REVUE L'Intranquille n°23, automne 2022...
07/12/2022
Le numéro 23 de la revue L’Intranquille (automne 2022) était présent lors du Salon de la revue, puis pour celui de L’Autre livre (éditeurs indépendants). Riche numéro, de nouveau.
Comme toujours, des traductions à l’honneur, rituellement un dossier thématique (Jeux d’enfant cette fois), plus un ample essai que j’évoquerai brièvement, et enfin, poèmes et critiques (recensions, dont une de mon dernier recueil, par Françoise Favretto, et la mienne, d’un livre de Raymond Farina)…
TRADUCTIONS…
CHINE. Quatre poètes, de Li Bai (701-762, grande référence incontournable), à trois auteurs du XXème siècle (tous décédés). Poèmes brefs. Une page introductrice, par Victoria Rouëssé (la traductrice), précède les textes. Elle présente le contexte de ces écrits, mouvement littéraire ou revendications réformistes.
D’abord un titre qui regroupe trois auteurs.
Trois poètes chinois à la lumière de la lune
De Li Bai, Pensée de nuit
Face au lit, la lune
Son ombre est de givre.
Vois là-haut, la lune
Puis songe au pays.
De la poétesse Lin Huiyin, Une journée (dont je cite les deux derniers vers).
Le crépuscule désolé sort silencieux,
Esseulée, muette, dans les bras de la nuit je me jette !
Et enfin, de Guo Moruo, Nuit silencieuse (je copie la deuxième strophe).
Et la voie lactée ?
L’espace est voilé de brume
Des larmes perlent sous la lune,
Une sirène ?
À part, un long poème de Dai Wangshu (dont il est dit qu’il fut aussi un traducteur de poètes français). Ruelle sous la pluie (1927). Extrait (une strophe)…
Elle vient dans l’allée vide sous la pluie,
Tenant un parapluie
Tout comme moi.
Tout comme moi, elle
Marche sans un bruit,
Froide et sombre et soucieuse.
Traductions, encore, mais de l’espagnol. Argentine et Colombie. Différents traducteurs.
Argentine
Didier Coste (écrivain et traducteur, trilingue) présente et traduit une poète décédée en 1938, Alfonsina Storni : Une des grandes figures de la poésie argentine moderne, "venue avant Alejandra Pizarnik et Olga Orozco", rappelle-t-il. Il tient à dépouiller cette poète du halo tragique lié à son suicide, pour révéler plutôt l’œuvre. Mais il est vrai que les circonstances sont troublantes, car elle annonce sa mort en envoyant un poème d’adieu à la vie... à un journal, juste avant de se jeter dans la mer (Voy a dormir, Je vais dormir). En 1969, nous dit-il, une chanson de Mercedes Sosa lui sera consacrée (Alfonsina y el mar). Ce qui transforme, il me semble, le fait (presque fait divers) en mythe. Chanson culte reprise et reprise… Lisant les six poèmes je sens les signes d’un univers de fragilité, que la biographie, nous est-il dit, explique (contexte, vie difficile, machisme). Je choisis des fragments dans trois textes différents.
Une page de partition
… Sur un léger tremblement du pentagramme
devenu soudain muet dans la campagne
il ne reste qu’une note qui perdure…
.
À Notre Dame de Poésie
(…)
car il ne me fut jamais donné de vivre
coupée de ton ombre : je suis née aveugle,
les yeux crevés par tes terribles forceps.
.
Je vais dormir
Je vais dormir, chère nourrice, couche-moi
dans ce lit, pose une lampe à mon chevet,
n’importe quelle constellation m’ira,
mais tout de même baisse un peu la lumière.
(…) Et puis
fais ça pour moi : s’il téléphone, dis-lui
de ne pas insister, que je suis sortie.
Colombie
Quatre poèmes de Renata Durán (lectrice de Pessoa, puisque le mettant en exergue d’un de ses livres, et, beaucoup, de Sor Juana Ines de la Cruz…). Textes traduits à deux mains par Brigitte Le Brun Vanhove et Beatriz Avendaño. Trois extraits (de trois poèmes)…
Solitaria / Solitaire
Baignée à l’instant
D’une Aura de lumière
Je retourne à mon silence bien-aimé.
.
Libertad / Liberté
Libérée de l’Ego
Tu chevauches un lion.
Pugnace
et sauvage tu as tranché
cette tête humaine
qui ne sait ce qu’elle rêve (…).
.
Poesia / Poésie
Je veux te vivre jusqu’au bout
Extatique
Je veux te vivre pure.
Plus loin, dans le dossier thématique, il y a quatre pages (bilingues) de William Carlos Williams, deux poèmes traduits de l’anglais par Jacques Demarcq.
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Suit un essai d’une quinzaine de pages. Une étude de Jacques Donguy.
La poésie numérique, ou vers un élargissement du langage
De quoi s’agit-il ? De poésie électronique (mais terme qu’il refuse), d’écriture assistée par ordinateur. Il en est un spécialiste, ayant publié un Manifeste pour une poésie numérique dans la revue Art Press, en 2002. Les techniciens et autres ingénieurs ne sont pas ceux qui l’intéressent, mais les artistes. Dans l’historique des pratiques novatrices il mentionne l’Oulipo des années 60 (contrainte, combinatoire). Mais aussi le fait que des révolutions techniques (comme l’imprimerie) ont changé les modalités de la création. Et que cela se poursuit dans notre modernité.
Suit une bibliographie (divers auteurs, et plusieurs publications à son nom).
Parcours très sélectif… Je passe au dossier thématique. Jeux d’enfants.
Choix…
De Claire Dumay, Jouer son enfance
[Elle observe un enfant, jeu dans un parc. Comment son jeu le crée, corps et mental, comment il hésite et décide, comment le jeu est plus que du jeu. Et je retrouve dans ces deux pages sa manière de disséquer le réel pour en extraire l’essence signifiante. Texte dense, philosophie du quotidien. Mais je vois là, avec plaisir, une évolution de la matière et de la manière. Claire Dumay, dans ce que je connais de ses textes et livres, peut faire de la dissection, de ce goût de chercher en profondeur ce qui se révèle de soi et d’autrui, un exercice cruel pour elle-même, contre elle-même. Là c’est différent, la profondeur ouvre à autre chose, échappe à tout enfermement corporel.]
CITATIONS
Absolument seul, il se proclame silencieusement l’élu d’un territoire dont il élabore les contours. Sa proposition d’itinéraire, subjective, partiale, s’érige en valeur suprême, prend la figure de l’absolu.
(…)
L’accomplissement réside dans l’avancée, l’illusion de la toute-puissance, la perception d’un infini qui aurait des bords.
(…)
Tout est en cours, bien au centre, d’un seul tenant, réduit à l’essentiel. La colonne du dedans suffit, n’appelle rien d’autre.
De Carole Darricarrère, L’aïeul
[Texte troublant, qui déroule une mémoire d’enfance avec des surimpressions, des interférences, comme si celle qui écrit revivait des émotions passées et se les réappropriait, acceptant que le présent les métamorphose. Heurt des temporalités et des ressentis. L’enfant habite l’adulte mais l’adulte lui impose son voyage dans le temps. L’instant de vie invite la mort, les fantômes, la trace des morts. Comme si les jeux d’enfance étaient un moyen pour penser la mort sans devoir passer par les savoirs, ignorances, et doutes des parents.]
CITATIONS
Comme d’habitude je récupère l’aïeul, celui dont les os gesticulaient en vrac en bas, et qui pris en sandwich entre moult dimensions, appelle aujourd’hui à l’aide dans le poème.
.
J’ouvre un son qui n’existe pas dans l’atmosphère, je le glisse dans le vocabulaire (…).
.
(…) Mon propre reflet sur tous les écrans de la maison me renvoie l’image jumelle d’un visage en flammes sous flanelle que je ne connais pas. Comme les arbres, je suis sensible à l’attraction céleste, j’ai encore en mémoire le royaume d’où je viens.
À noter. Deux pages d’hommage à Jean-Luc Parant (décédé en 2022), par Denis Ferdinande.
[Et pour terminer, critiques. Recensions diverses par différents auteurs. Beaucoup de lectures suggérées. Les lecteurs y feront leurs choix... Mais comment choisissons-nous… ? Critères ? Le nom d’un auteur, dont on a déjà repéré un texte quelque part. L’édition, si on fait confiance à son catalogue. Une citation qui nous accroche… Et… le prix qui parfois permet de prendre un risque avec de l’inconnu… Parfois, aussi, il faudra attendre patiemment qu’il y ait des retours des services de presse dans les librairies d’occasion… ou de lecteurs déçus par ce qu’on aimera, nous.]
Françoise Favretto a glissé, parmi ses quatre titres recensés, mon recueil, Le réel est un poème métaphysique (celui qui photographie et pense l’eau des flaques et les révélations de leurs reflets). Parmi ses lectures je remarque justement deux éditions : Rosa Canina, au si beau nom de rose délivrant des rages (pour un livre de Jacques Estager), et Isabelle Sauvage, où j’ai un retard de lectures en attente (autant ajouter celui de Lou Raoul – mais plus tard).
Mathias Lair recense deux livres dont un que j’ai très envie de lire, celui de Germain Roesz, car peintre et poète, et ceux pour qui le regard est central sont ceux vers qui je vais d’abord. Et en plus avec la thématique du chiffre 3. Intéressant... C’est, chez Les lieux dits, coll. bas de page, Mathématiques du trois, 2020. Pas besoin d’attendre, cet ouvrage au format italien, et de 60 pages, est offert pour… 6€.
Enfin j’ai recensé le livre de Raymond Farina paru chez Alcyone, La gloire des poussières.
Bonne idée, en dernière page les dates des salons et rencontres prévues (dont le 2ème salon de L’Autre livre en avril, Quartier du livre dans le 5ème début juin, et la suite en automne…
Recension © MC San Juan
LIEN…
SITE de l’édition de la revue, Atelier de l’agneau… https://atelierdelagneau.com/fr/
1 commentaire
Peut-on parler d'une "mode" chez les poétesses qui mes menaient au suicide, du genre "artiste maudit" ...?
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