Mon pays,
C’est toutes parts où des hommes.
Mon pays ?
Toutes parts où des soleils
Gabriel Audisio, Hommes au Soleil, 1923
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La figure, l’être, le mythe d’Ulysse n’ont jamais cessé de me hanter, m’habitent de plus en plus. Gabriel Audisio, Ulysse ou l’intelligence, 1946
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Donnez-moi, dieux des mains qui écrivent, donnez-moi les mains de ceux qui animent des statues !
Gabriel Audisio, Ulysse ou l’intelligence, 1946
.
D’Hommes au soleil, 1923, à De ma nature, 1977, plus de cinquante années de poésie publiée. Hommes au soleil est dédié à Jules Romains, dont l'unanimisme, cette conscience d'une matrice commune des Méditerranéens, l'a influencé (il fut son professeur de philosophie à Marseille). Cela se retrouve ensuite, mais transformé, magnifié par la connaissance qu'Audisio aura des cultures méditerranéennes diverses - grecques comme islamiques - et par l'intense imprégnation du mythe d'Ulysse. Audisio est poète dans tous ses écrits, dans ses romans comme dans ses essais. Partout, ce même souffle, cet élan singulier. Mais c’est dans les recueils qu’il met en œuvre des refus et des exigences spécifiques, et crée le poème, tel qu’il le conçoit. Pour comprendre ce qui constitue sa poétique il nous faut considérer les éléments qu’il donne dans des essais, et lire, comme en surimpression, les pages des recueils. Des associations apparaissent. Thématiques et formelles. L’idéal d’un humanisme méditerranéen traverse l’écriture d’Audisio, celui de l’être méditerranéen pluriel, porteur d’une capacité de joie vitale, solaire, habité par l’esthétique de la mer, ce "continent" commun, et par la beauté de ses rives. Sagesse méditerranéenne de l’adhésion à la vie.
Ainsi, dans Jeunesse de la Méditerranée, il définit ce qu’il appelle le "mystérieux" de la Méditerranée, "alliance du fantastique et du merveilleux". Ceci est une clé pour lui-même, un des visages de son Ulysse intérieur.
Misères de notre poésie, cet essai en fragments de 1943, expose une éthique de l’écriture poétique, esquissée par ses ombres et le refus des impostures.
Et dans Racine de tout, l’avant-dernier recueil, 1975, on retrouve des mots de l’essai de 1943, comme cette injonction à soi-même, "rayer". Et la partie titrée Allégories du poème nous fait recroiser l’abeille de l’essai, celle dont le miel dépend du "butin". Dans le poème le pollen est la glèbe aboutie, "le suc / aspiré". Le butin du poète c'est ce dont il se nourrit : expériences, contemplation des paysages, culture, êtres rencontrés.
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SOMMMAIRE, suite :
. Recension, Misères de notre poésie, essai, 1943
. Recension, Racine de tout, recueil, 1975
. Citations (essai et recueils)
. Bibliographie sélective
. Lien (thèse au Canada)
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ESSAI. Misères de notre poésie, lecture essentielle.
En exergue, l’avis introductif cite Voltaire et Dante, pour affirmer la volonté de dire : dénoncer les compromissions, les faiblesses, les complaisances, les lâchetés, les artifices. Éclairer, au risque de déplaire. Mais éclairer "ses ennemis mêmes", "gratter" ce qui doit l’être. L’avis précise qu’il ne nommera pas, utilisant des pseudos et brouillant les pistes.
L’ouvrage, en neuf chapitres, fait alterner des paragraphes et des fragments aphoristiques très brefs (une ligne, deux, trois). Il considère que la poésie qui renonce à ce qu’elle fut n’est plus la poésie. Ce n’est pas un choix traditionaliste mais une exigence vitale. Exprimée dès le premier chapitre.
Le cœur, le chant, la mémoire :
"Poésie qui ne chante pas n’habite pas la mémoire".
Férule des férules, le deuxième chapitre, questionne l’autorité illégitime, usurpée, une comédie des conventions, la soumission complaisante à ces "lois secrètes de l’Ordre" qui s’allient à des stratégies d’ambition : apprécier ce qu’on croit qu’il faut apprécier. Et à la question de Cyclope sur le nom du "vrai critique de poésie", c'est Ulysse qui répond : "Personne".
Aversion pour la critique qui "jargonne de philosophie". Et pour l’inauthenticité des admirations par conformisme, de qui parle sans dire ses "goûts et dégoûts" (mais "dégoûts justifiés", : "dites pourquoi"). Il va plus loin : "Nul n’est tenu d’admirer l’admirable".
Ce n’est pas "ce qu’est la poésie" qu’il veut définir (ce que "les critiques s’évertuent à dire") : "Et s’il fallait prendre le problème par l’autre bout ?". Non, dire ce qu’elle ne doit pas être.
Tout le troisième chapitre traite de l’ampleur, fausse qualité : "Confusion trop fréquente entre l’ampleur et la grandeur, entre l’abondance et la force : Dante écrit un poème de quinze mille vers, et il est Dante 'malgré' les quinze mille". Alors que l’auteur médiocre, écrivant le double, "ne sera pas un autre altissime 'à cause de' ses trente mille". Cela fait écho à ce mot, "rayer", présent dans l’essai et dans un poème de Racine de tout, ou à cette répétition : "ciseaux ciseaux ciseaux", même poème. Écho, encore, ces vers du poème Longueur de temps, publié dans le dossier Audisio de la revue Sud, pages des inédits :
"Il faut rayer mille images
Pour durcir le diamant du mot."
Dans le chapitre de l’essai, Misères de la grandeur, il écrit : "Rien ne dure qui ne soit dur, qui ne résiste à la main, aux dents, aux larves". Mais il précise ("correctif" qui suit) : "Il y a dur et dur : un caillou peut résister moins qu’un muscle. On dit que S., dans ses poésies, enchâsse des diamants : mettez-y l’ongle, ils s'effritent".
Rejeter l’imposture de la quantité n’est pas la remplacer par l’imposture du bref pour le bref. Car… "Tous les vers les plus courts ne font pas les moins longs poèmes (…). Et les plus concis ne sont pas toujours les plus brefs : il en est qui bavardent avec des monosyllabes."
Complexité de la réflexion. En effet, pour Gabriel Audisio, qui nuance ses propositions par des "correctifs" (titrés ainsi), ce n’est pas la forme apparente qui dit la valeur, la "grandeur". L’exigence est plus radicale. La qualité d’une écriture, pour lui, c’est son adhésion avec la force de la pensée, l’intégrité de celui qui écrit, la concordance entre le texte et la rigueur intérieure. Cette capacité de "rayer" n’est pas formelle, ce n’est pas couper pour couper. C’est l’aboutissement d’un processus de pensée pour l’adéquation totale de ce qui est saisi par l’esprit avec les mots, la phrase, le vers, qui traduiront.
De nouveau il revient sur la notion du "goût". Au sujet de la "pathologie" des mauvais choix, il affirme la "prophylaxie" : "le goût".
Plus loin, il dénonce des postures. Et le piège de la mode : "La poésie est à la mode, la mode est à la poésie". Mais… "Qui dit mode dit mort."
"Le temple de mémoire", ou chapitre pour rappeler que la poésie a une histoire : l’ignorant croit découvrir, vierge de précurseurs. Illusion.
La vanité des poètes peut se cacher dans le mépris du nombre. Qui est beaucoup lu perd en prestige, pour certains, car perdant en mystère, en secret, en réclusion affichée : "Peu d’élus, tel est l’orgueil de toutes les hérésies".
Autres impostures, celle d’une religiosité à la mode, les faux mystiques parlant en excès de Dieu, avec une majuscule, et empêtrés dans leur dieu, avec la minuscule… Or… "Une certaine manière de chercher la clarté céleste ramène tout droit à l’obscurantisme." Religiosité engagée qui produit "la littérature militante" : l’œuvre médiocre peut être maquillée par son sujet.
Pascal, "pris par Dieu", note-t-il, rompit avec "les cénacles littéraires". D’autres, au contraire, utilisent Dieu pour se faire reconnaître : imposture.
Et… "Le vertige pascalien, lui, ne fait pas carrière", écrit-il, plus loin
Mais peu importe, dit Audisio, que ce soit "présence de Dieu" ou "absence de Dieu", ce n’est pas cela qui fait la valeur du poème. Et le mondain qui versifie sur Dieu ne sera pas pour autant un ascète saint.
Au sujet des mystiques authentiques auteurs d’une grande œuvre, comme Jean de la Croix et Thérèse d’Avila, Audisio parle de l’expression de leur foi dans des poèmes comme d’une création "par surcroît". Car "ils vivent pour Dieu d’abord". Des "saints". Quand d’autres sont auteurs d’abord : c’est Dieu, pour eux, qui est "par surcroît", et c’est là qu’est leur imposture.
Le dernier chapitre tient en quelques lignes. Moralité, indique le titre. Épilogue, pour dire qu’il a traité de "ce qu’il aime". Pardonné ? — "Par ceux-là seulement qui comprendront qu’il a beaucoup aimé".
Ouvrage de 1943… Audisio fut résistant, comme Camus, Char, et quelques autres. On l’emprisonna, pour cela. Les compromissions et impostures qu’il critique mêlent art et idéologie. Pendant l’Occupation cela prenait évidemment une signification plus grave. On peut interpréter, notamment, le chapitre quatre, Parasites en liberté. Liberté d’écrire de telle ou telle façon ? Ou, plus, manière d’être libre au point de résister ? (Ce qui ne veut pas signifier, pour lui, faire de la poésie engagée : il ironise au sujet des militants de la religion, les autres ne l’intéresseraient pas plus). La liberté ? "Se battre pour la défendre et non pas la chanter en pantoufles." Et… "Mourir de liberté n’est pas mourir pour la liberté". Ces phrases correspondent à la fois à ce qui peut définir un rapport au poème qu’on écrit et un rapport aux choix qu’on fait sous l’oppression. Pour Audisio c’est une question d’intégrité, de cohérence intérieure, d’authenticité.
Audisio, s'il vivait encore, aurait ajouté deux chapitres à son livre. Il aurait parlé d’autres impostures, voisines des sujets qu’il a abordés.
Celle de l’immédiateté contre le silence de l’œuvre en chantier. Ainsi ces poèmes du jour (termes oxymoriques), publications d’autopromotion louées sur les réseaux sociaux, où la plus grande médiocrité côtoie l’exigence, plus rare, dans une fréquentation qui dilue les critères. Il aurait rejoint, ainsi, la réflexion d’Arnaud Forgeron recensant, dans la revue À L’Index n°41, un ouvrage de Claire Légat, et louant sa capacité de long retrait pour le travail dans l’ombre avant toute publication. Lui qui oppose à cette exigence "l’engorgement du trafic qui semble sévir en poésie et dans nos sociétés de l’immédiateté". Audisio aurait été d’accord, aussi, avec les passages de mes posts ou notes où je dis ma lassitude à ce sujet. Et ma tristesse. Confusion faite, souvent, entre silence et stérilité créative.
L’acuité d’Audisio aurait combattu les dérives idéologiques à la mode depuis quelques années, accueillies par des complaisances, des complicités. De la bigoterie flirtant avec des extrémismes identitaires (et tellement loin de toute spiritualité), jusqu’au théâtre de fausses subversions enlaidissant la langue et faisant mentir des concepts (comme celui de liberté, pour en faire une prison), en passant par le dévoiement de poètes (censés savoir lire…) séduits par le conspirationnisme…
Audisio, Audisio, écrit Jules Roy, lui rendant hommage dans une plainte et un remerciement, pour l'écriture de sa douloureuse et magique somme de souvenirs, L'opéra fabuleux. Et je reprends encore, mais cette fois avec un sens décalé : Audisio, Audisio, tu nous obliges à la lucidité. Vigilance d’héritiers.
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Dans le recueil Racine de tout (1975), où je lis une épopée de ce Tout de l’humanité, Gabriel Audisio écrit aussi une épopée de la parole. Non dans une perception hiérarchique de ce qui est, mais à partir, comme le dit le titre, des commencements souterrains, cet archaïque rhizome à la source de tout. Recherche du sens dans l’horizontalité des causes. "Chercher"… "à la racine du mal". Car qui aime la vie, comme le méditerranéen absolu qu’est Audisio, sait le malheur des siècles humains.
Ce monde des racines est celui des "allégories du poème".
Le premier vers du recueil est un programme :
"gratter râcler fouiller". "Il faut creuser", autre vers, plus loin. Creuser pour tenter de comprendre comment la source, ces "milliers de graines finies" ont produit ce qui existe. Comment le futur naît du lointain passé de la graine, futur collectif et possible individuel : "On ne sait pas ce qu’on nourrit en soi".
"Dans la racine
Tout."
La réflexion sur la naissance du vivant mêle nature et mots :
"Les fleurs les noirs les phrases".
Et
"Plante advenue
La parole formulée
A-t-elle le droit de mourir ?"
La démarche de plongée en profondeur pourrait "extraire" la réalité de ce qui fut fondateur, vie comme malheur, mais aussi l’aube de la création :
"Pour y trouver le chiffre
Peut-être du poème."
(…)
"Mais la plante révulsée en appelle
Pour délivrer le mot
Racine d’or."
Allégories, les animaux (la taupe, l’oiseau, l’abeille).
La taupe, qui creuse.
L’oiseau, qui sème, et dont l’envol est similaire au mouvement de la parole.
L’abeille, qui crée son miel, par ce qui surgit "de la glèbe… au pollen".
Écrire c’est donc s’inscrire dans le même processus que celui des abeilles. Rendre, par les mots, ce qui vient de la germination souterraine des racines :
"Trouver le secret d’être nourri
Par chacune d’où sort le suc."
Déchiffrer ces "racines / indéchiffrables". Aller, de la "glèbe", au "suc", le créer, en "abeilles du parler".
La conscience humaine n’entend plus la lointaine "nuit des origines". "Mutisme", "silence"… Mais cependant, toujours, la tentation de la parole. Muette origine, muet humain, ou "sourd". Serait-ce, alors, le défi de la poésie, que lutter contre cette surdité ? Entendre et traduire ? Et, justement, faire de la surdité handicapante une autre capacité, celle de saisir ce que l'écoute normalement ne sait pas : capter l'insaisissable.
"Tout est encore à dire
Et rien n’est entendu."
Le parcours des éléments structure le recueil : eau, air, feu, terre. Matérialité de la nature. Poésie qui fait que se traversent les univers de la terre, de la mer, et de l’homme : même source de chair vive sous des formes différentes.
Eau. C'était "la rosée", le "plus dormant des secrets", puis "la mer des origines, la mère l’eau", source gelée, ou fleuve qui "crée la mer".
Air. Celui de la "rose des vents", d’est en ouest, du sud au nord (sous-titres : E, O, S, N). C’est, Est, "l’air mouvant" du "murmure" des feuilles. Ouest, ce souffle du vent "qui chasse la mémoire". Sud, le "vent du sud" du poème dédié à Jules Roy, celui de l’univers du "sel sable soleil" et de la palmeraie, "les trombes rouges du désert" qui déploient le sable sur "les villes étonnées". Nord, vent "magistral" c’est "le vengeur", "le maître des hauteurs". L’air c’est le "règne du vertical", qui va vers le monde des pléiades, des étoiles, des galaxies. Et rencontre la pensée du vide.
Feu. "Premier feu" (…) "La foudre’" Mais phare qui guide, lumière, "volcans funèbres", le "grand incinérateur" qui détruit tout en cendres, "jusqu’à l’ultime résidu", et nous rend aux premiers temps du monde.
Terre. Il nomme : rocs, pierres, glèbe. La terre, élément, et la Terre, planète : "Petite étoile", perdue dans "l’abîme des mondes", et vouée à ne plus être…
Terre peut-être invisible...
"Aux yeux là-haut d’autres vivants inimaginables".
Temps. Le "dernier élément" serait le temps, "Le souffle / sorti du temps", l’appel "dans l’oreille du temps". Ce qui permet le souvenir (Mémoire, titre du premier poème de cette partie du recueil...).
L’espace des "mortels vivants" est donc aussi celui du vide que l’élément air désigne :
"Mobile éternisé
Le vide est habitable."
Pas le vide ternaire des taoïstes du Yin et du Yang, celui que le poète François Cheng nous enseigne dans Le Livre du vide médian, ce souffle médiateur bienfaisant. Non. Le vrai vide de l’espace et de l’infini du temps :
"Le vide
Pure absence de tout."
(…)
"Ni bien ni mal
Ni vie ni mort."
Écrire c’est penser. Et penser c’est affronter l’idée de cette "absence de tout".
Imaginer ce qu’on n’arrive pas à penser, les millénaires d’absence.
"Et mille autres milliers de milliards d’années
Avant d’être entendu."
Pensée de la mort comme "éternité de vie" à l’égal d’un "dieu de néant".
Le futur sans rien serait :
"Cendre.
Plus un seul."
(…)
"Cendre.
Quelques autres."
Mort de tout, et mort individuelle :
"Pour quand
sa cendre qu’il ne connaîtra pas
Celui qui tisonne dans le refus d’oubli ?"
Méditation sur cet "invisible passage" qu’est la mort.
Mais si l’humain meurt qui déchiffrera "les mots illisibles" du secret du réel (poème, Le secret) ?
Une épopée contient sa part de tragique. Et ce qu’Audisio a vécu de souffrance avec la conscience lucide des catastrophes de la guerre d’Algérie et de l’exode de 1962, cela ne peut qu’avoir nourri sa méditation. Cependant il est toujours, même âgé, le méditerranéen fervent (lui, Marseillais de père italien). Et le dernier poème, Musique, ne ferme rien : au contraire, c’est une ouverture.
Conscience de "l’harmonie" de l’univers, "la grande fabrique", dont on peut capter la "musique imperceptible".
Dans ce texte je vois le signe d’une adhésion toujours forte au vivant, à cette présence terrienne. Et, plus encore, j'y retrouve une influence algérienne, cet animisme présent encore sous l’islam d’Afrique du Nord, que sa longue fréquentation des cultures de cette rive lui a fait intégrer. Imprégnation de ce fort rapport à la nature, qu’il avait déjà, mais autrement : par l’idée de cette fusion avec le Tout :
"Dernier vœu du mortel
S’unir à l’univers avant de s’y dissoudre."
Les dédicaces de quelques poèmes, cinq, sont aussi un message. Proximités méditerranéennes, accords éthiques.
À…
Louis Branquier, l’ami marseillais de toujours, sur lequel il a écrit un volume pour Seghers.
Henri Bosco, qui a lui aussi des origines italiennes et a vécu longtemps au Maroc, et qui, rencontrant Audisio au hasard de signatures dans un Salon, a, lisant un passage du roman Héliotrope, admiré l’écriture et su immédiatement l’affinité esthétique et éthique qui les ferait amis.
Jules Roy, l’auteur natif d’Algérie, un des écrivains de l’École d’Alger, dont Audisio fut l’initiateur, un esprit ayant avec lui le même regard sur les déchirures algériennes : fraternité semblable, déchirure identique. Un des compagnons fréquentés chez l'éditeur Edmond Charlot, autour de la librairie Les Vraies Richesses. Jules Roy préfaça L’opéra fabuleux, somme sur l’Algérie (voir note précédente).
Francis Ponge, natif de Montpellier. Qui fut résistant, comme Audisio et Camus (avec lequel il correspondit après la lecture, par lui, du Mythe de Sisyphe, et par Camus, du Parti pris des choses).
Jean Pélégri, natif d’Algérie, auteur de Ma mère l'Algérie. Audisio et Pélégri ont eu, ensemble, un désaccord avec Albert Memmi qui n’a d'abord pas pu comprendre la complexité de leur position au sujet de la fin de la guerre d’Algérie. Pour eux, expression d’une déchirure associée à leur fraternité de toujours avec les différentes communautés algériennes. Mais Albert Memmi, lui-même exilé de Tunisie, a connu deux temps de son regard sur cet exil, le deuxième le rapprochant de leur expérience.
Dans le dossier Audisio de la revue Sud, en 1977, quatre d’entre eux ont écrit des chroniques (Brauquier, Bosco, Roy, et Ponge).
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CITATIONS. L’ESSAI...
Misères de notre poésie, Seghers, 1943…
Si je me penche sur les misères de la poésie, c’est pour mieux connaître ses grandeurs. Mais non pas pour les dire : la vraie grandeur ne se mesure pas, elle s’impose.
La poésie n’a qu’une bouche mais elle a mille langues.
La poésie peut tout dire.
Notre poésie vit et meurt de refus et de dédains : du goût, du style, du sujet, de la mémoire, du public, du cœur, de l’art, et même de la beauté, et même du poème. Qui toujours se refuse, ne peut guère me donner.
Poésie qui ne chante pas n'habite pas la mémoire.
Qui dit mots dit mode.
Qui dit mode dit mort.
La poésie ne réclame pas la liberté : elle est la liberté.
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CITATIONS. POÈMES. Parcours de quelques recueils…
De 1923 à 1977
HOMMES AU SOLEIL
Mon pays,
C’est toutes parts où des hommes.
Mon pays ?
Toutes parts où des soleils.
Mon pays ? Cette mer, Bassin clos De clarté, De chaleur.
Hommes au soleil, Mouton blanc, 1923
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Les rues, roulant leurs torrents de feux, Les prennent. Ils vont. Pieds nus, pas lourd, Marchant du genou, les bras pendants Et l’échine courbée vers la terre Comme afin de soutenir le poids Du ciel pressé contre les toitures, Ils vont.
Ici-bas, Basset (Alger), 1927
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Chaque nombre reste imparfait Dans le ciel un astre invisible Fait passer son ombre sur l’herbe.
Antée, Cahiers du Sud, 1932
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POÈMES DU LUSTRE NOIR
Il faudrait que l’été presse l’eau des étoiles
Que tout jardin devînt non pas un nid de feuilles
Mais descente et cascade
Du jus noir expulsé par le ventre des poulpes.
…..
Refusez vos paupières à la cendre, Vos songes refusez-les au sang noir ! L’espoir est dur jusqu’au nœud de la pierre : Qui n’est pas déjà rongé de la mort Connaîtra l’éternité des rivières.
Poèmes du lustre noir, Robert Laffont, 1944
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Le marbre le plus dur devant l’art du sculpteur
Est impuissant à dresser des frontières,
S’il l’ose on voit le sang jaillir de la matière
Sous les doigts de Pygmalion vainqueur.
Danger de vie, Rougerie, 1953
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RACINE DE TOUT
D’abord, rien.
Puis l’eau, Et rien autre, L’universelle submersion.
Enfin ils apparurent, Premiers, Nés de l’eau diluvienne. …...
Mais les voyants de l’invisible ont le secret Ils savent que leur fleuve Ne disparaît jamais si ce n’est pour renaître
……
Ils n’avaient jamais rien vu plus haut plus loin Dans l’air et jusqu’à la fin de l’air Et les voici qui savent comment tenter de voir Au-delà encore au-delà, Vers ce qu’ils ne pourront jamais contempler La face infiniment reculée du dieu terrible ……
Feu, le Feu, l’évidence de la consumation Jusqu’à l’ultime résidu, Rougeoyant, grisonnant, refroidi, blanchi, Ce peu de cendre promise au vent, L’histoire enfin tout entière restituée. ……
Pour qui croit à la flamme rien n’est jamais éteint Interne le feu de l’âge brûle encore après la mort. ……
Il n’est pas d’univers sans un homme pour l’accomplir Inventeur de la glèbe enfanteur du temps prochain. ……
Dernier vœu du mortel S’unir à l’univers avant de s’y dissoudre Dans la nuit revenue d’un nouveau monde à naître Prolongés à leur aise dans cet habitacle obscur Jusqu’à la fin des temps les morts écouteront.
Racine de Tout, Rougerie,1975
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DE MA NATURE
Sôma
Parlant à son reflet dans le miroir Ce corps Et il regarde et il écoute et il attend Le secret renvoyé par le double.
De ma nature, Rougerie, 1977
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BIBLIOGRAPHIE sélective... (Autres essais, romans et récits, note précédente)
Parmi les recueils de Gabriel Audisio (1900-1978) :
Hommes au Soleil, Mouton blanc, 1923
Poème de la joie, Édition du Solitaire, 1924
Ici-bas, 1927 (H.C.)
Antée, Les Cahiers du Sud, 1932
La cage ouverte, Charlot (Alger), 1938
Blessures, Fontaine (Alger), 1940
Poèmes du Lustre noir, Robert Laffont, 1944
Le Zodiaque fabuleux, Rougerie, 1957
L’île introuvable, 1961 (H.C.)
Racine de tout, Rougerie, 1975
De ma nature, Rougerie, 1977
Sur Audisio poète. Essais...
Gabriel Audisio le Méditerranéen, de Jean Susini (Magiciens au pays du soleil). Dont chapitre sur l’œuvre poétique. Presses des Cévennes, 1958
Gabriel Audisio, un poète méditerranéen. Chronique de Théodore Beregi, revue Art et poésie, n°73, 1975
Dossier Audisio de la revue Sud, n°20, 1977
Audisio le poète, chronique de Michel Décaudin, Bulletin des Amis de Jules Romains, n°12-13, 1978
Pages de Gabriel Audisio, supplément à la revue Sud, 1978 (après la mort de l’auteur). Par Robert Maumet, Marc Faigre, et Pierre Dimech (avec une sélection de textes d’Audisio).
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