D’ombre et de lumière... La poésie contre l’arrogance brumeuse...
22/03/2015
J’écris pour que la vie soit respectée par tous /// je donne ma lumière à ceux que l’ombre étouffe
Messaour Boulanouar
La Meilleure Force (et poème cité dans l’Anthologie de la poésie algérienne, Quand la nuit se brise, dirigée par Abdelmadjid Kaouah, éds Autres temps, 2004 /Points, 2012)
Que d’ombre... dans les paroles des uns et des autres, quand on aborde le sujet de l'Algérie (colonisation, décolonisation, communautés). Que d'ombre... chez ceux qui ont besoin de reprendre, pour on ne sait quelle satisfaction perverse, des litanies de rejet, dans leur seule poussière de mots sans lumière. Et cela se retrouve autant dans une certaine sorte de presse (celle qui choisit le masque nationaliste : qu'il soit fait de passion française ou de passion algérienne) que sur des sites et sur les réseaux sociaux (le fiel masqué... derrière des pseudos - ou sans pseudos, mais à l'abri de la distance, derrière son clavier). Sans doute ne lisent-ils pas assez la poésie, qui, peut-être, peut, par les mots, faire entrer un peu de conscience complexe...
Et dans ces charges d'ombre, si souvent (d'où que cela vienne) les Pieds-Noirs sont une cible pratique. Pratique, car cela permet d'éviter le regard lucide sur le réel. Celui qui ferait assumer consciemment par la France et ses composantes sociales, idéologiques et politiques - de gauche, aussi - les responsabilités du pouvoir de la métropole dans la guerre de colonisation, dans les injustices qui suivirent, et dans la guerre du refus de l'indépendance. (Guerre qui ne fut pas le fait des immigrés qui créeront ensuite ce métissage méditerranéen pied-noir, par le processus de migrations plurielles : Espagnols, Italiens, Maltais, Gitans... Guerre qui ne fut pas non plus, d'ailleurs, le choix des Communards français exilés de force, ni des Alsaciens fuyant pour garder leur identité). Cible, les PN, aussi, des nationalistes algériens aux pensées conformes à l'Histoire officielle, à l'idéologie officielle, préférant s'aveugler plutôt que penser et analyser les erreurs passées et les dérives présentes. Le bouc émissaire, c'est confortable...
Cependant, ombre et ombres, de même, chez des nostalgiques d'un statut antérieur de l'Algérie coloniale, sans regard critique sur le fait colonial, dans l'idéalisation mensongère de réalités, qui, si on doit en voir la complexité, ne peuvent être comprises en dehors de ce constat : un passé enfermé dans l'aberration d'un système qu'un mot suffit à dénoncer, et c'est le mot "colonisation". Cette ombre-là a des effets pervers sur le regard qui est porté sur les Algériens ou Franco-Algériens, et, de manière élargie, fantasmée, sur les musulmans (d'autant plus que le terrorisme islamiste semble légitimer, autoriser, un glissement de perception où se produit une interférence faussée entre passé mal compris et présent analysé à la mesure seule des peurs). Extrême minorité des Pieds-Noirs et frange extrémiste générale de la population (dont il est difficile de saisir vraiment l'importance, la proportion, et aussi la toxicité réelle - car les statistiques viennent de sondages et études à relativiser - les questions semblant parfois suggérer les réponses). Et si, en plus, on fait intervenir la question de l'antisémitisme (qui vise, là encore, une partie des Pieds-Noirs, et les Juifs qui tiennent, malgré le destin et l'exil commun, à se définir autrement, seulement comme Français Juifs d'origine algérienne)... on retrouve autrement des miasmes idéologiques créateurs de haine. Et l'articulation, assez perverse, avec l'actualité moyen-orientale...
Pourtant, dans cette période lourde, de montée des nationalismes européens, des fanatismes de toutes sortes, le seul langage qui vaille est celui de la fraternité. Dont la source, l'intelligence (la compréhension profonde), est à chercher dans la parole des écrivains.
Jean Pélégri, dans son ouvrage Ma mère l’Algérie, Actes Sud, le dit bien, que les PN seraient chargés "de tous les péchés d’Algérie"... "Je pressentais qu’un jour prochain, par commodité simplificatrice, et parce que c’est l’habitude des métropoles, ma communauté, les Pieds-Noirs..." (...) "Alors que la colonisation était un fait global et politique qui relevait essentiellement de la France." (page 70).
René-Jean Clot (peintre et écrivain), lui, écrivit dans "Une Patrie de Sel", Librairie Bleue, ceci (à méditer)... Parlant de l’exil, du manque d’Alger : "Dans cette eau mouvante et trouble, il faut retirer la vermine politique. Dépolitiser, cela veut dire décrasser. Au début, j’étais perdu dans mon chagrin, maintenant mon chagrin m’a donné une leçon d’ordre moral." (page 29). Et "Pourquoi, contre nous, cette ignorance, cette mauvaise foi des métropolitains ? Nous les dérangions." (p.41). Et "Avec douleur nous nous sommes aperçus que, parlant des Pieds-Noirs, les métropolitains se trompaient de portes, de noms, de dates, de lois et, disons-le, d’Histoire de France." (p.43). Et il ajoute : "Qu’avons-nous appris ? A vivre sans sombrer dans la haine." (p.49).
Que les Algériens et les Pieds-Noirs se parlent sans les chambres d’échos, et motivations douteuses, venant déformer la réalité des uns et des autres. Car ils sont liés par une terre et des imprégnations culturelles qui font se comprendre, sans regard "étranger"... Donc, au lieu de poursuivre les guerres, qu'ils servent de médiateurs, de créateurs de liens.
Les poètes algériens savent, eux aussi, dire les dangers de la haine, des dissensions qui apportent la mort. Ainsi, Ahmed Azeggah, écrivain et humaniste de haute tenue, dans son poème "Arrêtez" (message que tous doivent entendre) : "Arrêtez de célébrer les massacres / Arrêtez de célébrer des noms / Arrêtez de célébrer les fantômes / Arrêtez de célébrer des dates" (...) "Ce sang coagulé / Venin de la haine / Levain du racisme" (...) ".. et moi je suis Pied-noir et moi Juif et moi on m’appelait Bicot / On en a marre de vos histoires et vos Idées / Elles / Rebuteraient tous les rats écumeurs de poubelles" (...) "L’univers seule patrie" (A chacun son métier).
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Prolonger la réflexion... Livre de Jean-Jacques JORDI, Les Pieds-Noirs, coll. Idées reçues, éd Le Cavalier bleu http://www.lecavalierbleu.com/f/index.php?sp=liv&livr...
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