On choisit pas non plus les trottoirs de Manille De Paris ou d'Alger pour apprendre à marcher Être né quelque part Être né quelque part, pour celui qui est né C'est toujours un hasard Né quelque part, 1988, Maxime Le Forestier (né à Paris, lui)
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J’ai régulièrement besoin, comme homme et comme écrivain, de me retourner vers ce paysage. Par lui je me rapatrie. Jean Pélégri, Ma mère l’Algérie
Elle cherche partout une partie d’elle-même, un frère, une sœur, une herbe d’Algérie, un bleu (…), une odeur d’Afrique. Marie Cardinal, Écoutez la mer
À se souvenir si fort d’une ville on devient ce qu’on a aimé le plus au monde, on devient une 'mémoire hantée' par l’amour.
René-Jean Clot, Une Patrie de Sel, ou Le Souvenir d’Alger
Le Destin avait déjà tracé ses chemins d’exil.
Jeanine de la Hogue, Ballade triste pour une ville perdue
Les films sont des moments. Cela ne s’explique pas. C’était le moment pour Exils.
Tony Gatlif, entretien, Liberté-Algérie, 02-10-2004
C’est ainsi que commence, pour ceux dont l’exil est d’enfance, la découverte d’une littérature qui leur parle d’eux, qui met des mots sur leurs malaises identitaires, leurs questions, leurs colères devant l’ostracisme. Ce n’est ni l’école ni la fac qui leur donneraient des clés. Grand vide, s’il n’y avait eu la découverte des anthologies d’Albert Memmi, des collections de l’édition Gandini/Serre, et des publications de Dominique Daguet (éditeur à Troyes, admirateur de René-Jean Clot qu’il publia : Librairie bleue, Cahiers bleus). Mais aussi les colloques et publications des Algérianistes. (Car, eux, si ce n'est pas le courant de l'École d'Alger ce fut quand même un partage de culture, pataouète compris...).
Car, s’il n’y avait eu cela, leur connaissance de leur propre culture serait restée dans un brouillard entaché de soupçons métropolitains. Les adolescents, amoureux des pages de Rimbaud et idolâtres de celles de Char (et de Lorca, par exemple, pour les hispaniques sans reniement de leur hispanité), avaient besoin d’un autre ancrage : on n’écrit pas en domaine 'étranger'.
Mais en prolongement de ces rencontres de lecture, des proximités se révèlent ou s'affirment, qui ne concernent pas que les auteurs francophones algériens et pieds-noirs du passé, d’avant 62, mais bien des publications des écrivains algériens d’après 62. Cela s’accentue avec les exilés des années 90. Car les expériences ont des points communs. Comme le montre le dessinateur Gyps, dans une page humoristique et un peu triste (publiée par la revue Algérie Littérature Action n°9, 1997). Il la titre ainsi : 1993 : Algérie comme en 62 (il dessine et nomme, écrit : terrorisme, "la valise ou le cercueil", l’exil, les conditions de survie en France…). Les natifs d’Algérie, d’où qu’ils viennent (et surtout s’ils écrivent) ne se comprendront pas complètement eux-mêmes s’ils ne lisent pas les auteurs de l’autre rive, restés ou exilés. Et ils s’apercevront qu’ils sont lus aussi, et souvent compris. Sur les deux rives il y a haineux et humanistes, fanatiques et penseurs complexes. Une fracture chez tous, la même d’un bord à l’autre de la Méditerranée : les camusiens et les autres (qui n’ont pas toujours lu…). Cette compréhension de soi par la lecture de 'l’autre' c’est valable de chaque côté. Benjamin Stora, dans une chronique de la revue de chercheurs en littérature, Expressions maghrébines, numéro de 2003 sur l’Histoire, parle d’une "connivence" qu’il a étudiée dans des écrits de femmes algériennes et pieds-noirs, à partir du parcours d’une centaine de livres. Voilà ce qui aurait pu rendre Gabriel Audisio heureux. Et Feraoun, Roy, Amrouche, Pélégri, Dib, Camus, Roblès, Cardinal, Sénac. Et, je crois, Chouaki, et quelques autres...
Cependant, il y a là un paradoxe. Car si Benjamin Stora a lu tant de livres de mémoires plurielles (où forcément la guerre et l'exil sont traités, donc des drames, le terrorisme et des massacres) pourquoi a-t-il accepté de faire seul son rapport, sans rechercher d'autres connivences, d'historiens travaillant aussi sur la matière que sont les témoignages, y compris littéraires ?
. Des morts, des signes. Comme quatre pierres noires symboliques
. Je dis École d’Alger
. Ostracisme... même en littérature
. Les Vraies Richesses, la librairie d’Edmond Charlot (à travers Jules Roy et Kaouther Adimi)
. Je dis Libéraux d’Algérie
. Algérien, dans la guerre d’Algérie (sur Emmanuel Roblès, hommage de Jean-Philippe Ould-Aoudia)
. Quand Audisio publie Feux vivants… (Algérie, proximités et fractures. École d’Alger et Algérianistes)
. Quel espoir autour de Charlot et des Vraies Richesses ?
. Communion et déchirures intimes
. Quel héritage d’écriture ?
. Lire
. En 1912 Henri Matisse... Entrer dans sa peinture
. René-Jean Clot : "Une âme commune nous rassemble comme un manteau de lumière"
. BIBLIOGRAPHIE. École d’Alger littéraire, contexte culturel (dont art et histoire), prolongements actuels.
ANTHOLOGIES, dont celles d’Albert Memmi, de Christiane Achour et Denis Martinez, de M.A.N., d’Abdelmadjid Kaouah, la somme de Guy Dugas publiée par Omnibus, le dictionnaire bibliographique d’Abderahmen Moumen. Correspondances et témoignages d’amitié. Journaux. Livres divers. ÉTUDES, dont celles de Gabriel Audisio, Jean Déjeux, Mourad Yelles, Hamid Nacer-Khodja, Alain Vircondelet, José Lenzini, Guy Dugas, Lucienne Martini, Amy Hubbell, et deux ouvrages collectifs sur Albert Camus.
. LIENS. Des FICHES wikipedia (Libéraux d’Algérie, École d’Alger/art, Peintres algériens du signe, Denis Martinez, mouvement Aouchem/Tatouage ). CHRONIQUE (École d’Alger/littérature), HOMMAGES (Edmond Charlot, Jules Roy, Emmanuel Roblès, Jean Sénac, Albert Camus), un entretien (Jean Pélégri), une émission (Mohammed Dib), textes (de et sur Albert Camus), pages - thèse et conférence (Algérianisme). ÉDITIONS et REVUES (dont RECHERCHE littéraire), papier et en ligne (France, Algérie, Allemagne) Enquête et controverses (La mort de Camus).
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Des morts, des signes...
Dans ce paysage envahi de deuils il y a quatre morts (1960, 1962), qui sont comme quatre pierres noires symboliques, posées sur les tombes de tous les autres - et sur l’absence de tombes des disparus. Pierres posées, aussi, sur le linceul du rêve du peuple commun. Un rêve d’aveugles, peut-être, mais pensé avec leur âme (comme le dit Aziz Chouaki de Camus, dans Les oranges : "lui c’est avec son âme qu’il raisonne, voilà pourquoi il a pas vu venir l’affaire"). Ces morts sont aussi des éclairs, brûlant tout brouillard. Trois écrivains, un peintre. Deux assassinés. Trois, dirait Giovanni Catelli, universitaire italien, auteur de La mort de Camus, ouvrage controversé publié chez Balland en 2019 (et développant une thèse présentée en 2011 dans un article du Corriere della Sera). Ouvrage préfacé par l’écrivain Paul Auster (voir liens, rubrique 'enquête et controverses').
Albert Camus ne vécut pas l’exode, car la mort l’arracha à l’Histoire le 4 janvier 1960, sur une route. Il ne put être la voix qui se serait dressée, en France, contre bien des abjections du pays, et qui aurait certainement, aussi, condamné des crimes et massacres sur l’autre rive. Même s’il désespérait de faire entendre une parole qui ne soit pas passionnelle, comme il le dit dans une lettre à Jean Amrouche, publiée en annexe au troisième tome des Carnets : "J’ai renoncé à faire entendre publiquement une voix de raison". Il est certain qu’il aurait parlé : il n’était pas de ceux qui se taisent quand les faits dépassent le tolérable (comme il l’avait déjà fait au sujet du terrorisme contre les civils). Mais Camus ne vit pas l’agonie finale, les déflagrations du double terrorisme de la fin (FLN et OAS), ni les massacres continués et accentués (même après le cessez-le-feu, même au-delà de juillet). Ni cela ni l’exode.
Le 15 mars 1962 c’est l’Algérie au bord de l’indépendance qui perdit une voix majeure, avec l’assassinat de Mouloud Feraoun par l’OAS, lui qui notait dans son journal, le 14 mars
: "À Alger c’est la terreur", lui qui était un pacifiste viscéral, ayant la violence en horreur. La veille, Emmanuel Roblès lui avait écrit une lettre qui arrivera trop tard. Ali Feraoun écrivit à Roblès pour lui parler de la mort de son père, qu’il avait vu à la morgue, et de leur dernière soirée, où Feraoun avait suivi une émission qui parlait d’un livre de Roblès, ce qui lui avait fait plaisir. "Je sais quelle amitié vous liait" écrivit son fils (Lettre publiée en dernière page du Journal de Mouloud Feraoun). Ce n’est pas que l’Algérie qui perdit une voix avec lui, mais tous ceux qui espéraient et espèrent la fraternité.
Jean Amrouche (Kabyle et chrétien), lui, meurt de maladie, le 16 avril 1962 à Paris. Et c’est aussi une perte qui ajoute à la tragédie de la fin de la guerre. Car il aurait eu beaucoup à dire encore. Médiateur attaché à la France autant qu’à l’Algérie (dont il désirait l’indépendance, considérant qu’il n’y avait pas d’autre issue). On ne saura pas ce qu’il aurait pensé des suites…
Médiateur, mais déchiré. Dans le recueil Cendres, la mort évoquée, c’est notamment la pensée d’une perte du lien avec les ‘tombes ancestrales’. Réalité qui est celle des exils. En 1962 et ensuite, longtemps après la publication de ce recueil de 1934, les exilés vivront cet éloignement des lieux des cendres des aïeux.
René Sintès, peintre non figuratif, est d’origine espagnole par son père, berbère par sa mère. Il fait partie, comme Camus et Feraoun, des Libéraux (ceux qui veulent des changements, et la paix). Il espère l’indépendance. Mais deux mois avant il est enlevé par l’OAS : le 25 mai 62. Disparu, donc assassiné. Pour les extrémistes il est aussi sans doute un des visages du métissage, contraire à leur idéologie. Or, ces métissages (plus nombreux qu’on ne le dit, et pas toujours sus) étaient l’espoir d’un futur algérien qui aurait inventé son identité plurielle et aurait été un exemple pour le monde.
On ne voit pas là d’assassinats du FLN. Lui tue autrement - se débarrassant de dissidences, et massacrant des humbles, des civils, comme l’OAS tardif (1961), d'ailleurs. Ceux qui tuent ces intellectuels et artistes ne supportent pas qu’ils s’opposent à la poursuite inchangée de la colonisation. Les Libéraux d’Algérie sont leur cible, les auteurs issus de l’École d’Alger aussi. Ces nationalistes français, qui se croient patriotiques, ont un autre aveuglement, plus criminel : ils ne voient pas qu’ils sont manipulés par des ambitions métropolitaines de subversion, et qu’ils sacrifient le peuple de leur vraie patrie native.
Pourquoi parler de morts, de mort, après l’exil, pour introduire une note sur un courant littéraire ?
Parce que cela n’est pas séparable.
"Car ce n’est pas la mort elle-même qui tue, Elle a ses assassins."
Jean Cocteau, dans son poème de Plain-Chant (1923), le sait.
Rien de morbide, dans ce savoir.
Mais une lucidité utile…
Les auteurs intègres provoquent la haine des factieux. Factieux contre l’esprit. Contre l’âme.
Et cette littérature est un tombeau. Comme toute littérature, finalement : on lit des morts, et ce sont eux qui infusent la vie en nous. Mais celle-ci plus qu’une autre (peut-être). Car ces livres sont prisonniers d’un moment d’Histoire, si on les méconnaît, les oublie. Ou si on les trahit, en les maquillant de soupçons, comme l’ont fait les bourgeois intellectuels parisiens avec Camus (ne supportant pas qu’un fils du peuple natif d’Algérie ait raison contre eux sur le stalinisme, et plus...). On les tue, ces écrivains, si on les sépare de leur pays natal. Certains le voudraient. Mais d’autres agissent pour maintenir vivantes leurs paroles libres et garder mémoire d’un patrimoine qui appartient à deux rives. À l’Algérie, car ils sont ses écrivains. À la France car ils écrivent en français.
Pourtant ce ne serait pas suffisant s’il n’y avait une littérature qui les prolonge en sachant hériter d'eux, et atteigne avec eux l’universalité.
Ces morts sont présents en nous. Car leurs livres ont donné une identité aux humbles sans parole. Et parce que l’écriture donne la mesure de la mort, donc du prix de la vie : un savoir qui est là, tapi pendant qu’on lit, conscience murmurante pendant qu’on écrit.
Je relis un poème de Mohammed Dib, écrit en souvenir d’Emmanuel Roblès et publié en 1997 dans l'hommage des éditions Le Torii. (Le torii est, en japonais, un portique qui marque la frontière entre le profane et le sacré : on entre ainsi dans l’univers sacré de la littérature).
Voici un fragment :
"Et les morts ? La lumière sous les cils, nous ne dormons pas. Ils avancent là-bas, ils mêlent leur haleine à toute chose."
Il y a une cinquième mort, bien après. Le poète Jean Sénac est assassiné le 30 août 1973 à Alger. Il y a eu des signes de menaces : le pouvoir de Boumédiène a fait interdire ses émissions sur la poésie à la radio. Des amis le mettent en garde, qu’il n’écoute pas.
Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, longtemps correspondant du Monde en Algérie, a écrit un essai sur cette mort que la Justice algérienne n’a jamais élucidée (ou jamais voulu élucider), et dont la France (il avait toujours la nationalité française) ne s’est pas vraiment inquiétée, pas plus que sa communauté d’origine (encore dans ses traumatismes et laissant ce souci aux Algériens). Il faut lire Assassinat d'un poète. Peut-être que l’Histoire saura, quand le 'système' au pouvoir en Algérie aura disparu et que des archives sortiront, s’il en reste…
Cette mort, l’aboutissement tragique des choix de Jean Sénac, en quelques pages Jamel-Eddine Bencheikh en fait le diagnostic triste, dans sa préface à dérisions et Vertige (Actes Sud, 1983, publication dix ans après la mort). Erreur, qu’avoir cru à une Algérie mythique et au socialisme salvateur. Quand l’Algérie est faite d’êtres réels, pas sortis d’une mythologie, et quand le socialisme ne réinvente pas un pays rêvé : "fadaises, rêves insensés" écrit l’ami déchiré, lucide. Mais rêves du "vagabond d’azur" qu’est Sénac, selon lui.
Et poète majeur. Qui entraîna dans son sillage de poésie des auteurs algériens à révéler, et parfois à révéler à eux-mêmes.
"Où est-il celui qui signait d’un soleil ?", écrit le poète Kamel Abdou (anthologie de poésie algérienne Quand la nuit se brise, réunie par Abdelmadjid Kaouah).
De l’assassinat de Sénac je fais le signe annonciateur des morts qui suivront pendant la décennie noire des années 90. Que l’élimination de Sénac ait eu comme commanditaires les services secrets sous ordre de plus haut, c’est probable.
Sixième mort, qui fait sens, hélas : Tahar Djaout. Que ses assassins soient les islamistes du FIS ou d’autres, les assassins sont toujours ceux que la parole libre des poètes dérange dans un système dictatorial et dans l'esprit des fanatiques.
Et du terrorisme qui a ravagé l’Algérie pendant une décennie je fais l’héritier du terrorisme FLN de la guerre d’Algérie. Parole taboue. (Mais cette pensée personnelle je l’ai vue aussi, alors, exprimée par des Algériens sur des forums en ligne, ou en commentaire sous des articles - avec les mêmes mots que moi). Car quand on fait des héros (ou héroïnes) de personnes qui ont mis des bombes pour tuer des civils, dont des enfants, on légitime tous les meurtres qui se mettent sous la bannière d’une cause (juste ou pas). Hocine Aït Ahmed avait dénoncé, lui, les excès de crimes de guerre contre les Pieds-Noirs (lettre à la revue Ensemble, 2005).
Les assassins de l’OAS (1961-1962) ont été considérés comme criminels, pas vus comme héros (sauf pour une extrême droite en mal de drapeau et toujours prête à tuer). En 1993, des successeurs de l’OAS, en commanditaires ou exécuteurs, ont assassiné Jacques Roseau, une personnalité complexe. Co-auteur d’une saga sur l’histoire des Pieds-Noirs (Le 13è convoi, 1987, Le 113è été, 1991) avec Jean Fauque. Passé d’un engagement OAS bref, car refusant les crimes aveugles contre les musulmans, à, en France, un militantisme associatif pour les droits, associé à un rejet de l’extrême droite dont il savait les menaces ("ils sont capables de tout", avait-il dit). Les nostalgiques ressassant la haine ne pouvaient comprendre son appel à voter socialiste (dont appel pour Mitterrand en 1981) ou gaulliste (suivant les élections, lieux, et dates).
La littérature inscrit aussi son espace dans ce contexte de violence idéologique ou de confusion.
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Je dis École d’Alger...
Cette expression (celle d’Audisio en littérature) est plus connue, souvent, pour parler des peintres, autour de la Villa Abd-El-Tif (la Médicis d'Alger...). Parfois on l’utilise en limitant le mouvement littéraire aux années 1935-1945. C’est très réducteur, et ce n’est pas mon choix. Pour moi c’est donc un mouvement qui correspond à l’écriture des écrivains qui prennent conscience de leur algérianité commune (et sont, pendant la guerre d’Algérie) proches des Libéraux. Cela porte sur tout le début du siècle, d’Audisio - le Marseillais devenu Algérien de cœur - à l’indépendance. Mais se prolonge avec l’écriture, sur les deux rives. À partir de 1962 les exilés pensent leur identité avec la douleur de la séparation, mais ils sont toujours les mêmes. Et les auteurs algériens (qu’ils vivent en Algérie, en France, ou ailleurs) viennent aussi de cette source. D’ailleurs ils se lisent les uns les autres. Et l’œuvre de Camus est un phare pour beaucoup, Audisio une clé méditerranéenne. Or Méditerranéens, ils le sont tous…
Sénac, lui, ne s’y réfère pas. Son idéal est autre. Pourtant il en est aussi héritier, qu’il le revendique ou pas. Il a d’ailleurs été soutenu au début par les algérianistes Edmond Brua et Robert Randau, un courant qui pense l’appartenance algérienne comme une identité régionale. Mais il aura ensuite des liens forts avec les autres (Camus, notamment, qui le publia), et des ruptures.
Jamel-Eddine Bencheikh, en 1983, publie un fin recueil, hommage rendu à l’ami (1983, même année que sa préface à dérisions et Vertige). L’homme-poème, Jean Sénac. Magnifique titre qui dit si justement la passion de Sénac, qui est écriture, qui se vit écriture, qui se met tout entier dans le poème. Poème, pas un essai, mais une vingtaine de pages en vers libres dont le premier mot est "nous", car l’intuition littéraire est proximité. Une méditation sur ce qu’est écrire, ce qu’est le poème. Partage de la même "sente étroite", entre doute et silence : "Nous qui sommes nés de l’imperceptible" (…) "Nous sommes la forge intransigeante / où s’abrège notre vie". Sénac-Bencheikh, ou la même alchimie poétique où se joue tout de soi. Un livre si fin qu’il faut le ranger sans le perdre entre volumes épais. Et qui est grande œuvre.
C’est cela, aussi, l'esprit hérité de l’École d’Alger. Le lien indéfectible entre un universitaire algérien, érudit, savant dans le domaine de la langue et littérature arabe (mais poète francophone), et un pied-noir hispano-gitan qui se voulut surtout patriote algérien et ne chercha aucune autre appartenance, même littéraire, mais qui fut publié par Camus chez Gallimard et avait failli l’être chez Charlot qui n’eut pas l’argent pour le faire. Sénac porté par l’éthique de l’École d’Alger, sans s’y inscrire, au point de la dépasser en traversée d’identité (excessivement, illusoirement, comme le dit Jamel-Eddine Bencheikh dans sa préface au recueil dérisions et Vertige). Au point d’en mourir.
L’héritage d’Audisio, Camus, Roblès, Feraoun, Amrouche et Roy, c’est plus que la littérature (Audisio le disait dans Feux vivants : "cela dépasse de loin la littérature"). Car c’est le lien, et malgré tous les échecs depuis, c’est toujours le lien, le métissage des âmes, et un message universaliste à porter. Sénac a su nommer la peinture de ses amis artistes en Algérie (Peintres du signe), car il était entré dans la connaissance de cet art en imprégnation culturelle intérieure, intime, en Algérien de naissance, sans papiers mais d’être et de chair. Bencheikh, lui, avait adopté la capacité de recul lucide tissé d’empathie qui fait déchiffrer les failles intérieures de qui est autre quand même. De tels êtres auraient pu fonder le pays fraternel espéré par Mouloud Feraoun. Si les vautours identitaires n’avaient pas été à l’affût, avec leurs armes, leurs bombes, et leurs mots-bombes.
École d’Alger en littérature… Si on met ces mots en recherche sur Google, une liste de plusieurs pages sort. Des articles littéraires, mais aussi des articles, qui, à travers la littérature, expriment surtout des certitudes idéologiques. Et, dans leur élan anticolonialiste, certains ne veulent voir qu’un avatar colonial dans ce courant d’Alger. Or c’est injurier Feraoun autant que Camus et les autres que penser ainsi. L’idéologie n’est pas de l’art. L’idéologie fuit la complexité. Les gens ne sont pas coupables d’être (comme le dit la chanson de Maxime Le Forestier), nés "quelque part". Nés, s’ils sont créateurs, ils écrivent leur lieu, concret et mental. Et ce lieu les imprègne, les rassemble. Ce lieu leur enseigne.
Ostracisme... même en littérature, même contre les écrivains.
Suspicion et projections. Par des gens qui jettent sur des auteurs des anathèmes réducteurs sans avoir connu le quotidien de leurs vies et sans avoir compris comment savoir les lire. Prolongement de l’arrogance parisienne rejetant Camus pourtant visionnaire. Et suite de cette arrogance de 61-62, qui faisait oublier à la métropole que la colonisation de 1830 fut sa responsabilité, pas celle des immigrés espagnols (ou italiens, ou maltais), seulement coupables d’un premier exil.
Jean Pélégri l’a exprimé précisément dans Ma mère l’Algérie (lui dont un numéro d’Algérie Littérature Action titre, en juin 2000, pour un dossier dédié, Jean Pélégri l’Algérien).
Pélégri y écrit ceci :
"Je pressentais qu’un jour prochain, par commodité simplificatrice, et parce que c’est l’habitude des métropoles, ma communauté, les pieds-noirs, ainsi que celle des harkis, seraient rendues responsables de tout et chargées de tous les péchés d’Algérie. Alors que la colonisation était un fait global et politique qui relevait essentiellement de la France. On l’avait vu en 1830, en 1945 au retour de la guerre, et tout au long de la période coloniale par des lois iniques et ségrégatives à l’égard des Algériens, en premier lieu, mais aussi à l’égard des pieds-noirs."
De même, René-Jean Clot notait, dans Une Patrie de Sel ou Le Souvenir d’Alger, sa tristesse devant l’ostracisme :
"Pourquoi, contre nous, cette ignorance, cette mauvaise foi des métropolitains ? Nous les dérangions." (…) "Comment comprendre les honnêtes gens qui médisent de vous ? Avec douleur nous nous sommes aperçus que, parlant des pieds-noirs, les métropolitains se trompaient de portes, de noms, de dates, de lois et, disons-le, d’Histoire de France."
Déjà, Albert Camus inscrivait un constat triste dans son récit inachevé, Le premier homme. Dans les fragments des dernières pages : "Ce qu’ils n’aimaient pas en lui, c’était l’Algérien".
Ostracisme de la rue, du voisinage. Banal, médiocre, mais responsable de l’enfermement traumatique de gens simples, de la difficile rupture transgénérationnelle avec des masques identitaires prêtés par d’autres, du ressassement mémoriel qui est une réponse aux violences symboliques et produit le ressentiment toxique. Effets idéologiques, et, même, politiques. On crée chez l’autre ce qu’on croit qu’il est. (Et il y a toujours des monstres tapis dans l’ombre, prêts à saisir les douleurs pour en faire des pièges).
Mais, donc, ostracisme, aussi, en littérature, histoire, et critique littéraire. Conformisme confortable de ceux qui posent des concepts sur des visages, et écartent dans l’ombre de l’oubli des œuvres qu’ils préfèrent ne pas lire pour ne pas les entendre.
Effacement de ceux qui contredisent les clichés qui correspondent, dans le fond, à une jouissance de la haine (agréable, ce racisme qu’on s'offre comme légitime) : occasion de faire sortir des pulsions qu’on ne s’autorise pas à l’égard d’autres minorités…
Et quand ils sont connus cependant, hostilité violente. Comme les réactions de mépris et de haine après le Nobel de Camus.
Ou effacement du sens de leur parole authentique.
On n'a gardé d’une déclaration d’Albert Camus à Stockholm que la fin, sans donner intégralement son propos. À ce sujet le Dictionnaire Camus (coll. Bouquins de Laffont, 2009) dit que Le Monde du 14-12-1957 rapporta la déclaration intégralement et que seule la fin fut retenue. (En ligne on peut lire le début de l’article archivé, pas ce passage : article qui relève la violence de l’étudiant, militant du FLN). Mais dans un ouvrage de Jean-François Mattéi, spécialiste de Camus (Citations, Eyrolles, 2013) il est précisé que le journaliste, Dominique Birmann, concentra le passage en ne gardant que la fin. Et c’est donc cela qui fut diffusé et répété partout. C’était une réponse calme à quelqu’un d’exalté (et qui ne l’avait pas lu, comme il l'expliqua lui-même après).
Qu’avait dit Camus ? Ceci : "J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice".
L’essentiel, dans cette déclaration, est l’expression du refus du terrorisme qui touche les civils, et le refus de penser abstraitement la justice. D’un côté il y a la revendication de justice (et Camus s’est engagé dans ce sens) et de l’autre la mort infligée "aveuglément" à des innocents. Mais si la revendication de justice passe par l’injustice de meurtres aveugles, elle ne peut plus être défendue "avant" les êtres concrets qui peuvent être des victimes. Ce qui prime - et doit primer - c’est la responsabilité de ce qu’on doit aux êtres, en n’acceptant pas de les fondre dans un anonymat de foule sans visages (ce que fait le terroriste, capable, d’ailleurs - l’actualité l’a montré - de regarder un visage en face et de ne pas le savoir comme visage d’un sujet, d’une conscience : ce qui permet de tuer, en chosifiant l'autre).
Dans sa déclaration Camus définit la même conception que celle d’Emmanuel Lévinas qui, dans Éthique et infini, dit que "l’accès au visage est d’emblée éthique". Pas le visage qu’on regarde pour le décrire, le percevant alors comme "un objet". L’accès au visage n’est pas perceptif de cette manière, pour Lévinas. Dans sa pensée il définit le visage comme "ce qui nous interdit de tuer". Car "Le 'Tu ne tueras point' est la première parole du visage. Or c’est un ordre". Et, donc, le sens du visage qu’il déchiffre, c’est celui-ci : "Le visage me demande et m’ordonne".
Et en suivant Lévinas plus loin encore, avec sa réflexion sur la "responsabilité pour autrui", responsabilité comme autrui, celui qui doit penser contre le terrorisme le doit de trois manières. Pour ceux dont il refuse (leur visage le lui ordonne) qu’ils soient victimes ainsi. Pour ceux qui tueraient. Pour lui. Car si le meurtre a lieu au nom de la justice abstraite il en est lui aussi coupable (n’étant pas "être parmi les êtres", séparé éthiquement, mais être avec, subjectivement impliqué). Difficile à concevoir, peut-être. Emmanuel Lévinas dit même que, devant cette formulation, "On peut se montrer scandalisé par cette conception utopique et… inhumaine". (Car nous concernant douloureusement, d’une manière difficilement concevable ).
L’exemple de sa mère, que donna Camus, pour expliquer son refus, est le visage qui représente ce qu’ordonnent tous les visages des êtres éventuellement menacés. Et évidemment le souci concerne d’abord les proches. Mais ce n’est pas 'que' cela. C’est plus ample chez Camus, le libertaire abolitionniste de la peine de mort. D’ailleurs Lévinas aussi mentionne les proches, la communauté d’appartenance, dans la complexité de son analyse.
Ce qui n’est pas dit non plus, en général, est la suite. Le jeune étudiant, Saïd Kessal, était peut-être exalté alors, mais il n’est pas resté sur une impression superficielle (il avait entendu toute la réponse, lui…). Sa réaction a été de lire Camus et d’être extrêmement touché par ses livres, tant qu’il voulut le voir. On sait cela grâce à José Lenzini qui l’a retrouvé et qui en témoigne dans son ouvrage Les derniers jours de Camus.
Dans un article du JDD du 21-11-2009, Albert Camus et l’Algérien de Stockholm, Bernard Pivot en rend compte :
"Saïd Kessal, l’Algérien de Stockholm retrouvé par José Lenzini, s’était senti humilié par la façon dont Camus lui avait répondu. Il ne connaissait pas alors son œuvre. Il a d’abord lu Misère de la Kabylie. 'Ce fut un choc pour le Kabyle que je suis.' De la lecture de tous les livres de Camus il est sorti 'bouleversé'. Il décida ensuite de le rencontrer. 'Je suis allé voir Jules Roy, qui m’a dit qu’il venait de se tuer en voiture. Alors, je suis descendu à Lourmarin et j’ai déposé des fleurs sur sa tombe'."
Camus a réussi, finalement, à ce que sa réponse soit reçue.
C'est un aboutissement émouvant.
D’autant plus que certains se servent de cette histoire pour continuer la dispute et prendre parti contre Camus. Quand l’intéressé, lui, a fait un tout autre chemin.
Mais, aussi, José Lenzini a permis de corriger l’impression négative laissée par l’étudiant à Stockholm et de rétablir, pour lui, sa vérité d’être. Pouvoir mentionner ce rendez-vous raté avec Camus a dû être une manière de 'dire' au-delà du temps et de la mort. C’est une sorte de double réhabilitation.
Bernard Pivot rappelle aussi la réception critique hostile de certains chroniqueurs ou auteurs après l’annonce du Nobel. On en retrouve, comme il le note, des citations dans le Dictionnaire Camus (à la rubrique 'Nobel') et à la fin du livre de José Lenzini. Extrême droite abjecte. Et un auteur que tous oublieront, natif de Neuilly, qui moque, en Camus, "l’homme du peuple" pas à sa place. Tels qu’en eux-mêmes...
Les Vraies Richesses, la librairie d’Edmond Charlot...
Si les peintres ont eu leur Villa mythique, avec Abd-El-Tif, les écrivains avaient leur refuge chez l’éditeur Edmond Charlot, aux Vraies Richesses. Librairie phare.
Voici ce qu’écrit Jules Roy dans sa préface au livre de Michel Puche sur Edmond Charlot : "On disait 'Charlot' tout court. "Tu as vu Charlot ?" "Je vais chez Charlot". Ça faisait un peu Charlie Chaplin à Alger. Après tout, pourquoi pas ? Il y avait de l’étrange, du mystère là-dedans. Il y en a toujours. En même temps cela ressemblait à un mot de passe, car on ne pénétrait pas dans la petite intelligentsia d’Alger sans Charlot. Il possédait toutes les clés." (…) "La bande à Charlot devint l’école d’Alger." (…) "De cette aventure, dont nous ne savions pas que nous la vivions, il reste pour moi une sorte de mirage. Charlot fut un peu notre créateur à tous, tout au moins notre médecin accoucheur. Il nous a inventés (peut-être même Camus), engendrés, façonnés…" (…) "Nous fûmes son rêve. C’est là que le sort le trompa, injustement, comme se lève une tempête sur une mer calme."
Edmond Charlot, le premier éditeur de Camus…
Un homme qui n’aimait pas posséder et avait une passion telle pour les livres qu’il voulait que tous en profitent...
Ce phare a réussi, malgré le temps, à porter ses rayons sur le front d’une jeune femme, Algéroise (cela est important car seule une Algéroise pouvait comprendre à ce point le mystère de ce lieu, sa trace perpétuée au-delà de la fermeture, et traduire le mystère d'Alger). Kaouther Adimi écrit, elle aussi, son 'opéra fabuleux', en tissant la grande Histoire du pays et la "petite" : "celle d’un homme, Edmond Charlot, qui, en 1936, âgé de vingt et un ans, ouvrit la librairie de prêt Les Vraies Richesses".
Dans son récit qui réinvente le vrai, Nos richesses, elle nous fait traverser des rues pour aller vers le numéro 2 de l’ex-rue Charras, devenue rue Hamani (la dédicace du livre est pour ses habitants). Il n’y a plus de librairie, mais "un lieu sans nom" (une bibliothèque, en réalité). Mais, écrit-elle, "Nous continuons tout de même à l’appeler la librairie des Vraies Richesses, comme nous avons longtemps continué à dire la rue Charras au lieu de la rue Hamani. Nous sommes les habitants de cette ville et notre mémoire est la somme de nos histoires". En exergue, Frédéric Jacques Temple, poète montpélliérien qui a connu Charlot et évoque Les Vraies Richesses, et Sénac, sur l’injustice : "Un jour viendra où les pierres elles-mêmes crieront…"
Cependant, si Edmond Charlot la fascine sa fiction le trahit parfois un peu, comme avec l’erreur qu’elle lui prête sur une implication de l’OAS datée de 59 quand cela n’exista pas avant 61, et quand elle interrompt le journal fictif alors que le vrai Charlot aurait eu beaucoup à écrire, s'il en avait fait un. Cela reste un hommage quand même, très émouvant. D’autant plus qu’il montre la présence, dans la mémoire des Algériens, de toute la réalité humaine du pays, à travers le souvenir d'Edmond Charlot et de son lieu.
Parcours d’Histoire qui n’est pas d’une historienne (d’où l’erreur) mais d’une littéraire qui se désole du sort fait aux librairies et ne peut qu’évoquer la décennie noire, la Terreur ciblant notamment les écrivains.
Son titre tend un fil symbolique qui irait de Giono (l’essai Les vraies richesses) à elle-même, en passant par Charlot. Richesses de la culture, les seules qui vaillent. Et lien entre ceux qui le savent et le défendent. Le possessif "nos" englobe les habitants de la rue de l’ancienne librairie, tout Alger, l’Algérie, celle de "la somme de nos histoires", et l’universalité humaine que la culture peut sauver des oppressions religieuses et politiques.
Mouvement trop méconnu, plus historiquement lié aux choix politiques que littéraires (on n’y trouve donc pas certains auteurs pourtant très impliqués aussi par leur expression contre la guerre et pour le dialogue). Bien des artistes, écrivains, intellectuels, en sont proches. Certains très engagés. Le contexte est difficile (heurts idéologiques, menaces, violence, torture, assassinats). Parmi eux Henri Alleg (auteur de La Question, Minuit, 1958), Maurice Audin (mathématicien assassiné par l’armée française), Louis Bénisti (peintre), Albert Camus (initiateur de la tentative de trêve civile), Edmond Charlot (l'éditeur et libraire, aux Vraies Richesses), Mouloud Feraoun (assassiné par l’OAS le 15 mars 1962), Jean de Maisonseul (urbaniste et peintre), Emmanuel Roblès (créateur de la revue Forge, auteur de Camus, frère de soleil, Seuil, 1995), Abdelmalek Sayad (sociologue), Roland Simonet (architecte), René Sintès (peintre, disparu - donc assassiné), Germaine Tillion, ethnologue née en France, auteur du livre Les ennemis complémentaires, Minuit, 1958).
Et quelques autres...
Plus ceux qui, anonymes mais citoyens, les suivent, et sont nombreux le soir du 22 janvier 1956 pour écouter l’appel de Camus pour la Trêve civile. Charlot est là, Roblès, et leurs amis. Le dialogue est possible et des Algériens soucieux de trouver une voie apaisée sont là aussi, comme Ferhat Abbas, engagé depuis longtemps d’abord pour des réformes puis pour l’indépendance. Il y avait une chance de sauver la fraternité. Car si l’extrême droite menaçait, hostile, haineuse, l’OAS (création métropolitaine) n’existait pas.
C’est le titre de l’hommage de Jean-Philippe Ould-Aoudia, publié dans le volume de Le Torii sur Emmanuel Roblès, Des chemins où l’on se perd. Titre qui évoque, grâce à Thérèse d’Avila, citée en exergue, le goût des voyages de Roblès : "Tant de voyages, dans l’eau et la neige, les chemins où l’on se perd". Mais le texte du fils de Salah Ould-Aoudia (assassiné par l’OAS en même temps que Mouloud Feraoun) porte sur la présence fraternelle de Roblès, capable de prendre des risques pour s’opposer aux méthodes de l’armée française et protéger ceux qu’elle menaçait. Risques réels. Pris en famille. Roblès, sa femme, son fils Paul : "Oui, les Roblès étaient Algériens dans la guerre d’Algérie". Et risques pris avec Camus et leurs amis, plus une foule de civils, quand les initiateurs de l'appel pour la trêve civile organisent une conférence : "plus d’un millier de personnes se trouvent dans la salle, et encore plus dehors faute de place". Mais dehors, aussi, les cris haineux de contre-manifestants.
Le courage de Roblès, Jean-Philippe Ould-Aoudia en témoigne en parlant de faits méconnus.
En face d’eux, menaçants, il y a des tortionnaires, et c’est su.
En face d’eux : "des hommes politiques obsédés par l’ordre répressif, sourds aux hommes de paix mais complaisants à l’égard de brutes manipulées".
Ainsi, en Algérie, des êtres ont, dans des gestes et choix du quotidien, que personne ne savait en général, sauf des proches, fait le choix du courage. Ce fut le cas aussi de simples anonymes, dont les actes sont sans archives, mais demeurent dans la mémoire de voisins, d’amis, et de leurs enfants, qui en Algérie, sont des acteurs de paix, de dialogue. Car ils se souviennent de la complexité.
En France aussi certains se souviennent de la complexité. Même s’ils entendent parfois l’écho des cris de haine contre Camus et Roblès résonner ici...
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Quand Audisio publie Feux vivantsen 1958 il ne croit déjà plus à la possibilité d’échapper aux désastres humains prévisibles. Dans L’opéra fabuleux il dira, en 1970, avoir, bien avant, su que les forces négatives ne seraient pas brisées par la parole de ceux qui avaient cru pouvoir influer sur les consciences et changer les institutions pour changer les rapports humains. Deux mondes coexistaient. Celui du partage, de la fraternité, tant chez les gens simples que les intellectuels. Et un univers aveugle, soit par ignorance naïve soit par idéologie.
Donc, d’abord, des gens simples prêts à pouvoir inventer une autre Algérie qui ne serait plus celle d’un statut colonial mais abriterait tous les siens. Ils ne le pensaient peut-être pas ainsi (peu enclins à la politique, aux constructions cérébrales) mais ils le sentaient intuitivement, partageant des conditions de vie pas si lointaines - musulmans, juifs berbères, ou anciens immigrés européens devenus Français et se sentant surtout d'Algérie (tout en aimant la langue française et des valeurs auxquelles ils pensaient pouvoir croire). Ceux-là parlaient l’arabe et comprenaient les croyances qui n’étaient pas les leurs. Maisons autour d’une cour commune où les gâteaux des trois fêtes se partageaient. Ils se ressemblaient, physiquement aussi - Méditerranéens. Comme l’a dit, avec mépris, bien après 62, un écrivain français d’extrême droite vu à la télé (il notait ne pas pouvoir distinguer les "Arabes’" et les "Pieds-Noirs", avec leur accent arabe semblable, disait-il, leurs gestes, ce qu’ils mangent…). Ce sont eux qui, exilés, reprendront avec fierté le chant de l’Armée d’Afrique, comme un étendard d’identité, pour se sentir encore Africains. (Chant qui a été très mal perçu, par ignorance : or c’était le chant des hommes du débarquement de Provence, lui aussi mésestimé, longtemps oublié).
Ensuite, toujours de ce côté d’une conscience fraternelle, des intellectuels, écrivains regroupés autour de l’idéal de "l’École d’Alger". Leur algérianité littéraire était profonde, authentique. Ils étaient lucides, autour de l’éditeur Edmond Charlot, et de sa librairie Les Vraies Richesses (qui fut plastiquée, archives détruites). Les injustices ils les voyaient, les dénonçaient. Ils n’avaient pas été sourds aux alertes de Ferhat Abbas, ils savaient la réalité que peignaient les chroniques de Camus. Et entre eux ils parlaient. Ils se lisaient, s’écrivaient, nouaient des amitiés (Dib et Pélégri, Feraoun et Roblès, Camus et plusieurs...). Ils seraient impliqués dans la littérature et la presse résistante au moment de l'Occupation, et rejoints alors à Alger par des écrivains venus de France occupée.
On oppose à l’École d’Alger le courant algérianiste de Randau et Pomier, influencé au début par la conception de Louis Bertrand d’une Algérie retrouvant ses racines latines du temps d’Apulée et héritière de la foi de St-Augustin. Latinité qui, chez Bertrand, effaçait les décennies et le présent de la culture islamique. Alors qu’Audisio et Camus cherchaient chez les Grecs les racines d’une Méditerranée orientale, et que Camus, comme Roblès, ne reniait rien de son hispanité, quand Audisio comprenait que la connaissance des cultures islamiques était fondatrice de réelle compréhension réciproque. Les auteurs algériens d’origine berbère ou arabe (ou berbéro-arabe) ne pouvaient se reconnaître chez les Algérianistes, alors qu’ils savaient avoir toute leur place chez Charlot.
Pourtant, malgré les paradoxes, ils auraient peut-être pu finir par se rejoindre, ces auteurs de deux flux de pensée (école d’Alger et algérianistes). Avec du temps. Par l’amour du pays natal.
D’ailleurs, après l’exode, les Algérianistes ont joué un rôle culturel important, en organisant des colloques, en publiant (avec l’aide de Gandini/Serre, à Nice, qui offrit un espace éditorial à ce peuple sans territoire), en créant une revue (dont Le Monde loua la qualité), en accueillant fraternellement - même ceux qui pensaient contre eux, en aidant les jeunes à comprendre d’où ils venaient. Cependant les limites sont restées idéologiques, par nostalgie d’une Algérie trop fantasmée. Même si les lecteurs de Camus ont fini par y côtoyer les lecteurs de Brune dans un même sentiment d’appartenance commune : une algérianité qui n’est pas que fictive mais peut être très conflictuelle.
Comme toujours, c’est l’idéologie qui sépare. La littérature ne vit pas hors sol. Les politiciens locaux et nationaux étaient et sont à l’affût (c’est plus facile quand on s’adresse à une communauté qui a soigné seule ses traumatismes, et affronté l’ostracisme). D’Alger et Oran à Paris ou Marseille, les mêmes débats demeurent, les mêmes divergences.
La fracture aura été, et restera, d’abord, entre les partisans d’une Algérie restée française, et ceux qui rêvaient d'inventer un idéal fédéraliste (institutionnel, pas territorial), ou de pouvoir vivre dans une Algérie indépendante qui ne ferait pas d’eux des étrangers, qui ne poserait pas l’islam comme une condition d’identité non suspecte.
Mais quand ils avaient, comme le poète Jean Sénac, pris clairement parti pour l’indépendance, chanté le peuple algérien libre, ils ne s’attendaient pas à devoir 'demander' la nationalité algérienne (démarche humiliante qui choqua Sénac : il ne l’eut jamais, cette nationalité).
Jean Pélégri, à la fin de Ma mère, l'Algérie, après avoir dit son amour pour le pays et son idéal fraternel, dit sa tristesse et sa déception à ce sujet. Il rappelle le texte du FLN qui, en Mars 61, promettait une Algérie où tous auraient les mêmes droits, "Algériens de souche européenne" et "Algériens de souche autochtone". Promesses concernant la liberté de conscience qui furent balayées par le code de la nationalité après l'indépendance.
D’autres, même indépendantistes, ont préféré rester Français, ayant la langue de leur écriture comme patrie. Albert Camus l’avait écrit ainsi dans ses Carnets. "Oui, j’ai une patrie : la langue française."
De plus le parti qui prenait le pouvoir en Algérie, loin des partisans de Messali Hadj et Hocine Aït Ahmed, leaders finalement exilés, ce parti ne risquai pas de séduire. Son hégémonie n’augurait rien de bon, la suite l’a démontré.
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Qu’était donc cet espoir qui réunissait des écrivains à Alger (Algérois ou pas, Alger étant un phare, avec Charlot) ?
Gabriel Audisio l’a dit.
Il reconnaissait dans leur écriture à tous un même terreau sensible, une parenté liée à l’influence du lieu, ce "génie permanent de l’Afrique du Nord", qui, lui, ne sépare pas les 'communautés' mais relie.
Donc Audisio l’écrit. Dans un chapitre de Feux vivants, La communion et son espoir/Les écrivains algériens. Voici :
"Une fois de plus, et simplement à titre d’exemple, il faut mettre côte à côte des noms tels que ceux d’Albert Camus et de Mohammed Dib, de Jules Roy, de Driss Chraïbi et d' Amrouche, de Mouloud Feraoun et d’Emmanuel Roblès, de René-Jean Clot, de Kateb Yacine, d’Albert Memmi, de Mouloud Mammeri, de Marcel Moussy, de Taos, d’Assia Djebar, de Sénac, de Séfrioui. On pourrait en aligner vingt autres. (…) Chacun de ces écrivains de langue française incarne à sa façon le génie permanent de l’Afrique du Nord, tel qu’il s’est développé depuis vingt siècles. Mais ce qu’ils représentent aujourd’hui ensemble (…) cela dépasse de loin la littérature."
Si Audisio cite les Marocains Chraïbi et Sefrioui et le Tunisien Memmi dans un chapitre sur les écrivains algériens, c’est parce qu’il les associe à ce qu’il veut définir de commun : la culture méditerranéenne propre à l’Afrique du Nord. Et Albert Memmi, natif de Tunisie, a beaucoup donné à la littérature algérienne, en publiant plusieurs anthologies des écrivains maghrébins francophones où les auteurs algériens étaient très présents : Présence africaine, 1964 et 1969, Seghers, 1985.
Cet espoir de communion est-il mort avec la guerre et l’indépendance ? Pas vraiment. En tout cas il restera, d’abord, une trace inaliénable de ceux qui ont partagé une proximité par l’appartenance native au même pays, malgré les discordances parfois. Ils sont la littérature originelle de l’Algérie moderne. Et, plus, Mohammed Dib, dans une émission de 1963 affirme la continuité de cette littérature ('autotochnes', ou natifs simplement). Il le dit : "Algériens"… Pourtant il le fait alors à l’occasion d’une parole sur son livre sur la guerre, Qui se souvient de la mer. Pour Mohammed Dib il y a une continuité entre les aînés (il cite Amrouche, Camus, Roblès) et ceux qui suivent. "Pas de coupure."
Enfin, si on regarde les échanges culturels entre les deux rives, la continuité est portée par les descendants de cette littérature d’avant 62. Et, même, ce métissage rêvé et raté, il advient autrement. Ceux qui écrivent depuis 1962 comprennent devoir écrire en le réalisant en eux. C’est un des défis de leur écriture, qui passe par la lecture de ce qui précède (tous fils d’Amrouche et Camus, ou d’Audisio et Feraoun, pour résumer) et lecture de ce qui est produit de part et d’autre de la Méditerranée. Que l’exil ne soit pas la cause d’une perte d’une identité matricielle double.
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Communion ou déchirures intimes…
Cette communion commencée, pour ces écrivains, qui crée ce qui "dépasse de loin la littérature", elle fait se comprendre des auteurs qui sont nés dans des communautés humaines différentes, avec des langues maternelles différentes, et pas les mêmes religions natives - qu’ils y croient ou pas. Mais ils ont en commun l’identité méditerranéenne, et l’ancrage terrestre algérien, ses paysages, son climat, qui modèle de la même manière la perception sensible, ce qu’on peut rapprocher de l’âme sensitive d’Aristote. Dans l’oreille ils ont les autres langues, même sans les connaître vraiment. Et ils ont ce sentiment d’appartenance au continent africain, avec la connaissance d’un espace entre deux sables, celui du désert, fascinant - ce désert des méditants, des nomades - et celui des rives. Ils ont l’amour du soleil, celui dont Sénac fait une signature. Plus : ils 'sont' solaires. Cela passe par le corps et le cœur.
Mais ils écrivent, parce qu’ils ont lu. Ils lisent, se nourrissent des mêmes œuvres. Et, même s’ils publient aussi en France, petit à petit ils ont conscience de créer une littérature qui se libère de l’emprise métropolitaine, parisienne . En quelque sorte une littérature 'nationale'. La littérature du pays qu’ils pourraient créer. Qu’ils auraient pu créer.
Cette communion est une traversée. Mais pas seulement des uns vers les autres. C’est une traversée en soi. Car il faut écarter, intérieurement, les préjugés d’inconnaissance. Et c’est plus difficile dans le contexte des affrontements qui environnent, pour des choix adverses, dans la réalité de la guerre - guerre civile pour ceux qui refusent de voir autre chose qu’un peuple en gestation, dans le tourbillon des violences de mots et de mort.
Il faut apaiser la cassure mentale et affective entre des fidélités contradictoires, intimes, charnelles. Algérie. France.
Apaiser la douleur de la séparation artificielle des 'siens' (tous) en 'siens' et 'autres'.
Marie Cardinal, longtemps après, le résume en quelques mots, dans son grand livre, Les Pieds-Noirs, publié en 1994. Elle dit son ressenti bien avant l'exil :
"Deux pays, deux cœurs, deux têtes."
Mourad Bourboune, finalement exilé lui aussi, écrit, dans Le muezzin, 1968 : "Je veux le coude à coude de toutes les choses contraires". C’est une autre déchirure, liée à la déception suivant les années d’indépendance, et aux fausses idées sur de fausses oppositions. Lui veut marier Orient et Occident. Sachant que dans l’un il y a aussi l’autre. Si Jean Pélégri le cite en exergue de Ma mère l’Algérie, comme il cite Mohammed Dib, c’est pour affirmer ce qui est proche dans les êtres. Semblables en humanité, en fraternité. Et pour s’opposer à ce qui fait sa colère contre ceux qui mettent des frontières identitaires. Mais ce coude à coude il est d’abord à poser en soi. C’est vrai pour l’exilé, c’était vrai avant l’exode des uns les exils des autres, quand les auteurs de l’École d’Alger créaient les conditions d’une parole commune.
Mais même si on a réussi à relier les parts différentes, c’est de dehors que vient l’obstacle. D’autres ont besoin de créer des ruptures, et la déchirure, en soi, est alors celle de la colère contre ceux qui empêchent de vivre son savoir de proximité.
Camus résumait, dans Le premier homme, la nature des deux univers culturels et spatiaux que les écrivains des peuples d’Algérie devaient tisser ensemble dans leur rapport avec la France. L’espace de la mer entre les continents se confondait aussi avec un gouffre perceptif et mental. L’aller-retour entre eux pouvait être une douleur, l’acceptation un défi :
"La Méditerranée séparait en moi deux univers, l’un où dans des espaces mesurés les souvenirs et les noms étaient conservés, l’autre où le vent de sable effaçait les traces des hommes sur de grands espaces."
La culture tissée, les voix reliées, c’était un vœu de paix, et le processus dialogique alors une aventure humaine et intellectuelle heureuse. Mais la guerre France-Algérie, les 'événements', la guerre civile déchirant les natifs de toutes origines, le constat des violences, c’était une souffrance déchirante. Celui qui l’a exprimé le plus fortement est Jean Amrouche (ici dans une publication de mars-avril 1956 en revue) : "La tragédie algérienne ne se joue pas pour moi sur une scène extérieure. Le champ de bataille est en moi : nulle parcelle de mon esprit et de mon âme qui n’appartienne à la fois aux deux camps qui s’entretuent. Je suis algérien, je crois être pleinement français. La France est l’esprit de mon âme, mais l’Algérie est l’âme de cet esprit".
Il y a donc la déchirure en soi.
Mais aussi entre les gens.
Le conflit modifie certains échanges et compréhensions, alors que d'autres liens demeurent inchangés.
Ainsi Mouloud Feraoun et Emmanuel Roblès ne sont séparés par rien. Mohammed Dib et Jean Pélégri seront toujours les amis qu’ils furent.
Dans une lettre adressée à Camus, le 27 mais 1951, Mouloud Feraoun avait exprimé son ressenti personnel, le regret que les 'compatriotes' que sont les natifs d’Algérie (il l’écrit au sens d’Algériens) ne se connaissent pas suffisamment, et que rien n’ait été fait pour les aider à se connaître, entre communautés. Il dit ce qu’il doit à la lecture de Camus, tout en regrettant le manque de personnages algériens (il écrit 'indigènes'). Il note cela sans en faire un reproche, plutôt comme le constat d’une difficulté réciproque à parler des autres. (Cependant en 1939 Camus avait réalisé un long reportage sur la Kabylie). De sa lecture de La Peste Feraoun dit ceci : "J’ai lu la Peste et j’ai eu l’impression d’avoir compris votre livre comme je n’en avais jamais compris d’autres". De sa dette, en tant qu’écrivain il note : "Si je parvenais un jour à m’exprimer sereinement, je le devrais à votre livre - à vos livres qui m’ont appris à me connaître puis à découvrir les autres, et à constater qu’ils me ressemblent".
Dans son Journal, le 11 avril 1958, Mouloud Feraoun écrit, au sujet d’une visite de Camus, combien il en apprécie la "chaleur fraternelle". Et, ayant discuté avec lui de la situation en Algérie, il note : "Sa position sur les événements est celle que je supposais : rien de plus humain. Sa pitié est immense pour ceux qui souffrent mais il sait hélas que la pitié ou l’amour n’ont plus aucun pouvoir sur le mal qui tue".
Avec Jean Amrouche le dialogue est devenu plus difficile, pour deux raisons surtout.
D'abord celui-ci voit les Pieds-Noirs avec le regard de la France métropolitaine (c’est évident à la lecture de ce que peut publier Amrouche dans la presse en France), et Camus ne supporte pas ce qu’il dit d’eux, il en est 'choqué'.
Ensuite Jean Amrouche a, comme le lui reproche Camus dans une lettre reproduite dans le troisième tome des Carnets, choisi le FLN, dont Camus critique les méthodes. Or Camus, auquel le futur donnera raison, écrit, dans cette lettre, au sujet des "positions du FLN", qu’il les croit "meurtrières pour le présent, aveugles et dangereuses pour l’avenir". La dureté d’Amrouche est peut-être aussi causée par son propre déchirement et son identification totale à la France de la métropole, lui qui embrasse aussi totalement l’adhésion aux révoltes algériennes, torturé par les injustices qu’il constate.
Alors que Mouloud Feraoun, qui pourtant soutient la marche vers l’indépendance, refuse la violence. Au point de tenter de décourager un ancien élève voulant partir se battre (mais retenu un peu par une hésitation devant les excès "les plus inadmissibles" de "certains maquisards"). Feraoun rappelle au jeune sa position sur la violence, le refus : "même celle des fellaghas" (note du 23 avril 1958), et même s’il pense qu’il n’y avait pas de solution : "Toute autre voie était bouchée" (note du 17 août 1961).
Sa tristesse est grande devant les souffrances des uns et des autres. Il voit la peur et la ressent aussi. L’autre déchirement qui est le sien c’est, tout en désirant l’indépendance, d’avoir un regard critique sur bien des comportements de "profiteurs de guerre". Il désigne ainsi des musulmans qui cherchent des avantages présents et préparent des avantages futurs, des places. Plusieurs remarques à ce sujet dispersées dans le Journal, comme celle du 17 mars 1961. À. la fin de cette note du 17 il redit son amour double : "Vive la France, telle que je l’ai toujours aimée. Vive l’Algérie, telle que je l’espère. Honte aux criminels ! Honte aux tricheurs !"
Et le 29 juillet 1961 il ajoute et précise : "En dépit de l’OAS, l’Algérie sera indépendante, les musulmans fraterniseront avec les Européens..."
Il n’a pas plus d’indulgence pour l’arrogance de certains Français qui semblent ne rien comprendre aux motivations de ceux qui s’engagent pour libérer l’Algérie du statut de colonie.
Le déchirement intérieur de Feraoun est à la mesure de son exigence d’intégrité. Il veut comprendre les uns et les autres, souffre de n’être pas compris, lui. Par des Français, comme Algérien, et comme Français, ou par ceux qui, indépendantistes exaltés, ne comprennent pas sa modération et sa complexité, ses nuances : il se demande ce qu’il est réellement. Il souffre de voir des comportements condamnables et de les écrire dans son Journal dont il veut faire un témoignage. Son désir de dire ce qui est se heurte au malaise à l’idée de porter tort à une "cause juste". Mais il considère que c’est nécessaire que ce témoignage soit publié, pièce au dossier de la guerre d’Algérie.
Dans le très important livre de Jean Pélégri, Ma mère l’Algérie (1989, Alger) j’ai noté une remarque au sujet du choix entre "la justice et son père" (choix qu’il refuse d’avoir à faire). Cela montre, sans qu’il le nomme - mais le sujet est connu - qu’il veut se distinguer de la position de Camus, assimilée (d’après ce qui est écrit) à la phrase citée dans le Monde et reprise partout, à tort, car elle fait dire à Camus autre chose que ce qu’il dit (et qu’on comprend si on lit le passage entier de sa déclaration). Signe que là aussi il y a eu dissension à partir d’un malentendu. Mais Pélégri souffre aussi des trahisons algériennes de promesses pourtant écrites. Blessures accentuées par ce qu’il constate de l’injuste ostracisme en France. La douleur est de devoir en même temps aimer et juger, doublement. Et d’être ainsi partagé entre des sentiments contraires.
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2021… Quel héritage d’écriture ?
Si on pense surtout littérature, effets sur la manière de concevoir l’écriture, la poésie, on peut se demander, alors, comment se poursuit un héritage, comment cela s’inscrit dans la démarche d’écrivains et dans leur vie. Malgré ou à cause de l’exil. Quels thèmes continuent à être traités, de quelle manière. Voit-on se disséminer dans les œuvres des auteurs des bulles de présences thématiques et littéraires, d’Audisio à Diaz, Sarré, Blas de Roblès, etc., en passant par Sénac, Camus, Xuereb, Pélégri, de la Hogue ou Cardinal ? Albert Memmi notait, en introduction à son anthologie des écrivains du Maghreb l’intérêt littéraire de ces fractures méditerranéennes, pensées et écrites.
Qu’est-ce qui sert le mieux l’œuvre ? Question ouverte. Vitale pour ceux qui, venant d’un ailleurs temporel autant que spatial sont pris dans une tension entre des choix contradictoires. Artistes, poètes, souvent en désaccord avec les identifications qu’on leur prête ou impose : trop d’appartenance, ou trop peu, ou trop fausse. L’ailleurs natal les fait étrangers, même avec une carte 'd’identité nationale'. Nomades en soi, digérant l’écho d’exils doubles. Ce sont les questions surtout qu’ils donnent à voir.
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Lire… Quand René-Jean Clot évoquait l’écriture, il le faisait en parlant aussi de lecture. Comme dans la préface à un livre de Pierre Grenaud publié chez L’Harmattan, dont trois pages ont été reprises dans l’ouvrage collectif Ces jours que nous avons tissés. Relire ce qui a été écrit et publié en Algérie... "Il nous faut ouvrir les mêmes livres que nous avions aimés, à Oran, à Constantine, à Alger." Car ces livres, 'du Maghreb' savent "porter les âmes à l’extérieur d’elles-mêmes". René-Jean Clot désignait là les œuvres en français des auteurs des différentes communautés. Et par cette capacité d’action sur les âmes il voulait signifier cette force qui transcendait les affrontements et libérait des cloisonnements identitaires. De l’écriture, "sorcière" il dit le mystère de la création, ce processus de remontée à la surface de la conscience des parts cachées en soi. Et il note l’éthique à retenir, pour des écrits qui peuvent durer. En posant les deux voies possibles : le témoignage, ou le retrait en solitude dans un univers de liberté ascète (spirituellement) . C’était il y a vingt ans, et le choix demeure identique.
Lisant, il faut revenir à Audisio, Eberhardt, Camus, Roblès, Cardinal, Roy. Et Feraoun, Amrouche, Dib, Gréki, Bencheikh. Oui, comme le dit René-Jean Clot, relire les livres qu’ils lisaient.
Relire, mais aussi regarder les œuvres de tous ceux qui furent d’Abd-El-Tif, LA villa d’art… Car le regard relie ceux qui écrivent et ceux qui peignent. Mais les natifs d'Algérie n'étaient pas les orientalistes venus de France (dont bien des œuvres sont magnifiques, certes), ils établissaient une rupture (ou commençaient à l’établir) avec l’esthétique du ressenti exotique : le lieu où l’on naît n’est pas 'exotique', les êtres qui y vivent non plus.
Le peintre (et écrivain) René-Jean Clot a formulé (dans Une Patrie de Sel ou le souvenir d’Alger) ce qui, pour lui, différenciait la conception artistique en Algérie de celle qui s’imposait en France. Sur une rive, le côté charnel et solaire, sur l’autre, selon lui, la part trop cérébrale, ou soumise à des normes, des codes (peut-être des modes…) : "Bien avant la fin de l’Algérie française l’art avait évolué à Alger. Aux tableaux bruyants, succédaient des toiles sobres obéissant à une recherche de gris. Mais le goût du concret, le besoin du réel imprégnaient les recherches tandis qu’à Paris l’abstraction, érigée en système subventionné par tous les ministères de la Culture, ne cessait de s’épuiser en redites académiques". Et il ajoute, reliant les conceptions artistiques locales à une identité : "Pour nous, pieds-noirs, c’est de nos sens, de notre peau qu’il s’agit d’abord face à une œuvre d’art, nous nous méfions d’un art purement intellectuel avec ses allégories cachées. Nous avions, en Alger, la force de nous sentir des ailes et mieux, d’en sentir la caresse dans la lumière".
Lire et relire Sénac, lui, ses poèmes, et ses "peintres du signe". Entrer dans l’univers de ces artistes du noûn (selon Sénac), en déchiffrer un alphabet visuel qui peut être celui d’une langue commune, pour mieux comprendre comment regarder Baya, Racim, Koraïchi, et d’autres. Et ainsi mieux lire les poètes algériens.
Regarder les œuvres de Denis Martinez (resté en Algérie après 62), qui a réussi à créer un art s’inscrivant dans une continuité algérienne, et même à en penser un mouvement (Aouchem, Tatouage). Son exil marseillais n’est que celui des Algériens fuyant les islamistes de la décennie noire, même s’il fait écho (comme l’a montré Gyps dans une page d’humour cinglant) à l’exode de 62.
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En 1912, Henri Matisse a peint une porte de la Casbah de Tanger, ouverture ronde vers des lieux devinés, un ciel lointain peut-être. On voit l’extrémité d’un couloir, comme une minuscule ruelle symbolique, qui donne sur la lumière. Nous sommes près de cette porte, mais dedans, devant le personnage assis, nos yeux vers le dehors, et voulant regarder plutôt derrière nous, là où on appartiendrait aux lieux sans appartenance. Entrer dans la peinture… et se croire à Alger.
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"Une âme commune nous rassemble comme un manteau de lumière" affirme René-Jean Clot dans Une Patrie de Sel, ou Le Souvenir d’Alger, en 1992. Parole d’exilé qui cherche dans l’appartenance la solidarité contre la solitude de l’arrachement à la terre originelle. Cette âme commune se retrouve-t-elle aussi dans les publications des héritiers de cette identité complexe et d’une littérature mal reconnue ? (Audisio, Pélégri et Clot masqués sous l’ombre de Camus. Cardinal et Sénac lus en France pour des raisons qui ne leur reconnaissent pas toute leur complexité). Et comment se reconnaître si le miroir tendu est brouillé et que les nécessaires écrits mémoriels débordent le territoire de la littérature ? Enfin comment rejoindre l’âme commune plus ample : algérianité camusienne, cœur solaire de Sénac, universalité méditerranéenne d’Audisio, et acuité de conscience de Feraoun et Bencheikh, dans un espace qui parle un autre langage ? Peut-être en traversant la mer, au moins par la lecture et la communication.
Pour, finalement, aboutissement spirituel, se détacher de toute pesanteur intérieure et faire du manteau de lumière de Clot une galaxie délivrée. S’inventer des ancrages de sagesse, comme Jules Roy à Vézelay. Devenir pieds planétaires… Ou "poussières d’étoiles" (que nous sommes, dit justement Hubert Reeves)…
Troublant poème de Jean Sénac, quand on le rapproche de ce qui précède. Toujours en relation avec ses espoirs pour l’Algérie, c’est Alger qu’il met comme avant-poste d’un accès de l’humain à un monde-univers. Intuitions qui pourraient être celles d’un mystique et qui ouvrent la même dimension de conscience :
'Notre corps vibre, multiplié, comme s’il était déjà quelque âme gigantesque,
Au-delà de l’horreur et du chaos tenant
La première seconde qui réintègre le sang
Sans passé ni futur mais bousculé du Rêve.
/// Nous sommes présents à la Totalité de l’Espace et du Temps,
La clef enfouie dans nos vertèbres.
/// Alger s’ouvre au Cosmos !'
(Avant-corps, Gallimard, 1968)
Et
Ahmed Azeggah achève son poème Arrêtez sur ces vers :
BIBLIOGRAPHIE. École d’Alger littéraire, contexte culturel (dont art et histoire), prolongements actuels.
Sommaire : ANTHOLOGIES, dont celles d’Albert Memmi, de Christiane Achour et Denis Martinez, de M.A.N., d’Abdelmadjid Kaouah, la somme de Guy Dugas publiée par Omnibus, le dictionnaire bibliographique d’Abderahmen Moumen. Correspondances et témoignages d’amitié. Journaux et livres divers. ÉTUDES, dont celles de Gabriel Audisio, Jean Déjeux, Mourad Yelles, Hamid Nacer-Khodja, Alain Vircondelet, José Lenzini, Guy Dugas, Lucienne Martini, Amy Hubbell, et deux ouvrages collectifs sur Albert Camus.
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ANTHOLOGIES dirigées par Albert Memmi :
Anthologie des écrivains maghrébins d’expression française, Présence africaine, 1964
Anthologie des écrivains français du Maghreb, Présence africaine, 1969
Écrivains francophones du Maghreb, Seghers, 1985
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Anthologie illustrée / Visages et silences d'Algérie, Avant-propos de Christiane Achour, Portraits (superbes) par Denis Martinez, Algérie Littérature Action 9, Marsa éditions, 1997
(Même volume, autres textes et illustrations, dont page de Gyps - humour triste mais percutante lucidité : 1993 comme en 62 - un autre exode, les intellectuels et artistes algériens menacés par les islamistes. Et… Un entretien avec Jacques Derrida... Un texte de Guy Dugas, extrait de la présentation du livre Algérie. Un rêve de fraternité)
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Ces jours que nous avons tissés, Mémoire écrite d’Afrique du Nord (anthologie). M.A.N., Mémoire plurielle, 2002
L’enfance des Français d’Algérie avant 1962. Textes recueillis par Leïla Sebbar, Bleu autour/Algérie, coll. D’un lieu l’autre, 2015
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Quand la nuit se brise, Anthologie de la poésie algérienne, par Abdelmadjid Kaouah, Autres Temps, 2004, Points, 2012
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Algérie. Un rêve de fraternité, Dir. Guy Dugas (pr. Plaidoyer pour quelques hommes de bonne volonté), Omnibus, 1997 (Plusieurs auteurs dont Isabelle Eberhardt, Mouloud Feraoun,
Jean Amrouche, Mouloud Mammeri, Emmanuel Roblès, Jules Roy, Jean Pélégri, Jean Sénac, Mohammed Dib).
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Les rapatriés d’Algérie, Entre Histoire et Mémoire, Dictionnaire bibliographique, Abderahmen Moumen, Jacques Gandini, 2003
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CORRESPONDANCES, amitiés, témoignages
Jean Amrouche et Jules Roy, D'une amitié. Correspondance 1937-1962, Édisud, 1985
Mouloud Feraoun, Lettres à ses amis, Seuil, 1969 (dont lettres à Emmanuel Roblès)
Les Deux Jean. Jean Sénac, l'homme soleil, Jean Pélégri, l'homme caillou (correspondance 1962-1973, poèmes inédits). Par Dominique Le Boucher, coéd. Chèvre-feuille étoilée et Barzakh, 2002
Préface de Jamel-Eddine Bencheikh pour Dérisions et Vertiges, trouvures, de Jean Sénac. Lavis d’Abdallah Benanteur en couverture (portrait de Jean Sénac).Actes Sud, 1983
L’homme-poème, Jean Sénac, de Jamel-Eddine Bencheikh, Actes Sud, 1983
Assassinat d’un poète, de Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, Jeanne Lafitte, 1993 (la mort de Jean Sénac à Alger)
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ROMAN. Nos richesses, de Kaouther Adimi, Seuil, 2017 (Alger - l’Algérie - Edmond Charlot, Les Vraies Richesses, sa librairie à Alger).
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JOURNAUX, autobiographies, mémoires, carnets
Journal 1955-1962, Mouloud Feraoun, Seuil, 1962
Carnets 1935-1942, t.1, Albert Camus, Gallimard, 1962
(T.2 1942-1951, Gallimard 1964 - T3 1951-1959, Gallimard 1989)
Au pays de mes racines, Marie Cardinal, Grasset, 1980
Le premier homme, récit autobiographique, Albert Camus, Gallimard, 1994
Jeunes saisons, Emmanuel Roblès, Seuil; 1995
Journaux, Jules Roy :
Journal, t. 1, Les années déchirement, 1925-1965, Albin Michel, 1997.
Journal, t. 2, Les années cavalières, 1966-1985, Albin Michel, 1998.
Journal, t. 3, Les années de braise, 1986-1996, Albin Michel, 1999
Journal 1928-1962, Jean El Mouhoub Amrouche, pr. Tassadit Yacine Titouh, Non Lieu, 2009
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CHRONIQUES
Chroniques algériennes 1939-1958, Albert Camus, Gallimard 1958 (Folio, 2002)
Écrits libertaires 1948-1960, Albert Camus, textes réunis et présentés par Lou Marin, Egrégores, 2008, coéd. Égrégores/Indigène 2013
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DICTIONNAIRE
Dictionnaire Albert Camus, dir. Jean-Yves Guérin, coll. Bouquins, Robert Laffont, 2009 (riche d’informations SUR et AUTOUR d’Albert Camus).
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ART
La villa Abd-El-Tif, un demi-siècle de vie artistique en Algérie, 1907-1962, par Élisabeth Cazenave, Association Abd-El-Tif, 1998
Alger et ses peintres 1830-1960, par Marion Vidal-Bué, Paris-Méditerranée, 2000
Visages d’Algérie - regards sur l’art, Jean Sénac - documents réunis par Hamid Nacer-Khodja, préface de Guy Dugas, Paris-Méditerranée, 2002
Martinez, peintre algérien, monographie de Nourredine Saadi, co-éd.
Barzach/Le bec en l’air, 2003.
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ÉTUDES, essais
L’Algérie littéraire, de Gabriel Audisio, Encyclopédie coloniale et maritime, 1943, rééd. Jeanne Lafitte (présentation de Nicole Tucelli), 2012
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La poésie algérienne, de 1830 à nos jours, par Jean Déjeux, dir. Albert Memmi. Préface de Mustafa Haciane, Avant-Propos d’Albert Memmi. Publisud, 1996
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Cultures et métissages en Algérie, La racine et la trace (dont ‘Identités orphelines', ‘Identités diasporales’), Mourad Yelles, L’Harmattan, 2005
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Sur Edmond CHARLOT...
Edmond Charlot éditeur, de Michel Puche (préface de Jules Roy), Domens, 1995
Audisio Camus Roblès frères de soleil: leurs combats - Autour d’Edmond Charlot, collectif, Édisud, 2003
Sénac chez Charlot, par Hamid Nacer-Khodja, Domens, 2007
Souvenirs d’Edmond Charlot, Entretiens avec Frédéric Jacques Temple, préface de Michel Puche, Domens, 2007
Jules Roy chez Charlot, par Guy Dugas, Domens, 2007
Roblès chez Charlot, par Guy Dugas, Domens, 2014
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Jean Pélégri l’Algérien ou Le Scribe du Caillou, par Dominique Le Boucher, Algérie Littérature Action, n°37-38, Marsa, juin 2000.
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Albert Camus fils d’Alger, par Alain Vircondelet, coll. Pluriel, Fayard, 2013
Le monde en partage, Itinéraires d’Albert Camus, par Catherine Camus (avec Alexandre Alajbegovic et Béatrice Vaillant), Gallimard, 2013
Albert Camus citoyen du monde, collectif (dont Agnès Spiquel), scénographie de l’exposition d’Aix-en-Provence par Yacine Aït Kaci, Gallimard, 2013 (exposition du 05-10-13 au 05-01-14)
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Par José Lenzini Albert Camus, coll. Les essentiels, Milan, 1995 Jules Roy le céleste insoumis - Du Tel, 2007
Les Derniers Jours de la vie d’Albert Camus, Actes Sud, 2009
Camus et l’Algérie – Édisud,
Casbah, 2016
Albert Camus entre justice et mère, BD ill. Laurent Gnoni, Soleil, 2016, Norma Editorial, 2017
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Par Guy Dugas (voir aussi autres rubriques) :
Bibliographie critique de la littérature judéo-maghrébine d’expression française, L’Harmattan, 1992
La littérature judéo-maghrébine d’expression française entre Djéha et Cagayous, L’Harmattan, 1991
… Hommage à Emmanuel Roblès, dir. Guy Dugas. Des chemins où l’on se perd (titre emprunté à une citation de Thérèse d’Avila posée en exergue ). Volume riche d’informations sur ce courant de l’École d’Alger, à partir d’un auteur important, décédé en 1995. Coll. Les Carnets de l’exotisme, Le Torii éditions, 1997.
… Étude littéraire dir. Guy Dugas :
Emmanuel Roblès et l’hispanité en Oranie, L’Harmattan, 2012
… P.I.M., coll. Djib, dir. Guy Dugas. Petits Inédits Maghrébins. El Kalima éds. (voir lien, éditions algériennes).
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Essais de Lucienne Martini :
Racines de papier, Publisud, 1997
Maux d’exil, mots d’exil, Jacques Gandini, 2005
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Essais d’Amy Hubbell, universitaire américaine, qui enseigne actuellement à l’université de Queensland, Australie
Remembering French Algeria : Pieds-Noirs, Identity, and Exile, University of Nebraska Press, 2015
Hoarding Memory : covering the wounds of the Algerian war, University of Nebraska Press, 2020.
Sommaire : Des fiches wikipedia (Libéraux d’Algérie, École d’Alger/art, Peintres algériens du signe, Denis Martinez, mouvement Aouchem/Tatouage ). Chronique (École d’Alger/littérature), hommages (Edmond Charlot, Jules Roy, Emmanuel Roblès, Jean Sénac, Albert Camus), entretien (Jean Pélégri), émission (Mohammed Dib), textes (de et sur Albert Camus), pages - thèse et conférence (Algérianisme). Éditions et revues (dont recherche littéraire), papier et en ligne (France, Algérie, Allemagne) Enquête et controverses (La mort de Camus).
Centenaire Jules Roy, 2007, LIMAG. Publications, animations, conférences - dont celle, itinérante, de Guy Dugas, "Ce qui fait battre le cœur" ("sur le rapport réel et fantasmatique de Jules Roy à sa patrie algérienne et ce qu’il en a fait dans son grand roman Les Chevaux du soleil"), documents. Par Guy Dugas…
Dossier, Emmanuel Roblès. Des chemins où l’on se perd, dir. Guy Dugas. TABLE de ce numéro des Carnets de l’exotisme des éditions Le Torii. Mention du CDHA...
ENTRETIEN. Jean Pélégri, portrait, Une voix lactée d’instants. Par Dominique Boucher, extrait du dossier d’Algérie Littérature Action n°37-38 (publié en juin 2000).
L’Algérianisme. Extrait d’une conférence de Maurice Calmein, algérianiste. Il explique (et c’est intéressant) pourquoi le courant algérianiste s’est éloigné des positions de Louis Bertrand (sa conception d’une Algérie revenue à la latinité, son mépris des autochtones). Mais il cite Camus hors contexte, ce qui déforme le sens, et il l’intègre à l’algérianisme pour son livre Le premier homme. Or Camus est hors de ce courant littéraire, tant esthétiquement qu’idéologiquement, même s’il a eu des amitiés avec des auteurs… https://www.librairie-pied-noir.com/content/6-algerianisme
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ÉDITIONS et revues. France, Algérie (certaines, notées dans la bibliographie ou mentionnées dans la note, ont cessé leur activité, comme PubliSud, M.A.N., Librairie bleue/Cahiers bleus, Paris-Méditerranée).
Mémoires et cultures d’Algérie, du Maghreb, de Méditerranée
Revue Expressions maghrébines (littéraires, surtout, et artistiques). Pour lire les résumés des dossiers, cliquer sur la ligne de la date, puis sur ‘résumés’, ligne avant la couverture...
Parmi les auteurs et sujets traités : la question de l’identité (voir lien ci-dessous) - Azouz Begag - Histoire(s) (dont résumé intéressant d’une chronique de Benjamin Stora sur la connivence entre femmes auteurs pieds-noirs et algériennes de deux exils des années 60 et 90) - Héléne Cixous - Mohammed Dib - Jean Pélégri - les Amrouche - traversées franco-maghrébines - expressions judéo-maghrébines - masculin/féminin - sexualité - mysticisme - Tahar Djaout).
Qu’est-ce qu’un auteur maghrébin ? (Table du dossier du premier numéro de la revue). Que signifie 'maghrébin', 'écrivain maghrébin' (naissance, appartenance ethnique, nationalité, langue ?). Chaque article est résumé, l’essentiel du questionnement établi. Lien pdf. Revue Expressions maghrébines...
Barzakh. En exergue, la citation de Mohammed Dib, sur le concept qui donne son nom à l’édition, le barzakh : "Qu’est-il arrivé à cette part du Monde ; à ses jours, à ses nuits ? Serait-elle tombée dans un entre-deux où chaque composante du temps ne sait dire que son contraire ? N’est-ce pas le barzakh, s’il pouvait exister et s’il faut y vivre ?"… http://www.editions-barzakh.com
P.I.M., coll. Djib, dir. Guy Dugas. Petits Inédits Maghrébins. El Kalima éds… (2 parutions, présentation de la collection et liste de livres parus et à paraître). Note de blog littéraire… https://sarrakharfi.wordpress.com/2020/07/07/editions-el-...
Camus assassiné ? Élucubration fantaisiste qui séduit les amateurs de complots, ou questionnement légitime et tabou impliquant KGB et services français complices ? Aux lecteurs de décider… Cette thèse fut l’hypothèse du directeur des Cahiers du Sud et elle a été prise au sérieux par des libertaires (libertaire, Camus l'était).
L’auteur du livre La mort de Camus, Giovanni Catelli, ayant lu un passage du journal d’un poète et traducteur tchèque, Jan Zábrana (qui évoque des rumeurs rapportées), a enquêté. Il expose les éléments de son investigation, dont la conviction de l’avocat Vergès (très controversé aussi, mais riche de multiples contacts).
Le scepticisme, par rapport à cette thèse, tient notamment au goût pour la vitesse du conducteur, connu pour cela, et aux doutes d’amis sur la dangerosité de la voiture en question.
Dans tous les cas les notes et articles ci-dessous ont un réel intérêt documentaire (sur le contexte, et sur diverses personnalités).
Un regard tchèque sceptique - texte en français, qui donne des précisions. (Une erreur à corriger : la décision de prendre la voiture n’a pas été prise 'au dernier moment’ mais dite et sue à l’avance).
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