L’homme aux ailes bleues. Livre collectif d’hommage à l’éditeur François Mocaër, Unicité
21/06/2022
Pablo Poblete, natif du Chili, poète et directeur d’une collection à Unicité, Poètes francophones planétaires, y a publié un hommage à l’éditeur, celui qui a créé cette édition il y a une dizaine d’années (en 2010 précisément), François Mocaër. Avec un groupe d’amis, auteurs ou artistes, il a initié et réalisé ce projet, qu’il préface pour faire le portrait de celui qu’il estime particulièrement, en insistant sur la passion pour la poésie de celui qui en a écrit aussi (même s’il se consacre totalement maintenant à publier celle des autres). Pablo Poblete note son humanisme et la générosité de son engagement d’éditeur. À lire certains textes on comprend que le projet a été lancé et commencé pour les dix ans de l'édition, le temps qui a suivi correspond à la mise en forme de l'ensemble.
Poésie francophone et pas seulement française, car effectivement dans la liste de ceux qui ont offert un poème pour cette anthologie, on voit apparaître bien des horizons, certains lointains.
L’homme aux ailes bleues… Pourquoi ce superbe titre ?
On le comprend page 48, en lisant le poème de Pablo Poblete, dont c’est le titre. Magnifique texte, écrit dans un souffle d’émotion (celle du cœur), on le sent. Mais j’y reviendrai ensuite. Car les textes sont classés en suivant l’ordre alphabétique des noms des auteurs (que des pages présentent après les textes, certains que je connais, d’autres pas du tout).
Le titre, donc. Bleues, les ailes, sans doute pour rappeler l’horizon océanique breton originel, dit le poème. Mais on peut y voir plus, en acceptant le symbolisme de cette couleur et les clés qu’en donne Pablo Poblete dans son texte. Les ailes représentent beaucoup aussi. Envol qui élève, valeur spirituelle, espace protecteur de celui qui embrasse, de son regard sur les mots des autres, un large pan de la poésie (on imagine les bras métaphoriques écartés). Et, comme écrit aussi, des ailes-antennes d’intuition qui servent à capter…
La photographie de couverture, portrait, est de Woytek Konarzewski.
Je trouve beau cet hommage à l’éditeur, et beau que quelqu’un, d’abord, suivi par des amis, ait pensé à dire merci (et à le faire ainsi au nom de tous). À travers François Mocaër c’est toute une profession qui est honorée aussi. Je pense là particulièrement aux éditeurs de poésie (livres et revues) qui font vivre des entreprises souvent en danger économiquement – et le contexte de crises n’arrange rien (pandémie, confinement, guerre, climat, etc.).
Ce livre collectif est une anthologie, comme la trace de l’histoire de l’édition, son ancrage dans les années, des présences. Les poèmes ne sont pas des lettres à l’éditeur honoré (parfois cependant). Tous les sujets sont abordés, mais certains l’évoquent lui, directement, ou parlant de l’écriture, de la poésie, renvoient à son rôle, à leur rapport avec lui.
Je ne peux tout relever, je vais donc faire une sélection subjective, invitant à lire l’ouvrage entier, pour découvrir tous les textes. Et des textes aller aussi vers des livres...
Mes préférences…
...
Antemanha, France-Allemagne
Son poème, qui ouvre le recueil collectif, colore de lumière l’intention…
Je nourris l’écho des étincelles
dans un ascenseur de lumière
(…)
Sur la cime dansent des lucioles
Excitées par l’excès d’ondes sonores
.
Claudine Bertrand, Québec, évoque le poète errant, le marcheur, terminant par deux vers avec ce mot, unicité.
Le poème seul avance
à ce point d’unicité
.
Laurence Bouvet. Poète, et directrice d’une collection, Le Vrai Lieu, a écrit sur le désir. C’est très beau, très pur, subtil, riche d’une conscience des significations profondes de nos élans, de notre façon de donner sens à notre présence (à soi, à l’autre).
Le bruit autour est un talisman
et nous courons après les signes du ciel
(…)
Une main aveugle rompt le destin
des corps sans les brusquer.
Le vide et l’intention sont un seul
et même tabernacle plus sûr
que la ligne d’horizon.
Orpheline et discrète la main
(...)
elle est cette branche
que l'arbre remercie.
.
Francis Coffinet (qui a repris, en collection, des publications des Cahiers bleus de Dominique Daguet, choix dont je suis heureuse car j’étais très attachée à cette collection qui a tant fait pour René-Jean Clot, poète et peintre, lui qui m’est très cher – édition qui avait publié aussi Mohamed Grim dont il faudrait retrouver et éditer un jour le texte sur la bonté, publié en revue il y a longtemps). Mais retour à son poème…
Les deux premiers vers pourraient être un mantra pour éditeurs et… poètes.
Je trouve aussi qu’ils correspondent bien à ce que je perçois de sa poésie (ayant lu certains de ses livres).
Laisser s’agiter la langue des oiseaux
Dans la bouche des hommes.
.
Marie-Josée Christien élève un Cairn pour les éditeurs et les revuistes. Belle image que ce monticule de pierres fait de mots.
Sur le bateau
l’éditeur tient la barre
veille à l’appareillage
en expert de la carte des vents
et des courants
qui mèneront l’équipage
à bon port
.
Anne de Commines (qui dirige la collection Le Metteur en Signe) écrit un poème-lettre.
Tu as classé les illusions fugitives et de la poésie tu as relevé les empreintes.
(…)
Le temps de la graine atteint sa maturité et tu l’écris d’une encre silencieuse.
(…)
Tu trouves là ton envol le plus probable, l’aune de ton méridien.
Conjugue-toi dans le vœu du regard et œuvres aux ardences.
Tu récoltes les hauteurs où te nomme la Beauté.
.
Éric Desordre, écrit un poème au titre-programme, Parvenir au tranchant des étoiles. De lui j’ai déjà recensé des écrits, et dois sous peu en recenser d’autres qui attendent, auteur dont j'aime particulièrement les photographies (elles correspondent à ce que je conçois de cet art)…
Son texte parle de la forge, la vraie, celle des réels forgerons, ouvriers alchimistes (c’est ainsi que je les vois, et c’est ainsi que je les ai perçus en parlant de ce métier avec mon père dont ce fut un des premiers apprentissages…). Mais le lisant je saisis autant une parole sur des êtres et un métier que la métaphore de la démarche poétique, aussi. Et le titre autorise cette lecture. Forge, matière. Forge, alchimie. Forge, poésie. Par le feu symbolique, le rapport aux étoiles, au cosmos. Le feu qui transforme, métamorphose du regard qui passe par le corps, la main.
Un métal dont la main chaude se repaît
D’une densité d’atomes alignés
(…)
Le feu aidait les nôtres
À rendre le saisissement des astres
(…)
Des forges de campagne
Le sentiment du fer remontait à la main
(…)
Se pourrait-il que la fumée nous garde aussi des cohortes ?
.
Laurent Desvoux-D’Yrek offre un Estrambot pour François M.
Mais il ne faut pas l’entendre comme sonnet en 17 vers, à la structure volontairement irrégulière, et construite ainsi. Ce n’est pas ce que l’on a sous les yeux. Ni 17 vers, ni un sonnet avec quatrains et tercets dans un ordre inhabituel. Alors on peut garder seulement la connotation du mot espagnol (venant de l’italien) estrambótico. Désordre formel et thématique, voulu. Ainsi il crée des images de mer pour passer de Pablo (Poblete) à François (Mocaër).
(…) François l’éditeur
Homme passionné de spiritualité
. Qui rit de lui-même, unies, cités !
De ne se savoir pas du tout zen ! À méditer !
Et dévoué aux poètes et à leurs projets
De faire livre sur livre, espérant l’Œuvre !
Suzanne Dracius, Martinique, écrit un texte commençant par des vers et se prolongeant en paragraphe de prose, évoquant aussi la période de confinement et couvre-feu en Martinique, associant douleurs et fêtes, culture locale et poésie, démarche de vie et partage convivial qui réunit tant les êtres d’un lieu que les poètes d’une édition…
Une décennie d’Unicité
dans la diversité fêtée
en dépit de l’adversité
(…)
En poétique déconfinement, visite autorisée et bienvenue dans le cercle, non pas des poètes disparus, mais des poètes apparus et réunis au mitan de l’univers d’Unicité !
.
Éric Dubois (De lui aussi je connais plusieurs des recueils, recensions ici, et lui aussi il sait le partage pour faire lire autrui - en revuiste, éditeur, lecteur)… Il reprend l’image de la bouteille à la mer, pour le poème… Mais le deuxième vers est celui de l’attente de la réponse. Océan, le titre suggère un espace de mots, ou un espace inconscient, celui que le poète va traduire en phrases qui sont des messages tant pour soi que pour les autres, travail de déchiffrement (en soi, de soi), exercice de lucidité, exigence.
L’hydre s’étend dans son manteau d’ombre
(…)
L’océan ne remplira pas d’iode nos larmes désuètes
Le poème dans la bouteille sera avalé par la baleine
Croisée aux confins des terres australes
.
Catherine Jarrett se fait chevalier du poème, parlant de l’écriture, mais on peut voir aussi dans le chœur de son titre et du poème la présence des autres auteurs, et, derrière, celle de leur éditeur… à moins que ce ne soit lui, le chevalier des derniers vers.
Chevalier du poème et des mystères de l’être
chœur sur les vagues tourne nos mots les siens aussi
et les renvoie plein cœur plein corps
vivants et chauds
.
Alice Machado, France-Portugal, parle d’elle, et des autres à partir d’elle.
Passe mon destin, anaphore qui crée un rythme obsédant, reprise cinq fois du même groupe titre, comme prière lancinante.
(…) seul l’oiseau bleu sur mon épaule me parle d’un Monde qui serait clément
(…) Je traverse des peuples qui me parlent une langue étrangère
(…) Que nous est-il arrivé ?
.
José Muchnik, France-Argentine, dit l’universalité humaine (et cela correspond exactement à l’éthique d’ouverture aux poèmes passeurs de frontières, jusqu’à cette édition…).
Nous venons tous de la même énigme
toutes les couleurs qui décorent
des oiseaux aux changeantes mélodies
Nous venons tous de la même amphore
où les potiers de la nuit
tournèrent les humaines lignes
.
Chez Christiane Peugeot c’est l’amitié, en Aimable simplicité / à François
Et quel plaisir de converser avec lui
lors de débats philosophico-spirituo-religieux
Dans l’intimité de ma cuisine !
(…)
François
(…) pour qui les gens
comptent avant tout.
.
Et voilà le poème-titre de Pablo Poblete, France-Chili-Québec.
Ce poème dont j’ai parlé au début…
L’homme aux ailes bleues
À François
L’homme aux ailes bleues
ne marche pas dans des sentiers accidentés
il prend son envol avec pages blanches et jaunes
(…)
Il survole les toits dorés des esprits magiques
Il traverse les nuages ensoleillés et grisâtres
Il se guide par ses ailes-antennes-pages-ouvertes
vierges ou écrites
pour traverser les ponts obscurs et clairs
(…)
l’homme aux ailes bleues est une merveilleuse aventure lettrée
l’homme aux ailes bleues est un poème qui déchiffre
la fiction et protège les miraculeuses traces
.
Deux pages après, une peinture de Rui Prazeres fait écho, par son bleu et ses formes de planètes envolées, au bleu des ailes du poème de Pablo Poblete. Mais aussi, un peu plus loin, une peinture de Kitty Holley, pourtant de rouge et noir, car c’est un cercle et un tourbillon tournant dans le cercle. J’y retrouve le même envol du poème.
.
Et elles conviennent aussi, ces peintures, au poème de Christiane Simoneau, Québec
Son poème À François
Habillé de passion
(…)
Cet homme aux idées fleuries
qui a la grandeur d’âme
d’une mer, d’un cosmos
en faisant rayonner
les amoureux des mots
met en scène des univers parallèles
suscite l’éclosion de l’immatérailité
.
Philippe Tancelin, auteur et éditeur, je le connais par certains livres et par ce qui fut son partage fraternel d’écriture avec sa sœur Geneviève Clancy, je me souviens en avoir parlé avec lui – il y a des années - lors d’une lecture-concert d’un poète édité par L’Harmattan. Et c’était passionnant, du fait de l’association, chez tous deux, d’une forte implication, valeur d’engagement solidaire, et de la poésie pensée à hauteur de philosophie. D’elle j’ai notamment le recueil titré simplement Aphorismes, que je mets très haut, car c’est une réelle réussite. Je l’ai citée dans mon livre Le réel est un poème métaphysique. De lui j’ai aussi beaucoup apprécié sa préface à un livre de François Mocaër, texte bref et dense, mais qui m’a révélé un autre aspect de ce penseur-poète, et donné envie de le relire, autrement. C’est donc une satisfaction que le retrouver là.
Son poème sans titre a une triple surface. Un paysage peint par touches, mais c’est plus qu’un paysage, ce sont plutôt des fragments de paysages de lieux divers, comme un tour sur la planète. Puis il y a les questions sous-jacentes sur ce monde (frontières, exode, fraternité). Et enfin, retour (mais ce n’est pas chronologique, les trois sujets traversent le poème) la conscience du temps qui est plus une interrogation personnelle, peut-être mélancolique un peu, une rêverie, ou une méditation sur le présent et la mémoire, un rêve intérieur.
Le temps s’écaille
Les oiseaux dorment
La fenêtre est ouverte sur l’attente
(…)
Les frontières les pays les continents
se signent devant les lambeaux de fresques
de présence
.
Jean-Philippe Testefort, dirige la collection Imagination Critique.
Bref poème, où le poète est mineur, non au sens de peu d’importance, mais mineur qui va se salir (en beauté) dans les mines du langage, Gueule noire. Intéressante image… pour le poète entre mer des émois et ciel des idées.
Le jour où on s’entendra
Pour définir la poésie
On ne s’y entendra plus en poésie
.
Mario Urbanet, a, comme je l’ai vu dans d’autres publications de lui, toujours un questionnement d’ordre idéologique, critique.
(…) cette mince couche d’utopie
dissimule le monde réel
(…)
Ainsi naît le poème recueilli dans la rue
qui dit que le temps est un leurre
fait de mémoires raboutées
oublis inlassablement reconstruits
par les ouvriers des mots publics
.
Mylène Vignon dit les souffles réunis que sont tous ces livres… et ce qui est dû à celui qui les fait exister… l’ami de nos âmes…
À François
(...)
Et l’homme qui écoute en publiant nos maux
C’est lui-même ce poète qui ne demande rien
Et qui se donne à fond sans aucune concession
LIENS…
L’homme aux ailes bleues, page éds. Unicité, coll. Poètes francophones planétaires (dir. Pablo Poblete)…http://www.editions-unicite.fr/auteurs/POBLETE-Pablo/homm...
Voir aussi, en cliquant sur le nom Pablo Poblete (recherche dans 'auteurs', rubrique tout en haut en accueil de l'édition Unicité, noms classés par ordre alphabétique) ses autres livres, dont une anthologie à visée environnementale, un de ses engagements (anthologie pour l’écosystème planétaire). Mais aussi des recueils de poèmes, et une Anthologie totale (une somme de ses textes…).
François Mocaër, qui considère que la poésie est écartée pour lui maintenant (pris totalement par l’édition), a publié des livres de valeur - dont un recueil chez L’Harmattan, un ouvrage de textes mystiques, éditions Acarias L’Originel, et enfin la reprise de ces textes (car livre épuisé) en complément d’un recueil, à Unicité. J’en ai fait recension… http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2021/05/01/po...
Les commentaires sont fermés.