage que Stora n’ait pas travaillé avec  d’autres historiens pour ce rapport. La complexité aurait été mieux respectée (y compris la sienne…) et il y aurait eu moins de polémiques, plus de vérités abordées. 
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Nicole Garcia.jpgMÉMOIRES à GUÉRIR… et MÉMOIRES OSTRACISÉES ENCORE 
 
Même si, pour les historiens, comme c’est clairement dit dans le texte de Jean-Jacques Jordi, Guy Pervillé et des historiens associés à leur analyse du rapport, il faut passer "des mémoires à l’histoire". Oui, c’est très juste. Mais les mémoires sont matière, aussi, pour les historiens. Et les opinions des groupes influencent les décisions politiques (ou servent des manipulations partisanes par des leaders extrémistes parfois - dont des nostalgiques de divers groupes criminels). Et même, c’est ce qui est reproché au rapport Stora, l’opinion peut interférer dans les travaux de l’historien, entraînant occultations ou erreurs. 
 
Car les remontées de mémoire, associées à la réactivation des débats sur l’Histoire, cela se heurte aussi à des réactivations de déclarations ostracisantes et diffamantes. Ainsi le journaliste politique Jean-Michel Aphatie a tenu, sur France 5, le 23 janvier (C L’Hebdo) des propos méprisants de rejet des Pieds-Noirs, ces "étrangers" présents en Algérie. Y voyant une raison d’ironiser sur l’Algérie "française" habitée par des "étrangers". Pas gêné par sa xénophobie affichée. Pourtant, s’il avait lu Camus, il saurait que ces gens-là n’étaient pas les riches colons "français", et qu’ils étaient bien plus proches de la mère de Camus. C’est l’anticolonialisme de salon, qui se trompe de cible pour flatter des égos. De ceux qui pourtant, en tant que Français, descendent de ceux qui décidèrent - ou laissèrent décider - de coloniser.  Ce que ne firent pas ces "étrangers’" justement parce qu’ils n’étaient pas Français… Oubli, souvent, que la colonisation fut le choix d’une gauche qui se déculpabilise en projetant sur une communauté déjà traumatisée la responsabilité de ses actes. 
Au lieu d’avoir une réflexion sur les réalités de l’immigration (espagnole, italienne, maltaise…) et sur le métissage méditerranéen qui en résultait. (Ce qu’a fait très bien, au contraire, l’universitaire algérien Mourad Yelles dans son ouvrage sur les cultures et métissages en Algérie. Il consacre un chapitre aux "Algériens de l’entre-deux / Les identités orphelines".).  Mais cette immigration n’est pas présente en tant que telle au Musée de l’immigration, et pas plus dans l’imaginaire si souvent faussé de la métropole. Ainsi les Espagnols venus en France métropolitaine, oui. Mais les Espagnols andalous partis en Algérie voisine, non. Pas de reconnaissance de leur histoire.
Oubli, aussi, des Français dont les ancêtres furent des orphelins que l’État français fit partir en Algérie. Oubli des Communards exilés de force. Et des Alsaciens fuyant pour rester Français. 
C’est un exemple de cet ostracisme. On pourrait en citer bien d’autres. De quoi faire un

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”Pour un éloge de l'impossible”. Miguel Casado traduit et présenté par Roberto San Geroteo

CASADO.jpgEl día escinde la percepción / al colorear la tierra.

     Le jour scinde la perception
     en coloriant la terre.
.
                     (…) este extraño
elogio de lo imposible
que acompaña al que no supo detenerse.
                     (…) cet étrange
éloge de l’impossible
qui accompagne celui qui n’a pas su s’arrêter. 
      Miguel Casado (traduit par Roberto San Geroteo)
.            
 
Ce livre, bilingue, publié en 2017 par À L’Index (Jean-Claude Tardif éditeur, Le livre à dire) dans la collection Le Tire-langue (traductions) est un choix de poèmes de Miguel Casado, allant de 1985 à 2015. Le choix des textes, la traduction, et l’introduction sont de Roberto San Geroteo, poète et traducteur (Valdès, Gamoneda… etc.).
Miguel Casado est poète, essayiste, critique, et traducteur (de Verlaine, Rimbaud, Ponge, Noël, San Geroteo… etc.). 
L’introduction permet de découvrir l’itinéraire de l’auteur. L’accent est mis sur l’ancrage du poète dans une conscience historique et donne des clés de lecture, qui m’intéressent particulièrement, dont une qui a un rapport avec le regard. Le cinéma est très présent dans les références de Miguel Casado, inspiré par des films, dont Faux mouvement de Win Wenders. Ce lien avec Wenders rejoint la question de l’ancrage dans le réel, car celui-ci, dans son livre Emotion pictures, fait le procès des images qui mentent (truquées, fabriquées), travestissant le réel. Cette référence n’est pas anodine, elle dit une parenté intellectuelle et esthétique, une exigence éthique. Je note aussi la mention de Kandinsky, dans les oeuvres qui inspirent aussi l’écrivain. Ceci interroge autrement (tout en confirmant l’importance du regard pour le poète). Car, si Roberto San Geroteo insiste sur le rapport au réel et à l’Histoire, en ajoutant que cette écriture ne cherche « aucune sorte de transcendance », Wassily Kandinsky, lui, est l’auteur du livre « Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier ». Le mot spirituel est polysémique, certes, mais mène cependant à la prise en compte d’une dimension de l’humain qui transcende, en quelque sorte, le rapport au quotidien, le rapport aux choses. Cette proximité signe une complexité, un possible paradoxe, et c’est intéressant aussi. 
L’essentiel reste l’importance du regard. Or ce poète a un regard de peintre : les couleurs sont partout dans ses textes, partout une « matière » visuelle, aussi. D’ailleurs une de ses publications est titrée « Pour une théorie de la couleur ».
Enfin, autre référence, L’Étranger d’Albert Camus. Clé, cette fois, pour saisir le questionnement de l’auteur sur ce réel qu’il interroge et peint avec ses mots, et sur la conscience d’être soi et autre en même temps. Rencontre camusienne pas étonnante, et pas seulement en rapport avec le thème de l’étrangeté à soi-même. Pour un poète espagnol, l’hispanité assumée de Camus est une porte d’entrée dans son oeuvre. Un titre de Miguel Casado, parmi les essais sur la poésie, est « L’expérience de l’étranger ». Ne l’ayant pas lu je ne peux que supposer comment la question du rapport à l’autre, étranger à soi, et à l’autre en soi, peut intervenir dans la théorie de la poésie. Mais il est vrai que l’enjeu de la poésie est de scruter les failles du sens : c’est donc complètement lié. (Il ne reste plus qu’à lire l’essai…). 
Autre essai, je note, dans la bibliographie, un titre qui est un programme théorique et pratique, « La poésie en tant que pensée ». Penser à partir du fait d’écrire, le poème comme matrice conceptuelle. 
 
En ouvrant le livre, dès les premières pages des notations de couleur.
« (…) des franges de bleu entre les nuages », ou l’eau verte, mais « à peine ». Couleurs esquissées, légères, subtiles (souvent) ou franches, nettes, fortes (plus rarement), tout le livre est peinture. Ce qui est vu est aussi ce qui s’entend. Comme si les « sons végétaux », venant de l’eau, entraient dans le paysage. Et « quelque chose », dit-il, « suggère la fiction du mouvement » (« Faux mouvement » de Wenders ?). Comme si le poète-peintre était en même temps celui qui se méfie du narratif de ce qui est regardé, pour ne pas être piégé par les apparences. Il regarde, il peint, et il pense, en décalage immédiat de lucidité. C’est passionnant de constater cette rigueur de la distance prise avec son propre regard. Page qui suit je remarque le mot « simulacre » (au sens pluriel, tout étant, là, dans ce moment, simulacre). C’est venu de l’absence de couleur sur « certains versants », la nudité du « rien ». Ce n’est pas du silence, dit-il, et pourtant c’est un monde « muet ». Retrait intérieur par rapport à la nature qui ne donne pas, ou semble ne pas donner, dans cet instant en tout cas, sa place au vivant qui regarde, à l’humain. 
Couleurs, encore. Le noir loin de la lampe, métaphore d’une angoisse cependant. Puis le bleu de la plaine, le gris de la mer. Même fumer est l’occasion de parler de couleur, de créer un tableau. Cigarettes d’autrefois, et cigarettes actuelles. Le papier, le filtre. Ou, ailleurs, couleur brune de la terre, et verte d’une source, ou sombre des nuages et de la pluie. Et la fumée bleue qui semble être la brume sur le paysage, puis l’orange des arbres (feuilles d’automne peut-être, ou reflet d’un soleil couchant). Même le vent semble avoir une couleur ou créer de la couleur. Et enfin l’écriture elle-même est vue, graphie noire et traces d’encre. 
La couleur est aussi matière qui peut se toucher. Terre, sable, poussière, pierres, bois, feuilles… L’eau, le végétal. Comme dans les livres d’artistes où des éléments concrets sont posés, collés.
Je tourne les pages, je reviens en arrière, au tout début. L’étranger est là, l’autre en soi. Il parle de se « reconnaître », et de l’étrangeté de ce ressenti, soi présent qui ne ressemble pas à soi du passé. La distance avec lui-même est aussi dans « l’opacité des images ». Dehors et dedans se rejoignent, le monde visible et la conscience de soi. Il oppose, ensuite, et mêle, « authenticité » et « imposture » des actes et des rêves de la vie. Exercice de lucidité au fil des poèmes. Réflexion sur la mémoire et ses « silences ». Plus loin il parle à ce sujet d’un « exil » (par rapport à soi). Se souvenir est lié à cet exil de soi, des choses du passé qui ne sont plus. Expérience personnelle d’un vide de sens dont il n’attend rien, dans les moments de tristesse devant la dégradation des lieux, des choses et des corps (le sien compris).
Regard. Sans regard pas d’identité, de conscience de soi. Perte des choses et perte de la conscience de soi si le concret n'est plus un repère. (Cela évoque Ponge qu’il a traduit : poser le réel par les objets à saisir, voir, décrire, et ainsi exister).
Regard. 
Car « Ce qui est consistant et ne ment pas » c’est cela, « l’émotion du regard » associée au « contact ambigu des pierres » dans la marche.
Dans le dernier texte de cette anthologie, « Autoportrait au miroir », il exprime un regret, un paradoxe. D’un côté « toute la vie à regarder ». De l’autre la myopie, « ces yeux creux et voilés », « ces yeux qui ne voient pas ». Or peut-être est-ce justement cette myopie qui lui a fait regarder le monde en peintre, et écrire en peintre. Car la myopie c’est le flou. Gilbert Lascault, lui, myope aussi, en a fait une force pour penser autrement l’esthétique (celle du peu, de l’impur, du dispersé : lire l’introduction de ses « Écrits timides sur le visible » ). Et dans une thèse sur le flou, « Un 'éloge du flou' dans et par la photographie »  (titre que certains traduisent en éloge de la myopie) Julia Elchinger montre en quoi le regard flou est plus juste, finalement. Citation : «  Dans la nature, les choses ne sont pas fixes. Et le flou en traduit les vibrations. Le flou frotte les choses entre elles, qui se confondent alors avec tout leur environnement. De ce fait le flou harmonise la vision, bien plus que la netteté ne le fait, puisqu’au contraire elle sépare tout. Donc nous voyons plus selon la vision floue, impressionniste, que selon la vision nette de l’art classique. » 
 
Pour conclure, très beau recueil anthologique, fine traduction de poète à poète. La bonne manière pour entrer dans l’oeuvre de Miguel Casado et avoir envie d’aller plus loin dans la lecture…
 
MC San Juan
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LIENS
Note éditeur sur le recueil et l’auteur… 
Commande : Le livre à dire, Jean-Claude Tardif, 11 rue du Stade, 76133 Épouville. Le recueil bilingue, 17€

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23/06/2019 | Lien permanent

Hommage populaire... Johnny.

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Ceci, qui précède, c’est ma première réaction, posée en post sur Facebook. Parce que cette mort m’a émue un peu comme ces foules. D’abord j’entendais le « ding ding dong… salut les copains ! » rappelé par les radios, symbole d’un commencement, d’espoirs et révoltes mêlés. Et je sentais que des choses disparaissaient avec lui, Johnny, de chacun de nous et de l’histoire de ce pays. Car ce n’est pas rien qu’un élan qui part de la musique et de la danse pour faire émerger plus tard une révolution de moeurs. Le rock lancé par un jeune qui bouge autrement et qui énerve la génération précédente, peut-être inquiète d’un mouvement dont on ne sait pas ce qu’il fera de la société et des destins. Rien de politique, en apparence, dans ces chansons de « l’idole des jeunes », dans les mélodies berçant des slows avec des mots. 

 

RESTER.jpgÉmouvant itinéraire qui suit les vies des uns et des autres, quand il se marie, et d’autres de même, divorce, et d’autres aussi. Miroir de nos fêlures, questions. Et énergie qui transcende. Donc il y a du sens. Et justement, lui, transforme sa vie en destin, qui parfois rejoint la tragédie, parfois se perd apparemment dans des galeries de glaces, mirages des grands, des fuites, d’autre chose, des souffrances et peurs qui remontent. 

Sauf qu’il rebondit. Et ceux qui l’écoutent avec lui (beaucoup de ses « fans » témoignent de passages de leurs vies où ses chansons, sa voix, les ont aidés, contre le désespoir ou même l’envie de mourir, ou simplement pour supporter un quotidien lassant ou trop solitaire, avant de retrouver un équilibre et de changer). 

Énergie. On aime cela, l’énergie de chanteurs ou acteurs (de ces artistes les plus populaires) qui font capter quelque chose de cette énergie corps-conscience qu’on sait tous avoir en soi : la voir ainsi transfigurée renvoie un écho. C’est peut-être cela, un mystère capté, qui fascine et fait aimer. Et des connexions d'inconscient à inconscient (individuel et collectif).

Lui en a plus que bien d’autres, de l’énergie. Et cela passe par un corps sensuel (donc une beauté de cet ordre), par des yeux au regard intense, un visage qui vieillit avec le temps (comme tous) mais qui, marqué, intensifie son expression. Ses visages successifs se superposent, puisque tous sont connus, et il est l’enfant blessé et l’ami contemporain ou même le père, tout cela.

Donc j’étais émue et j’écoutais plutôt avec plaisir les chansons passées et repassées (radio, télé). « Retiens la nuit », « Marie », etc. Diverses car paroliers divers suivant les époques, et de très bons. Des paroliers qui savent tous saisir (avec lui, donc par lui) ce que sa voix portera le mieux de lui, de son histoire même. Dont le rôle de ses femmes (les trois plus importantes). 

Émue, et énervée par des réactions stupides de certains snobs (comment dire autrement?), qui, réseaux sociaux, voulant montrer à quel point ils ne sont pas de la même engeance que cette populace, protestent contre les chansons qu’ils entendent de force (pourquoi ne pas fermer radio et télé dans ce cas?), contre l’hommage, indû (n’est-ce pas?), ces foules émotives et, même, les personnalités qui disent leur peine. Commentaires agacés sous les articles ou posts contraires à leur malaise. Mais ceux qui assument d'apprécier ce chanteur "populaire" assument d'abord leur appartenance à autre chose qu'à des élites sociales se reconnaissant entre elles et balisant des frontières. Même s'ils sont très diplômés, et créateurs autrement. Sans doute conscients de racines sociales humbles, et d'une proximité avec leurs "pareils", dans le fond... 

Mais, quand j’ai vu les images du défilé menant le convoi funéraire à la Madeleine (ou de groupes, ailleurs, rendant hommage en chantant dans d’autres villes), j’ai aimé cette foule capable de tant d’amour, pour avoir reçu, longtemps, des chansons. Je regardais les visages, écoutais. En me disant que ce pays était spécial, d’être capable d’un tel ensemble dans le chant ou le grand silence, élan de foule sans le désordre passionnel des foules (comme pour la marche silencieuse après les attentats : ou pour écouter Johnny Hallyday chanter ensuite ce dimanche de marche, à République). Et que ces gens me plaisaient, somme d’individualités sympathiques, soudées par le partage. Je me demandais quelle impression cela pouvait faire de l’étranger (nous trouvera-t-on ridicules ou touchants ? étranges ? remarquables à notre façon ?). Peu importe. Symbole fort que la place du chant, de la musique, des foules sans peur, dans le contexte actuel des haines intégristes de la musique et des menaces terroristes. 

Un enfant, dix ans peut-être, interrogé par un journaliste (étonné de le voir, ému, chanter avec les autres, connaître les paroles comme les adultes) répond : « Bien sûr qu’on peut aimer Johnny quand on est un enfant. Il n’y a pas d’âge pour aimer Johnny ! ».

Un jeune homme dit être venu de Hong Kong et repartir le lendemain. Trop important pour lui. 

D’autres, la génération du chanteur, ont l’émotion de la mémoire d’adolescence, lointaine… La peine de la mort de ses jumeaux d’âge… prescience de la sienne. Et l'empathie pour ses intimes (quatre enfants, femme, ex-épouses,amis), tout le monde sachant les deuils. 

Philippe Labro, parmi ceux qui ont parlé devant les proches et les moins proches, a évoqué (enregistrement, télé, émission spéciale) Nietzsche, le citant, pour rappeler que l’homme (l’humain…) est « une corde tendue au-dessus de l’abîme »). Oui, je le pense, Johnny Hallyday en était une figure, tendue au point de craquer parfois, s’étant brûlé aussi. Et finalement, emporté par la maladie , comme bien d’autres. Mais artiste jusqu’au bout, pour affronter l’abîme, ou lui présenter un visage sans renoncement.

J’ai écouté (émission spéciale, télé, encore) le sociologue Michel Fize, qui, reprenant la formule d’Emmanuel Macron (qui a réussi son hommage) dit préférer le terme « héraut » à « héros » pour Johnny. Car, expliqua-t-il, porteur d’une parole de liberté, la chanson devenant une thérapie qui guérit (preuve : des témoignages). La variété, a-t-il ajouté, est un genre noble. D’où le « merci » exprimé par beaucoup (et inscrit sur la tour Eiffel…). 

C’est donc un jour particulier, un événement riche de sens, même si nous sommes, pour la plupart, plus observateurs qu’acteurs présents dans la foule. Par l’émotion à la nouvelle de la mort du chanteur. Et par la manière dont cela a été exprimé et porté de la foule anonyme aux personnalités connues (politiques aussi, sauf M. Le Pen, refusée par la famille), jusqu’au pouvoir, président actuel et présidents récents… Tous touchés vraiment. Effet d’onde.

Populaire, marque d’une certaine vérité, pour l’art. Les gens ne viennent pas aux concerts par hasard, pas parce que la pub est bonne (cela ne dure pas), et ils n’achètent de disques que pour les écouter… Tous avec … « Quelque chose de Tennessee », dans l’oreille et symboliquement.

Et ce malgré la distance qui fait qu’on apprécie de loin, sans connaître plus que son art, un grand chanteur, d’une génération mais pour plusieurs… Distance mais perception de pans de vie, autre connaissance malgré tout. Et un visage peut suffire à capter beaucoup.

VOIX… Une voix, et c’est beaucoup. On sent inconsciemment que c’est plus que ce qu’on croit, une voix. Cela vient d’un corps et de beaucoup plus qu’un corps. Cette voix traduisait une énergie d’amour, c’est cela que les gens sentaient, et ils savaient que l’énergie circulait, trouvait en eux le point dense qui répondait. Le peuple (simple et divers, peu lettré ou très cultivé, mais dans tous les cas instinctif) a des intuitions pour reconnaître un mystère qui lui parle de chacun. Un peuple, cela peut devenir une foule haineuse, si des meneurs la manipulent, des autocrates avec du charisme. Si le peuple n’est que foule il peut être très bête. Mais là, justement, les foules aimant Johnny Hallyday, et lui rendant hommage, n’avaient de collectif que le partage, et restaient une somme d’individualités. Visages devant un visage. 

MUSIQUE… Une cérémonie de deuil qui laisse la joie d’être passer. Et la joie de la musique. Rock, bien sûr, chansons, et le rappel (par La Quête, pour clore la cérémonie) de ce que Jacques Brel représentait pour Johnny Hallyday.

LIENS… 

SITE officielhttp://johnnyhallyday.com 

Fiche wikipediahttps://fr.wikipedia.org/wiki/Johnny_Hallyday  

Paroles des chansonshttps://www.paroles.net/johnny-hallyday 

Écoute, sur Deezerhttp://www.deezer.com/fr/artist/1060  

Articles… Le Monde, 06-12-17, « Notre seule rock star »…http://lemde.fr/2AGM1Ht   

Parcours de vie, Le Monde, 06-12-17…http://lemde.fr/2BDm36W 

Revue de presse interne, Libérationhttp://bit.ly/2nM4OON 

Évocation d’un attrait pour des questions métaphysiques, Le Figaro, « Un désir d’au-delà », 08-12-17… http://bit.ly/2jleIp8  

L’hommage populaire, Le Monde, 09-12-17… http://lemde.fr/2B6SCxt

........................

MISE à JOUR, 11-12-17, et autres liens...

Déjà, je recopie ce message trouvé sur la page Facebook dédiée à Camus… (car... Johnny, Jean-Philippe Smet enfant, chez Camus… !)... https://www.facebook.com/AlbertCamusAuthor/ ...  "Alors que nous apprenons la triste nouvelle de la mort de Johnny Halliday, nous nous souvenons avec émotion que le petit Jean-Philippe Smet fit ses tout premiers pas sur scène en 1949, à l'âge de 5 ans, non pas en tant que chanteur mais comme figurant dans une mise en scène de "Caligula" d'Albert Camus à Londres. Or, il est avéré que Camus assista à la première de la pièce le 8 mars 1949. L'histoire ne dit pas si c'était le petit Jean-Philippe qui était sur scène ce soir là. En ce jour particulier, nous nous plairons à le croire. »

L’éditorial du Parisien, le 10-12-17, par Frédéric Vézard, titré « Un ange est passé » caractérise ce que Johnny Hollyday produit chez les gens, une force pour aimer. Et insiste sur la « bouleversante communion en musique ».

Hervé Gattegno (« Une idole et son peuple », JDD, 10-12-17) dit la même chose de cette ferveur (« La foule vibrait, chantait ») et de la musique.(« On attendait l’hommage, ce fut un concert »). Il justifie la grandeur de l’hommage que les Français ont voulu, eux, car, dit-il, le rebelle de la jeunesse a touché toutes les générations, en étant capable de se renouveler. Et aimé tel qu’il fut, imparfait donc humain, « fort et fragile comme un homme, simple et grand comme la France ». Il évoque Jean d’Ormesson, uni à lui par la date de leur mort (« l’aristocrate devenu populaire et le fils du peuple devenu un seigneur »). Texte fort, dommage qu’il ne puisse être lu en ligne… 

Johnny, vu d’Algérie. Un très bel hommage, ample, vibrant. Texte de Kacem Madani, Le Matin, 09-12-17, « Nos années d’or à Alger : Oh Johnny si tu savais ! ». Comment l’art d’un chanteur aide à vivre, donne l’élan pour se trouver. Texte nostalgique, car l’élan a été étouffé ensuite par un contexte dur. Mais en soi, ce qui vibre est toujours là…  http://www.lematindalgerie.com/nos-annees-dor-alger-oh-jo...

Autre hommage, venu du sud, lui, même sincérité. Traduction d’un itinéraire… Et comment ce qu’on aime ne se dit pas toujours, car les codes et les normes nous imposent de jouer des rôles, de rester dans les cadres qui s’imposent à nous… Dans Libératon, 06-12-17, Magyd Cherfi raconte son rapport avec les chansons de Johnny, d’abord aimé en cachette, en conflit de soi à soi. Et maintenant assumé totalement, intensément. « Johnny, plus qu’une voix »… http://www.liberation.fr/debats/2017/12/06/johnny-plus-qu...

... Mise à jour, 16-12-17… (Courrier international)

L’hommage vu de l’étrangerhttps://www.courrierinternational.com/article/vu-de-letra...   

Et particulièrement, côté anglais… https://www.courrierinternational.com/article/hommage-qua...

Johnny Hallyday symbole de « la résistance culturelle française » (il chantait en français, notamment). Point de vue d’un chroniqueur : « Johnny Hallyday était pourtant bien plus qu’une rock star, affirme ce chroniqueur britannique. Il était un trésor national. Et un sacré bon chanteur. »… https://www.courrierinternational.com/article/johnny-symb...

... Mise à jour 18-12-17... Le Point. Dossier…  http://www.lepoint.fr/dossiers/culture/johnny-hallyday-un...

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09/12/2017 | Lien permanent

Lire ERRI DE LUCA. ”Europe mes mises à feu”, ”Le samedi de la terre”, et les poèmes...

1. EUROPE De Luca.jpgLes cendres du froid sont dans le feu qui chante le refus.
René Char
Feuillets d’Hypnos (recueil dédicacé à Albert Camus)
 
Voici notre vie pétrie sans levain,
du pain envoyé sur les visages des eaux.
Erri De Luca
Aller simple, 2002, Seghers, bilingue (trad. Danièle Valin, parution du recueil en même temps en Italie)
 
L’univers était liquide, il fut divisé en deux,
un dessus et un dessous d’eaux,
avec le firmament au milieu.
Erri De Luca
Œuvre sur l’eau, 2012, Gallimard, bilingue (trad. Danièle Valin, recueil paru en 2005 en Italie)
Cet essai, Europe, mes mises à feu, tient en quelques pages, mais il est très riche, et entraîne, à la lecture, vers des horizons qui vont au-delà des frontières de l’Europe, vers des thèmes qui transcendent nos ancrages, sans les nier. L’auteur parle de lecture et de poésie, c’est son entrée dans sa perception de l’Europe. Mais dépassant aussi ce qu’il peut dire, j’aborde, moi, indirectement, sa poésie, que je situe très haut. Je l'aborde en traitant de ce qu'il dit des poètes admirés, et du choc des lectures, avec cette révélation qu'il eut de ce que la poésie peut (et que seule elle peut).
J’avais découvert en librairie, par hasard, ce volume miniature d'Erri De Luca, écrivain italien que j'aime particulièrement. Trente pages de la collection Tracts de Gallimard (3,90 € !). Son propos est la défense d'une idée de l'Europe, contre les tentations du racisme et des nationalismes qui enferment, et il développe cela de manière efficace. 
Mais il traite le sujet en écrivain surtout, écrivain lecteur, et poète. Avec le regard de l’auteur du magnifique poème "Valeur": "J’attache de la valeur à toutes les blessures"...
Parlant de poètes, se référant notamment à Anna Akhmatova, à une réponse célèbre d'elle sur le pouvoir de la poésie. Citant des auteurs. Évoquant longuement Borges, dont il dit qu'il l'admire "plus qu'aucun autre écrivain du XXème siècle".
...
Sur la LECTURE je retiens notamment ces  passages : 
"J'ai lu dans le plus grand désordre, seul ordre adapté à un lecteur. Les systématiques ne veulent pas lire, ils veulent avoir déjà lu." (...) "Je suis un lecteur, même si dans ces pages je suis du côté de l'écrivain. Parce que je voulais lire, j'ai étudié des langues européennes...(...)... pour essayer de comprendre...(...)... sans l'intervention des traductions, qui sont une forme légère de frontière."
Oui, le désordre sert le hasard et les croisements de sens. Traductions, frontière sans doute... Mais je lis Erri de Luca en traduction, regardant pourtant la page originelle quand l'édition est bilingue. Merci, traducteurs, créateurs. Langues... Erri de Luca a même appris l'hébreu pour entrer dans la pensée philosophique et métaphysique que cette langue porte. Son entreprise de lecteur est un engagement radical, demandant un travail considérable que tous ne veulent pas faire. 
...
POÉSIE, avec un tel titre pour ce bref essai ? Oui, dès la première ligne. Erri De Luca en fait la source de son écriture. Il est écrivain pour avoir lu la poésie, et précisément celle du XXè siècle, car à la violence de ce siècle ne pouvait répondre qu’une écriture forte, de radicale exigence, et c’est dans la poésie qu’il a trouvé cela : 
"J’ai été incité à la littérature par la poésie du XXè siècle. C’était la seule forme à la hauteur du siècle le plus meurtrier, carcéral et migratoire de l’histoire humaine.
 La poésie a pu répondre à la question : ‘Est-ce que vous pouvez décrire ça ?"
 
Erri De Luca consacre deux pages à la réponse que fit Anna Akhmatova, interrogée par une femme qui attendait avec elle la possibilité, incertaine, de visiter un proche emprisonné à Léningrad (pour Akhmatova, son fils). Cette femme était-elle lectrice de poésie? Peut-être pas. Mais elle voulait savoir si son art rendrait la poète capable de dire l’horreur de ce temps :
 "Est-ce que vous pouvez décrire ça ?"
  Et Anna Akhmatova répondit : "Je peux". (Erri De Luca écrit aussi "Anna", juste "Anna", en intimité intérieure assumée : proche, car lue beaucoup…).
Pour la question et la réponse, je n’ai pas le même texte. J’ai la traduction du poète Paul Valet (directement du russe), quand, dans les pages de cet essai, les mots sont passés par le filtre de la traduction du russe en italien, puis de l’italien au français, par Danièle Valin. Paul Valet transcrit ainsi le récit  que fait Anna Akhmatova de ce moment (à lire dans Requiem, Minuit) : 
  "— Et cela pourriez-vous le décrire ?
    Et je répondis :
    — Oui, je le peux."
Erri De Luca, pensant à la femme qui questionna la poète, dit d’elle, que, même ignorante de son oeuvre, elle savait, du poète, qu’il est  "celui qui sait extraire les mots de la glace". En écho, on pourrait entendre que le poète est celui qui sait forger la hache dont parle Kafka, disant d’un livre qu’il "doit être la hache qui brise la mer gelée en nous". Ce n’est pas tout à fait pareil, mais cela se rejoint (et c’est bien plus que par intertextualité). Pour Kafka le seul livre digne de l’être doit nous heurter, nous secouer, nous sortir de l’inertie intérieure, d’un néant d’être, ou fatigue d’être. Pour Erri De Luca c’est aussi celui qui inscrira les mots que nul autre ne sait sortir du silence glacé des systèmes meurtriers, du totalitarisme, des exils forcés. Le poète doit pouvoir écrire en annulant les mutismes nés de la sidération devant la terreur, quelle qu’elle soit. Les annuler en lui, et en l’autre. Je comprends de cette manière l’expression "mes mises à feu" dans le titre. Et c’est pourquoi j’ai écrit "forger" la hache. Car c’est un feu en lui que cherche le poète pour écrire. (Et je ne suis pas étonnée de retrouver Lorca ensuite dans les références de De Luca : on est, sans qu’il le formule, dans l’univers du duende, cette tension qui fait œuvre.) La poésie qu’aime Erri De Luca sait être une alchimie. Pour cette transmutation d’un élément à un autre, pour la mise à l’air de ce qui est caché et froid.
 
1 PAROLE.jpgErri De Luca sait de quoi il parle. Son livre-tribune, La parole contraire, affirmait ce pouvoir : prendre la parole pour ceux qui ne sauraient dire, et refuser qu’on "entrave" sa parole. (Lors de son soutien du mouvement No Tav, contre la ligne à grande vitesse du val de Suse, qui lui valut un procès). Force qui part, pour lui, d’une sorte d’ascèse, par un parcours érudit d’un lecteur en langues, et un processus de mystique sans dieu ni dieux. Force qui naît aussi de son vécu, matriciel, d’ouvrier.
 
1 Poésie 1  LUCA.jpgIl sait de quoi il parle, aussi, pour être poète lui-même. Pas seulement dans ses magnifiques méditations en prose que sont tous ses livres, mais dans ce qui est recueil assumé de poèmes, voulus poèmes.
Car, a-t-il dit ailleurs, dans une note en tête du recueil Œuvre sur l’eau : "À cinquante ans un homme se sent obligé de se détacher de la terre ferme pour s’en aller à la rue. Pour celui qui écrit des histoires au sec de la prose, l’aventure des vers est une pleine mer." (D’où le titre du recueil…).
 
Ainsi, dans les premières pages de cet essai se rencontrent deux êtres qui me passionnent autant l’un que l’autre, l’un très vivant, De Luca, l’autre morte, Akhmatova. Mais semblables par leur même attente de la poésie, le même savoir sur ce qu’elle est, la conviction d’être eux-mêmes capables de répondre à cet appel à traduire soi et le monde, en créant de la beauté.
Pour Erri De Luca la poésie est ce qu’il y a de plus haut ("la seule forme à la hauteur…"). Et, ajoute-t-il, parlant de la réponse d’Anna Akhmatova, "Je peux", que cette réponse  marque une frontière de sens  : "À partir de ce moment-là, chaque lecteur est en mesure de savoir qu’au sommet des littératures se trouve le point culminant, les vers."
2 POESIE LUCA.jpgHauteur, avec ce mot, un autre écho, encore (car ceux qui exigent le plus se rencontrent à ce niveau). Après Kafka c’est Jean Cohen, avec Le haut langage, théorie de la poéticité (je ne sais pas si Erri De Luca l’a lu), dont Michel Houellebecq avait fait une recension magnifique dans La Quinzaine littéraire de Nadeau, en adhésion totale, et une chronique ailleurs, dans Les Inrockuptibles (sur l'altérité radicale de la poésie, théorisée par Jean Cohen). Mais Cohen lu ou pas, De Luca se situe exactement au même niveau (alpiniste de vraies montagnes, il l’est d’évidence en poésie). 
Preuve en est son choix de la rareté. Un premier recueil en 2002 (avec un prologue très humble, comme étonné d’être là), Œuvre sur l’eau (Seghers), un deuxième… en 2005 en Italie, puis 2012 chez Gallimard : Aller simple. Des années, pour ne laisser s’écrire que les poèmes indispensables. Il pourrait dire, comme René Char, "Mon métier est un métier de pointe" (La Bibliothèque est en feu). Il est à la jonction de l’absolu mallarméen ("rien n’a lieu que le lieu") et de l’implication de Char (dont l'exigence se traduit aussi par le choix de l’ériture fragmentaire), mais qui écrit ceci, dans Sur la poésie : "Le poète se remarque à la quantité de pages insignifiantes qu’il n’écrit pas."
 
Dans les pages qui suivent celles sur Akhmatova, les textes qui représentent, pour De Luca, la "haute altitude", "l’allure de montée" des syllabes "scandées", ce sont les psaumes dits "Maalot" (Nous étions tels des rêveurs).  Ce sont les poèmes de  Federico Garcia Lorca, Giuseppe Ungaretti, Yitzhak Katzenelson (pour lequel De Luca a "voulu fouiller dans la cendre d’une langue européenne brûlée", le yiddish). Car dans ces œuvres on retrouve la capacité évoquée au début : répondre à l’horreur des faits. Car "Tel a été le poète, quelqu’un qui a transformé aussi le massacre en chant.". Formule sublime de force et vérité.
 
Ainsi la poésie, ce sommet littéraire, est aussi la parole qui va permettre de continuer à penser l’Europe plus directement. 
C’est Borges qui fait traverser la frontière entre l’univers du poème et celui de l’histoire en mouvement, pour ce continent qui nous est commun. Après quelques noms d’auteurs européens, il mentionne donc Borges, qu’il admire "plus qu’aucun autre écrivain du XXè siècle et je me l’explique par sa volonté de se planter dans la culture d’Europe, comme un pied de vigne américain.". Puis il dit sa dette envers Camus, et particulièrement pour la lecture de L’Étranger… 
...
C’est la transition, à développer, vers le 3ème sujet, celui qu’annonce le titre : l’EUROPE. Sur cela Erri De Luca a des choses fort intéressantes à dire - en écrivain, en érudit citoyen. Ce qu’il aime, et ce qu’il déplore. Et de nouveau la pratique de la lecture donne des réponses. 
 
L’Europe littéraire et sociale, donc, ses "mises à feu", ou les questions qui brûlent... J’ai lu ces pages d’il y a un an, au moment où on commençait à vivre tous une crise sanitaire - et économique - très grave. Les épidémies, l’auteur les mentionne : "Les épidémies aussi ont déterminé le sang commun européen". Mais c’était avant cette pandémie… 
 
Déjà, quand Erri De Luca parlait de lecture et de poésie c’était avec un intérêt passionné pour les langues et les cultures européennes (surtout quand elles étaient une réponse aux pires questions posées par la terreur). Jusqu’à s'immerger dans les traces brûlantes du yiddish. Parce que son "chant" prouvait que rien n’était indicible, et que c’était le signe que l’origine de l’Europe actuelle était dans ces mots-là.
L’Europe se donnait au lecteur à travers les œuvres de ses écrivains, la littérature traversant les frontières, les textes devenant des passeports.
 
Mais ces réalités positives ont leur face sombre, pour l’auteur. Car si l’Europe a une dette de langage "due à la Grèce", elle l’a trahie quand la Grèce a dû subir des contraintes monétaires, comme si ce qui venait de ce pays était oublié, nié. Première déception, cette injustice, après l’espoir d’un recommencement, suivant le saccage absolu porté au continent par le désastre infini du nazisme et de la guerre : "J’ai déploré la dette monétaire imposée au peuple grec et j’en accuse la Communauté européenne, coupable de disproportion ingrate".
Enfin l’Europe a oublié sa part méditerranéenne, et ce qu’était la Méditerranée. Et l’a tant niée qu’elle a nié, pour lui, l’étymologie de son nom, Europe (où Erri De Luca déchiffre en grec le symbole du passage, non le barrage). Il reproche à l’Europe d’avoir fait de la Méditerranée, qui fut l’espace des traversées culturelles, un lieu des "naufrages par mer calme". (On peut cependant objecter que l’Europe n’est pas la seule coupable, même si...). 
En tant que lecteur il avait dit qu’il "visitait déjà le continent depuis une chambre dans les ruelles de Naples". Voyage par les livres, puis voyage concret pour retrouver les lieux des auteurs, maisons ou cimetières.
Citant les auteurs européens qui ont compté dans cette perception du continent des peuples, il en nomme plusieurs, comme Heine, Celan, Strindberg, avant de parler surtout de Borges. Qui, pour ses récits  a puisé dans l’imaginaire européen : "Miroirs, labyrinthes, théologies, sont des outils européens". De Borges, dans La parole contraire, il avait noté que "ses labyrinthes érudits ont ouvert mon troisième oeil en me faisant découvrir la profondeur des sagas et des mythologies". Créant ses mondes, Borges rendait au lecteur européen des clés pour être européen. Distance et proximité, par une lecture de soi venue d’ailleurs. Et autant que de Borges il parle, là, de Camus, de L’Étranger, pour le "sentiment opposé, être un apatride intérieur", pour l’écriture de "cet exil intime", la rencontre de son "angoisse écrite dans un personnage".
 
L’Europe que souhaite voir advenir Erri De Luca est celle de la fraternité, des valeurs, et celle qui s’affirme comme "zone franche de la liberté d’expression". Celle qu’il refuse est celle des illusions nationalistes : "Racisme et nationalisme sont des pathologies avant d’être porteurs de paradoxes politiques".
 
L’essai est complété par des articles précédemment parus en 2015, et un en 2003.
Insistance sur l’importance de la Méditerranée. Économiquement "La seule réponse est une grande zone méditerranéenne. Cette mer est l’origine de la civilisation du continent et son futur aussi".
Insistance sur le drame des migrants (article Ceux qui les noient, 2015). Même mots, à distance, que Raphaël Pitti, méditerranéen lui aussi, natif d’Algérie. Tous deux disent : "ils ne sont pas des mendiants".
De l’ article Une forêt de gens, 2015, je retiens la métaphore qu’il emprunte à un évangile, celle des hommes que voit l’aveugle comme "des arbres qui marchent". Vision pour "une visée hors de portée, mais vers laquelle tendre en cherchant à s’en rapprocher". "Largeur" des "cercles" d’appartenance, largeur des pages de l’écrivain, "foisonnement de feuilles", faisant comme les arbres, ceux-ci "étalant en largeur leur ombre".
Et, pour clore, je note la dernière phrase de cet article, qui pourrait conclure aussi bien son essai. (Qui, lui, se termine par l’affirmation, essentielle pour Erri De Luca, de "la liberté d’usage des mots") : "Je m’arrête là avec l’espoir d’une pluie de roses sauvages".
…….
1 TERRE LUCA .jpgLe samedi de la terre, mars 2020… Voilà une invitation à poursuivre avec lui notre réflexion. En temps de crise, de confinement et de déconfinement relatif…  
Dans ce "tract de crise" Gallimard Erri De Luca réagit à la cessation forcée d’activité qui plonge les êtres humains dans une interruption obligée, pour combattre le virus de la pandémie. Il insiste sur l’inversion des valeurs qui a mis l’économie en retrait, soumise aux nécessités sanitaires. Et au-delà de ses analyses antérieures sur l’Europe c’est sur le rapport à la nature qu’il porte le regard, sur la planète. Il voit dans

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13/05/2020 | Lien permanent

ALGÉRIE, suite... Une démission, des questions, des espoirs. Symbolique matin d'Algérie...

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Les manifestations ont donc continué jusqu’à la démission de Bouteflika, car le rejet du 5ème mandat ne pouvait tolérer un 4ème mandat prolongé. Mais la prise de conscience algérienne va plus loin. L’exigence est une rupture avec tout le système, le désir de se débarrasser de tout le clan du pouvoir, de la corruption de cette « famille » (au sens étroit, frère du président et alliés divers, et au sens large, c’est-à-dire tous les réseaux qui ont bénéficié d’avantages et privilèges). 
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Cependant la transition à créer, pour construire une démocratie réelle, ne se présente pas facilement. Il va falloir que des personnes sûres puissent obtenir la confiance de la population, et si des visages apparaissent, rien n’est encore acté. (Même s’il est évident qu’il y a des forces vives qui pourront jouer un rôle).
Il va falloir déjouer les pièges, et certains ont déjà été tendus. Des informations sortent, qui montrent que le pouvoir ne lâche pas aisément, et qu’il semblerait même qu’un officier de haut rang ait évité une catastrophe en refusant des ordres demandant d’affronter la foule. Rumeur ou réalité, le temps le dira.
En marge, des délires. On voit aussi des personnages, de partis associés au pouvoir, faire des discours délirants (des vidéos ont circulé). Ainsi une femme (qui a été ensuite la cible de moqueries cinglantes sur les réseaux sociaux algériens, francophones en tout cas) a pu dire, avec rage et conviction, que… les Juifs étaient les organisateurs de ce mouvement contre le pouvoir, pour détruire l’Algérie !!! Et revoilà le grand complot des conspirationnistes amateurs de RT, la voix du Kremlin, et autres sites du même genre.
Je n’ai pu que faire le lien avec autre chose que j’avais remarqué, juste avant. A circulé, sur des pages algériennes (Facebook et sans doute ailleurs) le texte d’un général français d’extrême droite, actif ou retraité je ne sais pas (personnage que tous les sites extrémistes adorent diffuser : RT, bien sûr, mais aussi des sites négationnistes, comme celui de Soral). Ce texte, donc largement présent en ligne, disait (je résume) que BHL était à la manoeuvre au sujet de l’Algérie : le texte "prévenait"(!). Et la réception était (commentaires...) une désolation horrifiée (BHL étant la métaphore du diable "sioniste" dans un certain imaginaire algérien - et maghrébin). On lui prête des faits multiples, on lui attribue la responsabilité de toutes les catastrophes. Et donc, pour certains, c’était cohérent. Sans qu’ils voient que le général soi-disant "protecteur" faisait passer un message de doute, sur un fond antisémite. (L’extrême droite française n’aimant les Algériens et les musulmans que pour tenter de partager avec eux un antisémitisme qu'elle leur prête d’avance, et qu’elle cherche à flatter, comme une certaine extrême gauche française, dans les milieux pro-palestiniens d’abord, car la Palestine est pour certains un mantra obsessionnel incontournable, dans l’oubli de bien d’autres conflits et drames du monde...).
Il y a un écho en Algérie pour cela. Et le pouvoir rejeté a bien joué avec, pour appuyer sa domination. Mais le rejet ne va pas encore, pour tous, jusqu’à refuser les effets idéologiques d’une longue propagande, et d’un formatage qui a utilisé autant la religion que l’éducation et les manipulations de l’Histoire officielle).
 
Pas pour tous, ce rejet de l’idéologie avec le système qui l’a modelée, mais chez beaucoup d’esprits, cultivés, lucides, et critiques : oui. 
Le fait que la presse algérienne ait réussi (malgré des difficultés - voir les pages Algérie de RSF) à maintenir une pluralité et à produire deux ou trois générations de chroniqueurs de grand talent, cela a permis que les idées circulent, que des intellectuels élaborent des pensées autonomes, radicalement en rupture.  
Autre facteur intéressant, la jeunesse de la population, qui a pu être désespérée par les blocages sociaux et le manque de perspectives, au point de risquer la mort (et trop souvent la trouver), en fuyant vers une Europe peut-être idéalisée. Car d’autres ont choisi d’agir. De nombreuses initiatives ont été le fait de jeunes (tant dans le domaine artistique qu’économique, environnemental, ou littéraire). 
Ces chroniqueurs, ces auteurs, ont certainement joué un rôle de pionniers, chacun à sa façon (parfois adulés, parfois détestés). 
Ainsi Kamel Daoud, Yasmina Khadra, Boualem Sansal, Aziz Chouaki, Anouar Benmalek, Mustapha Benfodil, Mohamed Kacimi, Amin Zaoui, Karim Akouche, Tawfiq Belfadel, Abdou Semmar (créateur d'Algérie Focus puis d'Algérie Part), Hebib Khalil, Khaled Belkouche (créateur du site web ObservAlgérie).et quelques autres… 
Et des femmes, affrontant elles aussi les tabous, les blocages, dans un souci de partage non conflictuel. Comme Daikha Dridi (journaliste-reporter), Nadia Tazi (philosophe), Meriem Khelifi (sociolinguiste spécialiste du discours religieux). Elles questionnent, expliquent... Elles et plusieurs autres (poètes, cinéastes, romancières...).
 
Et comment ne pas penser à la longue patience agissante (et visionnaire) de Mohamed Benchicou (créateur du journal "Le Matin d’Algérie") et à son livre sur Bouteflika, "Mystère Bouteflika, radioscopie d’un chef d’État". 
Rôle, aussi, à ne pas négliger, des diasporas, par le frottement à d’autres lieux et cultures, d’autres visions sociales et politiques, d’autres philosophies. Frottement à des démocraties fondées sur la laïcité, donc la séparation de la religion et de l’État, et une égalité juridique des femmes et des hommes. (Même si elles ne sont pas parfaites, même si l’idéal a ses failles, l’ouverture est un horizon).
 
De même, un courant a tracé sa route, bien avant ces manifestations. C’est celui des revendications des femmes pour une égalité à conquérir, juridiquement, concrètement et symboliquement. Beaucoup travaillent, certaines sont créatrices et chefs d’entreprises : l’égalité des droits est pour elles une évidence. Les femmes ont été dès le début très présentes dans les manifestations. Et la jeune danseuse qui en fut une très belle image en est un symbole flamboyant (voir la note précédente, lien en bas de celle-ci…). Mais un malaise a fini par être exprimé. Certaines se sont dit qu’elles risquaient de n’être qu’un faire-valoir d’un mouvement qui ne bénéficierait finalement peut-être qu’aux hommes, si les statuts qui gèrent la vie des femmes n’étaient pas changés. Et des pancartes avec des slogans féministes sont apparues (que ce féminisme ait le langage du féminisme européen, lui-même multiple et divisé, ou pas du tout ce langage). Ces signes de conscience féminine (ou féministe) ont affolé des marges conservatrices, et des réactions hostiles ont pu être constatées, que des pages de femmes ont dénoncé en relayant des témoignages. Ainsi la page Facebook "Les Algériennes", et d’autres pages que celle-ci partage aussi, comme "Femmes insoumises dz
Des faits ont beaucoup choqué, et entraîné de nombreuses réactions en Algérie. D’abord, donc, des bousculades ou agressions, de femmes - leurs slogans perçus par certains comme des provocations : même marginaux ces faits ont frappé les esprits, sidéré, même. (Et c’est ainsi qu’on a pu l’apprendre, par les témoignages et les réactions). Puis l’agression homophobe à Paris, place de la République, en marge de la manifestation de la diaspora algérienne. Et, ensuite, l’appel, sur vidéo, d’un homme hystérique demandant que des hommes agressent à l’acide des femmes ayant des comportements qu’ils trouveraient répréhensibles. Immédiatement tout a été fait pour le repérer (il vit à Londres, et l’on a même vu une photo de lui avec sa femme). Stupéfaction : vie apparemment anodine, allure moderne, femme non voilée, alors qu’on pouvait s’attendre à voir un "barbu" avec ses codes. Plaintes déposées. Et signalements des diffusions de la dite vidéo. Mais épisode similaire, un autre a refait la même chose. Plainte, encore. Puis, cette semaine, le lynchage de jeunes filles qui avaient des pancartes de revendications féministes (voir note suivante, un article daté 06-04-19). 
 
Tous ces remuements de pensée, sur les deux rives (et multiples rives diasporiques, parfois lointaines), ont produit des effets divers. Il y a donc des visions diverses et des fractures (qui peuvent se résoudre en pluralité acceptée ou provoquer des tensions, comme on peut le voir aux réactions de certains devant les textes de tel ou tel auteur, ou les positions de tel ou tel citoyen anonyme). 
... Fractures liées à la religion, déjà. Comme en France il y a des croyants, des agnostiques, et des athées. En Algérie les musulmans peuvent être des laïques convaincus ou des conservateurs (ou même des intégristes proches des théories des Frères musulmans). Il y a toujours des islamistes, qui guettent mais ne correspondent plus à ce qu’est l’Algérie de 2019 : ce qui n’empêche pas que la vigilance soit nécessaire, car ces courants ont des appuis, y compris à l’étranger, appuis idéologiques et financiers, et leurs stratégies sont habiles. Les menaces sont les mêmes que celles qu'on peut constater en France : manipulation, mensonge, masques (taqiya) et entrisme.
Les chroniques revendiquant des positions laïques sont, elles, de plus en plus nombreuses.
... Fractures, donc, liées au statut de la femme
... Et cassure au sujet de la Palestine (voir, note suivante, un article de Karim Akouche, daté du 02-04-19). Soutien obsessionnel très partagé, évident pour beaucoup. Mais des voix s’entendent, qui disent autre chose. Une exaspération, même. ("Assez avec la Palestine !"). 
... Fracture autre, celle liée à la France - que le pouvoir a voulu faire haïr, ramenant toutes les difficultés du pays à la colonisation, aux "colons" et aux harkis, dans une mystique du "traître". Pourtant, là aussi s’expriment des pensées autres, un regard nuancé. Et si Kamel Daoud avait, dans une chronique célèbre, regretté qu’il n’y ait pas eu un Mandela en 62 (pour que l’Histoire évolue autrement et que les Pieds-Noirs restent construire l’Algérie indépendante avec tous), d’autres disent espérer que le changement de régime change le regard sur le passé et fasse se rejoindre les mémoires de tous (dont natifs pieds-noirs et harkis, ou leurs descendants restés attachés aux racines algériennes). On peut associer à cette fracture celle autour d'Albert Camus, référence ou rejet (référence, ce dont témoignent des auteurs, et aussi des jeunes, dans un documentaire, disponible en DVD, Vivre avec Camus, où s'exprimaient deux jeunes algériens dont la lecture de Camus avait changé la vie, l'un pour l'avoir éloigné du suicide, l'autre pour l'avoir amené à s'engager dans des actions solidaires.)
Voir, pour tout cela, la revue de presse, qui évoque ces fractures : note qui suit...
 
Mais, comme le dit la philosophe Nadia Tazi (voir note suivante, entretien), l'essentiel est que le débat se soit installé, qu'il y ait parole, quels que soient les points de vue.
 
L’Algérie vit un moment enthousiasmant qui peut déboucher sur des transformations très heureuses, vers une réelle démocratie plurielle. Mais c’est une transition qui doit vaincre pièges et résistances. On doit espérer la réussite. Éthique de l’optimisme. Donc, encore, espoir.

Je ne mets ici que quatre LIENS : un ample article, des pages sur les deux livres mentionnés dans l’article, et ma note précédente (Algérie).

Dans la note qui suit je pose une revue de presse, qui complète, avec des textes récents, les lectures relatives aux premières revendications, mentionnées dans la note antérieure.
 
ARTICLE-dossier, par Brice Perrier, 3 avril 2019, Le Parisien week-end.
Parcours historique, réalisé à partir d’entretiens avec deux auteurs de livres importants.
D’une part avec Mohamed Benchicou. Et d’autre part avec Ardavan Amir-Aslani.
"Le 15 avril 1999  est élu président de l’Algérie."...https://bit.ly/2P0Ygpv
 
LIVRE. "Le Mystère Bouteflika, Radioscopie d’un chef d’État", de Mohamed Benchicou, éd. Riveneuve, mars 2018.
 
LIVRE. "L’Âge d’or de la diplomatie algérienne", d'Ardavan Amir-Aslani, éds. du Moment, 2015. 
 Fiche Decitre (dont résumé)... https://bit.ly/2X5KqVF
 
NOTE précédente, Trames nomades, 04-03-19. "Algérie. Refus, élans, inquiétudes et espoir."
(dossier d’analyses, revue de presse, et liens presse)... 
Note qui suit : revue de presse, 07-04-19...
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S’INFORMER, suite... PETIT PORTAIL de LIENS...
Le Matin d'Algérie… http://www.lematindalgerie.com
Le Quotidien d’Oran… http://www.lequotidien-oran.com
TSA actu. Tout sur l’Algérie... https://www.tsa-algerie.com
Algérie Part… https://algeriepart.com 
Toute la PRESSE ALGÉRIENNE, LIENS...  https://www.tsa-algerie.com/press/
MondAfrique/Algérie.

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06/04/2019 | Lien permanent

Deux livres de Silvaine Arabo. Automne et Saintonge (photographies), et Au large du temps (poèmes, avec des peintures d’

silvaine arabo,arève akopian nercessian,automne et saintonge,au large du temps,alcyone,poésie,art,photographie,peinture,livres,citations,albert camus,georges sand,françois cheng,franck médioni,issa,haïku,nature,spiritualitéDans une note sur la revue L’Intranquille, au sujet d’un entretien de l’éditrice avec un artiste triple (photo, écriture, son), j’abordais récemment cette question des interférences entre les pratiques plurielles. Certains créateurs ne le sont que d’un art, soit pour n’en maîtriser aucun autre, soit pour craindre la concurrence intérieure qu’ils vivraient à se partager entre deux ou trois pratiques. Certains pensent qu’on ne peut intégrer la connaissance et les techniques que d’une voie. Mais la création plurielle existe et on en voit des réussites. Je crois, pour ma part, qu’un art vécu avec intensité peut amplifier la conscience qu’on a d’un autre. Mais là, pour introduire cette œuvre, j’irai même plus loin. Le mot important c’est justement la conscience. Les poètes chinois taoïstes, comme les auteurs du zen japonais, ou certains mystiques soufis, font naître leurs fulgurances (poésie, calligraphie) de leur capacité à maîtriser d’abord l’accès au silence intérieur par la méditation. Et la connexion consciente au Tout de la réalité, si elle est profonde, peut développer la capacité d’en rendre compte de plusieurs manières. Ce n’est pas infini, car le temps est une limite, comme le goût qu’on a pour tel ou tel art et pas pour tel autre. Mais ce peut être pluriel s’il y a un centre commun d’où émerge la création, sous une forme ou une autre. Comme le regard qui capte la lumière, que ce soit par l’écriture, la photographie, ou la peinture. Pour Silvaine Arabo, ce sont ces trois chemins de l’être essentiel qui l’animent de la même façon. Trois voix, trois voies, et une.

L’ouvrage sur l’automne complète le portrait de l’artiste, en ajoutant à l’écriture poétique l’art de la plasticienne utilisant la photographie en peintre, qu’elle est aussi. (Artiste reconnue elle a exposé en France et à l’étranger.). Mais dans le deuxième ouvrage c’est avec la peinture d’une autre plasticienne qu’elle associe ses poèmes, Arève Akopian-Nercessian. Dans une proximité née d’une affinité artistique.

Automne et Saintonge (sous-titré Voyage au fil de l’eau et de la lumière), Alcyone, 2021, est un livre sans mots, ou presque. Toute la place est pour le regard. Cet ouvrage fait partie d’un cycle sur les saisons.

Pas de titres ou de légendes pour les photographies. Mots... ? Le titre, un avant-propos de moins de deux pages, deux exergues (Camus et Sand) et un poème d’elle, reprenant le premier texte du recueil Capter l’indicible. Seul poème mais qui a la force d’une initiation, ouvrant la thématique de la lumière. Albert Camus et Georges Sand sont cités, l’un pour qui, en automne, chaque feuille est une fleur, l’autre pour sa métaphore musicale, cette saison en andante mélancolique.

Dans son avant-propos la poète-photographe dit avoir voulu rendre ces paysages à une présence, à une essentialité, que notre regard quotidien (avec les soucis qui vont avec) nous occulte de façon quasi permanente. Et elle ajoute… Et pourtant là est la Vie. L’enjeu n’est pas qu’artistique. Il est vital, pour nous éviter d’être morts à nous-mêmes en ayant oublié ou perdu un lien fondamental, car la nature et nous ne sommes qu’un. Et elle précise sa conception de l’art photographique. La photo est méditation, contemplation… Du regard de celui qui reçoit les images, elle dit qu’il doit s’exercer avec lenteur. Ainsi on peut aller vers notre intériorité, c’est-à-dire vers notre miroir de « l’étant ».

Ouvrant les pages, il semble que l’automne se déploie pour révéler la splendeur de ses couleurs, et d’une photographie à une autre sont saisis des instants, des tableaux. Regard de peintre.

Voyage, est-il dit. Mais immobile et dans le temps puisque c’est le même paysage qui est contemplé. Infiniment regardé, et infiniment multiple. Arbres et arbres, eau et reflets. Variations des couleurs dont la lumière se vêt, habitant diversement le paysage suivant les heures du jour, de l’aube au crépuscule et à la nuit. Celle qui photographie est Trésorière de la lumière, qui fait se rejoindre les espaces lumineux dehors et dedans, et savoir l’unité de tout.

Les arbres et l’eau se répondent, reflets et couleurs en harmonie, ombres paisibles et striures laissant deviner un mouvement, un flux, le signe de l’air.

Le cadrage nous fait regarder au plus près, comme entrer dans le paysage, en percevoir l’odeur de terre et d’eau. La brume légère de l’aube on croit la sentir effleurer les visages, et on pourrait croire toucher les feuilles de nos doigts, en pensée.

Il y a un pont, plusieurs fois visible, et son horizontalité grise se multiplie dans l’eau. Pont bien réel, mais vecteur de symboles, représentation du passage entre les deux rives de cette âme du monde qu’elle évoquait dans l’avant-propos. La nature et nous : un lien essentiel, et une traversée de nous à nous, vers cette intériorité possible. 

Douceur des jaunes, qui ne heurtent ni l’harmonie des gris et gris bleus de l’eau, ni celle des feuillages encore verts. Jaunes vifs, ou pâles, ou presque marrons, masses d’ombres qui dessinent un tableau impressionniste par lequel on peut se sentir entrer dans le rêve de la nature se rêvant elle-même. Brume, encore, qui cette fois semble transformer l’eau en miroir d’un horizon de nuages, mais ce n’est vraiment que brume. Ou couleurs si douces, dans une photo où le gris semble effacer l’excès des verts, qu’on pourrait croire regarder un paysage de neige. Mais il n’y a pas de neige, ce n’est que la palette du réel qui offre une autre dimension. Pages qui suivent, tout est sombre, douce noirceur du crépuscule, et illusion de vagues dans un ciel maritime. Pourtant c’est la terre, les arbres, la brume, dans le soir et la nuit. De nouveau la splendeur de couleurs éclatantes. La floraison de feuilles donne raison à Albert Camus, et à Georges Sand la majestueuse lenteur de ces instants qui se déroulent. La brume, encore, qui voile et fait deviner le mystère d’une profondeur dans la verticalité d’un espace faussement nuageux semblant continuer vers l’infini. Ailleurs une sorte de brouillard léger donne l’impression de traverser un écran et de pénétrer dans l’espace caché du paysage, un arrière-plan secret où la nature se révèle à qui sait contempler. Et le pont revenu, rappelle son symbolisme.

Certaines photos ont une matière qui semble tracée avec le couteau d’un peintre, écrasant une épaisseur de traits de gris, de vert, de noir. Ode au regard, à l’automne, à une région.

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J’ai commencé par regarder les reproductions de peintures, me demandant, avant d’avoir lu la quatrième de couverture, s’il y en avait aussi de Silvaine Arabo. Les cinq sont d’Arève Akopian-Nercessian, dont celle qui est reprise en couverture. Découvrant cette artiste j’ai regardé aussi son site et son blog (liens ci-dessous). J’ai vu, ainsi, diverses créations, retrouvé les couleurs jaillissantes posées dans le livre. J’ai lu sa présentation, qui définit peindre comme un état d’être, et la citation d’un article de Rachid Boukheir rendant compte d’une exposition au Maroc, et définissant ce qui lui paraît la caractériser. Lui aussi a été touché par son bleu, et ce qu’il dit de cet art rend évidente l’affinité de démarche entre les deux plasticiennes, celle qui ici écrit, et celle qui rythme le livre avec ses bleus et ses rouges, la puissance de ses couleurs.

Importance des titres qui légendent ses toiles. Car si la peinture est abstraite ils suggèrent une représentation non figurative de paysages, le ressenti chromatique d’un univers intérieur qui se mêle à la vision. Traduction, par les pigments utilisés, d’une jonction entre réel vu, contemplé, mémorisé, et monde intérieur qui correspond. Et c’est peut-être parfois l’inverse, projection sur la toile d’une intériorité métamorphosée en archiviste de visions colorées, en rythme de traces presque scripturales. Intériorité, son dernier titre le dit (Bleu des mers intérieures).

Ce qui est très intéressant dans la structure du livre construit par Silvaine Arabo c’est la place des peintures. Elles interviennent entre les titres des différentes parties et l’exergue qui précède les poèmes. Ce qui fait d’elles (et de leurs titres) comme une autre séquence introductive …

En exergue, un seul auteur cité, François Cheng (extraits de l’ouvrage Enfin le royaume). Ainsi le recueil est un hommage rendu à l’immense poète.

Les peintures d’Arève Akopian-Nercessian et les fragments de poèmes de François Cheng sont des portes guidant dans le mystère des pages qui suivent, la profondeur du regard sur des instants de contemplation, de méditation, de mémorisation. Oscillation du cœur entre joies de la perception, regard fasciné par la beauté de la nature et chagrins pour tout ce qui fait deuil.

Pour ce livre, Silvaine Arabo a choisi d'écrire des formes brèves. Le haïku pour la première partie, Palimpsestes, et poèmes brefs pour la seconde grande partie, celle qui donne son titre au recueil. Poèmes très courts, de deux à cinq vers, rarement six, exceptionnellement sept, dans les quatre séquences d’Au large du temps.

Palimpsestes, j’aime ce mot, et la réalité de ce qu’il désigne. J’aime aussi sa signification symbolique, qui figure très justement, je trouve, notre déroulement de vie. Déjà, la vie de nos cellules que le temps efface, et ce corps qui enregistre de nouveau l’épaisseur de notre identité, comme on écrit sur une page vierge gardant des traces souterraines, mémoires… Et nous, consciemment on efface, et on recommence à tracer des gestes, des affects, des pensées. Corps palimpseste, cœur palimpseste. Et justement, Étincelles, la peinture signée Arève, semble un parchemin, ou un fond de ciel sur lequel la lumière écrirait. Des traits, des taches, une calligraphie mentale, des comètes striant l’espace, ou des spermatozoïdes cherchant un ovule cosmique, des bleus intenses, des bleus clairs. Ce qui est suggéré on le retrouve dans les poèmes.

Et que dit François Cheng, quelle porte ouvre-t-il ? En quelques mots, exactement tout cela. La force de ce qui est. Peu suffit, dans la masse de ce que le réel offre. Un iris. Tout l’être est dans une fleur. Un regard. Ces bribes du réel que le regard rencontre, dans l’instantanéité de voir, c’est ce que la poésie de Silvaine Arabo présente ici, en tableaux minimalistes, mais assez denses pour dire beaucoup, et affirmer le sens, la vérité, du créé justifié du poème de François Cheng.

Une trentaine de pages, trois poèmes par page, trois vers dans l’esprit du haïku, cette forme venue du Japon. Photographies de moments, saisie de réalités captées soudainement. Car l’instant d’après ce sera autre, la nature et la vie effaçant l’image du moment, et redessinant d’autres lieux sur un lieu, un autre réel sur le réel. Palimpsestes… (Comme dans le livre de photographies Automne et Saintonge).

Couleurs. Le blanc de l’eau moirée, ou du géranium (mais d’autres, plus loin, seront rouges), ou des oiseaux, le bleu du ciel, la chanson du vert. Et Nuages gris ou fleurs roses, ou Étranges séquences bleues… L’ombre aussi, cette non-couleur… La lumière…

Nature. La rivière, l’aube, le ciel, le crépuscule, le lac, l’eau des étangs, le vent, la mer. Et quand même, un instant, la ville, une rue…

Le vivant, animal. Des oies sauvages, Envol des oiseaux, un papillon, un corbeau…

Le végétal. Les cerisiers clairs, un géranium blanc, de Longues allées d’arbres, les fleurs roses des pommiers, le pin bleu, des Sapins dans le soir

Les saisons. Au cœur de l’étéMémoires d’automne, Printemps enneigé, l’hiver suspendu

Mais la contemplation n’évite pas le regard sur des réalités plus tristes, des instants qui symbolisent ce qui dérange dans le rapport de l’homme à la nature, quand on inflige des douleurs aux animaux.

On plume les oies :

descente vertigineuse

dans les lois d’ici.

Et, mortelle nature ou nature saccagée, une orchidée (...) fracassée représente la destruction de la beauté, l’injure faite à la vie (pourtant justifiée par le regard, disait François Cheng en exergue, le regard conscient de la beauté).

Des êtres. Un enfant, pour des Larmes sur la page, chagrin d’instant, ou la jeune fille si belle

Pays, cultures, le lointain. Asie de légendes, Lointaine Arabie, Maison japonaise… Comme du rêve sur le palimpseste du réel.

Des objets. Et les souvenirs qu’ils recèlent…

Un oiseau d’argile

posé sur la cheminée :

fragments de mémoire.

Palimpseste, le temps. Moments de vie sur moments passés.

Échos d’autrefois

parmi le silence blanc

et l’aube endormie.

Mais aussi des émotions, dans le rapport au temps (angoisse du temps qui passe).

Silvaine Arabo est fidèle à l’esprit du haïku, tel que magnifiquement défendu par Franck Médioni introduisant son anthologie, Le goût des haïku (pas de s…). Il soutient une conception exigeante, où cette écriture est une Voie, où les mots doivent surgir de la contemplation-méditation. Et il cite Issa, qui se réfère  à la voie de Bouddha (celle du haïku étant, pour lui, la même), et qui refuse qu’on en fasse un jeu littéraire, ne retenant que la forme. Ceux qui font cela sont, dit Issa, des profanateurs. Et Issa, cité par Franck Médioni, ajoute que les thèmes classiques du haïku restent bien sûr des thèmes, mais, dit-il, tout ce qui se passe devant nos yeux ou est ressenti dans notre cœur est aussi matière à haïku.

Et donc elle donne à cette écriture la possibilité de devenir philosophie aphoristique, en plus de donner à voir une réalité contemplée, et pensée comme palimpsestes à déchiffrer.

Être le passage

L’être humain traversé par la nature, devenant lui-même océan, et passeur du sens. L’être humain, et l’artiste, la poète, celle qui écrit. Le passage pour dire le créé justifié (annoncé en exergue par François Cheng…). Et peut-être aider à ce que soit justifiée la vie, ce qui dépend aussi de nous, en offrant un regard…  En sachant convoquer l’infime, comme elle l'écrit.

La musique semble être part de ce qui fait déchiffrer et suivre l’exigence du grand Issa. Portée musicale… arpèges… chant.

Et… Des accords dans l’air nu

      une portée musicale.

      On cherche la Voie.

Au large du temps…  seconde partie,

sous-titrée ainsi : (Instantanés)

Instantanés, car sans être un haïku le poème bref sert aussi le regard brut, une vision fugitive, un ressenti éphémère, la perception d’une parcelle de réel. Photographies mentales prises dans l’instant et restituées comme si c’était dans le moment du regard, même si c’est l’effet de la mémoire.

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Poésie / première, n° 69. Retour sur un numéro de 2017.

logo_p-p.jpg« Les mots le silence », décembre 2017.

Un thème, le silence, et un questionnement. Quelle est la place du silence dans l’écriture ? Pas de virgule : « Les mots le silence ». Dans les mots du poème il y a déjà le silence, ils naissent du silence, sont portés par lui. Dans un premier texte, Alain Duault part de la peinture, pour interroger le visible, la beauté (« pas du côté de la tranquillité »), et fait détour par la musique pour penser ensuite la poésie (« pas du côté de la maîtrise » et « pas là pour répondre »). Ces non-réponses sont déjà un premier silence, miroir de ce qui est immobile, brisure des concepts. Reliant les arts Alain Duault peut saisir ce qui fait l’espace spécifique de la poésie : « ce trouble, ce tremblement, ce battement - dans cette fracture d’un sens installé ». Yves Bonnefoy est cité deux fois, car il définit justement cela, cette « fissure ». Le titre du texte, lui, traduit « l’infini silence du désir que porte le poème ». 

D’autres études (et des poèmes) prolongent cette méditation sur l’écriture et le silence.

Mais le dossier sur un poète tibétain, Palden Sonam Gangchenpa, par Michèle Duclos, donne à penser un autre silence, celui qu’impose la répression d’un pouvoir oppresseur : « L’obscurité n’a rien vu ». 

Monique W. Labidoire évoque le terrorisme à Barcelone, quand la terreur et la mort font se fermer les yeux, et le flux des vagues devenir silencieux pour des oreilles rendues sourdes.

Autre silence, celui du poète sans lecteurs. Ainsi la solitude, longtemps, de Jacques Canut, avec ses « Carnets confidentiels ».   

Joëlle Gardes, parlant de sa conception de la poésie, insiste sur la « dimension spirituelle liée au sacré », « un sacré qui n’a rien à voir avec le religieux ». Ce n’est pas étonnant qu’il lui ait été proposé de s’exprimer dans ce numéro, son premier recueil ayant pout titre « Dans le silence des mots »… 

Enfin, dans les notes de lecture - hors thème - je retiens deux mentions qui  rejoignent la pensée du silence. Celle du beau recueil de Gérard Mottet, « Murmures de l’absence ». Dans ce livre le silence est celui de la communication rompue par la disparition d’un être. Et celle du numéro des Cahiers du Sens de 2017 sur L’Inaccessible. Car même si le sujet n’en est pas le silence, c’est bien par lui et au-delà de lui que l’écriture tente de rejoindre l’inaccessible, ce qui ne peut être dit, et qui pourtant s’écrit.

Mais d’autres chroniques sortent du thème, ou ne le rejoignent qu’indirectement. Je ne suis pas l’ordre des pages mais celui de mes relectures… 

J’ai beaucoup apprécié le très beau texte de Laurence Lépine sur le livre de Lydie Dattas, La Blonde (Les Icônes barbares de Pierre Soulages), 2014. En un peu moins de deux pages, aussi fortes que denses, elle dit l’affinité profonde entre les poèmes de Lydie Dattas et les outrenoirs de Pierre Soulages (peintre dont je regarde les noirs au musée de Montpellier à l’occasion de chaque exposition visitée). Je cite… Parlant de Lydie Dattas elle écrit ceci : «  C’est un être de pure lumière qui a écrit ce texte.Une voyante d’air - tout pour elle semble dicté par quelques mystères. Tout semble écrit en plein ciel, pour rejaillir ensuite en gouttes d’encre sur le papier. » (…) « L’écriture de Lydie Dattas est d’une beauté abyssale. Chaque lecture est un nouveau palier franchi vers notre propre splendeur, ce lieu ancestral où quelqu’un, en nous, répète inlassablement les gestes qui entaillent les ténèbres — jusqu’à ce que jour se fasse, nous illumine, nous révèle à nous-mêmes.. » Le texte critique est en correspondance totale avec ce qui est en jeu dans la rencontre entre une écriture et le peintre du noir transfiguré.

J’aimais déjà Lydie Dattas depuis ma lecture de La Nuit spirituelle, mais là je découvre la force des mots de Laurence Lépine et c’est elle aussi que je vais me mettre à lire en cherchant ses recueils. Ils ne peuvent qu’être à la hauteur de ce qui passe là de sa conscience d’être et d’écriture… 

J’ai lu avec beaucoup d'intérêt l’entretien avec Daniel Besace, par Jacqueline Persini, sur les revues Transpercer, Traverser et Transvaser (objets-livres), au sujet, notamment, de la matérialité des traces créées. 

Enfin, ce fut une heureuse surprise, j’ai trouvé avec grand plaisir l’entretien avec Ivan Morane, metteur en scène de La Chute d’Albert Camus. Par Isabelle Lelouch. Le metteur en scène a découvert ce texte, dit-il, à 17 ans. En un choc qui fait que c’est toujours l’œuvre de Camus qu’il préfère, y lisant beaucoup de significations à déchiffrer, dont une interrogation essentielle sur l’humanité, ses failles. (Par contre il y a une erreur dans une page, au sujet de Catherine Camus, fille de Camus, pas petite-fille…). Ivan Morane dit être touché par Camus, par son langage « mélange entre la rudesse et une légèreté, dans son accent, son langage de pied-noir d’Algérie ». L’entretien est complété par deux pages sur Camus, son idéal humaniste, son combat pour des valeurs « porteuses de justice », et les références spirituelles qui parcourent le texte de la Chute. 

J’avais raté ce numéro. Je l’ai choisi au Marché de la Poésie, pour son lien thématique avec un projet de travail, et trouvé plus encore que ce que je cherchais. Je surveillerai de plus près les prochaines publications de la revue… 

En quatrième de couverture un collage de Ghislaine Lejard (des livres et des livres…). 

MC San Juan

Le sommaire complet, en pdf, lien actif sur le site (sommaires).

Le SITE… https://www.poesiepremiere.fr/poesie-premiere.html 

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19/06/2019 | Lien permanent

”Les événements, les faits, les circonstances”. Réflexion sur trois pointes de l'angle (penser-agir, créer, devenir)

albert camus,la crise de l’homme,citations,culture,langage,société,actualité,idéologie,terrorisme,politique,dominique eddé,marc saghié,atiq rahimi,soufisme,shams,régis debray,thomas clerc,jérôme ferrari,quantique"Ma conviction est que nous devrons toujours refuser de nous incliner devant les événements, les faits, les circonstances, la richesse et le pouvoir, l’histoire comme elle procède, le monde comme il va. Nous voulons voir la condition humaine telle qu’elle est. Et nous la connaissons désormais en profondeur. C’est l’horrible condition qui exige des charretées de cadavres et des siècles d’histoire pour provoquer une modification infime dans le destin de l’homme." (…) "Combien  de Socrate ont été assassinés en Europe, ces dernières années ? C’est un signe. Le signe que seul un esprit socratique d’indulgence envers les autres et de rigueur envers nous-mêmes peut constituer une réelle menace pour une civilisation fondée sur le meurtre. Un signe, donc, que seul cet esprit peut rénover le monde. Toute action, fût-elle la plus admirable, qui aurait pour finalité d’asseoir la domination et le pouvoir, ne peut que mutiler l’homme encore plus atrocement."

Albert Camus, La crise de l’homme, conférence prononcée en 1946 aux Etats-Unis, à la Colombia University. Texte publié par la NRF en janvier 1996.

Ce qu’il dit là après les ravages d’une terrible guerre, l’horreur de l’holocauste, Camus aurait pu le redire en 2015. C’est toujours la même réalité sombre qu’on constate : domination et intérêt, règne de la violence et de la mort.

Actuellement, désespérant spectacle des luttes autour des problèmes et des choix de la Grèce : dureté, mépris, fracture politique, lutte nord-sud dans une Europe plus déchirée qu’on pouvait croire. Pays en posture de bouc émissaire, et pays en position de jeux de règne. Aux frontières, la souffrance, la peur, la mort : migrants (et tout un continent qui interroge la géopolitique, les stratégies mondiales). Pour cela aussi faillite de la pensée qui ne sait s’en saisir, de l’éthique qui se dilue dans des peurs adverses. Plus loin, Asie, autres migrants, Rohingyas musulmans persécutés par des bouddhistes intégristes et racistes : faits sidérants, contraires aux catégories mises en place. Mais, au contraire, terreur diffusée par d’autres musulmans, fondamentalistes, intégristes, stratèges manipulateurs, eux : les islamistes habiles à installer la porosité idéologique qui fait recruter. Terroristes, mais qui se réfèrent à une religion, dont ils ont une vision où la spiritualité a disparu (à des années lumières de la superbe mystique des soufis, et même de la simple pratique du quotidien de tous ceux qui leur échappent et qu’ils voudraient détruire). Le terme « islamistes » contenant le radical « islam » certains réfutent son emploi, mais il est pourtant le seul à désigner le soubassement du système mis en place. Le fait que les confusions soient possibles, les projections et amalgames aussi, cela ne peut justifier le déni. Cela nous impose juste une vigilance accrue : penser des pôles inverses en même temps. Toujours sur le fil du rasoir. Et lire, beaucoup. Relire. Camus autant que la presse, où on trouve des débats de qualité. Terrorisme, il faut mettre le pluriel : les faits dramatiques récents, en Israël, le démontrent, comme la répétition des assassinats de noirs aux USA. « Meurtre », concept clé (rappel de Camus). Même un roi lion se fait assassiner par quelqu’un qui peut payer le droit de cruauté. Meurtre et peine de mort… encore largement répandue. Meurtres, massacres, bombardements, mensonges. « Refuser de nous incliner ». Et soutenir ceux qui refusent…

Mais fil du rasoir et grand écart, pas seulement pour la pensée. Aussi pour savoir quelle place donner en soi aux trois pointes de l’angle. A la préoccupation du monde (qui peut devenir hantise, dérive militante anesthésiante), d’un côté. A la contemplation de la beauté des choses dans ce même monde, à la création pour la déchiffrer, d’un autre côté. Et, enfin, au cheminement intérieur vers plus de conscience, de silence, de l’autre. Trois pieds, trois yeux. Donc, là, pendant que je lisais des poèmes (notes précédentes, notamment, une partie de mon « marché » de la poésie de juin), et pendant que je photographiais et écrivais, j’avais constamment en tête tous les bruits des faits, les mots de la presse, le texte de Camus, et d’autres, chroniques ou éditos, entretiens parfois : documents accumulés, lus stylo en main. Textes (très récents ou beaucoup moins récents…) qui me paraissent donner des clés, mériter relecture, aider à penser l’actualité, pour refuser l’emprise des faits, pour ne pas être prisonniers de leur pouvoir. Textes que je relis, pour moi, textes que je pose en citations dans des notes (ou dans les listes en marge des notes : réserve de pensées, de questionnements, et d'informations prises en compte dans la lenteur contraire aux précipitations des faits donnés en pâture sur des chaînes qui paradoxalement nous coupent du réel).

Pour accompagner Camus, et ma réflexion, en écho éthique, je note des citations diverses… ci-dessous.

"Pour la majorité d’entre nous qui, n’ayant pas les moyens de stopper la barbarie, est condamnée à la subir, reste la solitude partagée. Ce n’est pas rien. Car plus les êtres humains seront nombreux à être seuls, plus ils constitueront un espace susceptible de reprendre un jour la parole. Car qu’est-ce que l’éthique, pour finir, sinon tenir bon et refuser d’obéir, y compris sans le soutien de l’espoir ?". Dominique Eddé, texte dans L’orient littéraire, fragment cité par Marc Saghié, éditorial du Courrier international, hors série sur L’islam en débat, début 2015 : http://www.lorientlitteraire.com/

"La solitude partagée", cela peut donner ce qui suit… Entrer en empathie dans la réalité de la vie d’autrui, sa solitude, en gardant la nôtre, pour dire.

Ce peut être aussi la solitude métaphysique, philosophique, conscience d’un exil sur terre, plus intense que l’exil d’un pays. Solitude commune à Atiq Rahimi et Albert Camus, dans la compréhension intime qu’en a Atiq Rahimi (qui, comme des lecteurs indiens, sait voir en lui une parenté méconnue : avec un Orient de l’esprit). Dans son commentaire sur sa lecture de L’Etranger, paru dans La Croix du 28-07-2011, il témoigne d’autres grandes proximités, comme Shams, ce mystique splendide, maître de Rûmi, Erri de Luca, et Dostoïevski. Et il cite Shams : « Le grand scripte a écrit trois textes, l’un qui pouvait être lu par les autres et par lui-même ; le deuxième qui pouvait être lu seulement par lui-même ; et le troisième qui ne peut être lu ni par les autres ni par lui : c’est moi. ». L’entretien, La Croix : http://bit.ly/1Di59uq

Solitude du refus du troupeau (idéologique, politique, identitaire, religieux…). "Le citoyen c’est l’homme sans étiquette", dit Régis Debray (entretien, Marianne, 5-11 juin 2015 : http://bit.ly/1MEDOp0

En fait la question du choix de la place des sujets sociaux, idéologiques, politiques - les faits, l’actualité, dans l’espace de notre pensée et de notre action, ce n’est pas seulement un problème de temps à consacrer à cela « contre » le temps du reste, c’est principalement la saisie d’un enjeu de langage. Thomas Clerc, ainsi, parle de l’abjection du langage, danger idéologique double : corruption abjecte de la pensée complaisante, idéologiquement paresseuse, d’une part, et anéantissement du langage par l’univers de la terreur, Libération : http://bit.ly/1ICOwJV

Mais, en deçà de la terreur, la politique, déjà, oppose une langue pervertie (par trop de cadres mentaux ?) à la présence du langage en poésie, qui est travail du questionnement, des marges et du doute, un « flou » qui fait traverser les couches du sens. On retrouve cette manière de penser chez Jérôme Ferrari : « La politique pourrit la langue, c’est-à-dire qu’elle fait à la langue l’exact contraire de la poésie ». Voir ce qu’il dit sur la physique quantique - le rapport au réel qu’elle bouleverse, et le rapprochement avec la démarche de la poésie soufie. Dans L’orient littéraire : http://bit.ly/1OW24kH 

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01/08/2015 | Lien permanent

L'EUROPE, L'OCCIDENT... et l'Ukraine... Démocratie contre totalitarisme.

Europe faire face.jpgL'Europe n'a pas su voir. N'a pas entendu les alertes. A cru que Poutine pensait comme on pense... En le traitant comme s'il n'était pas déjà un criininel de guerre et un dictateur. Nous avons refusé d'intégrer l'Ukraine à l'Otan, pour ne pas 'provoquer' Poutine. Pas réagi pour la Syrie aux crimes de guerre.  Les failles et les faillites...  Coupables.

Que faire, maintenant ? 
Accentuer les pressions. 
Et passer plus d'armes efficaces (hélas).
Exiger le retrait de Total de Russie, et des entreprises qui continuent à y travailler, cf. Yves Rocher, groupe Nestlé, Boulanger,  etc etc.  
Demander à  l'Onu (pas à l'Otan qui ne le peut pas) de respecter les engagements de protection d'un pays agressé. 
Casques bleus, intervention.
Et, UE, secouer l'Allemagne, qui a mis l'Europe dans une situation problématique avec ses choix énergétiques de dépendance.
 
J'ai relu les Lettres à un ami allemand d'Albert Camus. Ce pourrait être celles d'un résistant ukrainien à un Russe soutien de Poutine. Si on relit ce livre il faut relire la préface, d'abord, pour bien comprendre que l'ami n'est pas ami. Mais adversaire idéologique. Qui aurait dû être un allié européen. Quand Camus dit 'vous' il interpelle les nazis.  Arès les liens je cite un texte de Camus, écrit pour Combat. La question de la PEUR. Il nous dit ce que les Ukrainiens ont mieux compris que nous.
europe,occident,démocratie,solidarité,valeurs,droits humains,liberté,courage,conscienceRÉACTIONS...
 
À gauche, tropisme antiaméricain et pacifisme erroné...CCLJ... (Juifs laïques de Belgique)...
EUROPE. Le temps du courage. Desk Russie, 25-02-22...
Amnésie, danger... Ce que l'Europe oubliait... Entretien avec Alain Bauer, Marianne...
Guerre conventionnelle de retour, pas les moyens d'une riposte. Europe sans défense.
France, arme nucléaire dissuasive, mais baisse des forces en nombre et armements insuffisants. D'où la prudence que les Ukrainiens interprètent comme lâcheté  et renoncement dangereux.. 
Marianne, 08-03-22...
SI LA GUERRE PERDURE... CONSÉQUENCES TRAGIQUES INTERNATIONALES... Opinion internationale.
 
 
Penser ?  Penser la peur... 
 
europe,occident,démocratie,solidarité,valeurs,droits humains,liberté,courage,conscienceRelire CAMUS. Texte publié en 46. Valable pour nous en 2022 :
 
« Quelque chose en nous a été détruit par le spectacle des années que nous venons de passer. Et ce quelque chose est cette éternelle confiance de l’homme, qui lui a toujours fait croire qu’on pouvait tirer d’un autre homme des réactions humaines en lui parlant le langage de l’humanité. 
Nous avons vu mentir, avilir, tuer, déporter, torturer, et à chaque fois il n’était pas possible de persuader ceux qui le faisaient de ne pas le faire, parce qu’ils étaient sûrs d’eux et parce qu’on ne persuade pas une abstraction, c’est-à-dire le représentant d’une idéologie.
Le long dialogue des hommes vient de s’arrêter. Et, bien entendu, un homme qu’on ne peut pas persuader est un homme qui fait peur. 
Entre la peur très générale d’une guerre que tout le monde prépare et la peur toute particulière des idéologies meurtrières, il est donc bien vrai que nous vivons dans la terreur. 
Nous vivons dans la terreur parce que la persuasion n’est plus possible (…) Nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison, que ce soit dans leurs machines ou dans leurs idées. 
Et pour tous ceux qui ne peuvent vivre que dans le dialogue et dans l’amitié des hommes, ce silence est la fin du monde.
Pour sortir de cette terreur, il faudrait pouvoir réfléchir et agir suivant sa réflexion. Mais la terreur, justement, n’est pas un climat favorable à la réflexion. 
Je suis d’avis, cependant, au lieu de blâmer cette peur, de la considérer comme un des premiers éléments de la situation et d’essayer d’y remédier.
(…)
Pour se mettre en règle avec [la peur], il faut voir ce qu’elle signifie et ce qu’elle refuse. Elle signifie et elle refuse le même fait : un monde où le meurtre est légitimé et où la vie humaine est considérée comme futile. »
 Albert Camus, Ni victimes ni bourreaux, Combat, 1946.
 

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23/03/2022 | Lien permanent

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