Je commence, avec ce volume, une série de recensions d’Encres vives… Poésie.
Michel Lamart, Carnet d'Eire, 371ème lieu : Irlande, Encres vives, 2018
Eire, Irlande… Ou lecture d’un "vert écrin", ses routes
"Comme autant de possibles
Inexplorés"
Lisant, avec l’impression de pénétrer dans un univers que je ressens comme exotique, si étranger à mes lieux…
Et de page en page je découvre deux recueils en surimpression. Il y a d’abord le voyage dans ce territoire dont je ne sais rien, la description des lieux de ce… lieu (comme indiqué pour cette série de lieux d’Encres vives).
Monde d’eau.
Pluie, mer, brume, brouillard, lacs, onde, lames, vagues, quais. Évidente série sémantique qui peint un univers.
Les couleurs sont d’eau et de feuillage. Les "eaux turquoises" de l’océan, le "vert écrin" fait de forêts.
On voyage, on regarde, à travers l’œil de l’auteur.
Mais on est ailleurs autrement.
Dans la pensée qui cherche un espace épargné par les pièges de nos territoires, la beauté contre l’argent...
"Du vieux monde
Dont l’épave
Gangrenée par l’argent
Fait eau
De toutes parts"
Pas la même eau, là…
On est ailleurs, aussi, dans le parcours où les écrivains et penseurs sont présents, le passé de leur passage encore perceptible.
Wittgenstein "relisant / Saint Jean de la Croix". Et, bien sûr, à Dublin, "Wilde / Beckett et Joyce / À nos trousses".
Mais, autre écriture, le poème évoque, toujours à Dublin,
"Le Livre de Kells"
qui
"Brûle de tous ses feux
Enluminés"
Ce manuscrit extraordinaire, conservé depuis sa création (vers 800, croit-on), déplacé pour être sauvé, d’abord d’Écosse en Irlande, à Kells, d’où son nom, puis à Dublin.
Pour comprendre ce que le poème nous dit, il faut rechercher ce qu’on sait de ce livre fabuleux et de ses extraordinaires enluminures. (On peut en trouver des reproductions en ligne, c’est magnifique).
Immédiatement je pense à Jean-Luc Leguay, à son livre, Le Maître de lumière. Fascinant récit d’initiation d’un danseur chorégraphe devenu enlumineur, pour avoir, comme Michel Lamart, été contempler d’anciennes enluminures. Cela éclaire le poème qui mentionne Kells.
Car transparaît la fascination troublée de l’auteur devant ce manuscrit dont il a saisi plus que la beauté.
"Il creuse un sillon de lumière
Dans la cendre polyglotte
D’une nuit éclairée au latin
Phare du bout du Temps"
Temps avec majuscule… éternité.
Lisant ce poème sur cette lumière venue, en voyage, d’un livre remarquable, j’évoque Albert Camus. Voici ce qu’il écrit (Carnets III), c’est proche, d’un séjour à Mycènes.
"Le plus beau soir du monde se couche peu à peu sur les lions mycéniens." (…) "Il valait la peine de venir de si loin pour recevoir ce grand morceau d’éternité. Après cela le reste n’a plus d’importance."
Dans ce Livre de Kells les images agissent sur la conscience de qui regarde, par cette lumière qui put provoquer l’effet de secousse énergétique dont parle Jean-Luc Leguay. Quelque chose de similaire semble se ressentir dans les poèmes qui suivent, comme le regret du retour au commun.
Ce poème de Kells éclaire aussi l’ouvrage de Michel Lamart dont j’avais d’abord deviné le sens en étudiant le titre… Ritournelle Pour un jardin de pierre… (note précédente).
Ce voyage en Eire était plus qu’il ne semblait.
Et quand je lis, revenant au début, une strophe sur les routes d’Irlande, "Ces routes de nulle part
Ne vont que de soi à soi"
je peux y voir la métaphore d’un parcours qui est aussi intérieur, "de soi à soi" (comme font les voies d’Eire). Dans cet espace de légendes, de paysages heurtant du "vide" à "l’horizon".
Et quand, dans un poème, l’auteur cherche à retrouver en lui ce qu’il regarda, les questions sont plus amples qu’un tri pour des "images mentales" à saisir encore.
Un lieu n’est jamais anodin, on ne le choisit pas par hasard.
Les eaux d’Irlande apportent leurs vrais "vertiges" sur une route côtière. Mais…
"Pour quels vertiges
Visibles
Et
Invisibles ?"
Autre éclairage porté sur des écritures de Michel Lamart. Cette fois des recueils de quelques pages publiés par La Porte (2011 et 2014). L’espace du dehors en écho aux questionnements du dedans.
D’évidence interroge la réalité matérielle et symbolique d’un mur. Les espaces devant et derrière, la matière "Pierre après pierre", les enfermements et les promesses de liberté, "l’horizon", "le vide de l’espace"…
Dit Hiémal, se divise en cinq Hivers…
Gris, froidure, cendre et cristal (glace peut-être, sur les arbres). "Paroles gelées", "Vent du nord". Monde silencieux, "Voie du Vide"…
Dimanches de pluie. Poèmes qui pourraient plaire à l’univers de l’Eire… Pluie, Eau en gouttes fines, qu’il voit larmes ou perles. Mais cette beauté pluvieuse est liée à l’ennui… On sent l’auteur entre goût et déplaisir, hésitant entre les deux. Comme regrettant la perte d’un espace volé par la pluie.
Et j’ai lu un livre d’artiste, qu’il a créé avec Régis Lacomblez, plasticien.
Citation...
Po&sie
Quels secrets
Délivres-tu
Sur nous-mêmes
Quand ta langue
Nous recrée ?
1 commentaire
Chère Marie-Claude,
Qu'attend un auteur? Être lu non pour lui mais pour toutes les fenêtres d'âme qu'il ouvre au profit de celles et ceux qui accepteront de s'y pencher afin que la rencontre ait lieu. Lire, c'est lier. Ensemble, interrogeons-nous sur notre présence au monde pour en célébrer la beauté et réinventons, grâce à la poésie, un nouveau mode d'être ensemble pour le bien de chacun et de tous.
Vous m'avez lu avec une rare pertinence, chère Marie-Claude, et je vous remercie d'avoir vu si juste. Ces textes, grâce à des regards comme le vôtre, pourront cheminer. Chaque poème est une graine. Le poète n'est qu'un semeur. Il sème. Il donne. Chacun cultivera le fruit qu'il désire y trouver. Merci à vous. ML
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