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Gabriel Audisio, l’ancêtre principal… Méditerranée, Algérie

gabriel audisio,audisio,taos amrouche,jules roy,pierre dimech,robert maumet,jean-claude izzo,audisio camus roblès frères de soleil,poésie,littérature,fernand braudel,jacques huntzinger,henry laurens,méditerranée,algérie,humanismePour commencer une série de réflexions provoquées par les débats actuels, qui réactivent des thèmes liés à l’identité culturelle, aux mémoires et à l’Histoire, une note sous le signe de Gabriel Audisio et de la littérature. 
Repère central, esprit phare en qui se reconnut la lignée des écrivains ancrés en Algérie, lui qui fut l'initiateur de l'École d'Alger, qui eut son lieu, avec la librairie d'Edmond Charlot, Les Vraies Richesses (dont le nom fait écho au titre d'un essai de Jean Giono publié en 1930). 
 
Ceux qui suivent viennent tous de là. École d'Alger ou faux jumeaux, frères des ruptures (même eux).
Hantés (le sachant ou pas) par la recherche de cette identité solaire (lisible chez Audisio, Eberhardt, et... des auteurs de courants divers : Marcello-Fabri, Randau, Pomier, Brune, Rosfelder, Achard, Favre, Brua, Robinet/Musette, Baïlac, Bacri, Roblès, Roy, Sénac, Camus, Cardinal, Vircondelet, de la Hogue, Pélégri, Xuereb, Daniel, Cixous, Derrida...) en algérianité parente des grands francophones (Aït Djafer, Kateb, Dib, Mammeri, Feraoun, Kréa, Gréki, Haddad, Amrouche, Taos, Boulanouar, Flici, Haddadi, Bourboune...) et des plus contemporains (Amrani, Boudjedra, Grim, Djaout, Khadra, Mimouni, Belamri, Bey, Farès, Métref, Chaulet-Achour, Charef, Nacer-Khodja, Yelles, Sansal, Daoud, J-E et K. Bencheikh, Benmalek, Benaïssa, Benfodil, Azeggah, Chouaki, Kaouah, Bey, Djebar, Sebbar, Adimi, Aceval, Tadjer, Begag, Akouche, Zaoui, Belfadel, Hebib…). Imprégné aussi, certainement, de la culture et des impressions d'Algérie, le poète Max-Pol Fouchet, pas natif mais jeune à Alger (et animateur de la revue Fontaine, qui regroupera des auteurs résistants à Alger dès 1939).
 
Ayant relu Audisio il faudra chercher ses traces vibrantes dans ce qui s’écrit des exils ou du mystère des appartenances qui traversent les frontières. En fraternité voisine d'Eberhardt, Camus, Roblès, Roy, Cardinal. Ou en identité questionnée. Chez Blas de Roblès, Sarré, Martinez, Diaz, De Rivas, Farina, Crespo,  Lenzini, Blanchard, Caduc, Le Scoëzec, Festa, Amara… Et se relire, soi.
Pour déchiffrer la poésie de tous.
 
Gabriel Audisio, c’est une écriture magnifique, un souffle, un élan. Mais c’est aussi, à travers ce qu’il écrit, l’expression de valeurs fraternelles, une éthique. C’est le versant masculin de Germaine Tillion.
 
Pas né en Algérie, mais à Marseille, en 1900, et venu enfant, à dix ans, il a aimé passionnément ce pays et les communautés qui y vivaient. Reparti pour ses études en métropole il revint ensuite. Observateur lucide et empathique il a vécu avec douleur les déchirements de la guerre, cette fracture opposant des populations nourries semblablement par la culture du paysage (qui sculpte les êtres autant que le langage) et influencées l’une l’autre par une imprégnation que l’accent trahit, comme les formes de leur humour. Il est devenu l’un d’eux. Et l’amour a été réciproque. Son œuvre est tout entière imprégnée d’Algérie méditerranéenne. Et de la Méditerranée il est un penseur majeur. Il a regretté le métissage réel raté, mais peut-être frôlé, et mesuré les causes de cet échec. Il a gardé en lui cet idéal du métis d’âme méditerranéenne. Il est le père incontournable des littératures francophones natives d’Algérie, même lointainement descendantes, quand Edmond Charlot, né quinze ans après lui, est le génial accoucheur d'écrivains. Deux présences majeures...
 
Audisio est l'arbre méditerranéen aux racines liquides, plongées dans sa mer "continent", Camus la source ancrée en terre algérienne, Feraoun un des phares incontestables des consciences lucides, avec son ami Roblès, Amrouche la mémoire des déchirements intimes, lui, le fondateur de la revue l'Arche (au nom programme de pont tressé), l'ami de Jules Roy (ce "céleste insoumis", comme le nomme José Lenzini)
Et Sénac... LE poète qui signe d’un soleil.

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SOMMAIRE, suite…

. Recension, Feux vivants, 1958

. Recension, L’opéra fabuleux, 1970

. Ulysse ou l'intelligence, 1945. LIEN vers la recension (note qui suit...).

. Textes DE Gabriel Audisio, citations : essais, roman, récit (prose méditative)

. Textes SUR Gabriel Audisio, citations 

. Échos. Pensée de la Méditerranée… Réflexion, puis citations (de Jean Grenier, Fernand Braudel, Jacques Huntzinger, Henry Laurens).      

. Bibliographie sélective...

. Liens vers des documents précieux (notes, critiques, entretien, études...)          

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Recension...
Feux vivants (Rougerie, 1958), dont le titre intégral est Algérie Méditerranée Feux vivants, est un ouvrage dense d’une quarantaine de pages. La date d’écriture, 1957, est notée sur la couverture, sous le titre, ce qui est important pour situer la parole au sujet de l’Algérie. Cinq ans avant la fin de la guerre. Période tragique, celle où disparaît l’espoir d’une trêve qui permette d’aller autrement vers l’indépendance, sans terreur, massacres, déchirement, ni exode. La tentative de Camus, l’appel à la trêve, c’est en 56 et c’est un échec.
Cette longue chronique a d’abord été publiée dans la revue Le temps des hommes (Rougerie). Le texte d’intention de cette publication, noté là en troisième de couverture, est un extraordinaire manifeste. Quelques lignes dont les valeurs affirmées correspondent magnifiquement à l’éthique d’Audisio. Des écrivains, "intellectuels vraiment 'libres' "  , ouvrant "le débat de l’humanisme pathétique". Rejet de "toutes les orthodoxies" et de "tous les dogmatismes". Alliant raison et cœur "leur seul 'engagement' sera celui de la conscience individuelle". 
C’est un essai, mais on y retrouve, comme chez Camus, le souffle d’un lyrisme de la nature. Alternent des réflexions d’une douloureuse lucidité et des élans. L’écriture d’Audisio est incarnée, la raison s’exprime avec chair et cœur.
Les thèmes sont, toujours, la Méditerranée et l’Algérie.
"Centre du monde", la Méditerranée, écrit-il, rappelant l’expression d’André Tardieu en 1938. Oui, centre, doublement, car lieu de naissance de cultures et de mythes. Mais il insiste là sur la rencontre entre Orient et Occident, heureux de citer Camus à ce sujet (pour une conférence de 1937), et, quelques pages plus loin, Valéry, pour qui la Méditerranée est "machine à faire de la civilisation". Mais, hélas, centre attirant des ambitions géopolitiques. Et, du fait de ce rôle de lieu de rencontre, aussi "champ clos" d’affrontements. Alors que la vocation de la Méditerranée est d’être "la grande conciliatrice", et, "mer du milieu" de devenir celle "du juste milieu".
Pour cela, contre "cet apocalyptique feu de mort" des guerres et conflits, pour répondre au feu des armes il n’y a que le "contre-feu : le feu vivant", c’est-à-dire l’esprit.
Et l’Algérie ? Lieu tragique : "un drame intime pour ceux que mille attaches physiques, mentales et sentimentales lient à l’Algérie".Celui de ces "Algériens de naissance, de formation ou d’adoption" qui vivent "une déchirante angoisse". 
Pour Audisio la douleur ne doit pas être celle qui se referme sur soi, individu ou communauté, mais celle qui "épouse en souffrant la souffrance des autres".
Il espère encore un peu, en 57, que le génie méditerranéen permette un réveil de l’esprit, ce "feu vivant". Et d’autant plus pour l’Algérie.
Audisio rappelle ne pas parler "en politique", mais en "simple citoyen", en poète. Et parler en poète c’est écarter les formules des débats en cours, sur des solutions aux "vocables éphémères". Pour "voir plus haut (ou plus profond)". Pour Audisio, être poète ne se limite pas à écrire des poèmes ou des proses contenant ce feu méditerranéen vital, c’est aussi penser autrement les questions contemporaines, d’un autre lieu de la pensée. En tenant compte de la dimension morale. Car tout est "d’abord un problème moral". L’échec moral entraîne les autres renoncements.
Pour l’Algérie, s’il espère la réponse de l’esprit il est aussi d’une lucidité telle qu’il voit précisément, en observateur impliqué, les raisons du drame en cours.
Il ne croit plus à "l’illusion de la communauté algérienne". Et son échec serait "une faillite affreuse". Reprenant, par rigueur presque pédagogique, la définition du Littré, pour qui la communauté concerne "un groupe réuni par les mêmes croyances, les mêmes usages", il fait un constat triste. "Il n’y a pas de communauté algérienne". Car insuffisante connaissance réciproque des communautés présentes. Et pas de métissage, ni des êtres, ni des langues. "L’inexistence du métissage, là est peut-être la clé, ou plutôt le verrou, du problème de la communauté."
Il n’y croit plus, avec sa raison, mais rappelle, avec son cœur, que l’espoir existait, par la croyance, en certains groupes et êtres, à cette communauté d’ensemble. Notamment chez "des intellectuels, des artistes,des écrivains". C’était "un profond mouvement de l’esprit et de l’âme" d’êtres de diverses origines algériennes, de diverses religions, ou sans religion. Eux ont su faire un pas vers la culture et l’identité de l’autre.
Et de la Méditerranée on pourrait attendre, dit-il, qu’elle produise ce que Tagore appelait "une nouvelle combinaison de vérités".
C’est un déchirement intérieur qu’exprime ce livre. 
Mais il se clôt sur des pages superbes d’espoir vital. Un grand poème en prose, ode à la nature, et à la force de l’arbre. Car "l’arbre reste là, dans son éternité de racines". C’est l’arbre méditerranéen des pinèdes. Et "La voix des pins porte d’un bout du monde à l’autre bout. Ses ondes circulent et reviennent".
Ces pages du sixième - et dernier - chapitre, Le chant des pins, font écho à celles du chapitre sur La mer du juste milieu, avec les deux pages de La leçon des oiseaux, animaux passeurs des "grands mythes et symboles", cigognes et poissons errants.
Les pins ce sont les racines et les ondes, les oiseaux et poissons la "migration des pensées".
Le génie méditerranéen c’est cela (et le génie d’Audisio) : allier le sens de l’arbre et de l’oiseau, les deux portant leur message au-delà des rives, l’arbre par la vibration de ses ondes, l’oiseau par son vol. 
Cet essai contient donc deux superbes poèmes en prose. Et dans ses autres pages, un souffle qui crée la cohérence de l’ensemble. Grand livre. 
Le dernier mot est "Paix" ("le maître mot éternel de l’univers : Paix").
 
Écho...
Dans Pages de Gabriel Audisio, l'hommage de Marc Faigre est, au-delà de la littérature, une remarquable analyse synthétique de la complexité de la situation algérienne avant 62 et des aveuglements divers qui ont mené à la tragédie. Pour illustrer les malentendus au sujet de l’Algérie, et "la faillite d’une Algérie idéale" espérée par Audisio, il cite Xavier Yacono, qui, dans son Que sais-je sur la colonisation française, oppose, au sujet de l'Algérie, "légende rose" et "légende noire". Et Faigre ajoute "qui alternent au gré des passions et qui toutes deux sont excessives". Rappel des démarches de Ferhat Abbas (ses revendications non entendues) et d’Albert Camus (ses Chroniques algériennes, mal perçues, son appel pour une trêve civile qui se heurte à l’hostilité). L’échec d’une fusion heureuse (qui devait passer par des changements importants - mais possibles) est l’échec d’Audisio et Camus, l’échec des idéaux de l’École d’Alger et de ceux, Algériens des diverses communautés, qui les partageaient. Pour ne pas avoir pu réaliser vraiment le métissage culturel qui aurait pu précéder un métissage humain (ce regret d’Audisio, la création de la communauté algérienne). Mais Marc Faigre note l’obstacle que "le brassage ethnique" aurait trouvé dans "la structure religieuse de l’islam". Les limites étaient en partie  symétriques.
Ce texte de Marc Faigre est une démonstration éclatante de l'importance de la pensée d’Audisio, qui a été une conscience lucide : aimante et lucide. Feux vivants, réflexion de 1957, est un ouvrage de 1958. Était-il temps encore d‘empêcher que suivent des années d’agonie ? ("Agonie" est le terme qu’utilise Audisio dans L’opéra fabuleux, pour caractériser les dernières années de l’Algérie avant l’indépendance, quand il parle de signes troublants, présages rétrospectifs). 
Relisant la chronique de Kamel Daoud, titrée Nous n’avons pas eu de Mandela en 62 (Le Quotidien d’Oran, 2013), reprise dans Mes indépendances - et toujours lisible en ligne - je cherche qui aurait pu être le Mandela algérien.
Kamel Daoud écrit le rêve qui fut aussi celui d’Audisio (et, avec des nuances, celui du libertaire Camus) : "On ose alors le tabou parce que c’est un grand rêve éveillé : une Algérie qui n’aurait pas chassé les Français algériens mais qui en aurait fait la pointe de son développement, de son économie et la pépinière de sa ressource humaine. Une Algérie de la couleur de l’arc-en-ciel. (…) Nous aurions fait les bons choix, nous aurions jeté les armes, les machettes dans l’océan…(…) Un Mandela algérien nous aurait évité le pays actuel, ses mauvaises convictions, nos mauvais jours et des molles dictatures (…) C’est dire que l’on ne décolonise pas avec les armes, mais avec l’âme."
Mais je crois qu’il y eut un Mandela algérien. Hocine Aït Ahmed. Et sur un forum de discussion algérien, sous ce texte de Kamel Daoud, quelqu’un cite Messali Hadj, à juste titre. Lui qui fut l’ami de Camus,  rencontré au PCA, l’époux d’Émilie Busquant, et demanda l’arrêt des attentats, en 1957. Deux hommes engagés dans la lutte pour l’indépendance. Tous deux écartés par le FLN qui prendra le pouvoir (écartés avec l’appui de Sartre, qui soutint notamment le FLN contre les messalistes…).
Mais Kamel Daoud a raison : exilés, tous deux... 
Aït Ahmed a écrit aux Pieds-Noirs (revue Ensemble, 2005) pour regretter leur exil, qu’il voyait comme une faute de l’Algérie. Il disait ce rêve d’un pays fraternel à construire avec tous ses natifs. Et il précisait que c'était avec les Pieds-Noirs, pas les Français. Pour ce rêve il aurait fallu que toutes les armes se taisent. Et qu’Audisio et Camus soient entendus aussi... 
D’un côté des indépendantistes fraternels. De l’autre des écrivains, tous ceux qui se reconnaissaient autour de l’éditeur Edmond Charlot et d’Audisio (les Roy, Roblès, Pélégri, Amrouche, Feraoun…). Le ferment de l’arc-en-ciel. 
Et entre eux les instigateurs de murs, traversant la mer (corps ou mots) pour mentir, ou, de très loin, jouant des paris géopolitiques. Tous attisant les passions, la haine, choisissant la mort pour les autres. 
 
(Sur Messali Hadj on peut lire :
La biographie de sa fille, Une vie partagée avec Messali Hadj, mon père, par Djanina Messali-Benkelfat, Riveneuve.
La biographie de Benjamin Stora, Messali Hadj, 1898-1974, Hachette.
De lui : Les Mémoires de Messali Hadj, J-C Lattès.
D’Hocine Aït Ahmed
Mémoires d’un combattant, Messinger,
L’affaire Mécili, La Découverte
L’Afro-fascisme, L’Harmattan
En ligne (citations) sa lettre à la revue Ensemble, sur les Pieds-Noirs.)
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L’opéra fabuleux. Recension...
 
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Au début du livre il note ce retour des images de son "Algérie d’enfance" qui vont nourrir son écriture et sa mélancolie. Remontée des images, des faits d’Algérie, "à Paris" (cette mention est amère, preuve de la fissure, de la  distance). L’humidité chaude d’un soir parisien suffit à faire revivre une douceur disparue, à faire surgir le charme des soirs algérois.
 
Commençant le deuxième chapitre il ouvre cette figure du théâtre par l’évocation de la Zulime de Voltaire, qui conte un monde qu’il ne connaît pas, qu’il invente. Audisio se dit qu’il pourrait commencer comme Voltaire, en mettant à l'imparfait sa première phrase. Car ce qu’il veut écrire porte sur ce qui n’existe plus que dans la mémoire : "La scène était…"… Puisque son sujet, cette Algérie d’avant 62, n’est plus. Pour son récit il retrouve l’univers du théâtre de son père, quand lui-même, enfant, jouait, et se nourrissait des chants de l'Opéra. L’univers du théâtre et les tourbillons du réel se superposent. 
 
Dans les souvenirs d’Audisio enfant il y a la mémoire de signes qui déjà indiquaient les causes sociales, culturelles, des effets historiques qu’il ne veut plus aborder en essayiste, se situant dans un autre lieu de la parole. À juste titre il laisse aux historiens ce travail, et, sans le dire, peut-être à d’autres témoins qui voudront écrire pour "condamner ou absoudre", ce qu’il refuse. Lui va être un autre Hérodote, autrement. Il ne mentionne Hérodote que pour le réinvestir d’une autre manière. Être un témoin impliqué, faire rejaillir les réalités concrètes du vécu. Ambiances, beauté de la nature, des villes, et des peuples - même s’ils n’ont pas réussi à en devenir un seul. L’échec il l’avait analysé lucidement dans Feux vivants, en montrant que c’était faute de réel métissage culturel et charnel. Obstacle des langues, des religions, des statuts.
 

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27/02/2021 | Lien permanent

De Paul Souleyre, Quelque part dans la foule il y a toi. Récit. D'une rive à l'autre, se trouver soi

Quelque_part_dans_la_foule_il_y_a_toi.jpgComme Albert Camus à travers son Premier homme, Paul Souleyre, né après l’exil de ses parents pieds-noirs, mène une recherche des origines, de l’identité, quête initiatique où quelques mentions de Camus sont des clés. Douleur du deuil, et naissance à soi-même. L’inconscient sait ce qu’on ignore, et il guide. Histoire initiatique du « retour » guérisseur vers l’Algérie de qui n’y a jamais vécu mais est habité par son algérianité. Retour vers le pays chanté par Camus, même si c’est vers la rouge terre de l’Oranie des racines. La réalité est parfois magicienne, et l’écriture force plus qu’analytique. Quand, à la différence de tous les membres de la famille […] [son] Là-bas tourne dans le vide (p. 127). Camus apparaît dans un moment triste, mais en soutien, pour avoir évoqué la mort et le deuil : À ton enterrement j’ai lu un petit texte de Camus que j’avais entendu dans une chronique. […] Camus n’était pas du genre à enfermer les gens dans des cartons […] …plus de force ; je voulais vivre le même sentiment avec toi (pp. 52-53).

Et dans son parcours de recherche sur les siens il constate des similitudes entre la vie de son grand-père à Oran et celle de Camus (p. 157). Mais l’un a eu la littérature pour transfigurer les traumatismes, l’autre pas.

Relisant ce livre je repense à ce que dit un des amis du père de Daniel Saint-Hamont, que celui qui attend de l’autre côté de la mer, c’est soi. C’est ce qui est arrivé à Paul Souleyre. Pourtant ce n’est pas un retour en Algérie au sens strict, puisqu’il est né après 1962 (en 1969) en France. Mais le lieu de naissance d’un fils d’exilés pieds-noirs, n’est pas seulement celui qui est inscrit sur ses papiers. Car il naît chargé de mémoires et de silences, habité par ce « là-bas » des parents, avec leurs douleurs et leurs imprégnations culturelles, leurs joies aussi.  Pour se trouver il lui faudra traverser la mer et retourner vers Oran.

Mais ce livre est aussi celui d’une perte terrible, celle d’un enfant. L’auteur le dit dans son préambule : Ce livre est un séjour dans l’entre-deux. Doublement. Entre ici et là-bas, et entre présence et absence. Amour et deuil double. Et longue lettre à sa fille.

Une enfant perdue c’est inconsolable. Mais quel beau portrait d’elle à travers ces pages… Fillette d’une grande maturité, évidente à la lecture des passages de son journal intime (qu’elle ne voulait pas laisser secret) ou au rappel de certaines paroles, dont elle-même se demande parfois d’où c’est venu (comme peut le faire un écrivain conscient que c’est une autre dimension de lui qui s’exprime). Des pensées de jeune philosophe auteur d’aphorismes profonds dont elle semble croire que le sens la dépasse. La souffrance de la maladie et la pensée de la mort (dont elle parle), voilà une des raisons de cette force de pensée. Une autre étant sans doute la conscience des questionnements familiaux, cet héritage d’exil qui donne un regard autre sur la réalité. Mais il y a aussi (en plus de l’attention de ses proches) cette lucidité partagée avec son père (eux qui veulent être capables de pouvoir être sans états d’âme quand il le faut).

Cette enfant qui a souffert des années a été en quelque sorte un maître pour elle-même, sa famille, et son père. Ainsi quand il réfléchit à la complexité de l’amour, sa part de violence, même pour aider l’autre qu’on aime, il relie cela à son rapport à l’Algérie retrouvée (p. 15) : Peut-être m’as-tu préparé au terrain miné bordé d’amour qu’est l’Algérie, ou au terrain d’amour bordé de mines, comme on voudra.

Son premier séjour à Oran, quelques jours, coïncide avec la période des dix ans de sa fille. Parlant de l’amour il note une réflexion qu’on voit peu, au sujet des amours construits sur de l’exil. Ajoutant : Un désastre. Car les récits et témoignages sur des vécus d’exils mettent en général l’accent sur des questions d’identité, de nostalgie des lieux d’enfance, sur les traumatismes divers. Mais peu abordent le sujet des rapports amoureux. Que ce soit les relations entre exilés ou des liens plus métissés, en quoi ce processus de mémoire et d’oubli et  ces questionnements troubles sur l’identité interfèrent-ils dans les choix des amours et les réussites (réelles ou apparentes) et les échecs (réels ou sur-interprétés comme tels) ? Ceux qui se construisent sur du flou mettent du flou dans l’amour. Avec quelques phrases Paul Souleyre ouvre des brèches dans l’inconscient.

Il révèle aussi un fait qui n’a rien d’anodin, sur les traces des blessures de racines, histoire de pieds. Et que les Français d’Algérie et les Juifs algériens soient nommés globalement Pieds-Noirs est finalement un heureux hasard, un signe qui fait sens. Car on s’ancre avec les pieds, on trouve ainsi sa verticalité.  Or Paul Souleyre a vécu une expérience particulière. Des années avec une verrue inguérissable sous le pied droit. Et qui disparaît sans soin, pas n’importe quand : trois jours après avoir obtenu mon visa pour l’Algérie.

Donc… retour en Algérie où il n’est pas né mais dont il est. Double pays. Celui d’une apothéose (p. 18). Le lien qui se crée, les Algériens et tous les repères culturels, y compris signes qui se mangent (makrouds et calentica). Mais aussi lieu d’une absence, celle des Pieds-Noirs.

Autre intuition, intéressante, au sujet de son père, après avoir mentionné la valise (l’emblème absolu du Pied-Noir). Les lieux de vie, les intérieurs (p. 19) : Il est difficile de faire des généralités, mais c’est rarement neutre chez les Pieds-Noirs, on pourrait faire une géographie de chaque intérieur. La souffrance s’y cache plus ou moins bien. Cette souffrance de la génération qui le précède il la découvre aussi lors d’un colloque. Il est venu là pour tenter de comprendre, d’apprendre. Et habité par une interrogation (culpabilisante) au sujet de la maladie de sa fille. Pourrait-elle venir des souffrances des aïeuls ? Et pourrait-il sauver sa fille en guérissant sa mémoire de fils de Pieds-Noirs ?  Jusqu’à comprendre que le lien était excessif. Cependant une autre sorte de guérison est intervenue, un travail de mémoire et de sens dans deux directions. Transmission reçue, transmission passée. S’adressant à sa fille qui pourrait légitimement, dit-il, avoir la parole dans un lieu de mémoire, il écrit (p. 23) : Toute la famille de ton père arrive d’Oran, s’est coltinée une guerre, un exode, des morts, des disparus, des perdus de vue, des abandons de sépultures et j’en passe, et […]. Et il rappelle la parole d’une femme s’adressant à lui (quand il arrive pour assister à ce colloque) : Faites attention, il y a beaucoup de souffrance. (Elle craignait la réaction d’un descendant pouvant secouer des émotions par ses réflexions éventuellement critiques, comme celles d’un jeune historien un peu provocateur.) Phrase qui l’a marqué, comme la difficulté de ces personnes à être entendues par leurs enfants, souvent, et donc leur solitude. Lui constate que trop de place est consacrée aux morts par ces petits groupes de militants de la mémoire (un minuscule pourcentage). Car s’ils ont raison de faire connaître des faits occultés (26 mars, 5 juillet…) ils ont tort de ne faire que ça. Ils ont fait le choix de vénérer les morts et de se figer dans le temps, écrit-il (p. 35).

Mémoire pour mémoire, celle qui émerge de sa recherche est l’ascendance juive de la référence ancestrale principale, la vieille Zohra, devenue française par le décret Crémieux, comme bien des Juifs algériens (en babouche et parlant arabe). Ensuite, métissages avec des immigrés espagnols, et, le temps passant, diaspora et dispersion. Effacement de certaines mémoires, ce marranisme oranais (et ses échos espagnols). Le marranisme crée un rapport très particulier à l’identité. Être d’où on vient, et ne l’être pas. En découvrir très étrangement des indices et des signes (comme un plat envoyé de Jérusalem à sa fille par une camarade de classe), et constater des amnésies. D’une manière ou d’une autre un effacement externe qui a un miroir interne. Les ancêtres ont glissé des traces, volontairement ou inconsciemment. La rationalité saisit ces traces de l’identité perdue (les noms perdus aussi, souvent) et ceux du présent ne savent pas toujours quoi en faire, si ce n’est interroger le passé et se construire une liberté sans appartenances qui enfermeraient ni renoncements qui trahiraient. On rejoint donc cette thématique de la trahison qui empêche parfois de questionner et douter. Cela avait été abordé dans le livre avec une citation d’Yves Saint Laurent (p. 29), qui avait de l’indulgence pour la trahison, plus que pour d’autres fautes (en pensant sans doute à l’amour). Mais peut-être pensait-il aussi à d’autres sujets en relation avec l’origine oranaise. Qu’est-ce alors que trahir ? Penser l’histoire autrement ? Et trahir qui ? Soi ou d’autres ?

Finalement, pour Paul Souleyre, ce qui compte le plus c’est l’Algérie liant passé et présent, surtout sans oublier le présent des vivants. Et en sachant être lié aux deux, être chez lui dans ce là-bas fantasmé en distance par d’autres. Il traduit cela ainsi (p. 46) : Il n’y a que les Algériens à comprendre que c’est chez moi même si ce n’est pas chez moi. Lui ne veut pas s’enfermer dans les dates de la guerre et l’obsession des morts. Je pense, alors, au poème d’Ahmed Azeggagh, Arrêtez, qui exprime ce même refus, adresse qui dans son texte est un appel aux Algériens et aux Pieds-Noirs. Ce que fait Paul Souleyre est peut-être ce qu’a écrit la poète Amina Mekahli, amie qu’il appréciait et cite, p. 61 (poète hélas décédée depuis) :

À l’orée des mondes où tout se reconstruit,

Sur cette bouche lointaine où poussent des étoiles

Aux tiges de cristal et aux pétales de peau,

Je déposerai les ruines du royaume défendu

Dans une urne de chair aux senteurs du désert.

Ce poème a une importance particulière pour lui, c’est le texte qui fut projeté au crématorium pour la cérémonie d’adieu à sa fille (être incinérée fut le choix de l’enfant). J’y vois aussi un écho avec ce qu’il constate, étudiant les vies des siens : des concordances étranges entre les destins d’une génération à une autre.

Retour à cette guérison du pied dont il parlait au début du livre et qu’il évoque de nouveau, bien plus loin, en ayant compris toute la signification, aidé aussi par les remarques d’un médecin homéopathe (nettoyage du corps et des racines, des émotions qui encombrent). Évoquant un vieil Algérien qui avait gardé, dans son appartement, les photographies de la famille qui y habitait avant, et les remet à celle qui revient visiter son passé, Paul Souleyre explique que sans doute il a dû se trouver allégé en pouvant rendre ces images qui ne le concernaient pas (et gardées généreusement dans l’espoir de ce retour). Il se trouve libéré, comme lui, de quelques fantômes encombrants (p. 211). Car, écrit-il, On est souvent embarqué dans des histoires étrangères à nous-mêmes.

Et Amina Mekahli, aussi, a joué un rôle, qui le guide pour entrer dans les significations des parts mystérieuses de la culture algérienne, en lâchant ses peurs. Elle a une perception presque mystique, sachant voir au-delà des frontières qu’une fausse rationalité dresserait. Lui accepte de traverser les apparences, de voir l’Algérie (p. 216) : C’est un pays illogique qui invite à la transgression. Il faut s’attendre à tout parce que rien ne se passe comme prévu. On met un peu de temps à s’habituer, mais après ce n’est que du bonheur.

Recension © MC San Juan

LIENS :

Mémoblog-Oran, Paul Souleyre : https://www.memoblog.fr/

Voyage à Oran. MémoBlog-Oran : http://voyage.memoblog.fr/

Quelque part dans la foule il y a toi : https://www.cultura.com/p-quelque-part-dans-la-foule-il-y...

Des nouvelles d’Oran (chroniques) : https://www.cultura.com/p-des-nouvelles-d-oran-9782322460...

Amina Mekahli (l’amie poète, citée dans le livre : importante pour Paul Souleyre, présente dans son processus de retour). Le fracas que fait une poétesse qui meurt, El Watan : https://elwatan-dz.com/amina-mekahli-nous-a-quittes-dieu-...

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21/08/2023 | Lien permanent

Voilà comme j’étais. Sade par Marie-Paule Farina

marie-paule farina,voilà comme j'étais,éditions des instants,biographie,sade,nathalie de courson,jean-françois mézil,livres,citationsCette opiniâtreté qui fait l’écrivain, cet « envers et contre tout », cette énergie, cette bonne humeur persistante sont aussi ceux de l’autrice dès le sous-titre en forme de « nonsense » : « Autobiographie posthume »

Nathalie de Courson, recension (blog Patte-de-mouette) du livre de Marie-Paule Farina

Quel roman que sa vie, dites-vous ! Roman vraiment ? Pas pour lui : "Et que l'on ne me dise pas que mes romans sont terrifiants, ce sont des romans, et dans les romans comme dans les baraques foraines, on ne tire qu'à blanc !"

Jean-François Mézil, recension, La Cause littéraire

Avec cette autobiographie fictive, vivante et documentée, Marie-Paule Farina offre, "de l'intérieur", des perspectives originales sur la vie, la pensée et l'écriture de Sade. (4ème de couverture, extrait).

J'ai lu attentivement la recension de Nathalie De Courson, puis celle de Jean-François Mézil, après avoir achevé la lecture du livre de Marie Paule Farina. Recensions de qualité pour un livre de qualité (belle écriture), dont l'auteur (je garde, moi, le masculin au neutre implicite...) écrit avec une telle maîtrise de son sujet qu'elle semble l'intime du personnage réel. J'ai surtout lu par curiosité et intérêt pour celle qui écrit, car les pages du Sade hors de ce livre me tombent des mains (en matière de sexualité ou érotisme je préfère lire Henry Miller, de loin, avec la fougue de sa passion vitale). Marie-Paule Farina a une écriture fluide, qui semble venir facilement, comme s'il n'y avait pas eu, avant, tout un travail de lecture et d'étude, commencé d'ailleurs dans ses ouvrages précédents. 

Je vois, lisant, ce qui l'intéresse chez ce Sade que je n'apprécie pas. Une sorte de libertaire révolté, fou d'écriture. Mais je ne peux, pour ma part, ne pas penser à ces prostituées qu'il s'amusa à effrayer ou battre (lui, considérant que sa jouissance avait besoin de cela et que c'était excusable car affaire de tempérament, jusqu'à faire fabriquer les outils adéquats par un charpentier, et prévoir les baumes pour les plaies...). Il aurait, avec les mêmes tendances, sans doute eu aussi des ennuis dans la société de notre siècle et de ces dernières années, et peut-être goûté de la prison moderne... (Même s’il a sans doute été persécuté pour des raisons idéologiques et des fanatismes pas plus respectables que les faits que l’on peut lui reprocher). Un aristocrate utilisant à l'occasion les privilèges de son rang et très occupé de lui-même, aussi. Il se moque de ce qu'il appelle la "vertu", y voyant un ridicule de frustrés. (Cependant, de quelle « vertu » parle-t-il ainsi ? Est-ce vertu pudibonde et mortifère de gens qui refusent la vie même pour les autres, au nom des morales données pour être celles des religions (comme les divers ayatollahs actuels d’Iran ou d’ailleurs) ? Ou éthique de ceux qui refusent qu’on utilise et méprise des êtres, y compris des prostituées ? N'y a-t-il pas chez lui une sorte de frustration, d'impuissance à vivre le désir autrement qu'associé à des fantasmes violents, on peut le penser, selon ses propres déclarations...

Et pourtant il a réussi à fasciner une lectrice avisée, dont la formation est philosophique (et à qui on ne pourrait faire le reproche d'être indifférente aux droits des femmes...). Pour chercher en lui les parts de lumière que les ombres cachent bien...

J'ai remarqué et apprécié l'exergue. Alice, celle De l’autre côté du miroir, se saisissant du crayon du roi (personnage théâtral, figure de jeu) pour écrire à sa place, citation que Marie-Paule Farina reprend à la fin de son ouvrage, en inversant le sens, puisque le livre fait dire Je au Sade censé écrire son autobiographie avec le crayon que lui rendrait sa biographe et spécialiste. 

Ayant lu, ce que je retiendrai c'est la complexité de cet être, comme de tout être. Le refus de juger de celle qui parle pourtant aussi des failles du personnage. Et au bout du compte, avec ce message, le livre vaut d'être lu. 

J’ai cité en exergue des passages de recensions de deux commentateurs que j’apprécie, pour les lire régulièrement. Volonté de rester libre de comprendre cet ouvrage à ma façon, sans trahir l'intention de la biographe, et en gardant ma distance critique devant l’auteur et le personnage vivant qui écrivait. Et désir de compléter mon regard (tel que noté ici), par ceux de lecteurs qui adhèrent au charme (problématique pour moi) du sieur Sade... ou qui disent surtout ce qu’est pour eux cette œuvre littéraire.

Il a aussi le défaut (pour moi) de ne pas aimer la mer, cet univers de beauté... Et de dire le contraire de ce qu'affirmera bien plus tard René Char, sur la qualité du poète (mesurée aux pages non écrites, à la capacité de ne pas tout garder des flux d'écriture, et même de réduire ce flux). Sade trouve cela stupide. Donc Char stupide par avance, bien avant que celui-ci naisse et écrive... (Pour moi c’est le comble…).

Il y a aussi, dans mes réticences, le fait que souvent, et depuis des années et des années, j’ai vu un trio de noms, mentions systématiques, répétitives, de lecteurs qui en faisaient des références incontournables, comme si ces trois noms étaient le sommet de toute littérature et pensée : Sade, Céline, Heidegger. Goût de la transgression pour la transgression ? Fantasmes violents de l’un, pamphlets antisémites immondes et collaboration active de l’autre, et enfin adhésion au parti nazi et participation à la théorisation de la haine antisémite du troisième (c’est maintenant documenté). De tels noms associés, on se demande ce qui motive… Mais Céline n’est pas ici dans les références de la biographe et de ses deux lecteurs, très nettement non… !!! Totalement à l'opposé de leurs options. Autre univers de pensée. Le trio de noms est donc cassé. 

Mais les citations que j’ai choisies de noter ici seront une présentation de l’ouvrage qui restituera le mieux ses qualités… Voici (Sade parle, à travers le crayon de Marie-Paule Farina, une Alice passée à travers le miroir du temps…). Mais le vrai Sade n'est-il pas plutôt celui que Camus rend responsable de légitimer la terreur ? Voir, fin de note, l'exposition de cette analyse.  

p. 11. Rédiger des confessions, des mémoires, il faut réserver cela à la vieillesse, quand l’imagination est tarie, la mienne est bien vivante et pourtant j’éprouve une sorte de besoin de me raconter.

p. 17. Je sens souvent la folie me venir. C’est dans ma pauvre cervelle, un tourbillon d’idées et d’images où il me semble que ma conscience, que mon moi sombre comme un vaisseau sous la tempête. (Passage que l’auteur glisse chez Sade en le prenant à Flaubert, comme elle le dit dans sa postface, car la part de fiction aide à faire un portrait vrai, à révéler).

p. 30. Ceux qui auraient voulu un portrait de moi, l’auraient trouvé dans l’une de ces 120 journées, le vingt-troisième jour de novembre, jour de la Saint-Clément. Un portrait de moi, au noir, cynique, comme celui du moine Clément dans Justine.

p. 66. Il ne faut pas s’écrire. C’est mauvais à tout âge. La rumination ne donne que de l’aigreur. Mais on dit aussi, et depuis bien longtemps, que l’écriture rend les âmes oublieuses.

p. 95. J’aurais pu faire tant de choses que je n’ai pas faites mais nous ne pouvons pas corriger notre vie comme un brouillon attendant d’être mis au propre (…).

p. 171. (…) Tout ce qui m’a concerné n’a été que l’ouvrage du fanatisme des imbéciles dévots et de la grossière imbécillité de leurs séides…

p. 235. J’ai été la malheureuse Justine privée de toute information et de toute ressource et condamnée à deviner et à anticiper dans la douleur le sort que ses bourreaux lui réservaient ; mais j’ai été aussi, une plume à la main, la folle et rieuse Juliette tirant de son imagination une source continuelle de plaisir.

p. 250. Je suis parfaitement sain d’esprit mais j’ai des passions violentes auxquelles il me faut trouver des dérivatifs sous peine d’être physiquement malade.

Et enfin, dans la postface, elle écrit (p. 276) : Sade se peint très rarement de profil, j’ai donc essayé moi-même de le peindre de face en ayant constamment en tête la phrase de Vauvenargues : « À quoi bon rendre malheureux ceux qu’on ne peut rendre bons. »

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Ce que CAMUS pense de Sade. (Et qui correspond à ce que je perçois de malsain chez cet auteur. Pas seulement malsain de manière privée ou littéraire, mais dans une chronologie théorique qui choisit de penser CONTRE l’éthique.)

Jeanyves Guérin expose très clairement ce que Camus présente dans L’homme révolté. Et Sade est ramené, avec raison, à ce que signifient réellement ses jeux de fantasmes et ses pratiques de terreur (la prostituée fuyant dans la nuit, terrorisée, ce n’est pas un jeu de séduction fantasmé pour des pages…). Trois noms, trois responsables (Sade, Saint-Just, Hegel) : l’histoire du terrorisme a des racines.

Ce qui rejoint pour moi trois autres noms souvent associés par certains des lecteurs qui les apprécient :

Sade, Heidegger, Céline.

Jeanyves Guérin (Noces de sang. Albert Camus, revue EspritTerrorismes, oct./nov. 1984) :

« L’homme révolté. Ce livre relate la perversion de la révolte moderne et propose une généalogie de la terreur. Tout part, pour Camus, du XVIIIè siècle. On doit à Sade une légitimation libertine du terrorisme individuel et à Saint-Just une légitimation révolutionnaire du terrorisme étatique. Puis vient Hegel qui historise les valeurs et déprécie l’éthique au profit de l’efficacité. »

Lien, le numéro de la revue… https://esprit.presse.fr/article/jeanyves-guerin/noces-de-sang-albert-camus-30398

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Recension © MC San Juan

LIENS…

Recension, par Nathalie de Courson, blog Patte de Mouettehttps://patte-de-mouette.fr/2022/11/09/le-marquis-de-sade-de-marie-paule-farina/

Recension par Jean-François Mézil, La Cause littérairehttp://www.lacauselitteraire.fr/voila-comme-j-etais-marie...

Page de l’éditionÉditions des instantshttps://editionsdesinstants.fr/14738-2/

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27/11/2022 | Lien permanent

École d’Alger littéraire : initiateurs, contexte, héritage...

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De Paris ou d'Alger pour apprendre à marcher
Être né quelque part
Être né quelque part, pour celui qui est né
C'est toujours un hasard          Né quelque part, 1988, Maxime Le Forestier (né à Paris, lui)

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J’ai régulièrement besoin, comme homme et comme écrivain, de me retourner vers ce paysage. Par lui je me rapatrie.             Jean Pélégri, Ma mère l’Algérie

Elle cherche partout une partie d’elle-même, un frère, une sœur, une herbe d’Algérie, un bleu (…), une odeur d’Afrique.                 Marie Cardinal, Écoutez la mer

À se souvenir si fort d’une ville on devient ce qu’on a aimé le plus au monde, on devient une 'mémoire hantée' par l’amour.
René-Jean Clot, Une Patrie de Sel, ou Le Souvenir d’Alger   
 
Le Destin avait déjà tracé ses chemins d’exil.
Jeanine de la Hogue, Ballade triste pour une ville perdue
 
Les films sont des moments. Cela ne s’explique pas. C’était le moment pour Exils.
Tony Gatlif, entretien, Liberté-Algérie, 02-10-2004
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C’est ainsi que commence, pour ceux dont l’exil est d’enfance, la découverte d’une littérature qui leur parle d’eux, qui met des mots sur leurs malaises identitaires, leurs questions, leurs colères devant l’ostracisme. Ce n’est ni l’école ni la fac qui leur donneraient des clés. Grand vide, s’il n’y avait eu la découverte des anthologies d’Albert Memmi, des collections de l’édition Gandini/Serre, et des publications de Dominique Daguet (éditeur à Troyes, admirateur de René-Jean Clot qu’il publia : Librairie bleue, Cahiers bleus). Mais aussi les colloques et publications des Algérianistes. (Car, eux, si ce n'est pas le courant de l'École d'Alger ce fut quand même un partage de culture, pataouète compris...).
Car, s’il n’y avait eu cela, leur connaissance de leur propre culture serait restée dans un brouillard entaché de soupçons métropolitains. Les adolescents, amoureux des pages de Rimbaud et idolâtres de celles de Char (et de Lorca, par exemple, pour les hispaniques sans reniement de leur hispanité), avaient besoin d’un autre ancrage : on n’écrit pas en domaine 'étranger'. 
 
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Cependant, il y a là un paradoxe. Car si Benjamin Stora a lu tant de livres de mémoires plurielles (où forcément la guerre et l'exil sont traités, donc des drames, le terrorisme et des massacres) pourquoi a-t-il accepté de faire seul son rapport, sans rechercher d'autres connivences, d'historiens travaillant aussi sur la matière que sont les témoignages, y compris littéraires ? 
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SOMMAIRE, suite...
 
. Des morts, des signes. Comme quatre pierres noires symboliques
. Je dis École d’Alger
. Ostracisme... même en littérature
. Les Vraies Richesses, la librairie d’Edmond Charlot (à travers Jules Roy et Kaouther Adimi)
. Je dis Libéraux d’Algérie
. Algérien, dans la guerre d’Algérie (sur Emmanuel Roblès, hommage de Jean-Philippe Ould-Aoudia)
. Quand Audisio publie Feux vivants… (Algérie, proximités et fractures. École d’Alger et Algérianistes)
. Quel espoir autour de Charlot et des Vraies Richesses ?
. Communion et déchirures intimes
. Quel héritage d’écriture ?
. Lire
. En 1912 Henri Matisse... Entrer dans sa peinture
. René-Jean Clot : "Une âme commune nous rassemble comme un manteau de lumière"
. BIBLIOGRAPHIE. École d’Alger littéraire, contexte culturel (dont art et histoire), prolongements actuels.
ANTHOLOGIES, dont celles d’Albert Memmi, de Christiane Achour et Denis Martinez, de M.A.N., d’Abdelmadjid Kaouah, la somme de Guy Dugas publiée par Omnibus, le dictionnaire bibliographique d’Abderahmen Moumen. Correspondances et témoignages d’amitié. Journaux. Livres divers. ÉTUDES, dont celles de Gabriel Audisio, Jean Déjeux, Mourad Yelles, Hamid Nacer-Khodja, Alain Vircondelet, José Lenzini, Guy Dugas, Lucienne Martini, Amy Hubbell, et deux ouvrages collectifs sur Albert Camus.
. LIENS. Des FICHES wikipedia (Libéraux d’Algérie, École d’Alger/art, Peintres algériens du signe, Denis Martinez, mouvement Aouchem/Tatouage ). CHRONIQUE (École d’Alger/littérature), HOMMAGES (Edmond Charlot, Jules Roy, Emmanuel Roblès, Jean Sénac, Albert Camus), un entretien (Jean Pélégri), une émission (Mohammed Dib), textes (de et sur Albert Camus), pages - thèse et conférence (Algérianisme). ÉDITIONS et REVUES (dont RECHERCHE littéraire), papier et en ligne (France, Algérie, Allemagne) Enquête et controverses (La mort de Camus).
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Dans ce paysage envahi de deuils il y a quatre morts (1960, 1962), qui sont comme quatre pierres noires symboliques, posées sur les tombes de tous les autres - et sur l’absence de tombes des disparus. Pierres posées, aussi, sur le linceul du rêve du peuple commun. Un rêve d’aveugles, peut-être, mais pensé avec leur âme (comme le dit Aziz Chouaki de Camus, dans Les oranges : "lui c’est avec son âme qu’il raisonne, voilà pourquoi il a pas vu venir l’affaire"). Ces morts sont aussi des éclairs, brûlant tout brouillard. Trois écrivains, un peintre. Deux assassinés. Trois, dirait Giovanni Catelli, universitaire italien, auteur de La mort de Camus, ouvrage controversé publié chez Balland en 2019 (et développant une thèse présentée en 2011 dans un article du Corriere della Sera). Ouvrage préfacé par l’écrivain Paul Auster (voir liens, rubrique 'enquête et controverses'). 
 
Albert Camus ne vécut pas l’exode, car la mort l’arracha à l’Histoire le 4 janvier 1960, sur une route. Il ne put être la voix qui se serait dressée, en France, contre bien des abjections du pays, et qui aurait certainement, aussi, condamné des crimes et massacres sur l’autre rive. Même s’il désespérait de faire entendre une parole qui ne soit pas passionnelle, comme il le dit dans une lettre à Jean Amrouche, publiée en annexe au troisième tome des Carnets : "J’ai renoncé à faire entendre publiquement une voix de raison". Il est certain qu’il aurait parlé : il n’était pas de ceux qui se taisent quand les faits dépassent le tolérable (comme il l’avait déjà fait au sujet du terrorisme contre les civils). Mais Camus ne vit pas l’agonie finale, les déflagrations du double terrorisme de la fin (FLN et OAS), ni les massacres continués et accentués (même après le cessez-le-feu, même au-delà de juillet). Ni cela ni l’exode. 
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: "À Alger c’est la terreur", lui qui était un pacifiste viscéral, ayant la violence en horreur. La veille, Emmanuel Roblès lui avait écrit une lettre qui arrivera trop tard. Ali Feraoun écrivit à Roblès pour lui parler de la mort de son père, qu’il avait vu à la morgue, et de leur dernière soirée, où Feraoun avait suivi une émission qui parlait d’un livre de Roblès, ce qui lui avait fait plaisir. "Je sais quelle amitié vous liait" écrivit son fils (Lettre publiée en dernière page du Journal de Mouloud Feraoun). Ce n’est pas que l’Algérie qui perdit une voix avec lui, mais tous ceux qui espéraient et espèrent la fraternité. 
Jean Amrouche (Kabyle et chrétien), lui, meurt de maladie, le 16 avril 1962 à Paris. Et c’est aussi une perte qui ajoute à la tragédie de la fin de la guerre. Car il aurait eu beaucoup à dire encore. Médiateur attaché à la France autant qu’à l’Algérie (dont il désirait l’indépendance, considérant qu’il n’y avait pas d’autre issue). On ne saura pas ce qu’il aurait pensé des suites…
Médiateur, mais  déchiré. Dans le recueil Cendres, la mort évoquée, c’est notamment la pensée d’une perte du lien avec les ‘tombes ancestrales’. Réalité qui est celle des exils. En 1962 et ensuite, longtemps après la publication de ce recueil de 1934, les exilés vivront cet éloignement des lieux des cendres des aïeux.
René Sintès, peintre non figuratif, est d’origine espagnole par son père, berbère par sa mère. Il fait partie, comme Camus et Feraoun, des Libéraux (ceux qui veulent des changements, et la paix). Il espère l’indépendance. Mais deux mois avant il est enlevé par l’OAS : le 25 mai 62. Disparu, donc assassiné. Pour les extrémistes il est aussi sans doute un des visages du métissage, contraire à leur idéologie. Or, ces métissages (plus nombreux qu’on ne le dit, et pas toujours sus) étaient l’espoir d’un futur algérien qui aurait inventé son identité plurielle et aurait été un exemple pour le monde. 
 
On ne voit pas là d’assassinats du FLN. Lui tue autrement - se débarrassant de dissidences, et massacrant des humbles, des civils, comme l’OAS tardif (1961), d'ailleurs. Ceux qui tuent ces intellectuels et artistes ne supportent pas qu’ils s’opposent à la poursuite inchangée de la colonisation. Les Libéraux d’Algérie sont leur cible, les auteurs issus de l’École d’Alger aussi. Ces nationalistes français, qui se croient patriotiques, ont un autre aveuglement, plus criminel : ils ne voient pas qu’ils sont manipulés par des ambitions métropolitaines de subversion, et qu’ils sacrifient le peuple de leur vraie patrie native.
 
Pourquoi parler de morts, de mort, après l’exil, pour introduire une note sur un courant littéraire ? 
Parce que cela n’est pas séparable.
"Car ce n’est pas la mort elle-même qui tue,
   Elle a ses assassins."
Jean Cocteau, dans son poème de Plain-Chant (1923), le sait.
Rien de morbide, dans ce savoir.
Mais une lucidité utile…
 
Les auteurs intègres provoquent la haine des factieux. Factieux contre l’esprit. Contre l’âme.  
Et cette littérature est un tombeau. Comme toute littérature, finalement : on lit des morts, et ce sont eux qui infusent la vie en nous. Mais celle-ci plus qu’une autre (peut-être). Car ces livres sont prisonniers d’un moment d’Histoire, si on les méconnaît, les oublie. Ou si on les trahit, en les maquillant de soupçons, comme l’ont fait les bourgeois intellectuels parisiens avec Camus (ne supportant pas qu’un fils du peuple natif d’Algérie ait raison contre eux sur le stalinisme, et plus...). On les tue, ces écrivains, si on les sépare de leur pays natal. Certains le voudraient. Mais d’autres agissent pour maintenir vivantes leurs paroles libres et garder mémoire d’un patrimoine qui appartient à deux rives. À l’Algérie, car ils sont ses écrivains. À la France car ils écrivent en français. 
Pourtant ce ne serait pas suffisant s’il n’y avait une littérature qui les prolonge en sachant hériter d'eux, et atteigne avec eux l’universalité. 
 
Ces morts sont présents en nous. Car leurs livres ont donné une identité aux humbles sans parole. Et parce que l’écriture donne la mesure de la mort, donc du prix de la vie : un savoir qui est là, tapi pendant qu’on lit, conscience murmurante pendant qu’on écrit. 
Je relis un poème de Mohammed Dib, écrit en souvenir d’Emmanuel Roblès et publié en 1997 dans l'hommage des éditions Le Torii. (Le torii est, en japonais, un portique qui marque la frontière entre le profane et le sacré : on entre ainsi dans l’univers sacré de la littérature). 
Voici un fragment :
"Et les morts ? La lumière sous les cils, nous ne dormons pas.  Ils avancent là-bas, ils mêlent leur haleine à toute chose."
 
Il y a une cinquième mort, bien après. Le poète Jean Sénac est assassiné le 30 août 1973 à Alger. Il y a eu des signes de menaces : le pouvoir de Boumédiène a fait interdire ses émissions sur la poésie à la radio. Des amis le mettent en garde, qu’il n’écoute pas. 
Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, longtemps correspondant du Monde en Algérie, a écrit un essai sur cette mort que la Justice algérienne n’a jamais élucidée (ou jamais voulu élucider), et dont la France (il avait toujours la nationalité française) ne s’est pas vraiment inquiétée, pas plus que sa communauté d’origine (encore dans ses traumatismes et laissant ce souci aux Algériens). Il faut lire Assassinat d'un poète. Peut-être que l’Histoire saura, quand le 'système' au pouvoir en Algérie aura disparu et que des archives sortiront, s’il en reste… 
Cette mort, l’aboutissement tragique des choix de Jean Sénac, en quelques pages Jamel-Eddine Bencheikh en fait le diagnostic triste, dans sa préface à dérisions et Vertige (Actes Sud, 1983, publication dix ans après la mort). Erreur, qu’avoir cru à une Algérie mythique et au socialisme salvateur. Quand l’Algérie est faite d’êtres réels, pas sortis d’une mythologie, et quand le socialisme ne réinvente pas un pays rêvé : "fadaises, rêves insensés" écrit l’ami déchiré, lucide. Mais rêves du "vagabond d’azur" qu’est Sénac, selon lui.
Et poète majeur. Qui entraîna dans son sillage de poésie des auteurs algériens à révéler, et parfois à révéler à eux-mêmes. 
"Où est-il celui qui signait d’un soleil ?", écrit le poète Kamel Abdou (anthologie de poésie algérienne  Quand la nuit se brise, réunie par Abdelmadjid Kaouah).
 
De l’assassinat de Sénac je fais le signe annonciateur des morts qui suivront pendant la décennie noire des années 90. Que l’élimination de Sénac ait eu comme commanditaires les services secrets sous ordre de plus haut, c’est probable.
Sixième mort, qui fait sens, hélas : Tahar Djaout. Que ses assassins soient les islamistes du FIS ou d’autres, les assassins sont toujours ceux que la parole libre des poètes dérange dans un système dictatorial et dans l'esprit des fanatiques.
Et du terrorisme qui a ravagé l’Algérie pendant une décennie je fais l’héritier du terrorisme FLN de la guerre d’Algérie. Parole taboue. (Mais cette pensée personnelle je l’ai vue aussi, alors, exprimée par des Algériens sur des forums en ligne, ou en commentaire sous des articles - avec les mêmes mots que moi). Car quand on fait des héros (ou héroïnes)  de personnes qui ont mis des bombes pour tuer des civils, dont des enfants, on légitime tous les meurtres qui se mettent sous la bannière d’une cause (juste ou pas). Hocine Aït Ahmed avait dénoncé, lui, les excès de crimes de guerre contre les Pieds-Noirs (lettre à la revue Ensemble, 2005).
 
Les assassins de l’OAS (1961-1962) ont été considérés comme criminels, pas vus comme héros (sauf pour une extrême droite en mal de drapeau et toujours prête à tuer). En 1993, des successeurs de l’OAS, en commanditaires ou exécuteurs, ont assassiné Jacques Roseau, une personnalité complexe. Co-auteur d’une saga sur l’histoire des Pieds-Noirs (Le 13è convoi, 1987, Le 113è été, 1991) avec Jean Fauque. Passé d’un engagement OAS bref, car refusant les crimes aveugles contre les musulmans, à, en France, un militantisme associatif pour les droits, associé à un rejet de l’extrême droite dont il savait les menaces ("ils sont capables de tout", avait-il dit). Les nostalgiques ressassant la haine ne pouvaient comprendre son appel à voter socialiste (dont appel pour Mitterrand en 1981) ou gaulliste (suivant les élections, lieux, et dates).
 
La littérature inscrit aussi son espace dans ce contexte de violence idéologique ou de confusion. 
……………………………………………………………………...............
 
Je dis École d’Alger... 
Cette expression (celle d’Audisio en littérature) est plus connue, souvent, pour parler des peintres, autour de la Villa Abd-El-Tif (la Médicis d'Alger...). Parfois on l’utilise en limitant le mouvement littéraire aux années 1935-1945. C’est très réducteur, et ce n’est pas mon choix. Pour moi c’est donc un mouvement qui correspond à l’écriture des écrivains qui prennent conscience de leur algérianité commune (et sont, pendant la guerre d’Algérie) proches des Libéraux. Cela porte sur tout le début du siècle, d’Audisio - le Marseillais devenu Algérien de cœur - à l’indépendance. Mais se prolonge avec l’écriture, sur les deux rives. À partir de 1962 les exilés pensent leur identité avec la douleur de la séparation, mais ils sont toujours les mêmes. Et les auteurs algériens (qu’ils vivent en Algérie, en France, ou ailleurs) viennent aussi de cette source. D’ailleurs ils se lisent les uns les autres. Et l’œuvre de Camus est un phare pour beaucoup, Audisio une clé méditerranéenne. Or Méditerranéens, ils le sont tous… 
Sénac, lui, ne s’y réfère pas. Son idéal est autre. Pourtant il en est aussi héritier, qu’il le revendique ou pas. Il a d’ailleurs été soutenu au début par les algérianistes Edmond Brua et Robert Randau, un courant qui pense l’appartenance algérienne comme une identité régionale. Mais il aura ensuite des liens forts avec les autres (Camus, notamment, qui le publia), et des ruptures.
 
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01/04/2021 | Lien permanent

Jean Sénac, poète majeur, présent sur le site du Printemps des poètes. 2020 : Le COURAGE... / LE LIRE : LIVRES...

1 Sénac.jpgJean Sénac, poète majeur, natif d'Algérie, en 1926 (Béni-Saf), d'origine espagnole (famille ouvrière), vint à Alger en 1946. Il a ouvert le chemin à de nombreux jeunes poètes algériens, car très engagé pour le développement de la création poétique et de sa diffusion. 
2 ART.jpgIl s'intéressait aussi beaucoup à l'art, et il a écrit de nombreuses chroniques à ce sujet. 
(Un livre magnifique, "Visages d'Algérie /  Regards sur l'art", regroupe des textes de lui et des reproductions, ainsi que des documents divers, comme une lettre de René-Jean Clot. Les textes ont été réunis par Hamid Nacer-khodja (qui fit sa thèse de doctorat sur Sénac), et la préface est de Guy Dugas. Cet ouvrage, 2002, est une co-édition France-Algérie : Paris Méditerranée et Edif 2000.)
 
jean sénac,algérie,pieds-noirs,poésie,œuvres poétiques,visages d’algérie,l’homme-poème jean sénac,jean-pierre peroncel-hugoz,hamid nacer-khodja,guy degasDe lui il faut lire les poèmes, dans lesquels il chante la présence au corps vivant, l'amour du pays (avec une vitalité camusienne : et il "signe" d'un soleil...).
Oeuvres complètes disponibles (Actes Sud). 
Mais un livre rend son oeuvre abordable en collection de poche, Points, "Pour une terre possible". C’est un choix de poèmes établi, et introduit, par Hamid Nacer-Khodja. Si Camus fut le premier à l’éditer Hamid Nacer-Khodja, dans cette continuité d'estime de l'oeuvre, le fait lire…  (Camus avec lequel Sénac eut des désaccords, mais qui fut toujours important pour lui, à l’égal de Char qui préfaça son recueil : deux noms à retenir pour comprendre où il se situe, sur le plan littéraire - car sa fidélité n’est pas seulement une reconnaissance due à ses découvreurs, mais la conviction intérieure - justifiée - d’une parenté d’exigence, d'un niveau d'écriture...). 
 
Si Sénac adhéra à l'espoir de l'indépendance, il refusa, après, de devoir demander la nationalité algérienne, demande exigée, malgré son engagement, car c'était une discrimination qu'il ne voulait pas accepter, ayant un idéal de droit du sol et non du sang ou de la religion. Il s'investit pourtant dans la vie du pays, eut des joies,  puis des déceptions dont certains poèmes témoignent, des expériences d'ostracisme, par les mots qui désignent pour exclure.
Malheureusement ses dernières années furent marquées par des épreuves, et des conditions de vie difficiles matériellement.  
1 Aainat-d-un-poete.jpgIl mourut assassiné en août 1973 à Alger (sans qu'aucune enquête sérieuse n'aboutisse). 
Cependant Jean-Pierre Peroncel-Hugoz,  qui fut correspondant du Monde, fit des recherches. Lire, de lui, "Assassinat d'un poète". 
1 Sénac l'homme-poème.jpgEt lire, aussi, le très bel hommage de Jamel-Eddine Bencheikh,  "L'homme-poème", Actes Sud.
 
Hirak... Si Sénac vivait, il serait certainement avec ceux qui demandent la démocratie. Mais que dirait-il des orientations à prendre, on ne peut le savoir, la situation étant plus que complexe. Certainement protesterait-il contre les atteintes aux droits. Et j'ai l'intuition qu'il dialoguerait avec Kamel Daoud. Ils pourraient être amis.
 
1 Sénac.jpgLire Jean Sénac. Œuvres poétiques, rééd. Actes Sud
Chronique d’Albert Bensoussan, "Jean Sénac, le Lélian d’Alger",
En attendant Nadeau, 18-02-19, revue en ligne…
(Sur la parution des Œuvres complètes...)
.......................
À noter, et lire...
Le livre de Bernard Mazo est référencé sur le site du Printemps des poètes.
"Jean Sénac, poète et martyr
Avant-propos de René de Ceccatty.
Préface de Hamid Nacer-Khodja 
Noter, aussi, même site, un autre livre indiqué.
jean sénac,algérie,pieds-noirs,poésie,œuvres poétiques,visages d’algérie,l’homme-poème jean sénac,jean-pierre peroncel-hugoz,hamid nacer-khodja,guy degas"Quand l’amandier refleurira"
Anthologie de poètes algériens d’expression française
Par Samira Negrouche
jean sénac,algérie,pieds-noirs,poésie,œuvres poétiques,visages d’algérie,l’homme-poème jean sénac,jean-pierre peroncel-hugoz,hamid nacer-khodja,guy degasNe pas oublier, cependant, l’anthologie (excellente)
"Quand la nuit se brise"
Poésie algérienne, anthologie
Par Abdelmadjid Kaouah, coll. Points

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20/02/2020 | Lien permanent

René Char, En trente-trois morceaux

1. Char, 33 m..jpgOiseau jamais intercepté
Ton étoile m’est douce au cœur 
Ma route tire sur sa raie
L’air s’en détourne et l’homme y meurt.
  René Char, En trente-trois morceaux (texte1), 1956, GLM, Gallimard, 1983
 
C’est le premier fragment en vers des trente-trois textes de ce recueil. Poèmes brefs, numérotés, dont le plus long est le dernier, avec neuf vers. On trouve un sizain, le 16, et des quatrains, peu, des tercets, peu aussi. Des fragments de deux ou trois lignes de prose, des poèmes de deux vers. Et des lignes seules, phrases qu’on perçoit comme vers uniques, certaines, ou aphorismes tracés d’un trait.
Le préambule est très intéressant. À peine plus d’une page pour un récit, entre conte philosophique et texte narratif théorisant la poésie. Comme un conte zen ou soufi. L’auteur raconte qu’il sort, marchant dans ce moment du soir où "il est permis enfin de rapprocher les choses de soi avec une libre minutie." Et il pense à Proust, dans un lieu que Proust ne nomme pas mais que son œuvre aide à percevoir ("il le donne à toucher"). Déjà la littérature imprègne le quotidien le plus banal, sortir de chez soi pour marcher. Mais on bascule dans l’imaginaire. L’auteur sent, une nuit, le poids de ses livres sur sa tête (il cite des titres), pile qui s’écroule tout d’un coup. Les livres s’éparpillent en trente-trois éclats, et c’est pour avoir désiré le choix que ferait le "Temps". Je pense à un ancien conte racontant la mort d’un vieux sage, pas si sage car encombré de trop de livres et finissant écrasé par sa bibliothèque. Là c’est le poète qui accélère l’effet du désencombrement. "Je ramassai trente-trois morceaux. Après un moment de désarroi je constatai que je n’avais perdu dans cet accident que le sommet de mon visage." L’excès mental enfui, reste la création, qui s’élabore à partir des strates abandonnées des écrits précédents, dont il extrait des bribes.  
 
Ainsi, d'imaginaires éclats de livres, du papier qui se brise comme verre ou terre cuite, et ces brisures de textes échappent aux livres et deviennent livre essentiel. Trente-trois pages, un éclat par page.
 
Une note finale, de cinq lignes, qui suit le dernier poème, comme une postface (Fin des incidents de cette nuit), commence par cette phrase : "Nous voici de nouveau seuls en tête à tête, ô Poésie". 
Le récit introductif et la note finale donnent les clés de la démarche de René Char. Ce qui s’écroule ce sont les pages déjà écrites et publiées, dont il ne garde que le centre essentiel de ce qui voulut s’écrire, avant de retrouver le vide créateur, qui fait partir de rien. 
 
Le tissage à partir d’oeuvres écrites, la méthode utilisée pour créer ces fragments déchirés, est la traduction du processus similaire dans l’écriture de René Char, qui efface l’insignifiant, ne l’inscrit pas, ne gardant comme poème que Le Poème pulvérisé (titre d’un recueil, qui fut d’abord le titre d’un poème de ce recueil, J’habite une douleur).
 
L’oiseau, l’étoile, c’est l’inscription d’une aspiration à l’élévation de la pensée. Éthique ascensionnelle de la création et de la manière d’être au monde. 
Inquiétude des "yeux purs" qui...
"Cherchent en pleurant la tête habitable".
Pourquoi ? Parce que le regard (pur car sans intention, neutre) saisit ce que l’intellect, le cérébral (qui n’est pas le créatif) peut trahir. Ce n’est pas refus de la rationalité pensante, chez René Char, mais celui d’une sécheresse coupée des émotions vitales, et chargée de concepts stériles.
Peut-être est-ce pour refuser d’être une tête non "habitable" qu’il refuse si fermement l’inessentiel. Faire se rencontrer ce regard pur et les mots tracés passe par l’exigence du rare.
Si "La sécurité est un parfum" (magnifique image) ce n’est rien de plus que subtiles vibrations d’une fragrance intérieure, métaphore d’un état insaisissable, antinomique de ce que l’on définit habituellement comme impression d’être en sécurité.
Car
Le poète est 
"Veilleur éphémère du monde
  à la lisière de la peur".
Sachant être un passant voué à la mort, pour être vrai il faut rester au bord de cette conscience inquiète qui sait cela. Et sait aussi ce qui dans le monde crée sa révolte ("lance ta révolte").
Mais qu’est-ce que "l’écume du monde souterrain" canalisée par "les silencieux incurables" ? On peut y voir les scories de l’inconscient ou la richesse de l’imaginaire collectif que la création poétique peut saisir.
 
"Hâte-toi de transmettre
 Ta part de merveilleux…"
Les poètes se font "pèlerins extrêmes", justement avec ce sentiment d’urgence à devoir puiser dans l’enfoui de la conscience, de soi et de tous, mais en donnant "les prodiges à l’oubli secourable", ne conservant donc que l’écume… 
Et "la tristesse … déblaie". Demeure alors le dénuement de l’esprit devant la poésie à vivre et créer.
 
Dans le volume de la collection Poésie/Gallimard, ces pages sont suivies des notes Sur la Poésie (1936-1974). 
Où on lit ceci :
 "Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver".
Ou : "On ne crée que l’œuvre dont on se détache".
Et encore :
"Le poète se remarque à la quantité de pages insignifiantes qu’il n’écrit pas.’ Celles qui viendraient de ce ‘dont il ne meurt pas".
 Alors que dans le poème de l’incipit, "l’homme y meurt". Ce n’est pas la mort du corps mais le travail de dépossession de soi, à hauteur cosmique, symboliquement, guidé par la liberté de l’oiseau et la symbolique de l’étoile, la lumière. Là où l’homme ne tient pas le poète doit aller, lui qui veut être de ceux qui savent rester 'les obligés de l’inquiétude".
Froid des étoiles dans le poème 33, mais cela vient des "êtres bienveillants". 
Les "trente-trois morceaux" sont les scories d’un feu intérieur, la lave qui perdure, fragmentée. Comme les textes de Feuillets d’Hypnos (dans le volume de Fureur et mystère, pour Poésie/Gallimard). Mais eux directement fragmentaires.
Toujours l’essentiel, et rien d’autre.
 
recension © MC San Juan
 
LIENS...
 
En trente-trois morceaux, page Gallimard...
 
René Char, vidéo, Un siècle d’écrivains, émission FR.3...
 
1 CHAR.jpg
 
 
 
 
 
 
 
 
Albert Camus / René Char, Correspondance 1946-1959, Folio. (Dont échanges sur la création)...
 
Albert Camus / René Char, Correspondance 1946-1959.
Quelques citations, sur Babelio

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29/06/2020 | Lien permanent

BEDOS, celui qui ne ”désaime pas”...

Bedos.jpgJe repense à son livre "Je craque", et au passage où il disait "Arrêtez le monde, je veux descendre !"... Son humour était le langage de certaines colères et l'écume détournée des chagrins d'un écorché vif (il l'a dit, que l'humour était un langage du désespoir). Un natif d'Algérie engagé contre toutes les formes de racisme, fraternel profondément. J'espère qu'on pourra revoir les films où il joue, avec des acteurs amis complices. Et revoir le documentaire de son voyage en Algérie, dans l'Est, avec son fils Nicolas (doué autant que son père...). Les marches dans les rues, les rencontres, et ce moment où on évoque ses bulletins dans son ancien établissement... Dans la vidéo il évoque le pont de Constantine (dit des suicidés, d'ailleurs, car haut - et tentant pour les déprimés...), où parfois il fut tenté de (au moins) imaginer ce que ce serait de sauter.  Il y a une phrase de lui (empruntée à Simone Signoret mais reprise à son compte) qu'il est bon de noter "Je ne désaime pas" (il le disait notamment à propos de ses liens maintenus avec son ex-femme Sophie Daumier). 

2 BEDOS .jpgBien sûr, il y a eu certaines déclarations de lui, ou certains positionnements, que je n’ai pas appréciés. Peu cependant.
 
Mais j’efface. Je garde le reste. L'essentiel. La générosité chaleureuse, la brûlure intérieure de l’exilé fidèle à ses racines. Lui qui, comme le dit son fils dans un de ses messages très émouvants, avait près de lui une photographie d’Albert Camus, signe d’une adhésion éthique et affective, une proximité de coeur avec un frère de terre. Une fidélité, là aussi.
 
Ce natif d’Algérie, était un écorché vif pour plusieurs raisons. Blessures familiales d’enfance et adolescence. Sans oublier des deuils (son ex-femme Sophie Daumier et son fils Philippe, qu’il avait adopté).  Mais aussi la cassure qu’est pour tous l’exil du lieu de naissance. Il a gardé toujours de l’amour pour le pays natal, et pour les peuples d’Afrique du Nord. Il se disait plus proche de Camus que de Macias, marquant ainsi des liens - complexes - avec sa communauté de naissance. Révolté par les injustices sociales, le racisme et l’antisémitisme, ayant un regard critique acéré sur les politiques, personnalités et institutions. Il a été un excellent humoriste, qui compte, et un très bon acteur. Son goût de la vie  le rendait capable de faire partager des élans humanistes et une vitalité contagieuse.

Celui qui écrivit dans un livre (« Je craque »), « Arrêtez le monde, je veux descendre », est mort, à 85 ans, sans que le monde se soit arrêté… Monde qui gardera mémoire de ce qu’il fut, et trace de son art, notamment aussi dans ses films, dont des scènes sont des séquences qui marquent l’art des comédies. Comme celles des films où Marthe Villalonga (pourtant de la même génération, à deux ans près, vieillie pour cela) arrive à se mettre dans la peau de sa mère (envahissante comme il se doit pour une mère méditerranéenne, et utilisant l’accent pied-noir pour accentuer l’effet du rôle). Scènes qu’on dit « cultes » dans les deux films « Un éléphant ça trompe énormément » et la suite « Nous irons tous au paradis ». Films dont les acteurs masculins forment une équipe cinématographique et amicale.  Guy Bedos avait commencé sa carrière d’acteur dans un petit rôle d’un film de Marc Allégret, et il a continué de jouer avec des cinéastes importants, cependant il préféra un cinéma populaire aux films de la Nouvelle vague. Acteur, mais aussi scénariste, comme pour « Draguées au poivre » de Jacques Baratier.

Mélancomique... Ce mot créé par lui (son "Journal mélancomique"...) correspond totalement à ce qui émane de lui, qui inspire une sorte de tendresse protectrice, de celle que lui porte son fils. 
………..
 
L’hommage de son fils…
 
"Il était beau, il était drôle, il était libre et courageux. Comme je suis fier de t’avoir eu pour père." Message de Nicolas Bedos. Le Figaro...
 
Et…
 
"Papa, 
Une dernière nuit près de toi. Des bougies, un peu de whisky, ta main si fine et féminine qui sert la mienne jusqu’au p’tit jour du dernier jour. Ton regard enfantin qui désarme un peu plus le gamin que j’redeviens. Au-dessus de ton lit, un bordel de photos, de Jean-Loup Dabadie à Gisèle Halimi, de Desproges à Camus en passant par Guitry. Ça ne votait pas pareil, ça ne priait pas les mêmes fantômes, mais vous marchiez groupés dans le sens de l’humour et de l’amour. » 
"Faut pas mégoter son chagrin". La lettre de Nicolas Bedos à Guy, son père. Le Figaro...
 
 ……………
LIENS 
 
Vidéo-montage de passages sur la mort (et plus...). Ce que Guy Bedos en disait... Sur la page, ensuite, une liste de vidéos, des moments divers de Guy Bedos... 
 
Guy Bedos est mort, la mauvaise blague. Ouest-France… 
 
Guy Bedos rejoint le paradis des artistes. Son affection pour l’Algérie était sans limites. El Watan… 

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21/06/2020 | Lien permanent

Jean-Claude Xuereb. Répondre aux questions graves...

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Sándor Márai, Les Braises 

En exergue à son ouvrage, Le jour ni l’heure, Jean-Claude Xuereb a choisi de poser cette pensée profonde d’un écrivain hongrois au destin douloureux, dans les secousses de l’Histoire, Sándor Márai. Antifasciste qui doit fuir son pays, puis homme inquiet et déçu quand le régime communiste s’installe en Hongrie. Longtemps méconnu, puis enfin révélé. Solitude et deuils, et permanence d’une cohérence, d’une fidélité à ses valeurs. 

Jean-Claude Xuereb nous parle évidemment à travers cela. Lui aussi l’Histoire l’a bousculé, lui aussi vit des deuils (c’est évoqué dans certains poèmes du recueil, et se croisent là mots pour dire attachements et mémoire, mots pour questionner la vie, le sens). Les années passant, nous dit-il à travers le choix de cet exergue, on pense au bilan de sa vie, de son oeuvre : comment a-t-on répondu aux épreuves, aux événements, quelles réponses a-t-on données pour dépasser les traumatismes et échapper aux pièges des faux miroirs idéologiques? A-t-on su répondre, contre la haine des vengeurs dans les secousses du temps? 

De belles rencontres : Albert Camus, René Char, Jamel Eddine Bencheikh… Et, en 1970, l’éditeur René Rougerie - auquel il rend hommage en lui dédicaçant un grand poème (« Job ou les avatars du corps-poème ». Titre où j’entends comme un écho des interrogations de Jean Sénac, terrien de la même Algérie méditerranéenne. En exergue, non au livre mais au poème, page 37, à côté de Raymond Guilhem (« Attrait du vide »… « Mon corps privé de lendemain »…« néant d’étoiles »… ), Albert Camus, fraternelle référence et… horizon philosophique qui veut dépasser le désespoir du vide et de l’absurde (étape et non fin dans le cheminement de pensée de l’écrivain philosophe), projet éthique de l’humaniste qu’est Camus (« Il faut imager Sisyphe heureux »). Le mythe camusien de Sisyphe associé à l’éditeur, et au « corps-poème », juste après la citation de Guilhem, pour qui « Un dieu ne tendra pas la main ». Comment, pour celui qui se dit (avec un peu de distance ironique) « mécréant », penser la fin de tout et de soi, la fin, comme celle de l’éditeur ami, René Rougerie? Et comment penser le retour de l’écriture, de poème en poème, de recueil en recueil? Le livre comme un mont qu’on gravit, un mont intérieur : à chaque fois autre et semblable dans l’exigence, Sisyphe reprend l’effort répété. 

Mais Jean Rousselot écrivit « On peut mourir / la gorge obstruée par un cachet d’espérance » et c’est ce qui introduit le très beau poème « Pour ainsi dire », page 7. Refuser ce qui serait, pense-t-il (« mécréant »!) le mensonge d’un faux rêve. Mais regarder, à travers les objets qui sont là, ce qui est signe que « l’ancre » a été posée vraiment « au défi des exils successifs », que le soleil est amical (« comparse » comme l’amour).

Mais qui est, page 15, le « prophète / non reconnu des siens »? Est-ce le poète, dont « la trace messagère » n’est pas suffisamment comprise, les poètes étant souvent voués aux signes « que nul ne déchiffre »? A ces « lointains d’indicible »? (Comme l’écrivain Sándor Márai le fut longtemps).

Ceci est aussi l’exil, ou une conséquence de l’exil. 

Méditation devant le miroir, page 18, pour questionner « le sens du verbe ‘réfléchir’ » et chercher en soi l’être essentiel derrière un reflet ou ce qu’on perçoit comme masque de soi-même (car le temps altère le visage, et se reconnaît-on?). Alors qu’en soi c’est « un enfant qui pleure » les deuils (page 65), mais un enfant qui a gardé le privilège de l’accord avec le soleil natif, retrouvé où qu’il soit.

Est-ce surtout le poète, ou surtout, simplement, l’homme de chair, le père, le grand-père (poème offert à ses petits-fils, page 21) qui hésite entre l’effacement (page 56) et la trace (page 57) ?  « Il faudrait se délester pas à pas » écrit-il page 60. 

Alors que (exergue, page 53, Léon Tolstoï, « Les hommes sont comme des rivières »). Mais, « coup de dé » le hasard a fait naître dans un lieu dévasté par les « purulences de l’Histoire ». Oui, Algérie native, longue guerre, conflits et terreurs, déchirements, exil.  Plusieurs textes l’évoquent, si on sait, et c’est un balancement entre mémoire d’autrefois et mémoire de retour, pour un « site revisité ». Importance des lieux, comme ce Ravin de la Femme Sauvage, évoqué dans ces « Horizons de l’enfance », page 49. Mais. « je n’ai reconnu que le ciel »… Importance des êtres : Augustin « mon frère de Thagaste et Carthage », page 45. Repère. Augustin, frère de cette « Terre violente » (page 46), violente mais « Terre d’amour »… Pour laquelle la mémoire est déchirée par les souvenirs de supplices. 

René-Jean Clot chanta sa douloureuse « ...Patrie de Sel », Albert Camus grava, dans le temps d’une guerre que l’on peut penser aussi comme guerre civile, ses « Chroniques algériennes » de dénonciation de l’injuste. Et je pourrais citer une litanie de témoins (Pélégri, Roy, Cardinal, Roblès, Audisio, Marcello-Fabri, Sénac, Vircondelet, et Dib, Feraoun, Haddad, Boulanouar, Yacine, Azeggah, Djaout, Alloula, Gréki, Kréa, Martinez, Amrouche, etc.). 

Jean-Claude Xuereb, lui, distille des inscriptions qui invoquent l’Histoire d’une terre, l’identité d’errants méditerranéens, ancrés ou déplacés. Et il le fait de telle façon que tout natif le reconnaîtra comme frère d’algérianité, mais que cette réalité est transmutée en vérité universelle sur la planète de tous les exilés. Nimrod, que je viens de lire, comprendrait. Tchad, Algérie, îles, lointain… qu’importe. L’homme qui écrit aime les arbres et les oiseaux, même s’il dit ne pas avoir réussi à les apprivoiser… ces oiseaux libres des jardins ou des chemins. Mais quand? Aux « horizons de l’enfance » d’avant ou de l’enfance en soi, qui perdure, avec les images de son ciel d’autrefois? 

Magnifique ouvrage… Grande oeuvre. Impossible de lire dans l’ordre ces poèmes. Il faut tourner les pages et revenir en arrière pour saisir le sens de ce qui fait aller-retour et se cache puis se révèle… Et relire. 

Chaque livre des poètes est un morceau de testament. Tout est présent à chaque fois. Plus ou moins consciemment. Et plus la vie avance et plus c’est le cas. Mais pour cet ouvrage c’est une évidence dès le choix de l’exergue. Ce qui compte le plus doit être dit. Ce qui dot être tracé doit l’être absolument sans attendre. Dire les proximités, les solitudes, les tensions de l’écriture (Sisyphe…!) pour capter même ce qu’on ne sait. Les mots, l’amour, le soleil, la mémoire des suppliciés. Parce que la révolte est aussi un devoir, celle de Camus, celle des Justes. Et c’est le camp de Jean-Claude Xuereb.

J’ai une tendresse particulière pour un recueil (qui semble épuisé chez Rougerie), « Pouvoir des clés », livre où il réaffirme le programme d’une écriture qui se veut « outil de lucidité » (page 25). Avec l’humilité de celui qui espère que les Clés s’ouvrent, pour « oser persévérer » à écrire. Car la poésie vient avec ses clés, ou pas : mystère du courage de poursuivre. Je retrouve dans cet ouvrage le « pays natal », le désir de la mer, le soleil, les oiseaux et les arbres. Et les questions « graves »,  incessantes, pour une ontologie de l’écriture et du regard sur vivre, être, passer. 

Dans « Pouvoir des clés » les mots sont « lavés ». Dans « Le jour ni l’heure », encore plus, sont lavés les mots et l’être, le réel des paysages et des destins. La lucidité est affutée : encore plus. L’écriture demeure, le style est reconnaissable, mais l’intensité est autre : Sisyphe a gravi la montagne et le ciel des lieux est aussi un ciel du sens. Très grand livre, vraiment. Car le lecteur, qu’il soit mécréant ou mystique, sera, lisant, lui aussi devant un miroir et la buée du temps, vers l’inéluctable fin. Lui aussi devra interroger sa vie, ce qu’il restera de ses choix à sa mort(dont il ne sait ni "le jour ni l’heure"). Valeur. Traces. Et textes, s’il écrit.

(Et je ne peux que mentionner l’avant-propos, deux pages, au poème-livre d’Anne-Lise Blanchard, Le Bleu violent de la vie, éd. Orage-Lagune-Express, 2004. Texte émouvant, sur l’exil et l’héritage des blessures, la parole des générations qui suivent…) 

Fiche wikipediahttps://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Xuereb 

Page sur le site du Printemps des poètes : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Xuereb 

Dossier, revue Phoenix, Marseille, numéro 15, automne 2014. Commande possible de numéros antérieurs...  SITE... https://www.revuephoenix.com 

Page de blog, Jean-Claude Xuereb ou les saisons de passage,Abdelmadjid Kaouah (auteur d’une anthologie de la poésie algérienne, « Quand la nuit se brise », Points), Joha : http://wwwjohablogspotcom-kaouah.blogspot.fr/2012/02/jean... 

Portrait fait par Jacques Basse (auteur d'une anthologie de poésie illustrée par ses portraits de poètes)..                 Sur Jacques Basse, fiche... https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Basse

Page sur Recours au poème (avec deux textes : Ce qui bouge, et Regain) : http://www.recoursaupoeme.fr/poètes/jean-claude-xuereb 

Nombreuses pages correspondant à des parutions dans diverses revues de poésie, comme Sillages, Texture, etc.

LIVRES publiés par les éditions Rougerie... https://www.editionsrougerie.fr/catalogue 

.... MISE à JOUR 03-06-2016... Jean-Claude Xuereb, par Jean-Louis Vidal. Coll. Présence de la poésie, éd. des Vanneaux...  http://les.vanneaux.free.fr 

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texte recension © MC San Juan

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03/05/2016 | Lien permanent

CITATIONS. L'intellectuel et l'actualité...

citations,intellectuel,jean-claude milner,albert camus,erri de luca,jean sénac,maría zambrano,révolte,fanatisme,liberté de parole,fascisme,boris cyrulnik,charlie hebdo,antisémitisme,romain goupilDes CITATIONS (de MILNER, CAMUS, DE LUCA, SÉNAC, CYRULNIK, ZAMBRANO, plus une phrase de l'éditorial de CHARLIE HEBDO, daté 20-02-19, texte intégral lisible en ligne, lien ci-dessous), citations que j'associe à l'actualité (complotisme, marges factieuses des GJ, recrudescence d'un antisémitisme assumé et affiché - souvent déguisé, d'ailleurs, en antisionisme...). Et (mise à jour du 1er mars 19), Romain GOUPIL, citation d'une tribune sur fascisme et anti-fascisme (alliance jaune-rouge-brun...).

... "La fonction politique de l'intellectuel c'est d'aller où la société ne veut pas ; c'est d'être impopulaire."   Jean-Claude Milner (entretien avec Philippe Lançon, Libération, 20-21 juillet 2002...)

... "Il est donc nécessaire d'éclairer les définitions pour désintoxiquer les esprits et apaiser les fanatismes, même à contre-courant." 
Albert Camus (Avant-propos, Chroniques algériennes)
 
"Quand le ressentiment supplante la révolte, alors l’on voit se lever partout la cohorte ricanante de ces petits rebelles, graines d'esclaves, qui finissent par s'offrir, aujourd'hui, sur tous les marchés d'Europe, à n'importe quelle servitude."
Albert Camus, L'Homme révolté
 
... "Le 28 janvier 2015, dans la salle du tribunal de Turin, ce n'est pas de la liberté de parole qu'on débattra. Celle qui est obséquieuse est toujours libre et appréciée. C'est de la liberté de parole contraire, inculpée pour cette raison, qu'on débattra."
Erri de Luca (La parole contraire)
 
... "Je suis du XXème siècle… Un siècle qui m’a formé, déterminé. Un siècle cyclope, gigantesque et aveugle. Qui ne permettait pas de tourner le dos." 
Erri De Luca, entretien, Le Monde des livres, 15-02-19
(mise à jour de la note, le 23-02-19, car le XXI ème siècle, aussi, ne permet pas de « tourner le dos »…).
 
"Une vraie culture ose et risque."
Jean Sénac (Lettre à A.Taleb, citée dans « Assassinat d’un poète » de J.P. Peroncel-Hugoz
 
... "Je m’indigne qu'on nous demande de nous indigner parce que l’indignation est le premier temps de l’engagement aveugle. Il faut nous demander de raisonner et  non de nous indigner." 
Boris Cyrulnik, neuropsychiatre (en réponse à une demande du Monde, interrogeant diverses personnalités au sujet de leurs indignations, suite au livre de Stéphane Hessel, dont le titre était une injonction (« Indignez-vous ! »…). Le Monde, 03-01-2011 
 
... FASCISME… 
« Le fascisme prétend être un commencement, mais en réalité il n’est que la rage impuissante à retrouver l’issue d’une situation insoutenable ; rage qui s’accroche à ses propres limites. Ce qui est grave dans le fascisme, ce qui le conduit au crime, c’est qu’il se cramponne à des limites, qu’il est rébellion et violence dans son refus d’abandonner une position par ailleurs insoutenable.
Le fascisme se produit dans une situation sociale et économique déterminée, sans doute. Mais le fascisme, ce sont les fascistes qui le font, et il y a un 'homme fasciste’, avec ses caractéristiques, que nous pourrions reconnaître même si nous le trouvions sur une île déserte ; il y a un fonctionnement fasciste des sentiments, et surtout des sentiments ‘reconnus’ ou traditionnels ; il y a un fonctionnement fasciste de l’intelligence ; une utilisation du pouvoir de l’intelligence et surtout le pouvoir de masquer, de falsifier, que possède l’intelligence. »
(…) « La conscience historique...» (...) « Le fascisme apparaît sur cette conscience de l’historique et il l’utilise tout en la masquant.» 
(…) « Il y a une écorce dans le fascisme, il y a un noeud étranglé dans l’âme du fasciste qui le ferme à la vie. » (…) « Le fascisme a élevé un culte aux ‘faits’ mais il commence par éluder tout fait, le créant par sa violence ; nous pourrions dire qu’à l’exemple du criminel il ne croit qu’au fait qu’il accomplit. C’est le même mépris de l’ordre des choses et des choses mêmes. Et c’est ce qui fait que le fascisme non  pas commette des crimes, mais soit lui-même un crime : parce qu’il oeuvre sans reconnaître d’autre réalité que la sienne, parce qu’il fonde la réalité sur son acte de violence destructrice. »
(…) « Le fascisme » (…) « sort comme une aveugle explosion de vitalité qui jaillit du désespoir profond, irrémédiable, de la méfiance totale et absolue avec laquelle l’homme regarde l’univers. »
(…) « L’intelligence fasciste » (…) « Il s’agit d’une superposition élémentaire de pensées faciles, ayant un certain éclat, sur des problème et des angoisses authentiques. » (…) « Et l’éviction suprême qui consiste à faire mention de choses vraies qui étaient (…) d’énormes mensonges. »
María Zambrano (1904-1991), philosophe et essayiste espagnole, disciple de José Ortega y Gasset.
"Les intellectuels dans le drame espagnol" / "Sentiers", éd. Des femmes, 1992
(réflexion valable dans tous les cas, donc  ici et maintenant)
 Page de l'édition, Des Femmes... https://www.desfemmes.fr/essai/sentiers/
....
... (Mise à jour, 23-02-19). Le numéro de Charlie Hebdo du 20 février contient plusieurs articles importants. 
ÉDITORIAL… « Antisémites à tous les étages ».
(Lire la fin de l’éditorial à la lumière de l’analyse de María Zambrano. Je relève ceci : "Certains dans la rue semblent ne plus avoir de limites éthiques à l'expression de leur rage."). Le numéro du 6 février mettait notamment l'accent sur la critique de RT (Russia Today), la (complotiste) "voix du Kremlin", et sur AJ+, la voix du Qatar (Focus du mois, en ligne)... Sites de propagande (considérés par certains comme "alternatives" pour s'informer...).
.........................
... (Mise à jour, 1er mars 19). Le Monde, Romain Goupil (cinéaste), journal papier daté 1er mars 19 (web daté 28-02-19), "L’alliance jaune-rouge-brun menace la démocratie" (titre journal papier)...Tribune, pages Idées.
"Si vous placez sur un pied d’égalité Emmanuel Macron et Marine Le Pen, alors vous êtes un ex-antifasciste. De même si vous entretenez le flou autour des travailleurs étrangers qui viendraient manger le pain des Français. Si vous éructez des diatribes nationalistes anti-allemandes, anti Merkel. Si vous avez de la complaisance pour Poutine et des doutes sur l’utilisation de l’arme chimique par Bachar Al-Assad. Si vous êtes contre les ‘médias pourris’, les journalistes 'vendus aux milliardaires’. Si vous approuvez des messages de haine comme ceux de François Ruffin contre Emmanuel Macron, si vous vous délectez de ce langage d’insultes et de mensonges, c’est que vous êtes un ex-antifasciste.
Et si vous balancez un cocktail Molotov dans une voiture de police, si comme à Puy-en-Velay (Haute-Loire) le 1er décembre, vous bloquez les pompiers pendant que les fonctionnaires sont coincés dans l’incendie de la préfecture et que vous leur criez ‘vous allez griller comme des porcs’, c’est que vous êtes de la graine de fascistes."

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10/02/2019 | Lien permanent

Kamel Daoud, lire et relire...

kamel daoud,mes indépendances,chroniques,chroniqueur,écrivain,livre,littérature,algérie,actes sud,droits humains,engagé,concerné,livres hebdo,prix,prix livre et droits de l’homme de la ville de nancyKamel Daoud est primé pour une reconnaissance de son oeuvre de chroniqueur engagé pour les droits humains. Lui préfère se dire « concerné », et, oui, il l’est. Oeuvre marquée par la publication d’un choix, ample, de ses textes dans « Mes indépendances », livre publié par Actes Sud. Superbe.

 

Que ses chroniques soient lues abondamment, elles qui mettent en scène, en quelque sorte, le balancement subtil entre le total "oui" à la vie et la tension du "non". "Mes indépendances". Magnifique écriture d'un grand chroniqueur (nouvelliste et romancier aussi), mais l'écrivain est complètement présent dans les pages profondes, brillantes, du journaliste.

 

Exercice de lucidité, processus de questionnement permanent.

La critique, si on lit bien, porte sur les failles des deux rives. Aucune complaisance. Lecteur idéologue ou paresseux, sauvez-vous. Car Kamel Daoud ne propose pas le confort mais la secousse. Il secoue les préjugés, regrette que l'Algérie de 62 n'ait pas eu son Mandela (car un peuple métis en serait né, et une culture plurielle aurait pu être assumée). Il revendique fortement son algérianité (qui passe notamment par la langue). Et dans ce vital ancrage il entraîne Camus, dont il espère que l'Algérie arrivera à récupérer ses "cendres", au sens symbolique, c'est-à-dire à le revendiquer comme sien, autant si ce n'est plus que la France. Cela fait des années que je lis Kamel Daoud, et que je lis les commentaires que ses écrits entraînent. J'ai l'impression que, malgré les attaques qui perdurent (sur des erreurs de lecture), de plus en plus des Algériens le soutiennent, le comprennent, l'admirent.

CITATION, article de Livres Hebdo : « L’écrivain et journaliste Kamel Daoud vient d’obtenir ce jeudi 20 juillet le 16e prix Livre et Droits de l’Homme de la Ville de Nancy pour Mes indépendances, chroniques 2010-2016, pari en février chez Actes Sud. / Ce prix, sous la présidence d'honneur de Vincent Monadé, président du Centre national du livre, lui sera remis officiellement lors du 39e Livre sur la Place le vendredi 8 septembre à Nancy. De manière symbolique, cette année, le jury a souhaité dédier ce prix à l’écrivaine turque Asli Erdogan, qui, après avoir été incarcérée 136 jours, attend son procès et risque la prison à vie. »... Texte intégral...http://www.livreshebdo.fr/article/kamel-daoud-laureat-du-... 

« Mes indépendances », page de l’éditeur… http://www.actes-sud.fr/catalogue/societe/mes-independances 

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28/07/2017 | Lien permanent

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