Michel Cosem, Encres vives (Rocamadour, lieu... et Œuvres récentes). Ou "Écrire sous l'écorce"...
01/08/2021
On lit avec la trace en soi de phrases relues juste avant. Parcourant les articles sur les livres de Michel Cosem, j’ai eu deux fois des passages des Carnets d'Albert Camus en mémoire, comme en surimpression. Ce lien avec le lieu. Parmi les dix mots préférés de Camus, le monde, la terre. L’importance de cet ancrage dans la contemplation de la nature je le trouve aussi là, tant dans ce qui est dit 'sur' Michel Cosem, son écriture, que dans ce que je lis 'de' lui. Et quand je parcours ce qu’il dit de la demeure en pensant à la mort (ce qui reste après nous des lieux sans nous) j’ai devant les yeux la phrase de Camus qui voit, dans la "douceur" de "certains soirs" être une consolation qui aidera à mourir, sachant, dit Camus, "que de tels soirs reviendront sur la terre après nous". Nous sommes des lecteurs habités par des pages qui nous hantent. Mais cela ne fait pas écran, non, cela aide à comprendre. Ceux dont l’écriture est une méditation sur vivre et mourir, avec la conscience que nous sommes éphémères, s’éclairent les uns les autres.
"Écrire sous l’écorce", donc, ce vers du poème cité par Annie Briet, je le retiens plus qu’un autre, car il me semble traduire une poétique. L’écorce c’est la nature, puisque le réel des arbres. Mais c’est soi, notre peau à gratter en écrivant et ainsi aller au centre.
À travers tous ces textes cités, quels mots garder surtout pour prendre trace de cet univers ?
Je note… Lieu, lieux, terre, mystère, regard, imaginaire, rêve.
Je retiens une intention posée comme sens de l’écriture. Et c’est encore Annie Briet qui cite les phrases d’un entretien. Il dit vouloir "développer une vision du monde", "participer à la richesse intérieure de mes contemporains", définissant "l’acte poétique" comme "résistance : contre la pensée uniforme et pratique". Ainsi aider ce qu’on peut interpréter comme la possible expansion des êtres.
Et je me dis que son entreprise de revue-édition doit avoir la même motivation. Produire en nombre des paroles qui élèvent, en ouvrant la porte aux textes de poètes qui amplifieront cette participation évoquée, vers une "vision du monde" enrichie par le regard des poètes.
J’ai parcouru les différentes recensions regroupées ici, sur des recueils publiés chez divers éditeurs (dont L’Harmattan, Alcyone, Unicité, et Encres vives, aussi).
Je note des titres...
L’encre des jours (Alcyone, 2016)
Les mots de la lune ronde et Écho de braise et de cigale (L’Harmattan, 2017, 2018)
Aile, la messagère (Unicité, 2018)
La bibliographie qui complète le volume va de 2004 à 2018 (date de la publication de ce numéro 480). Elle ne contient donc pas le livre recensé plus bas, Encres vives/2020, et pas plus celui que j’ai découvert sur le site de L’Harmattan, au beau titre, Un sillon pour l’infini, 2021.
J’ai d’abord lu les citations choisies par les chroniqueurs. Puis repéré leurs mots, leurs ressentis.
Ils se rejoignent, insistant sur l’importance du regard et de l’imaginaire (ainsi Chantal Danjou), sur la conscience de la "finitude" (Annie Briet), la captation de ce qu’est la nature (Gilles Lades), la place du lieu, des lieux (Christian Saint Paul et Jean-Baptiste Testefort). L’univers animiste mentionné par Murielle Compère-Demarcy je l’ai perçu fortement en lisant le second volume, les poèmes. Ce qu’évoque peut-être aussi Jacmot en mentionnant l’importance de la personnification, dans les poèmes en prose de L’encre des jours (Alcyone). "Il n’est pas une rivière, une colline, une forêt, une roche, une route, qui ne s’anime aussitôt qu’elle est couchée (apprivoisée ?) sur le papier." Du recueil de 2018 paru chez L’Harmattan (Écho de braise et de cigale), Jacqueline Saint Jean dit autant les parts plus sombres (nostalgie, doutes, ombres) que ce qui s’oppose à la "désespérance" (les "gestes"… "enracinés"). Car il y a, écrit, "le partage des connivences et des éternités". Et, dans le même sens, pour voir confirmé que cette poésie est de profondeur, je lis Jean-Louis Bernard, pour Les mots de la lune ronde. "Michel Cosem désencombre la parole de ses artifices pour offrir au lecteur une capacité d’écoute souvent perdue en ce monde, cette écoute qui permet de percevoir l’illimité." D’autres textes méritent aussi lecture. C’est un parcours assez riche.
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ou
"des espoirs aux lèvres d’étoiles"
Belles pages, qui invitent à "goûter à l’élixir de la beauté".
Poèmes en prose (mais trois en vers). Deux textes par page, sauf le premier, seul sous le titre intérieur. Et dont la dernière phrase, séparée de ce qui précède, pour être lue avec plus d’attention, révèle une perception de notre rapport au monde, cette fausse séparation qui vient de notre difficulté à vaincre le mental, à entrer en osmose avec le non-humain. Parfois, oui, cependant... Mais "si par hasard"… Oui, il suffit de peu pour casser le lien. Alors "tout est à recommencer".
"On ne maîtrisera jamais la dualité".
Superbe premier poème. Une vision mouvante et immobile à la fois. Comment la pierre des rochers peut prendre l’apparence d’animaux ou êtres fantastiques. À moins que ce soit plus que l’apparence. Comment la pierre peut être habitée par quelque chose qui pourrait être l’esprit des animaux (lézards, tortues, crocodiles). Imaginaire puissant ou intuition des "mystères du monde" que les "fées de la rivière" ont "dans leurs flancs". L’imaginaire a les clés du réel. Et de l’inverse de la dualité… Les rochers figurent aussi comme les pages des "tables de la loi" (lois des textes fondateurs ou "lois de la pierre", ou les deux).
Ce recueil est un manifeste amoureux louant la beauté d’un paysage, Rocamadour et ses environs. Mais c’est aussi la trace d’une tension entre les grandes questions métaphysiques et le rapport concret aux choses qu’on peut regarder et toucher.
D’un côté les sujets à penser...
Le temps, celui de tous les jours et celui qui s’échappe (éternel).
La dualité. Le monde vu où s’affrontent rapace réel et fées rêvées. Rapace duel car son cri menace l’accord fusionnel avec la nature, séparant.
L’imaginaire des religions. Les pierres "inventant d’émouvantes histoires de dieux qui n’ont jamais existé et de madone toujours vierge"…
Le passé, l’Histoire. Tout ce qui défila d’humain et de souffrance dans ces lieux. Et "on traverse l’endormissement du monde et les siècles qui vont avec".
Et, autrement, la présence presque charnelle de la nature. Chemins et chemins, rochers, rochers encore, pierre, cailloux. Herbes, lichen, arbres, pollen, rivières, fleurs, dont le rouge coquelicot qui efface, avec le jaune papillon, tout le gris du monde (poussière et vécus). Le papillon jaune me fait penser au papillon noir de Richard Moss (qui joue un rôle troublant pour lui dans une expérience spirituelle, un accès soudain à la non-dualité, ce papillon étant venu se poser un instant sur son front). Richard Moss raconte cela dans Le papillon noir. Cette évocation que je fais n’est pas là par hasard. Dans ce livre les humains sont peu présents, sauf par l’ombre du passage des pèlerins et la trace de ceux que l’arbre mort aime (l’arbre où un oiseau "affirme à qui veut l’entendre qu’il n’y a pas de désert intérieur"). Des jeunes filles, cependant, se penchent sur le ravin, et témoignent de la beauté.
Pas de bruit. Le silence et quelques chants d’oiseaux (ou "leur immémoriale prière").
Des animaux (oiseaux, donc, rapace déjà rencontré, cigale, corbeaux, abeille, et ce papillon jaune…).
Ce qui est le plus remarquable dans ces denses poèmes, c’est que la nature (végétale, animale) partout a une conscience qui s’exprime. Elle dit, oui, "tous les mystères du monde". Les tiges, sous la rosée sans doute, sont "perlées de rêve et d’illusions". L’eau de la rivière est celle de "l’intelligence". Le coucou apprécie "les voix" qui se dressent "contre les bûchers et pour toutes les libertés". Les champs sont "de lettres nues" et "disent l’avenir", rêvant d’humains (ou peut-être de tous êtres, humains et non-humains) "devenus de petits grains de pollen". (Là c’est à certaines pages de Gabriel Audisio que je pense, poèmes où sa méditation fait pleuvoir des étoiles du cosmos, et nous rêve en traces envolées dans l'espace, les humains laissant la planète continuer sa vie sans l'humain). Le dolmen communique, comme les croix des carrefours (car le poète sait deviner ce langage caché, comme il a su entendre le message de l’oiseau).
Les pierres parlent, et les chênes, quand les oiseaux font des "confidences".
Si j’ai pensé au papillon de Richard Moss c’est que le papillon de Michel Cosem en est très proche. Par la perception du vivant non-humain, par un lien avec ce qui dans le monde pense à sa façon, et qu’une conscience humaine peut saisir. Richard Moss a vécu un bouleversement stupéfiant apporté par un papillon. Michel Cosem témoigne d’une connivence avec ce qui l’entoure qui procède d’une connaissance intérieure du même ordre, intuitivement.
Car… "On aura encore cheminé au pays des mots sur les plus beaux chemins de fulgurance."
Et…
"Tout au bout une chance essentielle attend."
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Recension © MC San Juan / Trames nomades
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LIENS…
Michel Cosem, Le Printemps des Poètes… https://www.printempsdespoetes.com/Michel-Cosem
Bibliographie. Livres chez L’Harmattan… https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs...
Page auteur, Alcyone… https://www.editionsalcyone.fr/427376417
Page auteur, Unicité… https://www.editions-unicite.fr/auteurs/COSEM-Michel/aile...
Encres vives, Michel Cosem… https://encresvives.wixsite.com/michelcosem/edition
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