Les yeux du dragon, Anthologie, Petits poèmes chinois...
13/06/2022
Ils mettent le feu au ciel, en vain ils s’épuisent
J’entends justement comme si je buvais une douce rosée
Soudain dissous, purifié, disparaître dans l’impensable
Hsüan Chüeh, Chant de la Voie 4, Témoignage du bonheur éternel (Anthologie Les yeux du dragon, Petits poèmes chinois (traduction et présentation, Daniel Giraud, calligraphies de Long Gue. Le Bois d’Orion 1993, Coll. Points poésie, poche, 2009, et réédition juin 2022).
La présentation de ce précieux livre par Daniel Giraud ne prend que quatre pages. Texte dense d’un connaisseur imprégné de la connaissance de ces poèmes, et, aussi (c’est essentiel) de la philosophie qui les sous-tend, cette sagesse subtile qui allie, dit-il l’inspiration bouddhiste à celle du taoïsme à travers le Ch’an, pour nombre de poètes, moines ou laïcs, dits zen. Il nous dit proposer une sorte de florilège paradoxal où la quête de l’absolu se réalise par-delà les dogmes (du syncrétisme religieux ou du monolithisme politique, précise-t-il). On ne peut effectivement lire et comprendre (ou tenter de comprendre) l’univers de ces poèmes sans en percevoir la dimension philosophique, je dirais supra-philosophique. (Poèmes. Seul le Hsin Hsin Ming n’est pas tout à fait un poème, plutôt un texte totalement témoignage de métaphysique vécue).
Le dragon est un animal qui a une place importante dans la culture chinoise. C’est une image de pouvoir bénéfique. Le titre de l’anthologie, Les yeux du dragon, vient d’un récit presque mythique que relate l’auteur (p.10). Des dragons peints restaient sur le mur à condition que leurs yeux ne soient pas dessinés. Les yeux peints les dragons s’envolèrent. Si on interprète on peut y voir deux sens. La force de l’art, d’une part, capable d’insuffler la vie. Et l’importance énergétique et spirituelle des yeux, par lesquels peut advenir un changement de statut de l’être.
Car les auteurs ne sont pas des littérateurs (même s’ils créent de la littérature, et justement parce qu’ils créent de la haute littérature), mais des êtres engagés dans la recherche de l’Éveil, c’est-à-dire d’une bascule de conscience qui ne passe pas par le mental, l’intellect, mais au contraire accepte un processus fondé sur un rapport simple avec la nature, les choses banales du quotidien, fleurs ou vin. Espace spirituel de la non-dualité (pas celle qui est à la mode dans certains courants contemporains et se berce de mots et d’illusions, non, celle d’un retrait humble). La traduction de leurs expériences s’élabore par métaphores délicates – ils regardent, contemplent, expriment des émotions (l’émotion n’est pas l’émotivité écrit Daniel Giraud pour caractériser la manière dont la vivent ces anciens 'sages'. L’émotion, même triste, ils ne la repoussent pas, car ils ne sont pas dans une rigidité sèche qui serait plutôt une projection du mental, ce à quoi ils échappent.
Ce qui nous est proposé est de rejoindre une présence différente de l’être au monde, telle que les poèmes l’inscrivent, un espace sans dehors ni dedans.
Daniel Giraud, l’auteur (natif de Marseille mais vivant, après ses voyages, en Ariège) est un érudit, qui a réalisé un considérable travail de traduction (dont le Tao tö King ou Tao Te Ching, suivant les écritures).
Il est essayiste, poète, et musicien (voir l’article assez complet de La Dépêche, lien ci-dessous). Et cette anthologie peut être l’occasion d’aller vers son écriture personnelle. Il est l’auteur de l’ouvrage Ivre de tao (sur Li Po) .
Son dernier recueil de poèmes, Le poids des nuages, éds. Le Contentieux, Toulouse, 2021, est épuisé chez l’éditeur. La revue Décharge en a fait un compte rendu, donnant aussi des nouvelles de ce poète qu’on définit comme libertaire. On le voit à la fois dans cet univers de l’absolu et dans certaines tristesses, celles que 'ses' sages chinois ne refusent pas non plus de dire. Le blog Alamblog en fait une recension, sous le titre Il pèse les nuages.
Autre recueil de poésie, All to no-thing, 2014.
Publication récente, Le passager des bancs publics (des observations - le monde, les gens), Éditions libertaires, 2021. Il avait créé une revue, révolution intérieure (r minuscule dans le titre), arrêtée pour raisons financières. J’ai le numéro 5, que je ressors de ma bibliothèque, souvent (et je vais me procurer l'anthologie des cinq numéros). Dans ce numéro 5, on trouve... poèmes chinois, textes d’Alan Watts (L’expérience spirituelle), Gary Snyder, Jacques Lacarrière... Dense et bref éditorial de Daniel Giraud. Je découvre qu’une anthologie des cinq numéros a été publiée et on en trouve en ligne d’occasion. J’y reviendrai aussi. Autres livres de lui à noter, Être sans être (Journal d’un esprit religieux sans religion, éd. Arcam), et Embrassant l’Entre-deux (Recueil de notes d’inspiration non-duelle entre Ciel et Terre).
Le poème que j’ai mis en exergue (moins un vers, le premier) m’a frappée pour deux raisons. Son actualité brûlante, celle du paradoxe vécu entre la douleur des faits, comme la guerre et ses horreurs, et le besoin de s’extraire émotionnellement de cela, rejoindre une pureté d’être autre (sans renoncer à dire et réagir cependant). Et pour y voir la métaphore de ce qui peut être itinéraire de vie, ce long travail sur les mémoires des faits qui heurtent, même quand ils sont extérieurs (mémoire-amnésie-oubli) vers l’accès à un savoir qui transcende cela, libérant de ce qui encombre. Lire et relire cet ouvrage peut être un support pour cela, car il y a un tao pour tout (Daniel Giraud, présentation de l'anthologie, au sujet de l'alcool, mentionné dans des poèmes).
Cette recension est un commencement, car je reviendrai parler des livres de Daniel Giraud...
De cette anthologie je note quelques CITATIONS (le plus souvent poèmes intégraux, parfois des extraits)...
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Les limites viennent des limites des capacités
Les capacités viennent des possibilités des limites
Seng Ts’an, Gravé au cœur du vrai / Hsin Hsin Ming (p.35)
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Je demeure en montagne
personne ne me connaît
Dans les nuages blancs
éternel nirvâna…
Han Shan (p.55)
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Il n’y a pas d’arbre à la racine de l’Éveil
ni de support au miroir du Cœur
Dès l’origine il n’y a rien du tout
Où la poussière adhérerait-elle ?
Hui Neng (p.73)
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Comme un oiseau dans les nuages
Sans plus laisser de traces
Li Po, La route des marchands (p.97)
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Les fleurs de pêchers s’éloignent ainsi au fil de l’eau
Il est un autre Ciel, une autre Terre que parmi les êtres
Li Po, Dialogue en montagne (p.107)
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Portant du bois, sortant le vendre au matin
Achetant du vin, rentrant au soleil couchant
Si vous vous demandez où est ma maison
Traversez les nuages, disparaissez vers les cimes azurées
Anonyme (p.109).
Texte que Li Po admirait (le pensant écrit par un immortel), dit l’auteur de l’anthologie
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Sur mille montagnes cesse le vol des oiseaux
Sur dix-mille sentiers s’efface la trace des hommes
Dans la barque solitaire, le vieillard au chapeau et manteau
pêche seul la neige sur le fleuve glacé
Lin Tsung Yüan, Neige sur le fleuve (p.123)
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recension © Marie-Claude San Juan
LIENS…
Page éditeur. Les yeux du dragon, Points poésie… https://www.editionspoints.com/ouvrage/les-yeux-du-dragon...
Fiche Wikipédia, Daniel Giraud… https://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Giraud
Article, La Dépêche… https://www.ladepeche.fr/2021/05/02/daniel-giraud-poete-e...
Revue Décharge, note sur le recueil Le poids des nuages… https://www.dechargelarevue.com/Dan-Giraud-Le-poids-des-n...
All to no-thing, éds. Fage… https://www.fage-editions.com/livre/all-to-no-thing/
LIBRAIRIE Les mots & les choses, Boulogne-Billancourt. Un dossier de livres. En mettant le nom Daniel Giraud en 'recherche' (pas avancée, d’abord simplement 'recherche') on a une liste de ses livres, couverture, présentation, disponibilité. Commande sur site possible… https://www.lesmots-leschoses.fr
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