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Quelque part la lumière pleut, de MICHEL DIAZ. Poésie (Alcyone, 2022, collection Surya)

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Michel Diaz, Quelque part la lumière pleut, p. 13 (le titre vient d’un poème de Silvaine Arabo)

on n’écrit rien avec le rien, même en lisant dans son miroir ce vide qui s’étonne, ni rien non plus avec ce qui s’épuise à lutter contre l’ombre

Quelque part la lumière pleut, p. 25

mais surtout j’écoute le vent, j’écoute les murs, j’écoute les âmes

Quelque part la lumière pleut, p. 71

Je regarde d’abord l’encre de Silvaine Arabo qui introduit le livre (juste après un texte avant-signe). Je la regarde avec la même liberté intérieure que celle que j’ai devant les affiches déchirées que je cherche dans le métro, en capturant du regard des fragments pour recréer un autre imaginaire que peut-être personne n’aurait vu. Évidemment, là, nulle affiche déchirée, mais une création pensée, structurée, de l’art.

 

Cependant je sens que je réinvente peut-être l’œuvre (après tout c’est ce que l’œuvre veut aussi, toujours).

Ivresse des vents, est le titre de l’encre. Et voilà, avant d’être un lieu du livre de Michel Diaz, ce qui prolonge ma lecture de Capter l’indicible de Silvaine Arabo, livre où l’air et le vent font l’épure du réel. Mais dans ce livre de Michel Diaz, ouvert par cette image, dans les dernières pages surtout, celles de l’espoir, épure par l’air et le vent, aussi. Parenté d’univers dans l’exigence du regard et de l’écriture. Pas étonnant que ce livre de l’un soit dédié à l’autre. Par la dédicace, par le titre, par un exergue, par la citation finale et bien sûr avec cette encre.

Alors je regarde encore et reviennent deux vers de Silvaine Arabo… (Capter l'indicible).

Ultime salut au vent 

Et à l’oiseau.

Et des mots de son livre, encore. Jubilation, vertige.

Puis deux autres vers d'elle, même recueil…

Ce grand océan cosmique 

Qui nous interpelle sans cesse…

Toujours dans la présence de l’encre qui offre des clés pour lire ensuite au plus juste les pages qui viennent.

C’est cela que je vois dans l’encre, pas étonnée qu’elle soit là. Car l’Ulysse de Michel Diaz était déjà ce voyageur cosmique, dans l’abîme d’une profondeur, interrogeant le destin, les choix, et la bascule toujours possible vers un renoncement, un néant, ou au contraire l’ancrage d’être, démarche métaphysique au-delà des temps (Le verger abandonné, recension à lire ici, lien en fin de note). 

Dans l’encre, serait-ce Ulysse, ce personnage dont l’ombre contemple un gouffre bleu, près d’une sorte de fleur verte géante ? Gouffre de l’infini, car le bleu est sa couleur. Ombres séparées, deux silhouettes sombres, sur une rive ou un bateau, sous un fragment de ciel mauve et un envol d’oiseaux. La solitude des êtres dans les lieux vidés de vie. Mais ayant lu le livre qui suit, je vois aussi la barque de Charon dressé devant l’âme d’un mort et traversant le Styx avec lui. Alors Ulysse est aussi l’auteur écrivant pendant l’hiver du confinement, entendant la litanie quotidienne des morts, et qui évoque les fantômes des êtres perdus, ces inconnus, mais aussi les deuils personnels, ces présences-absences dans une maison. Comment penser nos vies sans penser la mort ?                      Et comment penser le monde tel qu’il est sans penser ce qu’il fait de la mort ? Cela est dans l’encre comme je la perçois, assez riche pour porter tout l’univers des pages de Michel Diaz en même temps que toutes les méditations de Silvaine Arabo.

Je ne peux qu’associer cette encre au logo de la couverture, belle conception de Silvaine Arabo, qui est la marque visuelle de l’édition Alcyone. J'y vois un infini, de la douceur.

Quelque part la lumière pleut.  Magnifique titre, cet emprunt à la poésie de Silvaine Arabo. Thématique commune aux deux auteurs, la lumière. Croire qu’un sens peut émerger, que l’écriture peut faire advenir et transmettre. Ou que, quelque part, cela s’offre si on le déchiffre. La lumière c’est aussi celle qui sourd du mystère de la camera obscura de nos yeux, au profond du regard, et dans la tension entre écrire et être. 

Mais un texte précède l’encre.

La première phrase offre les trois titres des parties du livre.

Dans l’incertain du monde

S’essayer à vivre plus loin

Travailler à l’offrande

Partir du constat, dire l’intention, agir pour un possible horizon.

Superbe texte, entre prose poétique et philosophie. Constat lucide concernant l’état du monde, et élan pour ne pas renoncer, éthique d’une présence agissante, par la conscience dans la création. Dans ce texte je trouve un souffle qui a la force de celui d'Albert Camus dans Noces ou L’Été. Et justement des refus similaires, la même ardeur vitale pour choisir de FAIRE, et un mot commun, qui vient de la même perception d’une nécessité, résister. Recoudre.

Michel Diaz veut (lui et nous, humains) qu’on travaille à recoudre les fêlures de l’âme, et, avec ce qui nous reste de raison… affronter le crépuscule des désastres à venir. Plutôt que d’accepter le désespoir (frôlé dans certains textes…) il choisit d’écrire que rien ne sera perdu dans l'éternité du silence, tant que (…). C’est donc notre choix….

Albert Camus, qui parle du malheur du siècle en refusant lui aussi le désespoir, veut qu’on sache sauver l’esprit, apaiser l’angoisse infinie des âmes libres. Et il écrit que Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste (…). (Les Amandiers, dans L’Été). 

Recoudre. Cela signifie qu’on part de ce qui est, et qu’on fait lien. C’est tisser avec le réel, pas avec des projections mentales. Du concret. Chez les deux auteurs la nature, pour rappeler notre ancrage dans le présent matériel et le voisinage du vivant. Du réel. Camus insiste, au sujet des amandiers de son texte. Ce n’est pas là un symbole. Non, pas un symbole, des arbres vraiment. De même la mer présente dans les deux textes. Pour Albert Camus, c’est le vent qui vient d’elle. Pour Michel Diaz c’est, dans cette page, celle que va rejoindre une rivière. Lui aussi pourrait insister et rappeler que la nature dont il parle, si présente, n’est pas un symbole. Elle est le vrai chemin pour ses pas de marcheur, l’ombre vraie du soir avec ses odeurs et ses sons, l’herbe réelle, des arbres qu’on peut toucher, des pierres qu’on ramasse (il en posait, raconte-t-il, comptant des jours dans notre hiver confiné). 

Ce texte d’avant-signe, qui préfigure la structure et la dynamique du livre entier, sera à lire et relire, pour qui veut saisir la densité de l’ensemble. Afin de s’en imprégner et d’en saisir la beauté. Il contient beaucoup, tant la perte que la joie, le temps, le silence, le visage et l’arbre. Et il inscrit une écriture qui n’appartient qu’à l’univers de Michel Diaz, une densité particulière, un rythme qui contient du silence, posé dans les virgules, dans les espaces entre les brefs paragraphes (pour le temps d’une respiration), et dans les mots qui donnent à voir, par touches légères (rose, mésanges, arbre…). Car le regard ne se trouve que dans l’immobilité du regard, même en marchant.

Chaque partie a ses exergues

Silvaine Arabo pour la première. Cinq vers de Triptyque. Pour inscrire le même regard que celui de l’avant-signe, un constat, et le souffle portant au-delà des douleurs.

Ensuite c’est Léon Bralda, La voix levée (pour un rêve vers un ailleurs autre), et Paul Verlaine, Sagesse (L’espoir …).

Enfin, dernière partie, André Gide, Nouvelles nourritures (le don… l’offrande).

………………………………………..

Dans l’incertain du monde

On ouvre les pages et s’offrent encore des paragraphes brefs, sans majuscules ni points, seulement des virgules pour marquer les espaces intérieurs. Écriture du marcheur qui dessine un chemin, un long couloir de mots où je vois l’image du rouleau de Jack Kerouac (Sur la route), comme si l’horizon d’un voyageur et celui d’un marcheur pouvaient se figurer de la même manière. Mais j’ai en mémoire, aussi, de longs parchemins enroulés, portant des textes sacrés conservés dans des monastères lointains. L’écriture et sa part sacrée, avec ou sans dieux. L’absence des majuscules fait couler doucement un fleuve de phrases, sans angles.

La route de Kerouac c’est une errance, sacrée à sa façon. Celle de Michel Diaz c’est une déambulation, autant intérieure que de pas, un parcours libre avec, comme bagage, le regard, des questions, et, peut-être, carnet et crayon. Les questions, c’est justement ce dont l’auteur dit vouloir créer un nœud coulant qui fera du lecteur inconnu le passager d’un espace de silence de funambule, le réceptacle, en son corps, d’une cicatrice inversée, mémoire d’une brûlure. Ambition, pour l’écriture, d’un pouvoir qui est très loin de la fadeur mièvre.  Une conception de ce que doit être la poésie, le contraire d’une jolie distraction. Conception active de la lecture, faite pour des mains tisonnières capables de chercher la lumière dans les traces du feu qui a brûlé les questions (et les réponses ?) par l’écriture. L’inconnu est aveugle, mais muet aussi. Car pour lire il faut se défaire de son propre regard et de ses propres mots, accepter l’effraction de pensée par les yeux et les mots d’un autre. 

Et effectivement on voit, avec les yeux du poète, traçant un poème-prose, un paysage de feuilles, terre, ciel, et forêt, yeux grands ouverts qui sont les yeux de l’âme.  On est dans un crépuscule d’ombres et étoiles, on entend les voix obscures devinées.

Écriture du temps du confinement, où la réalité extérieure reste cependant violemment présente, un monde toujours en guerre contre les vivants et contre la vie elle-même (…) peu d’horizon à cette absurde conjoncture qu’est le fait d’être né

Il cite Samuel Beckett (… juste avancer) et Michèle Vaucelle (déglutir le monde). Alors il faut écrire, et ce monde le restituer dans le cri. Injonction intérieure, éthique affirmée. Exigence qui croise celle de Jean-Pierre Siméon (La poésie sauvera le monde), quand il définit la poésie comme un acte de conscience aigu en s’appuyant sur Roberto Juarroz, qu’il cite (la poésie… accélérateur de conscience). Ces deux mentions conviennent à la démarche de Michel Diaz, à la brûlure du poème vrai. Et de même ce que dit encore Jean-Pierre Siméon sur la poésie force d’objection empêchant de se détourner du réel tel qu’il est et tel que le livre la poésie. C’est cette vérité du langage qui ne ment pas que propose ce livre, tout en cheminant vers ce lieu où la lumière pleut.

Au bout du réel il y a la mort, celle que pense le guetteur crépusculaire qui écrit, et qui parle de nos peurs, et des impulsions de survie qu’on dresse comme des écrans.  

Ce livre ouvre ses pages, et il renvoie à d’autres chants, tristes ou pas. Au-delà de toute mélancolie il ouvre d’autres livres et entre dans un concerto de poèmes. Pas n’importe lesquels, ceux qui contiennent le feu du duende (Lorca…). Ainsi, le lisant, j’entends, comme en surimpression, le Chant des âmes retrouvées, poème unique qui clôt le livre de François Cheng, ses récits de Quand reviennent les âmes errantes

La mort a eu lieu ; la mort n’est plus, écrit François Cheng.

Et Michel Diaz poursuit sa méditation.

Il est celui qui penche son visage sur la mer (et nous aussi, lisant). Il regarde, écoute, accepte d’entendre les cris de peur, de douleur et de guerre, malgré le bruit des tumultes du monde, bruit  qui les recouvre, masque. Sachant le silence il se lave et nous lave des bruits. Tension d’écriture, dire et les cris et le silence (celui qui permet d’atteindre le centre de la parole essentielle).

J’ai remarqué des reprises de mots sur une même page, toujours en tête des paragraphes. 

Par exemple, tu et peut-être (p.11), deux fois chaque. 

Et, page 17, répétition de celui qui penche son visage sur la mer, deux fois.

Prolongé, page 18, par trois paragraphes commençant par je l’eusse aimé (celui qui…).

Ou ce vent, page 28, deux fois. devant, p.31, trois fois. 

la nuit, tu marches dans toi-même, p.39, deux fois.

tu vis, tout le long de deux pages plus un paragaphe,p.42-43. Anaphore… 

Je pourrais donner deux ou trois autres exemples. Et le dernier, offrande, p.86.

L’effet est rythmique. Ces mots ou bribes de phrases sont comme le battement d’une basse dans une composition musicale, permettant ensuite comme un envol du souffle.

Je relis la page 18 et c’est tout son Ulysse que je retrouve, présence du personnage mythique tel que le voit Michel Diaz dans Le verger abandonné. Solitude libre qui assume tout de ses choix. Ulysse n’est pas nommé ici, pas évoqué. Mais son esprit hante cette page, à cause des étoiles, du corps ployé dans le vide, à cause des vagues, et de cet être, seul parmi les hommes (…) intraduisible et seul (…) unique survivant d’un impossible dire et d’une impensable pensée

Seul comme beaucoup dans ce temps de confinement. 

Et s’il y a le matin, les collines, l’herbe, la terre, l’horizon est vide d’êtres…

Fracture bouleversante, le texte dédié à sa mère. En pleine période d’épidémie et d’enfermement, elle glisse dans l’oubli sans limite. Et il la voit se noyer au fond dâ

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”La mort n’est point notre issue”. Parole de poète, François Cheng

GLOIRE ICI CHENG.jpg"La mort n’est point notre issue,
  Car plus grand que nous
  Est notre désir, lequel rejoint
  Celui du commencement,
  Désir de la Vie."
  François Cheng, La vraie gloire est ici
 
AME CHENG.jpg"L’âme n’est pas seulement la marque de l’unicité de chaque personne, elle lui assure une unité de fond, et, par là,   une dignité, une valeur, en tant qu’être."
François Cheng, De l’âme
 
ENFIN ROYAUME CHENG.jpg
 
 
 
 
 
 
 
 
"Ce que tu donnes trace une voie
 Te menant plus loin que tes pas."
  François Cheng, Enfin le royaume
 
Sur plusieurs moments de parole du poète, La Grande librairie (2015, 2016, 2018). 
2019... J'avais mis, dans la note sur l'incendie, le lien vers l'émission "Spéciale Notre-Dame", où François Cheng est présent. Je le remets ici... https://www.youtube.com/watch?v=s49jQRLDFn4 
Dans La Grande librairie, l'émission de François Busnel, en novembre 2015, François Cheng parle de son livre,
"La vraie gloire est ici" (Gallimard, 2015), de la poésie, de la création, et de vivre "ici et maintenant" l’instant présent. "Vivre est un triomphe du Tout sur le rien, malgré tout" (comme, le rappelle-t-il, le dit Rilke à un jeune poète, Jules Supervielle, en lui écrivant une semaine avant sa mort : "en dépit de tout, la vie est une gloire"….). La "gloire" est la splendeur de la nature, et des "hauts chants" des êtres humains.
Il parle de la "concentration en soi", d’une sorte d’ascèse qui rend cela possible. Les poèmes ont pour but, dit-il, de révéler cela, les paradoxes de la présence, entre souffrances, épreuves, ténèbres donc, mais lumière des rencontres (avec les êtres ou avec une transcendance)… Et même la mort, la perspective de la mort,  nous offre selon lui la possibilité d’atteindre le sens de tout cela. Y compris dans le travail sur la langue ("épurée"). Et "rien ne vaut la vie" , "même si la vie ne vaut peut-être rien" (il cite alors André Malraux), et même si la tragédie est là (y compris dans la détresse de la misère, pauvreté que le poète a connue) : mais toujours le message de la vie est là aussi, cet "humus" Et l’ailleurs de Rimbaud est, pour lui, "toujours un ici et maintenant". François Busnel insiste sur la manière dont François Cheng dépasse les paradoxes qui opposent souffrances et joie.
Car "La mort n’est point notre issue" (début d’un des poèmes)… Sans la mort, dit-il, "nous n’aurions aucune perspective de transfiguration, alors que la mort nous offre la chance d’atteindre une autre forme d’être, un ordre supérieur d’être." "Rien ne vaut la vie, il insiste, car ‘il y a cette unicité de l’être’.
VIDÉO (extrait de La Grande librairie)…
"La vraie gloire est ici", page éditeur, Gallimard… 
 
Autre moment de La Grande librairie (autour du livre "De l’âme", écrit avec l'intention de réhabiliter ce mot (tabou, presque, en Occident). "Souffle vital", explique-t-il, qu’on retrouve partout (ainsi dans le chi chinois,ou le souffle du latin et des autres cultures). L’âme est "la marque de l’unicité de chacun de nous", liée à une forme de "transcendance". "L’esprit et l’âme sont intimement liés, entrelacés". François Cheng évoque des auteurs comme Malraux et Camus (pour une lettre) qui, parlant des nazis disait qu'ils tentaient de "tuer l’esprit et l’âme". Et c'est cela qui est le sens principal, tuer l'âme. C'est important, pour François Cheng, qu'Albert Camus ait utilisé ce mot et dise ainsi quelque chose d'essentiel. Il aimerait que ce texte soit beaucoup lu.
VIDÉO. La Grande librairie, 2016...
"De l’âme", page éditeur, Albin Michel (une correspondance)…
 
Et, sur un autre ouvrage, "Enfin le royaume", recueil de quatrains, La Grande librairie, février 2018...
On entend d’abord le témoignage de Dany Laferrière, qui dit la part d'écorché vif de François Cheng, qui acquiesce (disant qu’il peut avoir du mal à dormir pendant des jours à cause d’un fait divers bouleversant). De la poésie il dit que celle qu’il aime est celle des poètes de l’être, et il cite Dante. À propos du quatrain il parle d’une lignée de poètes, comme Rimbaud, Nerval, Michaux, Char, poètes "diamantaires". L’écriture du quatrain demande, dit-il, une aimantation (il avait évoqué un instant avant, la "cristallisation"). Il cite aussi Jeanne d’Arc, ce qu’elle a dit aux juges : "Puis vint cette voix, environ l’heure de midi, au temps de l’été, dans le jardin de mon père". C’est un quatrain parfait : (5-7-5-7). Dont il dit que tous les Français devraient le savoir par coeur.
VIDÉO (La Grande librairie, février 2018, extrait)… 
"Enfin le royaume", page éditeur, Gallimard...
 
Et encore, retour à 2016. "Le livre qui a changé ma vie" Le choix de François Cheng n’est pas un recueil de poèmes, mais "À la recherche du temps perdu" de Marcel Proust. Choix d’écrivain, car ce qu’a dit Proust sur l’écriture lui a donné confiance en la possibilité de tout transformer par l’écriture, de se "réconcilier avec la vie". Par cette affirmation : "La vraie vie est une vie vécue et repensée et recrée par l’écriture".
 
MC San Juan
 
Réponse au commentaire (transmise aussi directement en MP sur FB).
Merci pour ce message, qui aide à penser la démarche, à s'interroger.
Oui. Comme c'est interrogé dans un commentaire, ces notes, ces messages sont pour faire signe de sens, d'espoir, en s'appuyant, ici, sur la parole d'un grand poète de l'être. Nécessaire cette alternance avec les colères contre les atteintes multiples aux droits (dissidences, certains pays) et la résurgence de pensées et écritures fascistes (cf. mes notes au sujet de chroniques sur Céline : Céline et l'abjection et Céline, voyage au bout du nazisme). Je crois, comme la géographe Sylvie Brunel (page dans Le Monde du 26 juillet 19) que nous devons "remettre un peu de sérénité dans nos existences". Mais il n'est en aucun cas question de "fuir le monde". On ne libère personne (sauf à agir pour sortir de vrais murs des dissidents), on peut juste travailler à être plus libre soi-même, à être plus vrai. C'est le sens de la parole de François Cheng, entrer dans la profondeur de l'être. Quand à Fred Vargas, elle ne m'intéresse en rien. Et ce qu'elle devait entendre au sujet de son protégé terroriste, des intellectuels italiens (informés et concernés) ont répondu. Et c'est suffisant.

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”Méditerranées”, d’Olivier Py. Le court métrage commenté sur plusieurs blogs et sites...

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« L’ensemble de mon travail au cinéma comme au théâtre est une interrogation sur l’identité de « méditerranéen »  Olivier Py (citation en exergue, article de Version originale)

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Sur le site « Vivre à Belcourt » de Luc Demarchi, une vidéo : extrait d’un court métrage d’Olivier Py, « Méditerranées » (le 's' de nos pluralités…)  http://belcourtois.com/index.php/2015/05/11/mediterranees...

Du commentaire de Luc Demarchi, je copie la conclusion, beau message qui correspond totalement à ma vision de la Méditerranée : le lien que cette mer crée entre les êtres divers qui vivent sur ses rives, la fraternité à l’horizon. Voici :

« Le réalisateur conclut son film en évoquant la Mer Méditerranée comme une dimension commune à tous ceux qui vivent ou qui ont vécu dans les pays qui la bordent et c’est bien grâce à ces Méditerranées que nous nous rejoignons et que nous nous retrouvons.

Au-delà des conflits passés ou présents, la Mer apparaît comme le lieu sacré du baptême qui nous mène ensemble vers la voie de la paix et de la fraternité.

On ne peut visionner ce document sans faire la relation avec l’œuvre passionnée d’Albert Camus pour ce pays, une œuvre que l’on perçoit en filigrane tout au long du film. »

J'ai regardé. C'est très bref, cet extrait, mais suffisant pour capter la beauté de ces moments simples. Il y a de l'amour dans le regard de ces êtres, et de l'amour dans le double regard porté sur eux : regard de ceux qui filment, se filment (dans la présence de l'instant), et de celui qui reprend ces bribes familiales et les recrée. Une étrange sorte de double énonciation... Mais là ce ne sont pas des personnages qu'un auteur fait vivre devant nous : des personnes réelles dans un passage fugace de leur vie. Bribes de temps méditerranéen... Que la mer y est belle! Image de paix... Et je les vois, attentive, avec, en surimpression, l'accélération des vies, le fracas de la guerre, la rupture avec leur lieu d'ancrage, l'exil, les années qui passent. Et puis simplement, de nouveau, comme des méditerranéens à la source de leur force vitale. D'une rive à l'autre c'est toujours la même Méditerranée, la terre des Noces de Camus (Luc Demarchi a raison de faire le lien). Terre de danseurs, comme le père, jeune, dans son arbre, ou la mère, qu'elle marche ou nage... Magnifique. 

Il me faudra voir intégralement ce film, que je découvre avec grand retard...

Ce que j'ai lu de la démarche d'Olivier Py me fait adhérer totalement à cette démarche. Et je cosigne la première citation, mise en exergue de ma note... 

Entretien avec Olivier Py sur mickrociné. Passionnant (Et les commentaires sont aussi à lire) : http://on.fb.me/1aIrwq3  [Il insiste sur cette réalité métisse du Méditerranéen, et du Pied-Noir, sur le croisement de l’intime et de l’Histoire, sur la souffrance familiale, le refoulé, évoque les Harkis, les camps. Identité (nous pourrions tous écrire ça) : « Et comme il y a un exil qui est un peu à l'origine de l'histoire familiale, le centre en est la Méditerranée, pas une terre. Le rapport que certains peuvent avoir avec une terre je l'ai avec une mer. C'est pour ça que je suis arabo-italo-espagnol, et c'est plus fondamental pour moi que mon identité française par exemple. » Politique et identité (Le difficile lien… Il est conscient de donner des clés, loin des jugements anachroniques.) : « Le matériau que j’avais me permettait en quelque sorte d’utiliser un voile poétique pour raconter une histoire sans jeter de jugements politiques qui n'ont plus de sens. Je suis très content en tout cas si jamais une partie des Pieds-Noirs retrouvait leur histoire et leur identité à travers ce film. »

« Méditerranées », sur Doc en courts (Palmarès 2012, nominé).   : (Où il est dit ce que je percevais en surimpression, mais qui n’est pas encore explicite dans l’extrait présenté) : « Comment montrer l’Histoire ? Comment parler d’un souvenir aussi vibrant que la pellicule Super 8 sur lequel il est inscrit ? » (…) « Ici la guerre est en coulisse, mais qu’est-ce qu’une image de la guerre finalement? » / Lien devenu inactif...

Et sur Mémoblog de Paul Souleyre (blog référencé ici, cf. liste « Pages tissées… ») : « Olivier Py est un méditerranéen » :http://www.memoblog.fr/olivier-py-est-un-mediterraneen/ (Où il évoque la rencontre, idéologique et éthique, avec Luc Demarchi (de « Vivre à Belcourt » et la portée du film d’Olivier Py). Comment la conscience de l’identité méditerranéenne permet (Olivier Py, Luc Demarchi, Paul Souleyre – sur cette page) de vivre en cohérence son identité particulière et d’échapper aux enfermements des appartenances, quand elles sont limitantes (Pieds-Noirs, fils de Pieds-Noirs, ici – mais c’est une vérité qui est valable pour toutes les communautés humaines). Beau portrait du webmestre de Vivre à Belcourt dans cette page, et ample citation.

Autre note, Mémoblog : « Méditerranées, un film d’Olivier Py » http://www.memoblog.fr/film-olivier-py/ (Où Paul Souleyre dit son agacement, à la lecture d’une fiche wikipedia, devant un contenu erroné sur l’enfance d’Olivier Py – comme si le message de l’œuvre n’avait pas été compris : déni, là aussi, dans cette incompréhension, explique-t-il à juste titre).

Ample et bel article, sur Algériades, au cœur de l’identité méditerranéenne comprise à travers l’origine et la référence algérienne : http://www.algeriades.com/olivier-py/article/mediterranees-d-olivier-py (En conclusion, citation d’Olivier Py – entretien : « Nous avons une histoire en commun mais aussi un avenir. Et c’est ce monde de la Méditerranée qui aujourd’hui me semble une vraie, une magnifique utopie". »)

Sur cinemaniac.fr, une lecture qui tient compte de l’essentiel du message, compris profondément. Le film intégral se déroule, comme si nous étions en train de le visionner : « Méditerranées, l’été qui ne reviendra plus » : http://www.cinemaniac.fr/news/mediterranees-l-ete-qui-ne-reviendra-plus 

Article de Version originale : (En exergue, une citation d’Olivier Py : « L’ensemble de mon travail au cinéma comme au théâtre est une interrogation sur l’identité de « méditerranéen ».) / Lien devenu inactif...

Le blogueur, sur Vu du balcon, rappelant le Grand Prix obtenu par ce film au Festival de Nice 2012, relie les souvenirs évoqués dans le film aux siens, jeune à Paris, pendant la guerre d’Algérie… Histoire : http://vudubalcon.blogspot.fr/2012/10/mediterranees.html

... Deux pages sur le site d’ARTE... 

Le film… http://cinema.arte.tv/fr/article/mediterranees-dolivier-py 

Zoom… http://cinema.arte.tv/fr/article/zoom-mediterranees

... Le DVD, page FNAC... http://video.fnac.com/a6211320/Mediterranees-DVD-DVD-Zone-2

.................. Voir aussi, note, Andalousie (illusion?)... http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2013/10/18/an... 

................... Andalousie, Méditerranée, voir catégories et TAGS...

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24/07/2013 | Lien permanent

Huy Thiêp NGUYEN. Leçon d’écriture, leçon de liberté... ”Refuser de courber l'échine...”

huy thiêp nguyen,vietnam,mon oncle hoat et autres nouvelles,livres,littérature,culture,liberté,idéologie,conscienceIl en est de la littérature comme de la Voie. Etre, c'est ne pas être; ne pas être, c'est être. "Plein" et "vide" sont des catégories de la pensée (...) si l'on considère la littérature comme une voie parmi tant d'autres, afin de se perfectionner, on ne se sera pas trop trompé... (Un maître parle dans le récit..)

Huy Thiêp NGUYEN, Mon oncle Hoat et autres nouvelles

Il y a des relectures qui résonnent en nous particulièrement. Celle d’un article de L’Express, de 2012, prend un sens différent, en fonction de l’actualité récente, des dissensions idéologiques brutales qui font devoir se positionner dans le combat contre les fanatismes, les intégrismes, et les pensées de haine. (Mais ce ne sont pas vraiment des pensées, celles-ci, juste des fracas émotionnels qui sortant de la part la plus sombre des peurs souterraines construisent des machines mentales de destruction, ou des complicités avec ces machines mentales. Porosité des univers des mots...).

Dans cet article, qui suit l’interdiction faite à Huy Thiêp Nguyen de sortir du Vietnam, pour répondre à une invitation à l’étranger (France...), tout est dit de la situation des écrivains dans ce pays, et tout est dit de la manière dont cet auteur trouve le moyen de traverser les murs qu’on lui oppose. Tout est dit aussi du choix qui reste à ceux qui refusent les oppressions totalitaires, qu’elles soient politiques ou religieuses. Et du choix qui reste à tous, partout : « refuser de courber l’échine ».

Lire ceci : « L'écrivain doit nager à contre-courant et, par conséquent, il s'attire constamment des ennuis, dit Thiêp. Qu'importe qu'on cherche à lui couper les ailes, il doit refuser de courber l'échine. Car il aime la liberté, et c'est un réel handicap. Cherchons cette liberté dans la douleur, au sein même de la pauvreté et des coups bas politiques. »  (Et lire ou relire tout cet article, précieux, et intégralement en ligne).

L’Express, 21/06/2012, par André Clavel : http://www.lexpress.fr/culture/livre/crimes-amour-et-chatiment_1128950.html

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Ses livres, référencés sur le site « vietnam.aujourdhui »   : http://vietnam.aujourdhui.free.fr/livres/nguyenht.htm

Librairie internationale (livre mentionné en exergue et autres publications de l’auteur) : http://bit.ly/1HIGoHe

Fiche wikipedia : http://bit.ly/1yIZNWO

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19/04/2015 | Lien permanent

2. Synchronicités ? Détour par l‘astrophysique et la cosmologie (pensée des multivers, voyage dans l’étrange…).

UNIVERS A BARRAU .jpgMultivers ? Vers l'écriture des MultiRêves (Jean-Philippe Cazier, voir ci-dessous).

UNIVERS LIVRE C GALFARD.jpgJe disais donc (note précédente) que, pour comprendre plus facilement ces notions si complexes, si difficiles à envisager avec nos codes de pensée, il fallait se tourner vers des informations du côté de la science (recherches qui, d’ailleurs, font retomber sur philosophie et poésie…).

Et, pour commencer, le double DVD d’ARTE, coffret. Documentaire en plusieurs partes. Une extraordinaire réussite, et c’est très beau… (S’être intéressé d’abord à la synchronicité entraîne plus loin… )

DVD 1 : Espace, illusion du temps, saut quantique, univers et multivers. 

DVD 2 : Le rêve d’Einstein, la théorie des cordes, la 11ème dimension.

"La magie du cosmos et l’univers élégant"...  https://boutique.arte.tv/detail/la_magie_du_cosmos_l_univ...

Multivers ? Un billet sur un article posthume de Stephen Hawking. RFI science... http://www.rfi.fr/science/20180505-stephen-hawking-theori...

VIDÉO. CONFÉRENCE. Par l’astrophysicien et cosmologiste Aurélien Barrau, sur l’idée des multivers. A l’Institut de Physique Théorique du CEA. Avec un détour important par la philosophie, au début...  https://www.youtube.com/watch?v=sKsiJgYUG50

VIDÉO. CONFÉRENCE (TEDx) en 10 minutes. Passionnante et claire. "Univers parallèles et révolution quantique". Par le physicien Christophe Galfard, qui fut doctorant avec Stephen Hawking…  https://www.youtube.com/watch?v=J8PEymuDf6A

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LIVRE MULTIREVES.jpgExpérience de pensée, expérience de création. Un LIVRE... "Théorie des MultiRêves". Écrire le "vertige de faire face à  l’impossible, l’impensable, l’infigurable". Voilà ce que fut l’enjeu, pour l’écrivain Jean-Philippe Cazier… 

A partir d'une "matrice scientifique" fournie par Aurélien Barrau, auteur, notamment, d’un livre sur les univers multiples, dits multivers (hypothèse scientifique troublant notre conception du temps et de l’espace…), écrire (mais pas pour un compte-rendu de lecture, pour tout à fait autre chose : une métamorphose de pensée - et donc d'écriture). On est entre science et projection onirique quand on saisit cette possible réalité… Le résultat, ce livre, "Théorie des MultiRêves", a été publié par Dis Voir éds., coll. "Contes illustrés pour adultes". Ce que cette proposition a fait naître est une oeuvre très poétique. 

A lire, la présentation sur Diacritik, excellente recension… Par Lucien Raphmaj, 2017... https://diacritik.com/2017/09/19/jean-philippe-cazier-the...

A lire aussi, sur Diacritik, un entretien avec Jean-Philippe Cazier au sujet de cette expérience de création. "Penser c’est inclure l’étranger en soi" (L'étranger, c’est à la fois le sujet du livre, et le triangle des créateurs : le scientifique, l’écrivain, l’illustrateur. Mystère de la présence de ces univers multiples, écho des pensées autres, intégration de l’étrange en soi)... https://diacritik.com/2017/12/21/penser-cest-inclure-letr...

Cette mise en situation d’une épreuve d’étrangeté, c’est ce que nous devons faire aussi.

Que ce soit pour accueillir la possibilité de l’hypothèse des multivers, des univers parallèles, même. Ou que ce soit pour s’interroger au sujet des synchronités qui ont été le fil à dérouler de cette entrée dans "l’impensable".. 

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Mise à jour 11-05-19
 
"Dieu écrit avec les bactéries et les galaxies".
Val del Omar (cinéaste espagnol, et poète, qui rejoint ici la parole de Jorge Luis Borges, texte mis en exergue du blog de Jean-Pierre Luminet, sur "cet objet secret et conjectural"… "l'inconcevable univers").
 
L’astrophysique (ou la contemplation du cosmos…) mène à des questionnements qui dépassent la pensée au ras du sol, prise dans les habitudes d’un quotidien ordinaire… Cela rejoint la volonté de sortir d’une rationalité limitante, pour accepter d’affronter les questions de l’absolu, ce que font souvent les scientifiques de l’univers, ceux qui étudient l’espace et ses mystères. Quand on accepte cela on est moins étonné aussi par les phénomènes synchrones.
De Jean-Pierre Luminet, astrophysicien et poète, lire
ceci
: "La poésie dit beaucoup avec peu de mots. Les mathématiques
aussi".
Et ceci : "Le but de l’astrophysique est d’explorer
le cosmos. Or le philosophe Gaston Bachelard évoque justement
la double profondeur du cosmos et de l’âme humaine, elle-même
thème de prédilection de la poésie". Et "Lire de la poésie,
pratiquer l’art en général, permet une fertilisation
souterraine de l’esprit."
Entretien.. 
- Le Temps.ch..
https://www.letemps.ch/sciences/jeanpierre-luminet-poesie... 
A propos de son BLOG "Luminesciences" Jean-Pierre Luminet précise son intention au sujet du partage de ce qui le passionne. C'est "à l’intersection de la science, la littérature, l’art, la philosophie". En exergue de ce blog, donc, Jorge Luis Borgeshttps://blogs.futura-sciences.com/luminet/
 
Un LIVRE de Jacques Arnould. "Sous le voile du cosmos" / "Quand les scientifiques parlent de Dieu"… http://www.economie-spiritualite-yoga.com/content/sous-le...

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NOTE QUI SUIT : "Synchronicité, suite… LIENS (articles, textes, dossiers, recherches universitaires, essais, et sites dédiés).

Synchronicité moins impensable maintenant, peut-être, après ces lectures...

Car pour envisager que des synchronicités (que nous pouvons constater dans nos vies), ne sont  pas seulement le pur produit de hasards sans signification (et totalement indépendants de notre pensée, de notre conscience, de notre énergie), pour commencer à oser penser cela, il faut aussi pouvoir concevoir que des informations circulent entre nous et le réel d’une manière qui n’est pas celle que notre conception limitée de l’univers ne peut laisser imaginer… Conscience, autre conscience, autre réalité, et autres possibles… 

MC San Juan

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01/04/2019 | Lien permanent

”Comme des marbres issus d'une carrière”... ”La Porte”, recueil de Pierre Perrin-Chassagne

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    Pierre Perrin-Chassagne, La Porte
(Recueil, avec deux photographies de Christine Perrin)
 
tout le trajet à refaire depuis le premier je
comme si l’on devait contempler cette porte à jamais
comme s’il n’y avait pas de porte
(jamais n’atteindre la mère…)
Roger Giroux, Je / pas encore 
Orange Export Ltd (anthologie), Flammarion, 1986 (Relisant les pages de Roger Giroux dans cette anthologie, alors que ma recension était achevée, j'ai été frappée par les éléments qui rejoignaient la thématique de ce recueil). 
 
Poèmes en prose, inscrits dans la lignée des poètes prosateurs. Avec des fulgurances intérieures qui auraient pu offrir des vers pour l’Anthologie du vers unique de Georges Schehadé
Dans ce recueil de Pierre Perrin, La Porte, deux parties. D’abord douze poèmes d’un recueil épuisé depuis longtemps, La Vie crépusculaire (Cheyne éditeur, 1996). Puis choix de textes d’un recueil en chantier, Des jours de pleine terre. Alternance de fragments narratifs et de « morceaux » méditatifs. 
L’épigraphe évoque le silence, qui est et qu’on brise. Manière de dire que publier des poèmes c’est lancer une bouteille à la mer que peu ouvriront pour lire le message, la poésie étant souvent celle que « nul ne lit ». D’autant plus si les livres sont épuisés. Or, quand on regarde la bibliographie de l’auteur (elle emplit deux pages) on voit qu’il y a environ cinquante ans de publications chez divers éditeurs. Ses recueils, mais pas seulement. Des études, dont une au très beau titre (« Les caresses de l’absence chez Françoise Lefèvre »). Des anthologies. J’apprécie cela. Écrire c’est bien, mais inscrire ses lectures et en laisser des traces, c’est essentiel. Je le fais avec mes recensions et j’aime quand ceux qui écrivent savent dire qu’ils lisent et comment ils lisent. D’autant plus que, quoi qu’on puisse en penser, la poésie a besoin de traducteurs. J’écris « traducteurs », car c’est effectivement un travail de décryptage d’une langue à une autre, qui se fait dans la même langue pourtant.Un enseignement nécessaire qui se prolonge au-delà des études (courtes ou longues) des lecteurs potentiels. Lui l’a fait aussi comme chroniqueur critique (NRF), l’a fait et le fait comme revuiste (papier puis web).
 
Les titres (bibliographie et ce recueil), il en a le sens. Ils ouvrent un seuil, on devine l’axe possible, les thématiques qui pourraient être traitées dans ce qui suit. Je suis très attentive aux titres (poèmes, livres) : je peux lire un livre pour le titre, ou au contraire ne pas en avoir envie, à cause du titre. Un titre doit éveiller la curiosité. (Mais j’aurais peut-être préféré que la liste des livres sépare les catégories différentes, en maintenant l’indication chronologique, qui est le choix, là, pour l’ensemble : poésie, récits, notes et carnets,essais. ) 
 
J’ai remarqué quelque chose d’important, la présence de plusieurs recueils co-créés avec des peintres, dessinateurs, photographes. Signe que le visuel est une dimension qui compte pour lui. 
 
D’ailleurs la couverture est une photographie. La mer, la côte, les nuages et le ciel. Du bleu. Le titre, La Porte, sur ce bleu, prend le sens de l’ouvert, pas de la clôture. Symboliquement, le bleu serait une couleur iiée au spirituel, au détachement qui élève, à une vacuité atteinte -- pas le vide-néant, mais le vide qui remplace les noeuds dont on s’est libéré - par la psychanalyse, ou par un processus de méditant, ou, aussi, par la poésie qui est, quand elle est authentique rapport au langage et travail sur les mots, un scalpel efficace. Le terme « scalpel », pour cette écriture, est tout à fait adéquat. Il fouille, triture, brise et coupe. Cruel avec lui-même. L’objectif est la plénitude (chemin de soi et pour soi, mais chemin partagé avec une jumelle d’âme : c’est ce qui apparaît).  
L’autre photographie de Christine Perrin est en noir et blanc. Elle sépare les deux parties du livre et représente une porte, écho du titre et du premier poème, métaphore des questions posées par les textes. Pierres, ruines, verticalité. Et mise en abyme. Une porte suit une porte, et notre imagination complète la profondeur de l’espace, au-delà d’une voûte sombre. Vers où fouiller ses ombres et celles de tous, humains capables d'indifférence ou de haine, de violence fanatique ou gratuite. Tout cela est évoqué dans les textes.
 
Puisque j’ai parlé de la bibliographie je dois ajouter que le titre du récit qui est mentionné dans la quatrième de couverture est « Le Cri retenu ». Dialogue avec une mère morte, « la » mère. À lire pour éclairer autrement la « matière » poétique. Ce sont les premiers textes que j’ai découvert de lui. Scalpel, encore.
 
Ce que je regarde souvent, dans un livre, ce sont les exergues, les citations, évocations… Car cela donne des clés. Comme un commentaire indirect de ce qui est écrit, une mise en profondeur. Et connaître les références invoquées révèle des proximités, une lignée. Donc quels sont les écrivains qu’on retrouve ici
René Char, d’abord, auquel il consacre un poème (p. 25), « Gisant debout ». Le titre est déjà l’hommage. Et je relève : 
« Il est plus grand que son corps d’homme sous la terre. », «  un paysan du cosmos », «  Le lire c’est l’aimer ; l’aimer c’est le relire non plus en aveugle ni à genoux, mais pour le grain de son poème. »  
Puis, p. 31, en exergue à un texte sur la poésie, Ramuz : « Le poète immobilise l’espace ; il tâche de le guérir de sa maladie qui est le temps ». Espace et temps, maya, illusion, pour les sages… La poésie serait-elle un outil pour l’éveil, elle qui « précède la pensée » ? Éveil au sens jungien de l’individuation réalisée, ou au sens mystique des bouddhistes ? Ou les deux, successivement ? Car la poésie «  ébranle », «  témoigne... d’une faille intérieure, d’une tectonique de l’impossible. » Poésie qui « propose… des éclairs froids et des cendres. » (J’aime moins cette dernière notation, qui s’associe à la perception du poète comme celui qui est «  l’instrument » dont joue un archet. Vision sombre, là.) Contredite par le poème sur René Char. (Char, solaire, même .) Donc les deux faces de sa pensée sur la poésie. 
Enfin, je retiens la citation de Jean-Paul de Dadelsen : « La terre apprise avec effort est nécessaire ». Car je suis ravie de le trouver là, ayant une passion pour cet auteur d’un seul livre, et livre posthume, « Jonas », établi grâce à sa femme. Pierre Perrin a choisi un vers du poème que Camus fit publier dans la NRF, Bach en automne. Camus, qui était son ami, devait publier le livre de Dadelsein (dont seuls quelques poèmes étaient connus), mais à sa mort la préparation n’était pas achevée… Je ne suis pas étonnée par cette concordance. Les presciences de Jean-Paul de Dadelsen font écho chez Pierre Perrin. Et ce mot, « effort ». Cela en exergue d’un texte, « Partir », qui commence par poser la question de « l’espérance en désordre » qu’il faudrait savoir « entrer de force dans notre vie ». Car ce n’est pas naturel et facile, pas évident. Quand il y a les douleurs, les ruptures, la mémoire, les deuils. Quand « chaotique est notre ascension ». Et qu’il y a l’amertume qu’on « renifle, crache », la mort, qui est « un compost », la peur qui « ne résiste pas au monde ». Comment interpréter cette phrase ? Est-ce le monde qui impose la vie contre la peur mortifère ? Ou la peur qui ne sait pas résister au réel, ne sait pas nous protéger des dangers du réel ? J’ai l’impression que c’est tout cela à la fois, paradoxe intérieur. Le mot « résiste » ferait presque oxymore, associé à la peur. La terre, comment ne serait-elle pas rappelée, puisque le poète parcourt un univers très terrien. Et d’ailleurs un texte  porte ce titre, « La terre » (celle qu’on travaille avec les mains, celle qui épuise les corps), texte qui précède «  Partir » et qui pourrait avoir le vers de Dadelsen en exergue pareillement.
Autres auteurs mentionnés, cités : Ronsard, Claude Michel Cluny, La Bruyère (pas étonnant, le livre comporte des portraits, avec cette exigence de vérité dure), Jean-François Mathé (à qui un poème de la deuxième partie est aussi dédié, donc une écriture et une conception de la poésie qui compte : conscience de soi, et conscience du monde, dire et déchiffrer l’énigme du processus poétique que l’écriture permet de penser), Annie Salager, Jacques Réda, George Steiner… 
 
Mémoires d’enfance où se confondent douleur et douceur, ce qui se dit et ce qui se tait. Paradoxes d’une lucidité qui « percute ». Mais l’horizon du rêve, de l’écriture, qui saisit et trace les « fils de lumière ». Avec le risque, mesuré, de ne pas garder en soi le lieu de « l’impossible », « habitat toujours précaire ». Et l’exigence d’une radiographie de lui écrivant.  Retour à la présence de l’autre : une femme aimée, associée à la plénitude, comme dans le message en épigraphe interne.
 
Ce ne sont pas des pages enroulées sur un univers clos. Le bruit des drames du monde est présent. Ainsi, les réfugiés, par le texte sur l’enfant noyé, celui d’une photographie qui a bouleversé le monde entier, symbole d’une réalité terrible, et plusieurs autres notations, dispersées. Ainsi la dénonciation rageuse de la cruauté gratuite envers les animaux. Indifférence aux êtres humains, aux détresses, et froideur émotionnelle devant la souffrance animale. Même cuirasse qui coupe du coeur.
 
Pour conclure, ceci :
« Qu’est-ce que vivre, sinon s’approprier l’infini particulier d’une éclipse de la mort ? »
(Tombeau de papier, p. 87).
 
© MC San Juan
 
LIEN vers le site de Pierre Perrin...
Livres, poèmes, études critiques (nombreuses), revue...
 

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02/07/2019 | Lien permanent

Gilets jaunes... Des ANALYSES, des points de vue, des questions.

« La révolte n’est pas le ressentiment ». ANALYSE de Brigitte Stora, auteur, pour le CCLJ belge (Juifs laïques). Elle décrypte les émotions en jeu, les concepts utilisés (qui traduisent quelle orientation ?), les revendications exprimées (qui signent quelle appartenance idéologique, quelle identité politique ?). Et elle prend en compte les « marges » qui, si on les néglige, empêchent de penser idéologiquement et politiquement ce qui se produit. Comment ne pas voir les dérapages antisémites, racistes, homophobes (tags, slogans, banderoles, violences et mises en question, rejets). Ceci sans jugement globalisant. Mais un courant collectif entraîne des individus qui sont pris dans la force dominante et suivent des « leaders » dont ils ne repèrent pas les composantes réelles, les itinéraires passés et les liens, les influences, les réseaux... 

Dans ce texte elle affirme d’abord une volonté de reconnaître les légitimités et le refus de réduire un mouvement à ses marges : « On ne pourra jamais réduire la colère de milliers de personnes à un mouvement ou à un mot. La complexité, les contradictions, la richesse des êtres humains est toujours plus grande qu’une définition politique. La plupart des revendications des Gilets Jaunes sont légitimes et on ne peut se détourner d’une cause en raison de ses écarts. » Mais elle refuse aussi de croire que le début avait une « pureté » idéale : les dérives étaient là tout au début. Présents, la haine, le populisme, le complotisme. A l’injustice de la violence sociale la réaction n’est pas une critique des excès du capitalisme mais, dit-elle, une « réplique » utilisant la violence en miroir sans perspectives sociales, économiques, politiques. Rejet des institutions et des partis, rejet des élites (pas celles des grands profits, pas un capitalisme cynique, non, mais les intellectuels et les politiques élus).

Les « valeurs d’émancipation » ont été moquées (« Droits de l’hommisme », « bons sentiments » et « bien-pensance ».  « Pourtant la colère populaire sans les valeurs d’émancipation, sans les organisations qui les ont portées, n’est hélas le plus souvent que la possibilité du fascisme. » 

Elle cite Albert Camus, « L’homme révolté », avec une phrase essentielle (alors qu’elle a été citée ailleurs à contretemps, confondant Histoire et actualité). Cette phrase, au contraire, parle de processus généraux, répétitifs, réalités valables à toutes les périodes de l’Histoire : « Quand le ressentiment supplante la révolte », écrivait Albert Camus dans L'Homme révolté, « alors l’on voit se lever partout la cohorte ricanante de ces petits rebelles, graines d'esclaves, qui finissent par s'offrir, aujourd'hui, sur tous les marchés d'Europe, à n'importe quelle servitude ».’

En conclusion elle note que « La haine ne signe aucune authenticité autre que celle du fascisme. » Après avoir insisté sur le fait que le plus grand mépris des manifestants Gilets jaunes est celui qui ne dénonce pas les dérives (comme si cela était part d’eux, de cette partie du peuple qui se veut (à tort) tout le peuple. Or dénoncer ce qui devait l’être (dont le cadre de l’ensemble, la dominante complotiste qui va avec les restes des failles), cela a toujours été, depuis des semaines, pris comme mépris... http://www.cclj.be/node/12270

Un regard extérieur, L’Orient le jour. Le mouvement vu du Liban… https://www.lorientlejour.com/article/1146462/democratie-...
Un questionnement, venu de Belgique; Le Soirhttps://plus.lesoir.be/199128/article/2019-01-07/gilets-j...
« L’urgence démocratique commence par le bas… », 
The conversationhttps://theconversation.com/gilets-jaunes-lurgence-democr...
La FOULE, les MOUVEMENTS de MASSE… Et le risque de la haine. Libération… https://www.liberation.fr/debats/2018/04/11/le-but-c-est-...
« L’antifascisme n’est pas une option », 
Le Mondehttps://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/15/sarah-kil...

DÉNONCER CE QUI DOIT L’ÊTRE… Cela s’est fait à partir d’enquêtes, investigations, observations, analyses. Et la simple attention à ce qu’on pouvait lire sur des pages ou entendre lors d’entretiens, de prises de parole (y compris à la télévision), cela suffisait pour faire des constats inquiétants.

Parcourir cette page pour prendre la mesure de l’influence des thèses complotistes chez les Gilets jaunes, Conspiracy Watch… https://www.conspiracywatch.info/etienne-chouard-gilets-j...

Un décryptage nuancé, Les Décodeurs, Le Monde. Vérification de 74 infos sur les PAGES Facebook des Gilets jaunes. 24 problématiques, les autres assez correctes. Mais les problèmes portent sur des sujets centraux, la répression et la « censure »… https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/31/d...

L’univers idéologique des Gilets jaunes…
Plongée au cœur des PAGES Facebook des GJ, Le Monde… Une France qui se sent humiliée, pas vraiment antisémite, raciste ou homophobe, mais dans la défiance des élites : « sentiment de persécution » et tendance au complotisme… https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/01/30/p...

Autre plongée dans l’univers des COMPTES Facebook des Gilets jaunes, Le Nouvel Observateur (une enquête faite par un journaliste pour la Fondation Jean Jaurès… Le constat est : « édifiant »... https://www.nouvelobs.com/politique/20190111.OBS8351/plon...

La démarche de ce décryptage, sur le site de la Fondation Jean Jaurès… https://jean-jaures.org/nos-productions/en-immersion-nume...

De nombreuses questions se posent. Dont celle des ingérences étrangères supposées (sans que la genèse du mouvement soit attribuée à des influences externes : il a sa logique et sa dynamique, avec ses causes et revendications). Mais des faits interrogent. Dont le constat sur l'activité intense de trolls russes et l'influence de sites comme Russia Today, RT, ou Sputnik. Lire l'investigation d'une journaliste finlandaise sur l'usine à trolls de Moscou... https://m.usbeketrica.com/article/les-ambitions-des-troll...

D'autre part Bannon s'installe à Bruxelles où il a un bureau et se déplace beaucoup en Europe pour soutenir les extrêmes droites. Avec M. Le Pen dans son sillage. Autre direction, même extrémisme... (Et les divers nationalistes européens soutiennent les GJ, s'affirmant en phase avec ce mouvement)... https://www.huffingtonpost.fr/2018/12/08/paris-brule-se-r...

Qu'y a -t-til derrière le RIC ? Des revendications de partis extrémistes et le militantisme ancien d'Étienne Chouard, apprécié par de nombreux Gilets jaunes. Or penser un référendum cadré pour respecter les institutions, ou rêver d'un outil pour destituer le gouvernement élu ce n'est pas la même chose. Et c'est là qu'il y a fracture entre des GJ démocrates - qui veulent améliorer la participation et rendre cette démocratie plus juste, notamment fiscalement - et des factieux (car comment le dire autrement ?) qui ne veulent pas de réformes, pas de débat, pas de démocratie représentative. Pour situer ces fractures, voir qui est ce personnage adulé par les plus  réfractaires à tout dialogue, Chouard. Lire ceci... Conspiracy watch... https://www.conspiracywatch.info/pour-francois-ruffin-eti...  Et lire cela, Huffingtonpost... https://www.huffingtonpost.fr/2018/12/19/etienne-chouard-...

Autre question, la violence. Celle des casseurs (venus pour cela, ultras), mais aussi celle de certains Gilets jaunes qui légitiment le fait d'incendier, détruire, agresser, bloquer. Et la violence verbale. Mots de haine (racisme, antisémitisme, homophobie, haine des élites, menaces). Pas une majorité, mais suffisamment pour faire nombre et inquiéter. Autre forme de violence, la durée qui coûte cher à tous, économiquement. Et la violence des armes utilisées pour maintenir l'ordre, non létales mais dangereuses (A Bauer lui-même a exprimé un désaccord). Dans un contexte où la police est exténuée par des semaines très dures et face à des gens qui viennent affronter (pas tous, non, mais trop). Un médecin a lancé une demande de moratoire. C'est à discuter... Il faut des solutions de remplacement.

Enfin, reste la réflexion que chacun doit avoir sur les perspectives. Un débat est proposé,et commencé . Peut-être même une consultation (...?). Si la société civile se saisit des outils qu'elle a, et des outils qui sont proposés là pour participer, beaucoup de pistes peuvent être ouvertes... (Pour plus de justice sociale - même si la France distribue plus que d'autres, des inégalités évidentes demeurent, précarité et travail insuffisamment reconnu, alors que des PDG ont des traitements indécents bien au-delà de ce qu'il faut pour vivre dans un luxe acceptable. Pour une fiscalité revue. Pour la laïcité respectée et les fondamentalismes combattus. Sans oublier les problèmes du logement, et le sujet de l'écologie...) MAIS en espérant que ce soit autrement que dans la posture de la revendication sans implication, dans l'attente passive de solutions venues "d'en haut". On peut inventer le "possible"... Cela passe par soi-même, pour chacun.

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03/02/2019 | Lien permanent

1962-2012. GUERRE D’ALGERIE, Histoire, mémoires, présent, et futur à construire. DOSSIER... et LIENS

MONDE GUERRE.png

La presse a marqué l’anniversaire de mars (fin officielle de la guerre d’Algérie, mais pas des drames et des morts). L’indépendance, c’est après, et l’exode, c’est plus tard, l’été. J’ai lu, bien sûr, parfois avec une impression d’overdose (apprendre encore, apprendre, comprendre ? Ou réactiver des émotions ?). Parfois avec le sentiment, au contraire, d’un manque (tant de choses non dites, mal expliquées, refoulées, occultées).

J’ai mis du temps avant d’acheter le hors série du Monde, « Guerre d’Algérie, Mémoires parallèles ». D’abord à cause du titre. Parallèles, ces mémoires, vraiment ? Parallèles seulement ? Parallèles, lesquelles ? Algérie et France ? Mais quelle Algérie et quelle France ? L’Algérie du peuple ou l’Algérie du pouvoir ? La France métropolitaine ou celle des mémoires des natifs d’Algérie exilés ? Mémoires des historiens, des acteurs, ou des témoins ? Pays de 1962, ou pays actuels, en 2012 ? Oui, le numéro présente des mémoires parallèles, globalement. Mais les mémoires croisées de ceux qui veulent entrer dans la mémoire de l’autre, tout en assumant la leur, où sont-elles ? Je n’ai pas retrouvé tout à fait dans ce sommaire la force des problématiques posées avec tant d’humanisme lors de la conférence sur mémoire et histoire au Forum des images (voir ci-dessous, programme et bilan, deux notes). Mohammed Harbi, cependant, évoque la possibilité de mémoires partagées (pas encore communes, mais partagées).

Autre chose m’avait gênée, quand j’avais entrouvert le journal pour regarder rapidement l’avant-propos. Dès le début, une citation de Sartre, lui qui appelait au meurtre terroriste dans sa préface au livre de Frantz Fanon (ce qui avait scandalisé Jean Daniel). Sartre parlant de névrose au sujet de la France… on a les références qu’on peut… Mais le reste du texte de Michel Lefebvre pose d’une manière correcte la question des mémoires qui ne se rencontrent pas, dans cet avant-propos qui tient lieu d’éditorial…

 J’ai donc lu. En commençant par la fin : la bibliographie. Je la trouve très insuffisante, il aurait fallu deux pages. Ce qui manque semble correspondre à des choix, une vision partielle ou partiale : d’autres titres auraient pu rendre compte d’une réalité plus complexe. Benjamin Stora est omniprésent, et d’autres à peine évoqués, ou pas du tout (Cf. letexte de Roger Vétillard, mentionné plus bas, à propos de La Déchirure : même questionnement). Peu d’Algériens, peu de Pieds-Noirs. Pas de sites, la Toile est négligée : pourtant bien des adresses auraient pu être données, bien des pages indiquées (ne serait-ce que l’INA, mais pas seulement…). Absence de l’apport de la littérature (une bibliographie sans Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Albert Camus, Jean Pélégri, René-Jean Clot, et tant d’autres). Pas de filmographie… 

J’ai apprécié la publication du texte d’Albert Camus, sa « Trêve pour les civils », appel de 1956. J’ai lu les articles sur la torture, les viols (et la page, sur le poignard de Le Pen : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/16/le-grand-blond-au-poignard_1669337_3212.html ), les pages sur Jacques Chevallier, éclairantes aussi sur l’OAS (et je note qu’un livre sur lui va paraître en mai, «J. Chevallier, l’homme qui voulait empêcher la guerre d’Algérie », de José-Alain Fralon). L’entretien avec Mohammed Harbi est riche d’informations, et il y montre un esprit qui rejette le sectarisme, les visions figées : « La colonisation est un fait historique et social. Elle est ambivalente dans ses manifestations et c’est une erreur de dire qu’elle a été globalement positive ou globalement négative. » (Là il renvoie dos à dos les ultras de tous bords, extrémistes de droite ou de gauche). J’ai été intéressée par les témoignages, et notamment l’article sur Ali Aissaoui, fils d'ancien harki. Et j’ai aimé retrouver Jacques Ferrandez et ses BD. Mais je trouve qu’il manque des éclairages importants. Peu ou pas d’antériorité historique (un peu comme El Watan le reproche à La Déchirure : voir ci-dessous). Pas de présence collective des populations qui vivaient en Algérie, la complexité du sentiment d’appartenance à cette terre, la complexité des liens. Absence des « petits », des humbles et des pauvres. Rien ou presque sur la réalité coloniale, avec ses aspects divers – faits sociaux et culturels, injustices et apports. Et pas de questionnement au sujet du terrorisme (comme c’est fait à juste titre pour la torture). Les attentats contre les civils ont juste une place dans la chronologie…

Dans son texte sur les mémoires sous tension, B. Stora évacue d’une phrase la question du mur des victimes du FLN (Disparus), comme si c’était un facteur aggravant des tensions actuelles, comme si ces victimes n’avaient pas droit au respect, et leurs familles à un  lieu de recueillement… (Des controverses les avaient d’ailleurs assimilés à des activistes, ce qui est faux. Laissons les activistes avec les activistes et ne mélangeons pas tout…).

Un passage d'un texte (historienne, Sylvie Thénault) m'a interpellée. Idées reçues sur la guerre. Notamment une. Le fait qu'on ait confondu le rejet du FLN (pour ses méthodes, la terreur) et le rejet de l'indépendance. C'est une idée fausse qui perdure, oui. Mais de la même manière on confond l’anticolonialisme avec des pensées qu’on lui associe et qui n’ont pas à l’être. L'Histoire ne pouvait amener qu'à la fin de toutes les colonisations, quelle que soit leur forme (mais des colonisations continuent à être justifiées, cf. Tibet/Chine, pour ne donner qu’un exemple). Cependant refuser par principe le fait de coloniser ne force pas à penser le passé comme s’il se déroulait en 2012 : la conscience a changé dans les démocraties. Ces prises de conscience doivent être assumées par les pays, donc la France métropolitaine, dont les pouvoirs ont décidé de coloniser. Dénoncer le fait colonial ne doit pas devenir une condamnation des populations immigrées venues vivre et naître dans telle ou telle colonie. C’est pourtant ce qui se fait en France : les Pieds-Noirs sont utilisés comme alibi pour un déni historique (qui donc a colonisé si ce n’est la métropole des Français ? sûrement pas les immigrés espagnols ou les communards expulsés de force, ni les Alsaciens réfugiés, ni les Juifs berbères là depuis toujours… !). Jean Pélégri le disait bien dans son livre « Ma mère l’Algérie », on jettera l’opprobre sur les Pieds-Noirs qu’on accusera de tous les maux : habitude des métropoles, notait-il… Et penser la colonisation ne doit pas devenir (comme c’est souvent le cas) une sorte de catéchisme rigide posant des cadres où toute complexité des faits ne peut qu’échapper…            

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INFORMATIONS :

1830-1940 : "Un siècle de passions algériennes, Une histoire de l'Algérie coloniale", somme de Pierre Darmon : http://www.lepoint.fr/culture/2009-11-29/l-algerie-des-pa...

Guerre d’Algérie, fiche wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d'Alg%C3%A9rie

Chronologie, sur linternaute.com (quelques repères) : http://www.linternaute.com/histoire/categorie/49/a/1/1/histoire_de_la_guerre_d_algerie.shtml

Livre. « Que sais-je ?». La guerre d’Algérie, par Guy Pervillé : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=107

Le camp de LODI. « Le camp des oubliés », Nouvel Observateur, 2010  (Centaines de Pieds-Noirs indépendantistes arrêtés) :   http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20100318.OBS0307/lodi-le-camp-des-oublies.html

La Déchirure, documentaire France 2, de Benjamin Stora et Gabriel Le Bomin, avec la voix de Kad Merad.   Lire l’article du Parisien (Kad Merad raconte la guerre d’Algérie) : http://www.leparisien.fr/tv/kad-merad-raconte-la-guerre-d-algerie-11-03-2012-1899832.php  La qualité de ce documentaire n’est en général pas mise en doute, le sérieux de l’entreprise, mais il y a des controverses entre historiens français autour  de ce documentaire. Cf. Benjamin Stora et Daniel Lefeuvre : http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2012/04/10/23971171.html  Ou Roger Vétillard, qui met en question l’omniprésence de Benjamin Stora, et exprime quelques réserves concernant le film...  La réception en Algérie est assez critique (El Watan pointe la limitation du film à un axe qui occulte l’antériorité historique).

Dossier "Guerre d'Algérie'", sur Herodote  https://www.herodote.net/Guerre_d_Algerie-synthese-319.php 

« Fin de la guerre d’Algérie : le massacre d’Oran reste dans les mémoires » https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_du_5_juillet_1962  

Enlèvements, Disparus. "Les Pieds-Noirs ont-ils été abandonnés par la France?", Le Point, 25-01-12 :  http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/francois-guil...

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La tragédie des HARKIS...

Documents sur le site de l'association AJIR pour les harkis : http://www.harkis.com et sur le blog d'Harkis et droits de l’hommehttp://ahdh.blog.lemonde.fr

Harkis. VIdéo INA : http://www.ina.fr/video/CAA8200509301/les-harkis.fr.html 

L'EXIL. Texte de Serge Molines, sur Algérie-Pyrénées : http://www.algeriepyrenees.com/article-algerie-mon-amour-... 

Comment l'idéologie (des uns et des autres) déforme la réalité historique, jusqu'à nier des faits (massacres) ou à changer la réalité des causes (cf. Pierre Daum et son analyse idéologique haineuse de l'exode des Pieds-Noirs). Lire cette note au sujet des massacres de Harkis : Apprentis historiens (et manipulateurs), un article intéressant sur Harkis et Droits de l’homme : http://ahdh.blog.lemonde.fr/2016/04/02/les-harkis-la-2-cv... 

Sur les PIEDS-NOIRS... 

Les Pieds-Noirs, 50 ans après, Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/01/27/01016-... 

Pied-Noir (wiktionary) : https://fr.wiktionary.org/wiki/pied-noir 

Note historique, dossier Migrations, Pieds-Noirs (7 pages) : http://migrations.besancon.fr/quitter-son-pays/rapatries/... 

Fiche wikipedia, Pieds-Noirs : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pieds-noirs

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12/04/2012 | Lien permanent

Leo Zelada, Transpoétique. Anthologie poétique et inédits, éds Unicité

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esprit de la nuit

conduis-moi sur le chemin du feu

qui dévore et purifie tout

Machu Picchu, Transpoétique, p.20

Maître, comment atteindre la sagesse ?

Brûle le papier, la plume et le bâton

Koan de l’illumination, Transpoétique, p.34

Le monde regorge de signes pour qui veut voir. Mais c’est un brouillard si épais ce soir…

Dark Poetry, Transpoétique, p.59

Leo Zelada, Transpoétique. Anthologie poétique et inédits, éds. Unicité, 2022. Trad. Laura Magro Peralta et Maggy de Coster

 

Transpoétique, de Leo Zelada . Intéressant, ce titre de l’anthologie (qui reprend celui d’un des recueils de l’auteur), car suggérant étymologiquement une traversée de l’œuvre au-delà du poétique, et vers le poétique authentique, il dit aussi autre chose de la démarche du poète, dont l’écriture est une incessante traversée, en aller-retour intérieur, d’un continent à l’autre. Parcours intime de l’identité ancrée dans une mémoire et nostalgique d’une langue effacée, d’une culture trahie.

Car Péruvien aux ancêtres amérindiens (dynastie Inca) il est un poète du double exil. Au Pérou la colonisation espagnole a fait perdre bien des traces et voué les descendants des premiers habitants de ces terres à un douloureux renoncement. Et c’est pour lui une blessure que savoir écrire dans la langue du colonisateur. Même s’il la fait sienne et peut-être la travaille pour y faire entrer une autre structure et la mémoire d’autres mots. Le lisant je pense à ce que disait Kateb Yacine du français,  butin de guerre. Même sans victoire la langue peut être un butin. Le deuxième exil est l’éloignement de la terre native vers l’Espagne. Le titre est à comprendre aussi en tenant compte du poème titré Bref Énoncé pour une Théorie Unifiée du Poème. La traversée est ici intérieure à l’écriture du poème, où il est lui et un autre (contraire), en des univers parallèles, dans la tension entre univers de mots et absence de mots. Transpoétique, synonyme d’exigence, car écrit-il dans le poème Dark Poetry, Je n’aime pas la plupart de la poésie actuelle. Tant de poètes sur internet (…) et si peu d’authenticité dans leurs poèmes. Je partage cet avis, l’ayant déjà exprimé ici au moins deux ou trois fois. Le facile partage du clavier n’encourage pas la limitation, le silence et le retrait. C’est aussi vrai pour des publications papier (et l’auto-édition aggrave cela).

La blessure linguistique et l’errance voulue dans la mémoire correspondent à ce qu’un autre livre a traduit magnifiquement, et qui pourrait intéresser Leo Zelada. Nezahualcoyotl, livre de Claude Beausoleil (voir ma note sur les publications de l’atelier Vincent Rougier, coll. Ficelle). L’auteur, Canadien du Québec, passionné par la poésie mexicaine, a rendu hommage, en poèmes, à ce prince et poète du XVème siècle. Nezahualcoyotl est un personnage réel, encore révéré au Mexique. Je l’associe à Pachacamac auquel se réfère Leo Zelada, même si c’est un dieu fondateur, fils non d’humains mais de la lune et du soleil (ce qui explique leur présence presque sacrée dans plusieurs poèmes de cette anthologie). Autre dieu créateur, Wiracocha (dieu de la foudre et des tempêtes), que l’auteur fait se promener symboliquement dans Madrid, compagnie d’exil pour interroger l’Inca Garcilaso (cet écrivain péruvien, de mère inca, écrivit l’histoire des Incas, et mourut en exil en Espagne, Cordoue, en 1616). Qu’a fait l’Inca Garcilaso pour guérir de l’agonie de son exil ?. Je note un autre sens, particulier. Wiracocha (ou Viracocha) est aussi le nom d’une divinité indienne (Inde) et d’un chakra (un centre énergétique dit source du sacré), étonnant hasard (ou lointain voyage de mots venant du sanscrit)...

Ce n’est pas étonnant que Leo Zelada trouve en Paris un lieu transférentiel, et y vive de plus en plus. Une autre langue, un autre espace, une affinité avec cette singulière lumière parisienne (ceux qui aiment cette ville y reconnaîtront leur ressenti). Ainsi il peut faire encore une autre traversée, opérer un détachement, et découvrir en lui un écho, un processus libérateur.

Avant de lire ce livre, lire la biographie (p.77). On voit déjà que l’écrivain qu’il est ne pourra être classé dans une catégorie d’auteurs (c’est d’ailleurs ce qu’il fait comprendre dans Dark Poetry). Mais, emprunt au titre d’un de ses livres, il serait un dernier nomade, libre de ses voyages, de ses transgressions littéraires, de ses contradictions, refusant les chemins balisés. C’est un libertaire écorché vif, tendu entre ombre et lumière, comme Jim Morrison auquel il consacre un poème (lui dont je sais que, depuis un événement d’enfance, il était très attiré par la culture amérindienne et le chamanisme - mais il n’a pas trouvé les repères lumineux qu’on déchiffre dans les textes de l’auteur de Transpoétique).

Il y a aussi en Leo Zelada de l’Asie. Le nom de son blog, Journal du Dragon, évoque autant le mythique dragon porteur de feu, qui peut figurer le feu du soleil inca, que le dragon chinois, représentation de la puissance. (Et justement ma recension précédente, ici, le met en bon voisinage – le hasard sait faire signe). L’Asie… Référence présente depuis longtemps, comme le montrent les cinq  titres extraits du recueil Le chemin du dragon (La Senda del Dragón, Madrid 2008). Chine et Japon, Tao et Zen. Du poème d’hommage à l’immortel exilé Li Po (Li-Tai-Po), au superbe Koan de l’illumination.

Son écriture crée une tension entre la poésie de sombres bardes nocturnes, qui exprimeraient leur révolte et leurs contradictions, et la lumineuse et nue expression des poètes grands sages à la mesure d’un Li Po. Il y rencontre sa part mystique (même si le terme n’est peut-être pas tout à fait approprié, ou mériterait d’autres développements). Et le poème du Koan de l’illumination contient cinq questions que les maîtres zen ne renieraient pas et qui révèlent une profondeur de conscience qui éclaire toutes les autres pages…

Itinéraire… je hais la nuit écrivait-il dans Dark Poetry (poème d'un recueil de 2016).

Et, plus loin, dans un poème inédit (un texte 'parisien'…)

                 J’avais peur de la nuit

                 et maintenant moi je suis le bohème,

                 moi je suis la nuit.

Mais là, le nocturne n’est pas le sombre.

L a solitude est très fréquemment mentionnée. Est-ce l’exil ou une réalité intérieure dépassant les circonstances ?

derrière l’océan

un homme seul attend

L’espace de l’océan est ce qui déchire le reste des racines déjà arrachées.

Qu’est cette solitude indéfectible évoquée avec le souvenir désert de Sechura et les sables de Topaze ? S’impose-t-elle douloureusement ou n’est-elle que le résultat d’une irréductible volonté intime d’échapper aux masques de la communication artificielle, une nécessité éthique inséparable de la démarche du poète ?

Car… ne pas se fier aux apparences.

                                                                  Enfin, un homme

Faisant du vélo dans un paysage désolé n’est pas seulement l’Image      

d’un homme marchant dans un paysage désolé.

Mais si La solitude n’est pas notre destin, elle est froide comme l’hiver de l’Europe, ses silences, ses métaphores brisées. Et elle rend nostalgique de douceurs d’enfance.

Exercice de lucidité, questionnement existentiel, l’auteur interroge. Même s’il relie la solitude à l’exil et à la nostalgie, il déplace le questionnement.

La solitude est une plage déserte que l’on fabule pour ne pas accepter notre vide.

Certes l’exilé vit la séparation par la cassure identitaire. Mais il échappe à cela quand il cherche ailleurs des références et une pensée qui écartent ces amertumes, et c’est sa part d’Asie. Évoquant Pachacamac il posait une question philosophique et spirituelle à la fois.

où est l’abîme sacré

de l’éternel et du perdu ?

Cependant l’exil revenait encore, sujet de tout un poème,

Wiracocha se promène au pays des dieux blancs

Conscience d’une lignée presque éteinte, d’être l’un des derniers vestiges d’une grande splendeur, d’un complexe rapport à la langue, pour faire entrer dans les poèmes la langue de mon sang, et d’être un étranger sur les terres de Castille.

Ce travail sur la langue, venu des profondeurs, c’est Sisyphe roulant infiniment sa pierre. (Mais, dit Albert Camus, il faut imaginer Sisyphe heureux). Heureux, de vaincre l’angoisse, et parce qu’il y a une réponse à la question Que faire quand l’abîme vous attend lorsque vous fermez les yeux (…) ?Même si on se demande si on est

Le héros absurde qui refuse inutilement d’abolir la mémoire.

La réponse c’est Écrire de la poésie. Écrire de la poésie. Même si les mots sont vides de sens.

Oui, Jean-Pierre Siméon l’affirme, La poésie sauvera le monde… Et sauve celui qui écrit, Leo Zelada en est conscient pour lui, car elle a pouvoir de rendre du sens aux mots.

Relisant encore j’ai noté la répétition du mot suicide. Celui du dieu-père ancestral Pachacamac, jeté à la frontière intolérable du suicide. Celui de Jim Morrison, annoncé (même si dans les faits on pourrait plutôt parler de conduite suicidaire, une destruction de soi). Celui, proche, Suicide éternel d’une vie perçue comme mourante.

Crépuscule désespéré sur le point de s’éteindre.

Mais aussi cette frontière reconnue par le regard de junkies dans le poème L’Étreinte de la Nuit, comme une fuite métaphorique hors de soi.

Et simplement conscience du chemin inéluctable qui mène, lui et tous,

 à l’abolition totale de mon corps

 à la fin de mes morts

 ou / ma libération définitive.

Il y a ce jeu avec la mort d’une course ivre sur l’autoroute, cherchant désespérément la nuit (Dark Poetry). Mais dans le même poème s’exprime l’idée que la fin de l’attente rend la chance possible. Dans Le mythe de Sisyphe c’est aussi l’aboutissement de la réflexion proposée par Camus contre la tentation du suicide. Ne pas espérer annule le désespoir.

Il y a donc de la tristesse dans bien des pages. Mais pas d’apitoiement su soi. Cela, il y voit un piège. Et la tristesse est aussi celle des autres (un groupe vu dans un bar, dont l’agitation est un masque) et celle pour les autres, qui rejoint la révolte sociale.                 

Rôde aussi l’ombre de la folie et le voisinage de la souffrance d’Artaud, la peur que le délire anéantisse. C’est un risque, une menace tentatrice, une crainte, une proximité propre à qui frôle des espaces nocturnes. Mais il sait écarter ces ombres. Seulement la poésie me sauvera du délire. Et, même poème, se référant à Bashô il s’imprègne de l’harmonie que le silence permet de percevoir.

Dans ces pages il peut évoquer l’esprit de la nuit, le prier, comme il peut chanter un Hymne au soleil qui dit la conscience de l’appartenance à la terre et au cosmos. Fidèle à sa culture originelle il sait retrouver le lien avec le vivant, et les animaux, se penser homme loup solitaire ou oiseau nocturne ou faucon brun, être accompagné par un corbeau, ou regarder une fourmi sur son livre de Pessoa

Dans le balancement entre obscurité et lumière la réponse est dans le rapport à l’immense. Et dans la force de la poésie.

En cet instant comme de l’eau,

toutes les constellations de l’univers tiennent dans ma main.

Et ceci…

Jusqu’à ce que nous devenions la poésie même, la poussière interstellaire.

Car la poésie a un pouvoir...

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17/06/2022 | Lien permanent

Lionel d'Arabie, de Daniel Saint-Hamont. Livre de mémoire, hommage rendu au père. Orients-éditions

lionel d’arabie,daniel saint-hamont,jean-paul enthoven,orients-édition,algérie,histoire,fraternité,humanisme,valeursLe livre, Lionel d’Arabie (Orients-éditions, 2020), hommage rendu au père, est offert par l’auteur en dédicace à sa cousine, Zineb Hadj Hamou Ferroukhi, avec la mention « Algérienne invaincue ». Elle est évoquée aussi dans ces pages, et semble être un pilier familial, comme le fut, diversement, la grand-mère Aïcha (accueillant sa belle-fille chrétienne).

Daniel Saint-Hamont, est fils d’un ciel camusien, dit le préfacier, Jean-Paul Enthoven, né dans la même ville que lui (Mascara, donc). Peut-être que la lecture de cet ouvrage a été pour le préfacier, co-auteur d’un Dictionnaire amoureux de Marcel Proust, une madeleine de mémoire, alors qu’il se dit fils indigne du même sol. Fils indigne, peut-être pas, fils douloureux au moins, si on comprend, à ce qu’il écrit, ce besoin de congédier ces souvenirs, ceux des rues chaudes de leur ville commune. Il n’est pas seul à faire cela. On peut nommer : effet d’exil. Sa lecture de l’ouvrage est en totale empathie. J’ai aimé sa perception du père et de l’oncle de Daniel Saint-Hamont, son idée d’uchronie pour caractériser leur rapport avec un passé pour lequel ils rêvent d’une sorte de possible non advenu, n’ayant au cœur, l’un et l’autre, que l’amour du pays et le désir de paix. Uchronie, donc, et cela provoque le titre de la préface : La Guerre d’Algérie n’aura pas lieu ! Oui, une autre Histoire aurait été possible, une indépendance autrement, si tous les natifs d’Algérie avaient eu ce goût de la fraternité, et su faire le choix du métissage, comme dans la famille de Daniel Saint-Hamont. Alors aurait été possible ce que disait Mouloud Feraoun à Albert Camus, sur l’évolution des natifs d’origine européenne, devenant petit à petit des indigènes s’assimilant aux autochtones et leur ressemblant de plus en plus (mais n’en ayant pas suffisamment conscience, ajoutait-il, le regrettant).

Le préfacier, se référant à William James, distingue les auteurs Once Born et les Many Times Born. Donc ceux nés une seule fois, attachés au pays originel, à une lignée et une culture. Et ceux nés à plusieurs reprises, liés à plusieurs mondes. Pour lui, d’évidence, l’auteur est un Once Born, par son lien viscéral au pays de naissance. Cette fois je n’adhère pas à la distinction de James (adoptée par beaucoup), penseur qui pourtant m’intéresse. Je trouve que cela efface la complexité du vécu, des ressentis, et des choix. La naissance en Algérie, déjà, est en soi plurielle dès le départ. Encore plus quand on est issu d’un couple appartenant à deux origines différentes dans le même pays. Et l’exil ajoute à cette complexité. Enfin la vie de Daniel Saint-Hamont lui fait traverser des bascules identitaires (comme le choix du père changeant le nom familial), et recréer autrement sa fidélité à ce qu’il est. Mais chaque lecteur aura sa perception…

Oui, c’est un livre de transmission, où le double lignage est totalement assumé, sa richesse sue et dite : mère pieds-noirs, père natif algérien, vrai autochtone (comme l’oncle juif d’ailleurs), et devenu officier français. Ce père va vivre, surtout à la fin de sa vie, son exil comme un arrachement douloureux.

Transmission et hymne à la fraternité, dont la force vient de ce métissage parental réussi, et d’une compréhension, d’instinct, de la complexité de l’Histoire passée (ses diverses dimensions et, aussi, beautés souterraines).

L’hommage passe par le portrait de ce père si émouvant (et complexe, lui aussi). Hamyd, devenu tardivement Lionel, dans le sillage du changement de nom. Ce choix, provoqué par un décret qui offrait cette possibilité (comme cela a existé dans l’Histoire, pour d’autres) reste habité par le doute, on sent cela chez le père. Mais c’est une réponse, un message qu’il envoie, légitimant sa carrière, sa nationalité, et renvoyant les racistes à leurs contradictions. Car du racisme il a souffert : les petits signes, les humiliations, les distances. Lisant ce qui est rappelé de ces faits on ressent de la colère devant ces relents de xénophobie, mêlés à l’ostracisme infligé aux exilés venant d’Algérie (et concernant cet homme, sentiment d’injustice, particulièrement).

Daniel Saint-Hamont a raison, au début de son livre, d’engager le lecteur à mesurer la distance historique, pour comprendre cette vie si singulière qui est celle de son père : garder toujours à l’esprit que l’on ne saurait appliquer à des événements survenus il y a des dizaines d’années la même grille de réflexion et les mêmes réactions qu’aux évènements qui adviennent aujourd’hui.

L’auteur mentionne la complexe réalité identitaire de l’Algérie au moment où son père naît. Les populations qui cohabitent, et les origines lointaines des autochtones, qu’il nomme Arabes par commodité, rappelant qu’ils sont en réalité un mélange ancestral de Berbères islamisés ou judaïsés, d’occupants turcs, d’éléments venus du Sahel, etc. Né en 1908 son père vient de là : et né musulman il a gardé une foi sans religiosité (il refusera la présence d’un imam à la fin). Mais, précise l’auteur, son père avait deux Corans qu’il conserva toujours (que son fils a gardés) : et de temps en temps il citait de mémoire des phrases du Livre sacré. (Tout en étant d’accord avec son ami et beau-frère juif, Albert, pour écarter les religions).

La famille paternelle de Daniel Saint-Hamont appartient à ce qui est l’équivalent algérien d’une sorte d’aristocratie. Son père se disait Arabe - façon, pour lui, de se dire Algérien : Mais, en fait, pour mon père l’appellation d’Arabe se confondait finalement avec celle d’Algérien. Et Algérien, ça il l’était jusqu’au bout des ongles, « avec honneur et gloire », comme il disait souvent. Il était amoureux fou de sa terre natale. En mémoire d’une Algérie de fraternité entre les communautés algériennes autochtones. Lien qui demeura pour son père dans l’exil, lui qui, en Algérie, avait, comme ses amis juifs, franchi les frontières qui séparaient les communautés : Français, et Arabes (toujours ce terme par commodité) ou Juifs.

Le père et l’oncle rejetaient donc les religions mais pas la croyance en un dieu universel. Et les cultures liées aux trois religions du Livre étaient donc présentes dans la famille élargie. Toutes les trois me constituent d’une manière ou d’une autre, dit Daniel Saint-Hamont. Une familiarité inter-religieuse qui, ajoute-t-il, a joué un rôle dans ses choix artistiques de scénariste et les explique en grande partie.

Oui, on lui doit notamment, avec Alexandre Arcady, Le coup de Sirocco (tiré de son livre) et Ce que le jour doit à la nuit, à partir du récit de Yasmina Khadra. Et bien d’autres. Des repères d’émotion, ces films.

Pendant la guerre d’Algérie, l’officier qu’était son père a été retenu loin de l’Algérie. Et, conscient de ce qui se passait, il en était troublé, meurtri, déchiré. Quand je lis la page 94, sur les réactions de cet homme, aimant pourtant profondément son Algérie natale, mais ne comprenant pas la séparation radicale entre la France et l’Algérie (Il ne s’en remettra jamais) je pense aux déchirements d’Albert Camus, incompris et méconnu souvent. Ce n’est pas l’indépendance que conteste le père officier, mais les formes de sa mise en place et les Accords d’Évian non respectés.

Le changement de nom, pour la famille, c’est un énorme bouleversement. Sa femme l’a accepté sans enthousiasme, comprenant certainement les motivations complexes de son mari, la détresse que cela révèle et que perçoit bien l’oncle. Tous ont été secoués. L’auteur, d’abord attristé, a fini par s’y habituer, gardant en lui la trace des identités successives. Mais il qualifie ainsi le choix de son père : comme une sorte de suicide blanc. Tout effacer de soi passé.

Même en relisant il y a des pages qui mettent les larmes aux yeux. Comme cette discussion, à Toulouse, du père avec des amis juifs algériens et pieds-noirs. Évocation d’un voyage en Algérie de l’un d’eux. Émotion de tous, bouleversement du père, qui soupire un Ya hassra pour dire le regret. Au point que ses amis se cotisent pour lui offrir le voyage, en cachette de sa femme. Fugue de quelques jours et silence au retour. Ce qu’un des amis traduit intelligemment ainsi : C’est un choc d’aller là-bas. Parce que celui qui t’attend en bas de la passerelle, c’est toi.

Mais effet du choc ou de la vieillesse c’est alors qu’il commence à changer de comportement, à perdre la mémoire, et à en être conscient par instants.

La dernière page sur lui et l’oncle Albert évoque leurs cendres dispersées.

Cependant Daniel Saint-Hamont écrit : Mais tout est-il fini pour autant ?

Je vois dans cette question celle de la mémoire à transmettre, des traces de tous ces êtres sur les deux rives. Et l’espoir de ce que d’autres, qui suivent, pourraient inventer, grâce à ces traces.

Un signe, peut-être, dans ce sens. Le chapitre ajouté, annexe ou ouverture, sur le retour de Roger Hanin en Algérie (Roger rentre chez lui...), inhumé en 2015. Évocation, en de belles pages, de l’Algérie qui ne fut pas toujours une terre de haine et de sang versé, et Algérie qui subsiste. Celle dont la mission est mystérieuse. Et il ajoute : Ce n’est pas une terre comme les autres. Choisissant des expressions comme cette Algérie immatérielle, il offre un portrait d’espoir, foi dans le retour de l’universalité que tentent d’inscrire de jeunes écrivains. Et s’il caractérise l’Algérie comme cette île du Maghreb où passent les dieux (écho camusien, pour moi : Tipasa…) c’est grâce à ce qu’il a reçu de l’ami Roger Hanin, et, beaucoup, de son père et de son oncle.

Si naïveté il y a dans cet espoir (qu’il revendique, car c’est une fidélité) je veux bien la partager. Le possible des temps dépasse la mesure de nos vies et sa gestation est lente.

Recension © MC San Juan

LIENS :

Lionel d’Arabie, de Daniel Saint-Hamont, Orients-éditions, 2020. Présentation : https://www.orientseditions.fr/products/lionel-darabie

Entretien, RFI, par Yasmine Chouaki, document audio (à propos de ce livre) : https://www.rfi.fr/fr/podcasts/en-sol-majeur/20210123-dan...

Daniel Saint-Hamont, fiche Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Saint-Hamont

Et le sirocco emportera nos larmes, Grasset, 2012 : https://www.grasset.fr/auteur/daniel-saint-hamont/

Filmographie, AlloCiné : https://www.allocine.fr/personne/fichepersonne-41666/film...

Akadem, document audio. Conférence (Daniel Saint-Hamont intervient). Algérie, terre de mes ancêtres : https://akadem.org/sommaire/themes/histoire/diasporas/les...

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19/08/2023 | Lien permanent

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