Un refuge autre que l’exil, de Theombogü. Éditions du Cygne
12/11/2024
Ouvrant le livre on trouve des pages titrées, qui sembleraient hésiter entre le fragment et le poème. Le poème, oui, même si plusieurs passages affirment le contraire (pp 39, 40, 41). Le mot « dégoût » est même posé comme un rejet total assumé par le personnage d’un court récit qui ressent de l’aversion pour les « poéticiens ». Incompris, il détruit ses manuscrits et se débarrasse des ouvrages de poésie contemporaine. Mais l’auteur en question est « un écrivain exilé ». Le sujet ne concerne alors plus les conditions de l’écriture, mais l’écriture de l’exilé. La page qui suit présente le désespoir d’un universitaire qui perd toute foi en son domaine de recherche et d’écriture : « je ne crois plus à rien : ni à cette poésie aphasique, ni à cette philosophie amnésique, ni à cette sagesse angélique, ni à ces religions monomaniaques. ». Pour conclure : « Aurais-je oublié d’aimer ? » et se résigner « à la solitude ». C’est le portrait de celui qui a pu se laisser piéger par un univers poussiéreux, celui des « poéticiens » critiqués par l’exilé de la page précédente... Et enfin c'est un texte sans personnage extérieur apparent, un narrateur qui dit Je et qu’on pourrait croire être l’auteur. Lui résiste à la poésie : « Je ne suis pas poète », répète-t-il. Pourquoi ? Car... « Si la poésie était seule, je serais devenu poète. Beaucoup d’ingrats cheminent avec elle durant toute leur carrière, durant toute leur existence. Et j’ai horreur de l’ingratitude. ». Carrière, le mot étranger à toute poésie, et pourtant qui définit certains itinéraires. Alors, personnages loin de l’auteur, ou parlant pour lui, ces trois pages sont un éloge de l’authenticité et le refus des postures formelles, des artifices stériles, négation de la poésie. Par inversion, éloge de ce que devrait être la poésie. D’ailleurs l’ouvrage est dans la collection Voix au poème. Et ce n’est pas par hasard que l’auteur fait partie du comité de rédaction de la revue Po&sie.
On peut reprendre alors sa lecture au début, en ayant des clés d’exigence. Et ce qui compte, poème ou pas, c’est l’écriture. Autre préalable, pour comprendre ce livre, faire le lien avec celui qui précède, Un végan chez les Pygmées. Retour au Cameroun, aux drames de l’identité, à l’Histoire, à la colonisation qui a changé les frontières et effacé des langues, à l’exil. Quel peut être ce « refuge autre que l’exil » ? Car comment penser l’exil comme un refuge, même s’il sauve de la guerre ou de la misère ? Même si parfois il devient illusoire pays alternatif. L’exil commence par la fuite de la guerre et de la répression, des assassinats qui font mourir même les enfants. Fuir ce qui est « festival de sang, de cris, de larmes ». Sidération du témoin passif, « écrasé », « terrassé par la peur » et qui peut-être attend sa mort, « l’heure fatale ». Mémoire, le pays défait est « un souvenir ». La « terreur sans visage » c’est ensuite « la voix du silence ». Et même le silence est... « rien ». De nouveau la poésie, sa limite absolue : « dans les zones de conflit, personne n’entend le murmure des vers » disait la mère d’un poète, qui meurt assassiné après avoir repensé à cela. Pourtant se taire n’est pas une option, interroge une page : « Pourras-tu »... Non : « Garde les yeux ouverts ». Car « Le monde est un recueil de chants funèbres ». Au fil des textes, réflexion sur le temps et la mort, celle qui guette le fuyard, le migrant, mais aussi celle de tous, commune. L’exil naît aussi des échecs chez soi, des systèmes corrompus.
Le chemin de migration rejoint l’itinéraire d’Ulysse. Au Cyclope, symbole de tous les dangers, il faut dire s’appeler Personne. Ni exilé, ni migrant, échapper ainsi à la mort. Mais... « Et la vie avant la mort ? Illusion, consolation, souffrance. » Rêver d’un « refuge autre que l’exil » c’est refuser le mensonge de la notion d’exil, si cela renvoie au « pays natal » où est pourtant vécu une autre sorte d’exil. Étranger chez soi, avant le départ ou au retour, « étranger à lui-même ». Ensuite témoigner de la marche vers l’exil demande « mots », « souffle », « mémoire », « silence », pour finalement « manquer » de tout cela, ne « rien avoir ». Je remarque les mots de tous les exilés : « ici », « là-bas ». « Là-bas » est le nom universel du pays perdu pour tous ceux qui ont quitté une terre natale. Mais comprendre c’est « refuser d’être le bourreau de sa propre vie », décider de « renoncer à l’exil intérieur », « prendre la vie ». Alors, et c’est le dernier texte, l’exilé qui se libère de l’exil même crée et recrée son visage, qui est plus que le sien. « Ce visage » est celui de l’humanité, né de l’acceptation de l’altérité, contre « les murs qui séparent l’humain de l’humain ».
Recension © Marie-Claude San Juan
LIENS
Page éditeur : http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-refuge-autre-exil.html
Theombogü, contributions, revue Po&sie : https://po-et-sie.fr/contributeur/theombogu/
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