À L'Index n°42. Dossier Jean-Claude Pirotte...
28/04/2021
ma vie est dans le livre / que je n’écrirai pas J-C. Pirotte, À Joie (citation choisie comme exergue à sa chronique, par Michel Lamart)
ce ne sont que poèmes / qui ont l’air de poèmes / et qui n’ont l’air de rien / car ils ne valent rien J-C.P., Je me transporte partout (exergue choisi par Christian Travaux pour son texte, L’A-poésie de Jean-Claude Pirotte dans Je me transporte partout)
Et c’est vrai que je suis moins attentif au sens qu’à la mélodie feutrée, aux articulations obscures du ton, aux assonances, aux dissonances du timbre. Souvent je pense qu’il suffirait de me laisser pénétrer ainsi pour qu’éclose en moi comme une réponse, un répons plutôt, et qu’enfin ma propre voix délivrée aille se mêler au chœur composé de toutes les voix qui m’enchantent. J-C.P. Rue des Remberges (fragment cité par James Sacré)
le saurons-nous jamais / nous n'apprenons à vivre // qu'avec le murmure et l’éclat / des pluies sur les toits à lucarnes J-C.P. Passage des ombres (mon choix, cette dernière citation en exergue...)
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La raison de cette note ? Faire lire la revue, ce numéro d'À L'Index, dédié au poète Jean-Claude Pirotte (décédé en 2014). Et donner envie d’aller ouvrir, ensuite, le volume de la collection Poésie/Gallimard ou le recueil final, Je me transporte partout (Le Cherche Midi).
J’ai donc lu la revue. Un poète lu par des poètes… Mais, aussi… Un homme lu par des hommes. Effectivement, à la lecture de ce beau numéro d’hommage (beau et très riche, par la qualité des commentateurs), impression d’entrer dans un univers très masculin, de manquer de certaines clés (de ce fait). Sans doute eux ne le voient pas ainsi. J'ai su que Sylvie Doizelet, qui fut sa compagne, n'avait pu répondre à l'invitation à participer au numéro d'hommage. Pour compenser je renvoie vers elle par deux liens en fin de note (elle a préfacé le recueil de Poésie/Gallimard). Les clés qui manquaient, j'ai fini quand même par les avoir, grâce à la complexité des regards, et aux nombreuses citations.
La deuxième impression vient du visage de Jean-Claude Pirotte. D’abord la photographie au chapeau, prise par Jean Pol Stercq. On voit surtout le sourire de la bouche et des yeux, de quelqu’un qui a dû inspirer amitiés et tendresses (ce que les chroniqueurs expriment souvent dans leurs hommages). Deux autres photographies (archives privées) témoignent de moments simples - partages, convivialité. Les portraits dessinés (d’Henri Cachau et Jean-Michel Marchetti) capturent autre chose. Un peu les yeux, mais une attitude du corps, une expression, comme de retrait en soi, une tristesse peut-être, un déchirement. Et, toujours, la cigarette, ou le verre de vin. La cigarette qui a fini par le tuer, et le vin qui rendit difficiles parfois la rencontre (comme c’est dit par certains, qui préfèrent témoigner autant de la vérité complexe et des fragilités d’un être que de l’admiration qu’ils éprouvent pour le même être, homme et poète).
Mais l’essentiel revient donc au poète et à ses paradoxes, dans son rapport à l’écriture et à la poésie. Des textes en font la racine de sa force d’écrivain, ces paradoxes. Parcours…
Jean-Claude Tardif voit en lui un Don Quichotte. Dans une réception, rencontre poétique, il le voit comme "un Don Quichotte égaré dans une salle des mariages". D’autres le voient ainsi. Henri Cachau aime "son côté Don Quichotte", et ajoute qu’il aurait "aimé l’accompagner dans ses errances rabelaisiennes ou franciscaines, partager avec lui le pain et le vin, plus encore ce ciel étoilé de la poésie qu’il traversa tel une comète à la trajectoire incertaine, dont demeurent, brillant de mille feux, ses incandescents débris…". Quant à Gilles Grosrey il écrit que "Parler de Jean-Claude, c’est parler / de Don Quichotte et des cathédrales / cristallnes, des moulins d’une Flandre / imaginaire (…)".
Pour Jean-Claude Tardif, du vagabond "en cavale" il pense que sa fuite était plutôt une recherche. "… s’il fuyait, c’était me semble-t-il non pas qu’il cherchait à s’échapper mais plutôt qu’il essayait de retrouver une part de lui-même. Part de rêve laissée ça et là au fil des renoncements, des échecs qui touchent chacun de nous." Complétant son portrait par une qualité, la fidélité aux amitiés, et une mention qu’on retrouve diversement dans les autres textes, "Ce désespoir qui a le tact de se conjuguer avec l’élégance de la langue, sa seule beauté ! (…) Le spleen a des arômes (…) Ils font les mots longs en bouche, longs en cœur et de livre en livre nous disent l’amour, la perte, la nostalgie ; toutes ces choses qui nous font au final si tragiquement et intensément vivants".
Werner Lambersy nomme en lui un "délivreur" (on pense aussi à l’avocat qu’il fut, soupçonné même d’avoir aidé une tentative d’évasion, ce qu’il nia, injustice douloureuse mais qu’il trouva finalement fondatrice car elle le fit se vouer tout entier, ensuite, à l'écriture), mais c’est de l’écrivain dont il parle, le styliste rigoureux. Et il mentionne lui aussi "son inexpugnable mélancolie pour un passé (une jeunesse) dont il a toujours parlé comme d’un Vieux Présent !".
Carl Norac voit en lui "un passeur d’ombres", se référant au livre Passage des ombres, mais pas seulement, à des moments de nuit, partagés, pour exprimer la perception d’une part lumineuse. "Et là je vis que cet homme de la nuit, / en ses méandres, en ses détours, / ne m’avait parlé que de l’éclat des jours."
Lumière, aussi, dans un poème de Jean-Claude Tardif dédié à Jean-Claude Pirotte. "la lumière n’est peut-être qu’une figure de style / dont nous ignorons tout."
Michel Lamart interroge l’identité littéraire de J-C. Pirotte, dont il dit qu’elle "demeure ouverte. Perpétuellement en quête d’elle-même". Il interroge aussi son paradoxal rapport au lieu, son hésitation entre errance et sédentarité. Questions sur le temps, la chronologie repensée. "Espace/temps. S’affranchir du temps pour mieux s’inscrire dans le lieu."
Dans certains textes s’exprime une reconnaissance pour l’aide reçue aux abords d’un commencement d’écriture ou dans une période de doute. Ainsi Claude Andrzejewski exprime une ambivalence. D’une part, l’expression d’une dette sue. "Pirotte a été mon sauveur, m’a extirpé du caniveau, m’a projeté dans les sphères célestes parmi les grands auteurs ; il m’a permis de croire assez en moi pour m’enfuir de la vie banale qu’on m’avait tracée au cordeau et au ras des pâquerettes, et alors j’ai pu vivre la mienne (…)." Mais d’autre part il témoigne de la nécessité de s’abstraire de cette relation, de s’éloigner, pour éviter des partages toxiques (l’alcool destructeur). Nécessité vitale d’être infidèle, en quelque sorte, et douleur de l’avoir dû. D’où "un vent de tempête sous mon crâne".
Christian Travaux, relisant Je me transporte partout, cherche, lui, surtout, à définir ce qu’est la poésie de J-C. Pirotte, ce poète refusant la "modernité" et préférant des formes qu’il dit lui-même "désuètes", insistant sur ses paradoxales détestations et revendications. Octosyllabes, sonnets, rimes. Rimes utilisées et détestées à la fois. Christian Travaux rappelle que Pirotte dénigre aussi sa propre poésie, parlant, lui-même, à son propos de "débris de cantine". Et plus. "pour sûr rien de moins poétique / que ces sonnets à coups de trique". Donc plutôt que poète, pour Christian Travaux, Pirotte est (se veut) "un artificier de la langue, au sens où il montre, où il révèle cet artifice qu’est la pratique poétique dans son ensemble" (…) et "brûle" (…) "cet attirail".
Poèmes-hommages, encore, avec Michaël Glück. Trois poèmes, portraits qui disent je pour Pirotte. Trois exergues. De J-C. Pirotte : "le soleil s’est levé sans moi", puis "allons les mots sont à tout le monde", et "ici-bas me fait envie". Fragments de Michaël Gluck : "stèle parmi les stèles / je suis stèle mouvante (…) la nuit n’a pas encore / cousu mes paupières". Puis "j’ai mis / le verbier commun sur la table". Et "à quoi bon l’outre-monde /ici-bas me fait envie"…
Philippe Claudel, aussi, comme Claude Andrzejewski, exprime de la reconnaissance, pour celui qui fut, pour lui, "une sorte de parrain en littérature", favorisant des publications en revues, et une édition de livre. Mais son estime ne l’empêche pas de parler aussi de la "face sombre" de J-C. Pirotte. Disant qu’un mort n’a pas à être doté "de qualités indiscutables", juste parce qu’il est mort. Alors qu’il fait partie, tout simplement, comme tous, "des êtres avec leur lot de défauts". Donc il se souvient que Pirotte "aimait le désastre et l’a semé", rendant sa fréquentation directe difficile, le faisant se réfugier dans la communication par correspondance. Mais que ses ouvrages, eux, n’ont pas cette "face sombre". "Ils exhibent leur haute tenue. Voilà bien de la littérature, exigeante, bâtie sur des riens (…) et qui s’inscrit avec une évidence fraternelle dans la chair et l’âme de celui qui la parcourt." Et Philippe Claudel souhaite à d’autres la joie de découvrir "son univers et son inimitable phrasé".
James Sacré, lui, regrette que J-C. Pirotte ne soit que dans trois anthologies (celles de J-B. Para, J. Orizet, J-J. Juland), même s’il est présent dans la collection Poésie/Gallimard. Il se demande ce qui a freiné ces reconnaissances. Et lui aussi parle du rapport paradoxal de Pirotte à la rime, et le fait qu’il mélange prose et vers. Des auteurs d’anthologies qui ne l’ont pas publié il dit qu’ils "n’ont pas su voir… que Pirotte ouvrait à la poésie un champ bien plus vaste que ce que proposent les formalistes et autres 'modernes' du moment (lesquels enferment le plus souvent la poésie en des carcans prétentieusement intolérants)".
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LIENS
À l’Index Aujourd'hui. Le livre à dire… http://lelivreadire.blogspot.com
Jean-Claude Pirotte, fiche wikipedia… https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Pirotte
350 citations de Jean-Claude Pirotte, sur Babelio… https://www.babelio.com/auteur/Jean-Claude-Pirotte/46715/...
Début d’un article du Monde, 04-11-2020, sur le recueil Je me transporte partout, 5000 poèmes publiés par Le Cherche-Midi… Xavier Houssin écrit : « Du très grand Pirotte ». Et... Citation : "« Nulla dies sine linea » : pas un jour sans une ligne. Le gamin a fermement tracé la petite devise latine sur la première page de son carnet. Il n’a pas 12 ans. Jean-Claude Pirotte (1939-2014) n’oubliera jamais ce serment décidé, qu’il s’était fait enfant. « Je me l’étais promis », se souviendra-t-il dans Autres arpents (La Table ronde, 2000). Cette promesse, il l’a tenue, tout au long d’une vie qui s’est très souvent montrée hostile."... https://www.lemonde.fr/critique-litteraire/article/2020/1...
Sur Lisez.com, au sujet de Je me transporte partout, voici ce qu’écrit Sylvie Doizelet, qui fut sa compagne… "Ce livre est fait pour durer toute une vie. Dès l’instant où vous l’ouvrirez, vous ne pourrez plus vous en séparer. Vous le lirez d’une traite – une histoire en 5 000 poèmes, une « série » en 40 épisodes (40 recueils) –, ou bien vous prendrez l’habitude de l’ouvrir au hasard, et vous tomberez sur un poème destiné spécialement à cet instant de votre vie. /// Si vous lisez un poème par jour, il vous faudra plus de treize ans. Mais vous ne lirez pas un poème par jour, vous tournerez page après page pour vite découvrir la suite, vous serez envoûté, troublé, bouleversé souvent, empli d’un indicible bonheur d’accompagner Jean-Claude Pirotte pendant les deux dernières années de sa vie." … https://www.lisez.com/auteur/jean-claude-pirotte/85805
Le recueil de la collection Poésie/Gallimard, préfacé par Sylvie Doizelet… http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Poesie-Gallim...
Recension © MC San Juan
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