Deux recueils. Obscur éclat, de Carolyne Cannella. Et À feu tenu, de Michel Cassir, éds. Unicité
29/06/2022
Ce qui me fait rapprocher ces deux ouvrages c’est la proximité de la démarche, d’une part, une volonté d’aller au-delà des apparences, d’accepter le mystère. Et, d’autre part, le constat de l’influence du métier (quand il est vécu en profondeur) sur l’écriture. Carolyne Cannella est musicienne et écoute le réel autant qu’elle le regarde, et Michel Cassir est chimiste et riche de plusieurs univers culturels, ce qui fait que son savoir professionnel, devient, quand il écrit, une porte vers la surréalité où chimie est seuil d’alchimie.
Enfin il y a, dans ces deux livres, une conscience du rapport avec ce qui englobe tout, qu’on l’appelle Un ou autrement. Et le thème de la mort est présenté dans ces pages avec une dédramatisation qui remplace le tragique par un accès à l’imaginaire du réel. Mais il y a aussi un lien par la musique, comme le dit un article sur Michel Cassir (agendaculturel), notant qu’il explore depuis de nombreuses années les voies de l’oralité et de la musique.
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Obscur éclat, de Carolyne Cannella, Unicité, 2022
Dès le titre, un regard qui utilise l’oxymore, associant obscurité et lumière. Mais est-ce si paradoxal, quand on retrouve cela dans la démarche du peintre Pierre Soulages, avec son noir-lumière, son outrenoir. Et, titre, Baudelaire et Les fleurs du mal, cela provoque aussi un choc similaire, les fleurs signifiant plutôt la beauté douce, une lumière, loin de l’ombre du mal.
Chez Soulages c’est le reflet lumineux qui est révélé dans le noir. Et l’obscur éclat, ce peut être à la fois la part d’ombre qui se cache dans la lumière, et celle de la lumière émergeant de l’ombre, ce qui demande à être déchiffré, regardé autrement, cherchant l’invisible derrière le visible.
Giovanni Dotoli insiste, en préface, sur le rapport au temps et à la mort, pas perçue comme une fin et rien d’autre mais comme un autre seuil.
Dans le premier poème du recueil on a des identifications qui offrent une fusion avec des réalités minérales, végétales, animales, pour dire une perception de l’appartenance au Tout du réel. Cette ouverture donne sens aux autres textes, dans la conscience d’être à égalité avec les choses.
La lumière n’est pas que celle du dehors regardé, mais une donnée de l’être, irradiation intérieure autant que réception de ce qui vient de la nature et de l’arrière-présence d’un monde invisible…
l’invisible frémit
Ce que recherche celle qui écrit c’est un savoir intérieur qui accepte ce qui s’abolit… Vers le néant de ta propre lumière.
Ce qui s’abolit devient…
cette éclipse de soi-même
en un plus grand que soi
L’écoute trouve… un silence / gorgé d’Infini
Recherche de ce qui transcende les apparences du visible.
Partout la trace / D’un absolu / Que rien n’efface
Absolu pensé pour soi, pour tous, ces… prisonniers du temps.
En espérant révéler… le visage voilé / de l’intangible Unité.
Percevoir cela, pour la musicienne qu’est l’auteur, c’est entendre…
la mélodie essentielle…
Et penser la nuit en se référant à San Juan de la Cruz.
L’ultime, c’est accueilllir (…) l’obscurité aussi
LIENS...
Obscur éclat, la page des éditions Unicité… http://www.editions-unicite.fr/auteurs/CANNELLA-Carolyne/...
Page, sur Babelio… https://www.babelio.com/auteur/Carolyne-Cannella/584425
Page Recours au poème… et liens… https://www.recoursaupoeme.fr/auteurs/carolyne-cannella/
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à feu tenu, de Michel Cassir, Unicité, 2022, avec les gravures sur bois de Saad Ghosn (collection Le metteur en signe)
Le livre s’annonce sous l’ombre véloce de Juan Rulfo, sous le signe du Mexique. Et le titre, avec le feu, évoque celui d’un ouvrage de Juan Rulfo, Le llano en flammes. L’auteur franco-libanais s’est associé à un artiste libanais exilé aux Etats-Unis, qui a, comme lui, connaissance et goût de la culture mexicaine.
Mais le premier poème, qui rencontre le sujet de la première gravure, l’arbre, n'évoque pas seulement un tronc et ses racines, mais un symbole universel au-delà d’un ancrage d’appartenance, une dimension pluriculturelle, car l’arbre d’origine dit l’humanité entière, et même plus, le signe d’un commencement de toutes choses.
On est au Mexique, et on voit une Indienne (donc Amérindienne) portant son infortune, alors que sa marche la délivre du poids (on entend ses pas la délester) tandis que, poème qui suit, un huichol possède / l’alchimie de la nuance. C’est une pierre, une obsidienne du Mexique, aux reflets délicats, à laquelle on attribue des pouvoirs protecteurs.
Le monde du Mexique c’est aussi l’univers du mezcal, un alcool associé aux fêtes avec mezcal et travestis… Mais, degré autre, les boissons mexicaines venant du cactus, plante que les chamans utilisent pour changer de registre et voir autrement, n’ingérant que l’imaginaire de la plante. Deux mondes en un, la fête et ses dérives possibles, le sacré, qui fait passer (vertige)…
d’un dieu à l’autre
mystère de l’univers.
Les gravures représentent des personnages fantasmatiques, mi-êtres, mi-monstres, rêves ou cauchemars, c’est au choix, visions qui pourraient être celles d’une expérience de transe. Créations imaginaires ou puissances venues des plantes, selon les croyances et les expériences. Le poème y peint aussi des images de morts, pas si effrayantes finalement. Car les morts qu’il imagine (ou pense) tapis sous terre et plantes sont là…
créant le miracle
vivre et mourir
sustenter l’éphémère
Dans cet univers où le rêve des enfants côtoie celui d’un monde complexe, on peut inverser les dimensions et l’espace, et comprendre que…
des nageurs
exploraient les étoiles en eau sombre.
Multiple regard sur les corps.
Il y avait eu l’Indienne portant son infortune, donc le corps de la réalité sociale avec ses souffrances. Puis le corps prisonnier de l’âme’(paradoxe). Ensuite le corps dénoué vers l’infini (peut-être grâce aux drogues, cette sève des pouvoirs). Et enfin c’est le corps des créations en céramique (on retrouve le feu créateur), une bascule vers autre chose encore… l’homme en boue / sublime de vent / et de mezcal.
Et le visage ?
le visage est le poème
du temps déchiqueté
par les corbeaux
Est-ce contradictoire ? Peut-être pas, suivant la lecture qu’on peut faire de ce fragment. Si les corbeaux tuent le temps le visage demeure visage.
Mystère du réel, dans un poème passent les esprits errants / de Juan Rulfo.
Les sommets de la montagne sont ceux d’une vraie escalade difficile mais on y devine aussi une métaphore, comme pour le désert, ensuite. Marche vers soi, recherche parfois vaine de la quiétude.
Nager dans l’eau des sources (…) cela s’appelle revigorer / le crépuscule. En étant conscient de ce qui entoure, montagne et arbres. Mais plus fort, quand cela fait devenir ce que l’on voit, en fusion avec ce qui est, comme l’auteur le dit du volcan…
Je ne peux comprendre
ce qu’est un volcan
si je ne le deviens pas
instantanément.
Évidemment il y a le serpent sur des gravures, notamment celle aux étoiles et au couple très sexué. Serpent biblique (peut-être, tant il y a mélange des mythes dans cet univers) ou serpent cosmique (celui de l’anthropologue Jeremy Narby, et le mystère des savoirs chamaniques venus des plantes, le serpent, l’ADN, la conscience…).
Le poète évoque les serpents de la jungle… qui simulent des racines, et la jungle, à la fois menaçante et accueillante, et offre sensuelle / ou métaphysique.
L’auteur est fasciné par l’univers du Mexique et effrayé par cette fascination même, par les forces (eaux dormantes…) qui s’emparent de l’esprit.
LIENS...
à feu tenu, la page des éditions Unicité… http://www.editions-unicite.fr/auteurs/CASSIR-Michel/a-fe...
Sa page, éditions l’Harmattan (où il a aussi créé une collection)… https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs...
Article, Agenda culturel… https://www.agendaculturel.com/article/Audio_Michel+Cassi...
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