POÉSIE. Revue Saraswati. Lecture des numéros 10, 13 et 15...
10/05/2020
"Le travail mené par Silvaine Arabo est de passion et de don de soi. Il est totalement voué au Poème, à travers tout ce que ce mot contient de capacité constructive. Par le Poème, Silvaine Arabo, ancienne directrice de feu les éditions de l'Atlantique, qui éditèrent par exemple Michel Host ou les traductions de Claude Mourthé, entend la peinture, la sculpture, les poèmes, mais aussi les animaux et tout ce que la vie contient de palpitation et de sacré."
Gwen Garnier-Duguy, Recours au poème, 07-09-2014 (début d'une chronique sur le numéro 13 de la revue Saraswati).
J’ai choisi cette citation en exergue, car elle me semble traduire précisément la démarche de l’éditrice (et poète)... https://www.recoursaupoeme.fr/saraswati-revue-de-poesie-d...
Mais pourquoi ce nom Saraswati ? C’est un nom sanskrit qui désigne en Inde une déesse de la sagesse, de la connaissance, de l’art. Mais aussi déesse qui permet d’accéder à la parole, au pouvoir de dire (donc à la création poétique). Liée, dans la culture hindouiste, au dieu Brahma, elle est considérée comme la créatrice des Védas, textes sacrés, et même de la langue. Saraswati était à l’origine le nom d’une rivière tarie, qui aurait été la source de toutes les autres, symbolisme fort que celui de l’eau qui s’écoule et n’est retenue par rien, tout en ne retenant rien. La déesse, détachée des possessions, enseigne le renoncement à l’ambition futile. Appeler ainsi une revue c’est donner une direction, non de thèmes ou de croyances mais de hauteur. Pour ouvrir l’espace à des écritures capables d’un rapport avec le sacré (quel que soit le nom que les auteurs mettent sur cette dimension). Et c’est pourquoi poésie et spiritualité sont associées par ce nom. Ce qui ne veut pas dire religiosité ou appartenances figées. Saraswati est en quelque sorte une soeur d’Orphée, les mythologies se rejoignent car le sens profond est le même. Et d’ailleurs elle aussi est souvent représentée avec un instrument de musique. Comme représentation visuelle de la déesse Saraswati, j’ai choisi la couverture d’un livre "jeunesse" de Claire Ubac (une fiction, où "la déesse du luth" protège les personnages).
Silvaine Arabo continue son œuvre poétique, doublement, par l'écriture personnelle et la poursuite d'un travail éditorial, avec l'édition de recueils. La revue n'est pas arrêtée, comme je l'avais cru, elle paraît toujours, mais de manière moins régulière.
(Je mets les couvertures d’autres numéros de cette revue, en illustration)
Le numéro 10 de la revue Saraswati, paru en 2009 (L’expérience poétique), que j’ai lu avec dix ans de décalage, était une somme proposant les réponses de cinquante et un poètes contemporains à une série de questions, onze, sur la création poétique (pourquoi et comment on est poète).
J’ai découvert la note d’un des participants, Hervé Martin, qui reprenait ses réponses sur son site. On y retrouve exactement, intégralement, les questions de Silvaine Arabo.
Ce numéro voulait être un panorama de la poésie contemporaine, il l’est d’une partie, pas de toute bien sûr, et donne surtout à lire des démarches différentes de création poétique. Ceux qui répondent ont des conceptions diverses, des sensibilités diverses. Lisant, il y a des univers qui me séduisent plus, mais aucun qui me laisserait indifférente. Je reconnais des noms, mais il y a aussi des noms qui me sont inconnus, et des noms qu’on ne croise plus, le temps a peut-être fait son tri, cruel. Et, aussi, il y a des auteurs absents, qui ont pu apparaître les années suivantes dans les sommaires des revues que j’aime et dans les catalogues des éditions que je fréquente. C’est d’abord le choix éditorial d’un moment, autour d’une année 2009…
Mais le titre de ce numéro, son thème, utilise le mot "expérience", pas conception. Car ce qui intéresse l’éditrice, par ses questionnements, c’est de faire émerger une parole sur le vécu intime de la venue à l’écriture poétique, sur le processus de la création, tel qu’il s’inscrit dans le corps, le psychisme (et l’âme ?), et comment il transforme l’individu traversé par les mots qu’il fait surgir de lui (ou qu’il laisse surgir de lui).
Martine Morillon-Carreau, a publié aussi ses réponses, précédées de la liste des poètes présents dans la revue… http://m.morillon.carreau.free.fr/surlapoesie/saraswati.html
Feuilletant les pages j’ai particulièrement apprécié les créations graphiques d’un couple de graveurs, Simone et Henri Jean. Revue d’art, autant que de poésie, Saraswati.
Dans un entretien (réalisé avant) ils expliquaient leur travail à deux, les rencontres et influences, dont un lien avec le Japon.
Sur les artistes…
Pour découvrir les œuvres… Galerie…
J’ai beaucoup aimé aussi les graphismes de Michel-François Lavaur (poète, dessinateur, éditeur de la revue Traces, de manière artisanale). Ainsi celui de la 4ème de couverture, et celui qui est repris sur plusieurs pages, en leitmotiv, inscrivant un rythme. C’est géométrique et cela me fait penser à des créations amérindiennes ou aborigènes, riche univers intérieur. J’aime un visage, page 2, car très stylisé, qui fait intervenir la géométrie aussi. Poète il ne répondait pas aux questions, là, mais il y a un texte de lui, que je cite dans la note suivante. Son site est passionnant, associant la revue Traces (qu’il avait créée et éditait) à son écriture poétique et à ses créations graphiques. La page de sa biographie mène à sa bibliographie, qui est précédée d’un texte de lui où il prône le choix d’une auto-édition artisanale (et dit son peu de goût pour la sollicitation d’autrui pour être publié, tout en disant qu’il accepte d’être invité à le faire, si on aime ce qu’il écrit...). Il faut voyager dans ce site, c’est une riche galerie virtuelle, où découvrir des formes comme les "tondi", dessins ronds, et on peut lire ses poèmes brefs, ses haïkus. Lui aussi dit, comme le couple des Jean, une affinité avec le Japon, au point de vouloir en apprendre la langue.
Sur cette page d’un numéro de la revue Traces (N°63) on peut voir un de ses dessins, et les créations graphiques qu’il réalisait pour la revue, dans l’esprit du nom ‘Traces’, accent mis sur le trait. Il y a aussi sur cette page de sommaire un texte de lui sur la peine qu’on a au décès de gens qu’on connaissait par leurs textes et sur ce qu’est connaître ou pas… En cliquant sur ‘sommaire’ (en bas de page) on trouve un intéressant complément de présentation.
Note, sur Michel-François Lavaur, revue Décharge, après son décès...
Parmi les auteurs j’ai repéré ceux que j’ai beaucoup lus, comme Jacques Ancet. Ceux que j’ai lus et rencontrés, comme Anne-Lise Blanchard. Ceux qui me sont chers pour leur écriture et leur rôle, ainsi deux de mes éditeurs en revue, Jean-Luc Maxence (Les Cahiers du Sens) et Jean-Claude Tardif (À l’Index). Alors, évidemment, j’ai été plus attentive à certaines réponses qu’à d’autres. Cependant cette lecture est un voyage qui provoque un questionnement parallèle, et toutes les réponses interpellent. En couverture le choix d’une citation de Charles Baudelaire affirme la volonté de reconnaître chacun dans sa spécificité : "Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun c’est son génie."
Et j’ai aimé que soit cité Jean-Pierre Siméon dans l’éditorial de Silvaine Arabo, lui qui est un inlassable défenseur de l’importance de la poésie. Dans la phrase citée, pour conclure l’éditorial, il parle d’un "empêchement" propre à la poésie française, ce formalisme sec qui refuse l’élan du chant. Piège idéologique, mental, qui en rejoint d’autres, similaires, je crois, et il a bien raison de le rappeler. C’est un écho parfait pour appuyer Baudelaire mis en exergue, je trouve. Car la poésie formaliste (ou esclave de modes) considère que le chant lyrique véhicule des clichés, et que le souffle est à proscrire. (Ne serait-ce pas parce que le souffle demande une maîtrise de la langue qui n’est pas toujours celle des faiseurs de bribes froides ? Et parce que le souffle vient de l’intelligence du cœur, de l’acceptation d’une plongée dans l’émotion, sans peur des ombres, car d’elles naît ce qui luit).
Les auteurs qui répondent là sont fidèles aux exigences du départ. Ils savent dire "je", s’interroger, affirmer ou dire non.
Je ne vais pas reprendre toutes les réponses. Deux cent pages ne se résument pas (les questions de Silvaine Arabo, oui). Mais je vais saisir des fragments.
.1. Pourquoi écrire de la poésie ? À cette question Jacques Ancet répond que s’il le savait il croit qu’il n’écrirait plus. Sa conception de la poésie est large, et il parle d’écrire "l’innommé". L’écriture est pour lui le rythme et la voix d’un corps. Le mouvement du vivant. Refus du classement artificiel en genres. Il cite Mallarmé et Pasternak, qui l’affirment aussi.
Certains parlent d’un événement dans leur vie, d’autres de lectures qui ont déclenché l’appel du poème. Serge Wellens, lui, note l’importance du silence en poésie, ce silence, dont Guillevic (qu’il cite) dit que le poème le sculpte.
.2. Le mot ? Refus, par Jacques Ancet, du "fétichisme du mot", car pour lui c’est "entre les mots" que se produit le travail d’écriture. Pour d’autres le mot est passage, ou clé, outil, son, graphisme, ou support d’imaginaire. Ou "matériau" (Jean-Claude Tardif). Christophe Forgeot cite François Cheng sur l’importance de "nommer".
.3. D’où émane le poème, corps, coeur, mental ? Quel schéma ? Pour Jacques Ancet, pas de distinction, et tout ramène au corps. Pas de schéma "prédéterminé". Plusieurs évoqueront le corps. Et certains rappellent le rôle de l’inconscient (Jean-François Hérouard, Jean-Luc Maxence).
.4. Genèse d’un poème ? C’est encore, là, en Jacques Ancet que je me reconnais plus. Il parle d’une "pulsion sonore", d’une "vision dans l’écoute". Sans s’appuyer sur un poème ("ce serait trop long"). Et l’essentiel étant dit c’est suffisant pour saisir ce qui compte. Bernard Grasset, lui, ne donne qu’une indication (des mots "récoltés") ne voulant pas trahir le travail de "l’artisan" qu’est aussi le poète. J’ai été moins intéressée par les récits, plus techniques, de genèses de textes précis.
.5. Des règles en poésie ?
Beaucoup, comme Philippe Biget, récusent "les codes". Pas ceux, plus rares, qui s’attachent à des genres codifiés, justement. Mais je partage, en lectrice, le goût de Jean Chatard pour l’alexandrin ("le plus beau vers que l’on puisse imaginer"). Même si, quand on écrit, y compris dans le souffle de la prose, l’alexandrin sache se glisser, clandestinement, car le corps s’en souvient.
.6. Des missions, la poésie ? Est-elle ascèse, nécessité ? "Une nécessité et une forme de méditation", écrit Jacques Ancet, Mais toute sa réponse est précieuse. Donc je poursuis un peu la citation : "Une manière, par le langage, d’être pleinement présent ici et maintenant". Il parle de "s’effacer comme personne privée", de "faire le vide’". Pour que "quelque chose puisse apparaître".
L’expression "pas de mission" revient souvent dans les réponses qui suivent. Et plutôt, aussi,la mention d'une "nécessité". Pour Michel Cosem l’essentiel c’est de ne pas "aliéner la liberté du poème". Jean-Claude Tardif dit, juste formule paradoxale, que la poésie est "l’inutile nécessaire". Plusieurs parlent de spiritualité. Et Jean-Luc Maxence le développe de manière particulière, en reliant cela, en jungien, au processus d’individuation, qui passe aussi par l’écriture "de l’être que je tente d’être". Il l’associe aussi à sa passion pour la poésie des autres, ce qui a fait de lui un éditeur. Bernard Grasset oppose la technicité matérialiste à "l’écoute du mystère". Christian Monginot développe plus que d’autres sa réflexion sur des aspects qui peuvent paraître contradictoires mais ne le sont pas. Il utilise le mot de mission, mais pour l’idée d’un "dévoilement" "éthique" et "cognitif" de notre être pensant. Il garde la notion d’ascèse (comme capacité de faire des choix) et celle de nécessité, mais pour une analyse profonde et subtile du rapport à la parole, à un "reste" à dire, qui ne peut l’être, et qu’il faut cependant "capturer". "Donner voix à ce reste" fait rejoindre poésie et spiritualité. Patrick Werstink, qui cite Lao Tseu pour introduire l’idée d’une poésie qui doit tout pouvoir étreindre ("il n’y a pas de zone privilégiée dans les aspirations humaines"), utilise une expression très intéressante pour définir alors la poésie, comme "élan rhizomique". Elle est pour lui "ascèse ludique", exploration , entre microscome (soi) et macrocosme (l’univers).
.7. Enseigner la poésie ? Réponses divergentes (et souvent décevantes). Il y a ceux qui en ont l’expérience, peu, et ceux qui voient cela de l’extérieur, en ignorants d’un domaine qui n’est pas le leur. Certains ont une vision fausse de ce que sont les enseignants (dont beaucoup sont eux-mêmes écrivains et n’ont donc pas besoin de faire appel à d’autres). Et une vison fausse des pratiques effectives, ne voyant d’enseignement que par la lecture des textes, avec parfois la méfiance de tout décryptage (et pourtant cela peut passionner, il y a des méthodes qui le permettent). Enfin peu pensent aux ateliers d’écriture, où la poésie se pratique, se crée. (Les mentionnent notamment Colette Gibelin, Matthieu Gosztola, Ludmilla Podkosova, Jacqueline Saint-Jean, Dany Vinet. Roland Nadaus, lui, dit son agacement (légitime...) devant les projections pénibles de poètes au sujet de l’École en général. Et, oui, je le dis, les ateliers d'écriture existent et leurs productions seraient leçon de modestie pour pas mal de poètes présents sur la Toile, qui reverraient peut-être alors leurs exigences intimes…
.8. Un art proche ? Reviennent surtout les mentions de la peinture et de la musique, la photographie ou la danse, peu (Anne-Lise Blanchard associe le regard en poésie et photographie, le rapport avec l’oeil). Jean-Claude Tardif doute de la qualification d’art pour la poésie. Il préfère parler de "surplus d’existence" mais associerait la sculpture ("le mot se travaille comme la glaise"). Jean Chatard associe poésie et chanson (et c’est étrange que ce ne soit pas plus évoqué).
.9. Se définir comme poète ? Se situer dans un courant poétique ? Que penser des modes poétiques ?
"Se définir c’est s’enfermer", dit Jacques Ancet. Qui ne peut que dire ses proximités (ainsi avec Ritsos ou Emaz). Et des modes il écrit qu’elles sont du "prêt à penser", comme le "prêt-à-porter", de "l’ordre du collectif", du "connu", alors que la création est du "singulier", vers l’inconnu. Jean-Luc Maxence aussi refuse les cases : "Je ne me définis pas, j’écris !". Et Jean-Claude Tardif a presque la même formule : "J’essaie d’écrire, c’est tout !"
Certains parlent de lyrisme, mais plus large qu’un courant. Et plutôt que des appartenances la plupart disent des héritages de lectures.
.10. Quel déclencheur ? Principalement des lectures. De poètes : Rimbaud, Char, Lorca, etc. Mais aussi de prosateurs. Parfois un événement. Ou des rencontres.
.11. Définir la poésie à qui l'ignore? Transmettre ?
Plutôt que de poésie penser poèmes : Jacques Ancet se réfère au moine-poète zen Ryokan, et il inverse le regard, car Ryokan disait : "Mes poèmes ne sont pas des poèmes. Quand vous aurez compris que mes poèmes ne sont pas des poèmes, alors nous pourrons parler poésie." C’est comme un koan… pour abattre "l’idole surannée" construite par des poètes qui font fuir les lecteurs.
Je préfère ceci à certaines tentatives de définition et à la volonté qu’ont certains de convertir au goût de "la" poésie, avec ce sentiment de posséder quelque chose de plus. Emmanuel Hiriart, justement, pense aussi qu’il y a plusieurs voies d’accès au profond, même si la poésie lui est essentielle.
Dans la revue, de page en page, des citations, et des poèmes. Une vraie somme, des ouvertures vers des œuvres…
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Thème intéressant car riche de symboles. Les portes sont dans les contes et les mythes, les poèmes et les peintures. Elles ouvrent, dans notre imaginaire (et dans la réalité) vers des lieux bénéfiques ou des enfers (Dante n’est pas loin…). Là elles inspirent d’abord des artistes visuels. La revue est d’art autant que de poésie. Œuvres de Claudine Goux (dont je reconnais maintenant immédiatement le style) en couverture et dans les pages intérieures (j’ai adoré le Passage en barque, et beaucoup aimé tout le reste). Riche imaginaire, présence mytholoqique, univers du sacré symbolique. En 4ème de couverture, Michel-François Lavaur. Dans la revue deux dossiers d’artistes. Portfolio des peintures (et sculptures) de Josef Ciesla et sculptures de Sylviane Bernardini.
Le portfolio de Josef Ciesla est accompagné d’un riche entretien. Aux questions de Silvaine Arabo l’artiste donne des réponses éclairantes. On apprend son itinéraire, ses références. Comme Gaston Bachelard, son "maître à penser", le Bauhaus, et Brancusi, pour "l’épuration", Andrée Chedid et la poésie, Colette Magny et la chanson, l’immense Pina Bausch pour la danse… Belles œuvres, couleurs puissantes.
Les sculptures de Sylviane Bernardini (des femmes) sont commentées par Laurent Bayart.
Ont écrit chroniques, poèmes, ou recensions, de nombreux auteurs. Dont Michel Butor, Michel Cosem, Georges Cathalo, Bernard Grasset, Luis Mizón, Christian Monginot , Jacqueline Persini…
Longue et belle méditation de Christian Monginot, sous le signe de Dante, Rimbaud et le Tao. Paradoxes du sens "dans l’espace binaire du langage". Les portes marquent des frontières "entre des espaces dont chacun est un dedans pour lui-même, un dehors pour un autre espace". Mais la poésie aboutira au "non-écrire du seuil", à la conscience que le seuil est illusoire, car "il n’y a ni dedans ni dehors".
Jacqueline Persini, elle, cherche à définir ce qu’est "habiter notre vie" quand "dans l’infini du temps, nous sommes juste passant d’un lieu à un autre, d’un temps à un autre…" Alice est son héroïne, celle qui nous montre le chemin du courage, pour traverser les portes vers l’inconnu, et la transcendance.
J’ai aimé le poème de Luis Mizón, Poème du seuil... "des hologrammes derrière les portes / des poèmes gravés dans les mosaïques du sol" (…) "Je ne suis que la maison de mes paroles" (…) "mon vaisseau est un poème".
Et aimé aussi celui de Christian Monginot, Une si fluide demeure... "Et pour mieux nous rêver ensemble, / Nous avons repoussé dehors / Tout ce qu’il nous répugnait d’être. "(…) "Des inquiétudes chevillées / À la parole des os et des pierres, / Au chant des herbes et des sables..."
Et bien sûr le Blason de Silvaine Arabo… Blason ou Le franchissement des seuils. Le Dragon cosmos dont nous sommes part, qui déroule ses anneaux de mort et de vie. Et "sait"…
À part, entre poème et fragments médités, les deux pages de Daniel Leduc, Seuils de porte. Épictète et Roberto Juarroz sont ses exergues. Et lui écrit une poétique de la philosophie. Sagesse acide, distance de l’autodérision de qui se dit parfois "prisonnier de mes soifs". mais qui rêve peut-être comme le marchand de son texte, brocanteur, "pour alerter / le vent".
Les notes de lecture sont donc de 2014. Mais stables valeurs. Lire Michel Baglin. Lire Rachel, Bernard Grasset, Silvaine Arabo (et lire ses coups de cœur : Sénèque, Cicéron, Gilbert Sinoué).
Justement des citations sont dispersées entre les textes. Dont Victor Hugo, Lao Tseu, Marguerite Duras, et Gilbert Sinoué, Le livre de saphir (paragraphe sur les quatre portes, et quatre éléments, des soufis, le chemin initiatique qui va de l’air du vide à la terre dense).
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En exergue, Osho. "Laisse-toi aller, comme une barque au fil de l’eau"…
L’eau, le passage...
Nombreux auteurs de chroniques ou poèmes. Dont Silvaine Arabo, Jean-Louis Bernard, George Cathalo, Marie-Josée Christien, Bernard Grasset, Werner Lambersy, Pascal Meiplat, Sébastien Minaux, Serge Muscat…
Traduction de poèmes de José Agustín Goytisolo par Bernard Grasset.
Ce monde liquide est présent dans les photographies de Marc Meinau commentées par Laurent Bayart. Nature seule, liquide ou végétale, et humains sur des ponts, vus de loin.
Magnifique peinture, en couverture, de Robert Moorhead. Je regarde donc d’abord le portfolio. J’aime son univers de géométries et calligraphies. Lisant l’entretien (il répond aux questions de Silvaine Arabo) je lis que sa vocation de peintre est née à 9 ou 10 ans, en voyant une exposition de George Bellows et en étant ébloui par cette œuvre. Il parle ensuite du processus de création d’un tableau, qui consiste, en un premier temps, à la préparation matérielle de la toile de lin ou coton. Mettre l’enduit. Préparation loin d’être machinale et purement technique, puisqu’il évoque "une sorte de méditation’ qui ’s’impose". C’est le "premier geste", l’enduit puis la base de couleur, suivant l’intuition. Et le "deuxième geste" n’est pas décidé, il vient de la toile, soit immédiatement, soit longtemps après ("des jours ou des mois"). Car c’est un processus "qui consiste à sonder l’inconscient".
Le but de "l’acte de peindre" est, pour lui, "de faire naître ce qui nous dépasse, ce qui est invisible". Il se réfère à ce que dit Paul Klee sur l’art qui "rend visible".
Intéressante, sa conception de l’autre bout de la création, l’achèvement du tableau. Il parle plutôt d’abandon du tableau auquel on ne voit plus quoi rajouter. Il dit aussi quelque chose qui rejoint ce que je pense aussi de la création photographique et poétique. Sur le travail du temps, le passage par l’oubli de l’œuvre. Et, finalement, le regard d’autrui qui contribue à faire exister ce qui est proposé. Ses références, Klee, Tàpies. Quant à l’expression d’émotions ou de chocs (comme celui du 9-11) elle intervient par une traduction en "résonances", pas par des représentations figuratives.
J’ai regardé les tableaux bleus d’Arève. Et les photographies d’arbres d’Henri Yéru, qui accompagnent des textes de Chantal Danjou (Tangage, Les barques), où elle interprète métaphoriquement le thème de la barque, citant Marguerite Duras dans le corps des textes.
Serge Muscat a rédigé, pour Aragon, une chronique d’admiration, Aragon, L'insomnie d'aimer. Interrogeant, à travers l’œuvre du poète et prosateur, la démarche de regard en profondeur sur soi-même. "Descendre au fond de soi pour tenter de se trouver : voilà ce qu’est peut-être l’acte d’écrire."
Le très beau texte de Werner Lambersy, L’ouvrage d’art, est une profonde réflexion sur le monde comme un champ de bataille. Lui veillant sur un pont. Et que peut la poésie ? "Serai-je ce seuil ?" … "Ce pont n’existe-t-il que pour le cri, le salut, le souffle, le chant, le récit ou quoi d’autre qu’on apprend trop tard ?"… "Ma tâche : être visible et ouvrir l’œil sur l’invisible."… "Ce pont, j’y suis désormais attaché corps et âme ; je serai ce pont, jusqu’à mon dernier souffle !"
Et c’est très bien choisi que, sous ce texte, soit cité Henry Miller (extrait) : "Tel est le sens le plus profond de notre humanité : que nous sommes un lien, un pont, une promesse. C’est en nous que le processus de vie atteint à la plénitude. Notre responsabilité est formidable, et c’est la conscience de cette gravité qui éveille en nous la peur."
Écho, qui répond à cette analyse, la réflexion de Pascal Meiplat, qui, à partir du mythe de Charon, sa barque pour les âmes des morts, porte une interrogation sur la fonction du poète, veilleur devant l’actualité (les migrants noyés en mer, la violence terroriste des fanatiques, la guerre…). Devrait-il donner des réponses, le poète ? Non. Mais la poésie, comme un combat, inversera les faits ("les présences et les absences") en questions. Écrire, "pour rassembler ce qui reste épars du paradis perdu, des poèmes pour vivre." Dans son analyse il a mentionné ou cité Yves Bonnefoy, Yannis Ritsos, Olivier Py…
Écho, autrement, le poème de Bernard Grasset (extrait de Voyage 3). "Tu montes seul sur la hauteur"
(…) "Gravir, écouter, regarder, / L’eau et la lumière, le jardin du temps."
Silvaine Arabo a écrit des réflexions et aphorismes.
Citations…
. La poésie est mise en forme d’énergies intérieures. Elle accouche de champs fréquentiels.
. Par le symbole, l’image, la métaphore, la poésie est reliance.
. Ne rien attendre, jamais. (…)
. Seule la véritable altérité nous engendre.
Des citations sont dispersées dans les pages. De Christian Bobin, André Velter, Tchouang-Tseu, Henry Miller (donc), Yves Bonnefoy, Goethe, Fabienne Verdier (dont un entretien avec Charles Juliet est mentionné en coup de cœur par Silvaine Arabo : j’ai lu sa biographie et des livres de création, mais pas encore cet ouvrage… ).
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recensions revues 10, 13, 15 © MC San Juan
1 commentaire
Quel travail ! Merci d'avoir exhumé ces "Saraswati" anciens et notamment le numéro 10 qui me tient particulièrement à coeur et à travers lequel on peut faire un "point" intéressant sur la poésie contemporaine française. Merci pour votre lecture, pour votre investissement, chère Marie-Claude. Avec amitié. Silvaine Arabo.
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