ALGÉRIE, suite... Une démission, des questions, des espoirs. Symbolique matin d'Algérie...
06/04/2019
Les manifestations ont donc continué jusqu’à la démission de Bouteflika, car le rejet du 5ème mandat ne pouvait tolérer un 4ème mandat prolongé. Mais la prise de conscience algérienne va plus loin. L’exigence est une rupture avec tout le système, le désir de se débarrasser de tout le clan du pouvoir, de la corruption de cette « famille » (au sens étroit, frère du président et alliés divers, et au sens large, c’est-à-dire tous les réseaux qui ont bénéficié d’avantages et privilèges).
Le rejet du système est aussi celui des partis complices, et d’abord du FLN. La méfiance touche l’armée (pas toute l’armée, certains officiers, officiels considérés comme compromis). Même si on voit que des accusations peuvent être prononcées à tort, par effet d'entraînement, rumeurs etc.. On a vu des textes circuler pour défendre des personnalités, après de telles attaques. Des écrivains ont pris la plume pour cela, comme Yasmina Khadra. Et des chroniqueurs, des internautes moins connus aussi (mais suivis par des listes de lecteurs attentifs, sur les réseaux sociaux).
Cependant la transition à créer, pour construire une démocratie réelle, ne se présente pas facilement. Il va falloir que des personnes sûres puissent obtenir la confiance de la population, et si des visages apparaissent, rien n’est encore acté. (Même s’il est évident qu’il y a des forces vives qui pourront jouer un rôle).
Il va falloir déjouer les pièges, et certains ont déjà été tendus. Des informations sortent, qui montrent que le pouvoir ne lâche pas aisément, et qu’il semblerait même qu’un officier de haut rang ait évité une catastrophe en refusant des ordres demandant d’affronter la foule. Rumeur ou réalité, le temps le dira.
En marge, des délires. On voit aussi des personnages, de partis associés au pouvoir, faire des discours délirants (des vidéos ont circulé). Ainsi une femme (qui a été ensuite la cible de moqueries cinglantes sur les réseaux sociaux algériens, francophones en tout cas) a pu dire, avec rage et conviction, que… les Juifs étaient les organisateurs de ce mouvement contre le pouvoir, pour détruire l’Algérie !!! Et revoilà le grand complot des conspirationnistes amateurs de RT, la voix du Kremlin, et autres sites du même genre.
Je n’ai pu que faire le lien avec autre chose que j’avais remarqué, juste avant. A circulé, sur des pages algériennes (Facebook et sans doute ailleurs) le texte d’un général français d’extrême droite, actif ou retraité je ne sais pas (personnage que tous les sites extrémistes adorent diffuser : RT, bien sûr, mais aussi des sites négationnistes, comme celui de Soral). Ce texte, donc largement présent en ligne, disait (je résume) que BHL était à la manoeuvre au sujet de l’Algérie : le texte "prévenait"(!). Et la réception était (commentaires...) une désolation horrifiée (BHL étant la métaphore du diable "sioniste" dans un certain imaginaire algérien - et maghrébin). On lui prête des faits multiples, on lui attribue la responsabilité de toutes les catastrophes. Et donc, pour certains, c’était cohérent. Sans qu’ils voient que le général soi-disant "protecteur" faisait passer un message de doute, sur un fond antisémite. (L’extrême droite française n’aimant les Algériens et les musulmans que pour tenter de partager avec eux un antisémitisme qu'elle leur prête d’avance, et qu’elle cherche à flatter, comme une certaine extrême gauche française, dans les milieux pro-palestiniens d’abord, car la Palestine est pour certains un mantra obsessionnel incontournable, dans l’oubli de bien d’autres conflits et drames du monde...).
Il y a un écho en Algérie pour cela. Et le pouvoir rejeté a bien joué avec, pour appuyer sa domination. Mais le rejet ne va pas encore, pour tous, jusqu’à refuser les effets idéologiques d’une longue propagande, et d’un formatage qui a utilisé autant la religion que l’éducation et les manipulations de l’Histoire officielle).
Pas pour tous, ce rejet de l’idéologie avec le système qui l’a modelée, mais chez beaucoup d’esprits, cultivés, lucides, et critiques : oui.
Le fait que la presse algérienne ait réussi (malgré des difficultés - voir les pages Algérie de RSF) à maintenir une pluralité et à produire deux ou trois générations de chroniqueurs de grand talent, cela a permis que les idées circulent, que des intellectuels élaborent des pensées autonomes, radicalement en rupture.
Autre facteur intéressant, la jeunesse de la population, qui a pu être désespérée par les blocages sociaux et le manque de perspectives, au point de risquer la mort (et trop souvent la trouver), en fuyant vers une Europe peut-être idéalisée. Car d’autres ont choisi d’agir. De nombreuses initiatives ont été le fait de jeunes (tant dans le domaine artistique qu’économique, environnemental, ou littéraire).
Ces chroniqueurs, ces auteurs, ont certainement joué un rôle de pionniers, chacun à sa façon (parfois adulés, parfois détestés).
Ainsi Kamel Daoud, Yasmina Khadra, Boualem Sansal, Aziz Chouaki, Anouar Benmalek, Mustapha Benfodil, Mohamed Kacimi, Amin Zaoui, Karim Akouche, Tawfiq Belfadel, Abdou Semmar (créateur d'Algérie Focus puis d'Algérie Part), Hebib Khalil, Khaled Belkouche (créateur du site web ObservAlgérie).et quelques autres…
Et des femmes, affrontant elles aussi les tabous, les blocages, dans un souci de partage non conflictuel. Comme Daikha Dridi (journaliste-reporter), Nadia Tazi (philosophe), Meriem Khelifi (sociolinguiste spécialiste du discours religieux). Elles questionnent, expliquent... Elles et plusieurs autres (poètes, cinéastes, romancières...).
Et comment ne pas penser à la longue patience agissante (et visionnaire) de Mohamed Benchicou (créateur du journal "Le Matin d’Algérie") et à son livre sur Bouteflika, "Mystère Bouteflika, radioscopie d’un chef d’État".
Rôle, aussi, à ne pas négliger, des diasporas, par le frottement à d’autres lieux et cultures, d’autres visions sociales et politiques, d’autres philosophies. Frottement à des démocraties fondées sur la laïcité, donc la séparation de la religion et de l’État, et une égalité juridique des femmes et des hommes. (Même si elles ne sont pas parfaites, même si l’idéal a ses failles, l’ouverture est un horizon).
De même, un courant a tracé sa route, bien avant ces manifestations. C’est celui des revendications des femmes pour une égalité à conquérir, juridiquement, concrètement et symboliquement. Beaucoup travaillent, certaines sont créatrices et chefs d’entreprises : l’égalité des droits est pour elles une évidence. Les femmes ont été dès le début très présentes dans les manifestations. Et la jeune danseuse qui en fut une très belle image en est un symbole flamboyant (voir la note précédente, lien en bas de celle-ci…). Mais un malaise a fini par être exprimé. Certaines se sont dit qu’elles risquaient de n’être qu’un faire-valoir d’un mouvement qui ne bénéficierait finalement peut-être qu’aux hommes, si les statuts qui gèrent la vie des femmes n’étaient pas changés. Et des pancartes avec des slogans féministes sont apparues (que ce féminisme ait le langage du féminisme européen, lui-même multiple et divisé, ou pas du tout ce langage). Ces signes de conscience féminine (ou féministe) ont affolé des marges conservatrices, et des réactions hostiles ont pu être constatées, que des pages de femmes ont dénoncé en relayant des témoignages. Ainsi la page Facebook "Les Algériennes", et d’autres pages que celle-ci partage aussi, comme "Femmes insoumises dz"
Des faits ont beaucoup choqué, et entraîné de nombreuses réactions en Algérie. D’abord, donc, des bousculades ou agressions, de femmes - leurs slogans perçus par certains comme des provocations : même marginaux ces faits ont frappé les esprits, sidéré, même. (Et c’est ainsi qu’on a pu l’apprendre, par les témoignages et les réactions). Puis l’agression homophobe à Paris, place de la République, en marge de la manifestation de la diaspora algérienne. Et, ensuite, l’appel, sur vidéo, d’un homme hystérique demandant que des hommes agressent à l’acide des femmes ayant des comportements qu’ils trouveraient répréhensibles. Immédiatement tout a été fait pour le repérer (il vit à Londres, et l’on a même vu une photo de lui avec sa femme). Stupéfaction : vie apparemment anodine, allure moderne, femme non voilée, alors qu’on pouvait s’attendre à voir un "barbu" avec ses codes. Plaintes déposées. Et signalements des diffusions de la dite vidéo. Mais épisode similaire, un autre a refait la même chose. Plainte, encore. Puis, cette semaine, le lynchage de jeunes filles qui avaient des pancartes de revendications féministes (voir note suivante, un article daté 06-04-19).
Tous ces remuements de pensée, sur les deux rives (et multiples rives diasporiques, parfois lointaines), ont produit des effets divers. Il y a donc des visions diverses et des fractures (qui peuvent se résoudre en pluralité acceptée ou provoquer des tensions, comme on peut le voir aux réactions de certains devant les textes de tel ou tel auteur, ou les positions de tel ou tel citoyen anonyme).
... Fractures liées à la religion, déjà. Comme en France il y a des croyants, des agnostiques, et des athées. En Algérie les musulmans peuvent être des laïques convaincus ou des conservateurs (ou même des intégristes proches des théories des Frères musulmans). Il y a toujours des islamistes, qui guettent mais ne correspondent plus à ce qu’est l’Algérie de 2019 : ce qui n’empêche pas que la vigilance soit nécessaire, car ces courants ont des appuis, y compris à l’étranger, appuis idéologiques et financiers, et leurs stratégies sont habiles. Les menaces sont les mêmes que celles qu'on peut constater en France : manipulation, mensonge, masques (taqiya) et entrisme.
Les chroniques revendiquant des positions laïques sont, elles, de plus en plus nombreuses.
... Fractures, donc, liées au statut de la femme.
... Et cassure au sujet de la Palestine (voir, note suivante, un article de Karim Akouche, daté du 02-04-19). Soutien obsessionnel très partagé, évident pour beaucoup. Mais des voix s’entendent, qui disent autre chose. Une exaspération, même. ("Assez avec la Palestine !").
... Fracture autre, celle liée à la France - que le pouvoir a voulu faire haïr, ramenant toutes les difficultés du pays à la colonisation, aux "colons" et aux harkis, dans une mystique du "traître". Pourtant, là aussi s’expriment des pensées autres, un regard nuancé. Et si Kamel Daoud avait, dans une chronique célèbre, regretté qu’il n’y ait pas eu un Mandela en 62 (pour que l’Histoire évolue autrement et que les Pieds-Noirs restent construire l’Algérie indépendante avec tous), d’autres disent espérer que le changement de régime change le regard sur le passé et fasse se rejoindre les mémoires de tous (dont natifs pieds-noirs et harkis, ou leurs descendants restés attachés aux racines algériennes). On peut associer à cette fracture celle autour d'Albert Camus, référence ou rejet (référence, ce dont témoignent des auteurs, et aussi des jeunes, dans un documentaire, disponible en DVD, Vivre avec Camus, où s'exprimaient deux jeunes algériens dont la lecture de Camus avait changé la vie, l'un pour l'avoir éloigné du suicide, l'autre pour l'avoir amené à s'engager dans des actions solidaires.)
Voir, pour tout cela, la revue de presse, qui évoque ces fractures : note qui suit...
Mais, comme le dit la philosophe Nadia Tazi (voir note suivante, entretien), l'essentiel est que le débat se soit installé, qu'il y ait parole, quels que soient les points de vue.
L’Algérie vit un moment enthousiasmant qui peut déboucher sur des transformations très heureuses, vers une réelle démocratie plurielle. Mais c’est une transition qui doit vaincre pièges et résistances. On doit espérer la réussite. Éthique de l’optimisme. Donc, encore, espoir.
Je ne mets ici que quatre LIENS : un ample article, des pages sur les deux livres mentionnés dans l’article, et ma note précédente (Algérie).
Dans la note qui suit je pose une revue de presse, qui complète, avec des textes récents, les lectures relatives aux premières revendications, mentionnées dans la note antérieure.
ARTICLE-dossier, par Brice Perrier, 3 avril 2019, Le Parisien week-end.
Parcours historique, réalisé à partir d’entretiens avec deux auteurs de livres importants.
D’une part avec Mohamed Benchicou. Et d’autre part avec Ardavan Amir-Aslani.
LIVRE. "Le Mystère Bouteflika, Radioscopie d’un chef d’État", de Mohamed Benchicou, éd. Riveneuve, mars 2018.
LIVRE. "L’Âge d’or de la diplomatie algérienne", d'Ardavan Amir-Aslani, éds. du Moment, 2015.
Fiche Decitre (dont résumé)... https://bit.ly/2X5KqVF
NOTE précédente, Trames nomades, 04-03-19. "Algérie. Refus, élans, inquiétudes et espoir."
(dossier d’analyses, revue de presse, et liens presse)...
Note qui suit : revue de presse, 07-04-19...
………………..
S’INFORMER, suite... PETIT PORTAIL de LIENS...
Le Matin d'Algérie… http://www.lematindalgerie.com
Le Quotidien d’Oran… http://www.lequotidien-oran.com
TSA actu. Tout sur l’Algérie... https://www.tsa-algerie.com
Algérie Part… https://algeriepart.com
Toute la PRESSE ALGÉRIENNE, LIENS... https://www.tsa-algerie.com/press/
MondAfrique/Algérie... https://mondafrique.com/tag/algerie/
Le Point Afrique, Algérie… http://afrique.lepoint.fr/pays/algerie/
Courrier international. Algérie…
Toute la PRESSE FRANÇAISE…. https://www.journauxfrancais.net
PRESSE INTERNATIONALE, tous pays. LEXILOGOS…
(et voir « Plan du site », ressources multiples…)
MC San Juan
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