Claude Cailleau, Un parcours littéraire atypique, Encres vives
31/07/2021
Le silence est celui d’où viennent les poèmes et il est aussi celui d’une interruption de 27 ans, puis celui d’une décision de clore le domaine poétique, pour écrire autrement. Pourtant prose et vers se croisent en poésie dans ces publications. Ce n’est pas le fait d’aller à la ligne qui fait le poème. Pour Claude Cailleau ce serait être dans ce 'Je' qui dit "habiter ma langue", qui vient de l’enfance et se prolonge, dans un présent qui pense "demain". Ce serait aussi inscrire ses textes dans l’espace d’un dialogue intérieur, intime, avec ceux qu’il lit. Mallarmé, Aragon, Jaccotet, pour ne citer que trois noms qui font écho pour lui.
Quels sont les titres sur lesquels je suis revenue plus longtemps, plus intriguée, plus questionnée ? Cheminement (2002), Pour une heure incertaine (2005), Traces (2011), Crépuscules (2015), Je, tu, il… (2016).
Avec Cheminement, Claude Cailleau, dit, dans Encres vives, citant un texte, Énigme du poème, qu’il lui semble "avoir déjà tout dit". C’est vrai que, dans ce poème, on trouve plusieurs de ses mots clés, et la présence de la "pierre", dont il écrit ailleurs qu’il a un lien avec le minéral. (Et, dans son Anthologie, "les pierres seules se souviennent"). Pierre, densité, et silence. Dans ce recueil les poèmes sont commentés par une prose brève, pour situer le contexte de leur écriture. Et là je me souviens de Lamartine, ses commentaires suivant les poèmes des Méditations poétiques. Parfois un paragraphe, parfois plusieurs pages.
La page, écrit Claude Cailleau, "sonderait le silence". Voilà qui éclaire sa démarche. Chercher ce qui se cache dans un silence qui est de la mémoire, les souvenirs enfuis, visages et choses du passé, soi passé, enfance notamment.
Le temps n’est pas que celui qui s’enfuit, il est aussi ce qui précède l’écriture. Et l’horizon lointain d’une lecture. "J’écris pour le futur", "contre l’oubli".
Mais le temps qu’il écrit est troublant. Particulièrement dans un fragment en prose, qui accompagne un poème publié en 2004 par Encres vives. Un jour ou bien une nuit. On le retrouve dans ce numéro de 2016. Ce texte-poème en prose est très beau. Je cite un peu.
"Je parle d’une grande maison assise dans la nuit. Où la vie sommeillait, en attente d’âmes." (Enfance, mémoire, livre…). Et… (…) "Demain encore je parlais." (…) "Un message se tait, enfermé dans le temps."
Dans la page d’Encres vives il explique la structure. Une page de "proses serrées", et, en face, autre page, des vers, dit-il, parlant du recueil. Structure qui peut correspondre à cette déchirure du temps paradoxal qu’il déroule. L’imparfait devient un futur. La parole passée rêvant son prolongement dans le futur de lecteurs. Qui fera du futur… archive du passé. Alors que la mémoire est "entre des murs de vent".
Traces est une opération étonnante, comme un exercice sur le temps, justement. Le même poème repris trois autres fois, avec des variantes correspondant à des perceptions différentes suivant les âges de la vie. On peut y voir aussi des hésitations sur ce que perçoit de vrai la conscience. Cette "voix" qui "rampe dans la nuit", "ensanglante la nuit", y "sanglote", puis "pleure". Comme si elle se cherchait, doutant, errant.
Dans un passage de Pour une heure incertaine, repris dans Encres vives, page 7, c’est l’enfant qui "errait", "ombre fragile, enveloppée d’obscur, engluée dans un temps qui ne veut pas sombrer". Même page, évocation d’un livre d’artiste, pour le poème Avec le temps. Ces pages préparent celle sur Traces, qui suit, un peu plus loin. Le temps, encore. Et le désir d’expliquer sa méthode de travail. "Et j’ai voulu faire apparaître ce qui était caché derrière les mots." Il insiste, autre page, sur le fait que ses livres ne sont pas des recueils, mais "d’abord pensés dans leur totalité", livres composés. Les poèmes s’écrivent ensuite. (Dans L’Anthologie il dit le poème "écrit avant que d’être", et l’écriture "une longue patience").
De Crépuscules, poème d’une seule phrase de 30 pages il dit que c’est son 'Coup de dés' (écho mallarméen…). Il n’en dit pas plus dans ce numéro. mais dans L’Anthologie on peut en lire quatre proses, plus un condensé de la phrase et voir la reproduction de deux pages du livre.
Je, tu, il.. est paru la même année que ce numéro d’Encres vives, qui ne le mentionne donc pas. Dans son Anthologie de 2019 il dit le considérer comme "testamentaire" en poésie. Mais déjà, page 16 d’Encres vives, en 2016, il notait son intention de cesser la poésie. Dans Je, tu, il… ce sont des proses brèves. Toujours le temps. (Mais c'est présent dès ses premiers textes publiés par Michel Cosem, et dans plusieurs titres). Et la nuit, du vent, des arbres, des questions, l’écriture. Ce que ce volume éclaire ici.
En conclusion je relève, dans l’Anthologie poétique, une phrase d’un texte de 2003, Habiter la langue. "La poésie serait donc un moyen de communiquer avec l’invisible qui parfois est en soi, parfois dans l’autre, dans l’arbre, le caillou du chemin." Et ceci. "La pierre, c’est le temps arrêté, figé presque. Je serais tenté de dire qu’elle est la négation du temps."
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Recension © MC San Juan / Trames nomades
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LIENS…
Claude Cailleau. Blog (toujours lisible, même s’il n’est plus enrichi de notes depuis 2019, car remplacé par un autre, ci-dessous)… http://clcailleau.unblog.fr
Entre blog et revue, Les amis de la rue Ventura… https://les-amis-de-la-rue-ventura.over-blog.com/archive/...
Page. Claude Cailleau sur le site d’Auteurs du Maine…http://www.auteursdumaine.net/index.php/claude-cailleau-4...
Encres vives, Michel Cosem… https://encresvives.wixsite.com/michelcosem/edition
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