"Retourner le champ invisible..."
29/07/2015
Continuer inlassablement de retourner le champ invisible
Franck André Jamme, cité par Les Souffleurs (commandos poétiques), sur leur site, et poète souvent relu par moi…
"Retourner le champ invisible ", en photographiant. Avec des éclats du monde, volés dans un instant à peine happé : regarder, cadrer, prendre. Et si le bord invisible du sens des choses mortes et vivantes n’y est pas, ou si le cadrage n’est pas celui du regard instinctif, ne pas corriger, jeter... On ne traverse pas les transparences du réel avec de la technique retravaillée. Mais plutôt avec l’incessante maturation du regard. C’est plus de temps, de patience. Quelque chose jaillit du hasard, qui se préparait dans un long et lent silence.
Susciter du visible fomente de l’invisible. La forme instaure ce qu’elle efface
Joseph Beaude, Habiter, livret premier, rééd. pré#carré, 2015
écrire encore / un poème une phrase un chant / peu importe le nom / écrire encore
Michaël Glück, encore, opus IV, éd. pré#carré, 2014
..............
Pourquoi le regard a-t-il tant d’importance, et tant en ce moment ? Un équilibre à trouver contre les cris des terreurs, et cette nécessaire présence au bruit du monde ? Art et douceur contre revue de presse et douleur ? Tentative pour saisir et comprendre l’arrière-plan de la violence du réel ? Et puiser de la beauté dans cet arrière-plan…
Mais aussi recherche du lieu, invention du lieu, pour savoir quelle ville on habite, où est la trace de la terre dans le béton, la couleur dans la rue, la lumière dans l’ombre. Recherche des voiles qui délivrent le caché. Et soi, autre lieu.
"Retourner le champ invisible", en écrivant. Contre l’instant saisi, brutale émergence d’une mémoire des yeux, permanente lenteur de la gestation de soi. Ecrire ? Mettre ses yeux en mots, mais les yeux derrière les yeux. Barrer, effacer, couper, déchirer : revenir et revenir. Choisir le peu, l’essentiel. Malaxer corps et âme, tracer, comme sur du sable.
C’est ce que dit Kenneth White de cette ascèse de sens : "Travaillant et retravaillant / les mêmes textes / jour après jour / perdant tout sens / de production et de publication / toute idée d’une réputation à forger / engagé plutôt dans quelque chose / --- loin de toute littérature --- / que l’on pourrait pertinemment nommer / un yoga poétique" (La Résidence de la solitude et de la lumière, William Blake and Co, 1978)
Visible, invisible, dedans dehors. Mirages, ou vraie présence ? Le lieu projeté ailleurs avec ses lumières, ou l’ailleurs entré dans le lieu avec les signes du lointain, transparences de l’autre ? Tout est voile, et donc tout révèle l’œil central. Que ce soit la nuit, les reflets, ou des rideaux mouvants, légers, un voile fin, fait de rien, de rayon rose mauve, une toile tapissant d’ombres et d’arbres une trouée de ciel, des perles pour une échappée de rue sombre, ou un rideau métallique captant des spirales… tout est voile.
Texte et photographies © MC San Juan
1 commentaire
Beau texte, mots sculptés ou comment sculpter la lumière! La lumière devient forme!
Mamia
Les commentaires sont fermés.