Camus et le FLN, essai de Tarik Djerroud. Publication en France et en Algérie
19/02/2023
Voici ma lecture de l'essai de Tarik Djerroud (écrivain et éditeur), Camus et le FLN. (Publication sur les deux rives, en Algérie et en France. Erick Bonnier, France, et Tafat, Algérie, 2022. Mes références renvoient aux pages des éditions Erick Bonnier).
Pour commencer, l'incipit (qui me servira d'exergue). La première phrase de l'introduction (quatre pages, qui mériteraient un tiré à part ) : Sous la voûte céleste, sur la terre des hommes et des femmes, chaque siècle déverse son lot de frayeurs, rendant la condition humaine souvent tragique.
Sujet brûlant, s’il en est… Et traité avec la justesse de ton qu’il fallait. Livre important, la position d’Albert Camus étant souvent mal comprise car mal connue. Or l’essai se base sur des documents et informe.
Déjà, les trois exergues sont un programme : choix de lucidité, refus des pièges idéologiques, goût du débat. (Georges Clémenceau, sur le mensonge. Malek Haddad, pour la difficulté de vivre l’Histoire et de l’étudier en même temps. Dudley Field Malone, et l’utilité du débat contradictoire…)
Puis l’introduction. Quatre pages (pp. 9-12) qui définissent l’intention de déconstruire les manipulations de ceux qui utilisent l’Histoire pour leurs stratégies et non pour rechercher la vérité des faits. Donc expurger la démesure, cette fille de la peur, de l’ignorance et de la haine ou du calcul intéressé ! Et commencer par des questions : Mais de prime abord, qui était vraiment Camus, enfant de la terre algérienne ? Qui était vraiment le FLN ? La méthode est exposée, en quatre points : approche mémorielle, puis choix d’un angle analytique contradictoire et rejet des lectures dogmatiques, et enfin volonté d’évacuer tout tribunal sacralisant ou manichéisme infantilisant. Pour saisir les vérités des uns et des autres.
Démarche qui suivra la chronologie de l’Histoire. Du Centenaire de 1930 (avec ses paradoxes), vécu si différemment par les uns ou les autres, jusqu’à la mort de Camus en janvier 1960, puis l’indépendance de 1962 et les suites (autre pouvoir, autres tensions).
Constat : l’eau tiède de l’histoire laissait flotter à sa surface un Camus pluriel et un FLN multiple.
Et en conclusion de ces quatre pages : En fait, la recherche d’une sagesse, par temps de paix comme par temps de guerre, est la plus belle ambition de cet ouvrage.
En fin de note, lien vers la page des Éditions Erick Bonnier. Et trois notes de lecture de cet essai (citations et liens) : page du site Mare Nostrum (par Robert Mazziotta), chronique du journal Le Matin d'Algérie (par Kamal Guerroua), note de blog de Jean-Pierre Ryf (le créateur et administrateur principal du groupe Facebook Les Amis d'Albert Camus - fréquenté sur les deux rives).
Lisant, on voit que l’auteur allie littérature et Histoire, sans sacrifier l’une ou l’autre, sans que la seconde trahisse la première. Les citations d’Albert Camus sont très nombreuses. C’est un authentique lecteur de Camus qui écrit.
Son parcours de la biographie de Camus est un fil qui guide la compréhension : les origines, la misère, les épreuves (dont la tuberculose) ou obstacles, les bonheurs aussi. La rencontre d’Edmond Charlot est mentionnée, l’importance de cet éditeur dans le parcours d‘Albert Camus. Mais aussi les voyages, et l’Italie.
On constate, à relire bien des textes de Camus journaliste (et beaucoup cités dans cet ouvrage), à quel point il fut proche de la pensée de certains courants nationalistes, ces militants du début, qui espéraient une République algérienne libérée du statut colonial mais pouvant s’allier avec une France qui saurait la respecter en tant que telle. On lit aussi que certains auraient cherché (comme Camus) à inventer des formules permettant de définir une algérianité n’excluant personne, dans une société qu’ils désiraient démocratique. Idéal pluriel et fraternel que d’autres combattraient en définissant la nationalité à venir à partir de visions ethniques et en faisant de l’appartenance religieuse un critère d’identité nationale. Deux options adverses. On sait que Camus ne pouvait adhérer à cette seconde option, et que, de plus en plus, il eut la prescience de ce que serait le courant dominant (qui élimina effectivement ses adversaires, par l’assassinat ou l’exil). Et il ne le pouvait, alors qu’il dénonçait fortement les injustices d’un système bloqué dans son aveuglement. (Il le faisait plus qu’on ne l’a dit souvent, ne connaissant pas tous ses textes). Camus n’écrivit pas seulement dans Alger républicain, en Algérie, mais aussi dans des journaux de militants créés par ceux dont les positions seraient de plus en plus indépendantistes : il écrivit notamment dans L’Entente de Ferhat Abbas). Tant que l’indépendance était un rêve qui pouvait être pluriel Camus pouvait suivre. Si elle devenait ce qui faisait de lui et de sa communauté des étrangers, il ne le pouvait plus. Et la situation évoluant vers la guerre (avec toutes ses violences réciproques, dont celles de l’armée française), l’utilisation du terrorisme contre les civils fut le mur infranchissable.
Beaucoup de noms sont mentionnés, dans tout ce parcours, comme ceux de Messali Hadj ou Aziz Kessous.
Les rapports de Camus avec le PCA (sous l’influence du PCF) sont étudiés de près. Car si Camus y adhéra par souci de justice sociale il finit par en être exclu, pour avoir souhaité que le PC prenne la défense des militants anticolonialistes qui avaient des ennuis avec l’administration française ou étaient emprisonnés. Camus défendit cette position, ne put convaincre, et dut partir. (Cependant il commençait déjà à mesurer les divergences idéologiques et aurait sans doute fini par rompre). Lire les pages 72-74 qui exposent cela, et les pages 75-78 qui prolongent cette thématique en étudiant la question des rapports de Camus avec le nationalisme algérien, car c’est lié. Il est rappelé son article d’Alger républicain titré Il faut libérer les détenus politiques indigènes (mention page 74). Et de nouveau, même sujet dans la revue Méditerranée-Afrique du Nord (voir page 75). Plus loin, évocation, pages 113-114, du dossier Crise en Algérie, qui prolonge les constats de Misère de la Kabylie en les actualisant.
Autre sujet, le reportage fait en Kabylie, alors que Camus est un très jeune journaliste, et qui, publié dans Alger républicain donnera la série Misère de la Kabylie. C’est traité dans un chapitre qui commence page 79, mais qui a un titre contestable (L’inquiétude du conquérant). J’y vois (et dans la suite conforme au titre) une interprétation discutable. Car si les pages qui suivent disent bien à quel point Camus est scandalisé par les constats qu’il fait, et comme il voudrait faire changer la situation, il y a cette idée que Camus veut ainsi préserver la présence française. C’est en contradiction avec d’autres passages du livre qui montrent, eux, sa dénonciation du système. Camus, né par hasard en Algérie, déjà colonisée, n’est en rien un conquérant, pas plus que sa mère espagnole miséreuse. Et cela ne correspond en rien à son éthique. Le chapitre veut signifier aussi que le message de Camus se heurte à des limites dans sa prise de conscience : Camus ne faisait guère allusion au lien entre colonialisme et misère sociale (p. 84). Car ce n’était pas l’objet de son reportage, qui était de révéler une situation concrète. Les critiques il les faisait et les fera dans d’autres textes.
Les attentats du FLN ne sont pas oubliés (pas tous, le massacre d’El Halia est rappelé, mais certains le sont, comme, il me semble, le massacre du 5 juillet 1962 à Oran : de ceux qui, justement, pensaient plutôt rester). Et certains assassinats, comme celui de Cheikh Raymond (dont le meurtre fut justifié par des rumeurs diffamantes) : assassinat qui est comme le triste miroir (en infamie) de l’assassinat de Mouloud Feraoun par l’OAS. Faits (cet assassinat de Raymond et le 5 juillet 62) qui firent partir beaucoup de gens. Les crimes des ultras aussi sont mentionnés. Et de l’OAS (apparu tardivement, influence métropolitaine, car création métropolitaine - violence criminelle… extrême droite et haine, mais aussi réaction à la peur). La bombe du Milk bar, en septembre 1956, qui fit des morts et des blessés (dont des enfants amputés) est évoquée, comme attentat FLN. Et en note l’auteur mentionne le livre de Danielle Michel-Chich, victime à cinq ans, Lettre à Zohra D.
J’ajoute qu’elle avait interpellé la poseuse de bombe (présente alors à Marseille, conférence, et que celle-ci n’avait pas daigné répondre : violence supplémentaire). Danielle Michel-Chich a refusé la haine, et c’est ce qu’elle a rappelé dans une lettre aux victimes de l’attentat du Bataclan, leur disant de ne surtout pas être dans la haine, que cela les détruirait. Une autre victime de ce même attentat enfant, Nicole Guiraud, artiste plasticienne, a fait le même parcours de refus de la haine. Engagée à la fois contre le terrorisme et pour le dialogue fraternel elle fit réaliser par son galeriste, Peter Herrmann, en Allemagne où elle vivait, une exposition titrée Alger, Oran, Constantine, avec deux artistes algériennes, chacune représentant sa ville natale, Alger pour Nicole Guiraud. Et elle aussi a témoigné.
Comme ces enfants pieds-noirs, des enfants dits alors indigènes, en distinction d’origine, furent victimes. Comme ce fut le cas (rappel fait dans le livre) en août 1956, bombe à la Casbah, rue de Thèbes. (L’attentat de la rue de Thèbes est un des exemples du terrorisme des ultras dans l’ouvrage). Là ce sont les ultras de l’ORAF qui sont les poseurs de bombes : mort de dizaines de civils dont des enfants comme Yacef Omar, 13 ans (mentionné page 231)... Et en quelque sorte co-responsables de l’attentat du Milk Bar, la terreur engendrant la terreur. Alger dans les deux cas. Chaîne de violence, les groupes de l’ORAF étaient censés réagir aux massacres de 1955 dans la région de Constantine (avec des motivations politiques et des alliances de cet ordre : gaullistes et armée française).
Des deux côtés il y a des héritages pervers (Algérie, et France). Algérie, ce questionnement sous-tend le livre, pour ce qui concerne les choix politiques et les questions idéologiques.
Héritages… Je fais un double constat pour ma part.
Le terrorisme du FLN combattant pour l’indépendance (et le courant dominant pour le pouvoir…) a produit des « héros » qui ont peut-être légitimé par avance la masse des crimes atroces de la décennie noire (d’autant plus que la religion avait été associée par le FLN, et déjà l’option politique radicale - ce qui a été encore accentué par les islamistes des années 90).
En France les nostalgiques de l’OAS et du statut antérieur de l’Algérie nourrissent une idéologie extrémiste qui peut rejoindre des options fascisantes. Et ils renforcent des opinions partisanes extrêmes. Mais dans la population des Pieds-Noirs exilés ils sont plutôt minoritaires (plus bruyants cependants).
Cependant un chapitre est particulièrement important, concernant les rapports de Camus avec le FLN (contre le FLN pour certains aspects, avec s’il s’agit de dialogue pour arrêter la violence des uns et des autres). C’est celui qui est titré Le rêve d’une trêve (pages 165-189), qui expose les tentatives de Camus pour rendre possible une trêve. Rencontres, écrits, conférence. ET réactions (Camus menacé de mort par l’extrême droite).
Les autres engagements de Camus sont mentionnés. Camus contre l’utilisation de la bombe atomique, sa réaction au sujet des bombardements sur des villes japonaises, Hiroshima et Nagasaki (voir pages 207-208). Contre la torture (page 213). Contre la peine de mort (pages 219-221). Et, évidemment, contre le terrorisme visant des civils, ce qui fut un des désaccords majeurs avec les méthodes du FLN. Cela est évoqué à plusieurs reprises. (À ce propos il est important de se souvenir que son aversion pour le terrorisme n’a pas empêché Camus, cohérent avec lui-même, d’intervenir pour éviter l’exécution de militants du FLN – puisque la peine de mort n’était pas encore abolie en France : il le faisait discrètement, mais le révéla lors de l’altercation avec un étudiant à Stockholm, pour montrer à quel point les attaques étaient injustes).
Les engagements de Camus pour des causes judiciaires sont rappelés.
Je vois page 284 la mention de l’angoisse de Camus au sujet de l’indépendance. Ce n’est pas tant l’indépendance qui causait son inquiétude, c’est ce qu’il pressentait qu’elle serait, sachant quel courant du FLN dominerait, annonçant dogmatisme ethnique et vision totalitaire. Quant à ce qui est perçu comme une impossibilité de savoir comment faire cesser la colonisation, je ne trouve pas cela très juste, Camus ayant tenté de faire comprendre en quoi il dénonçait le système : il espérait dans la raison, et ce n’est pas sa faute s’il ne fut pas entendu, et si le pouvoir français fut aveugle, lui (pas Camus). Et ce n’est pas non plus sa faute si le courant du FLN qui dominerait (comme il le pressentait) était ce qu’il était.
L’auteur ne sépare pas Camus journaliste du Camus écrivain. Ainsi sont cités des passages de Noces, des Carnets, du Premier homme, des divers essais, de pièces de théâtre, etc.
L’attention au choix des mots par Camus journaliste est décryptée. Comme l’utilisation, deux fois, du « si » dans un article d’Alger républicain, et du conditionnel. Cela, explique l’auteur, ne peut être interprété que comme distance prise, dénonciation de la colonisation en tant que telle. (Lire cette analyse fouillée pages 92-94, prolongée page 95.).
La phrase de Camus sur le terrorisme (prononcée lors d’une conférence à Stockholm) est notée exactement page 237. Ce qui répond aux reprises erronées servant des procès répétés et infondés de détracteurs qui rejettent Camus, ses positions, ses écrits. Mais, page 241, après avoir mentionné une lettre de Camus qui ne contredit pas la pensée de la phrase en question mais affirme toujours le refus du terrorisme, l’auteur met en italique la pensée résumée (donc tronquée) en la trouvant provocante. Ce n’est pas écrit par Camus, donc l’italique est inadéquat, là, et qualifier cette phrase (ce résumé) de pour le moins provocatrice sinon maladroite… n’a pas de sens : ce n’est pas ce qu’a écrit Camus. Ni dit ni écrit. On ne peut attribuer de maladresse ou provocation à un auteur pour une phrase qui n’est pas de lui.
Ceci annule la mention correcte de la page 237. Un lecteur qui connaît peu Camus pourra reprendre les stéréotypes et les lectures dogmatiques suspicieuses que l’introduction promettait de dynamiter (p. 11). Ce qui a pourtant été fait dans pas mal de pages, dans ce livre. Mais pas là.
Enfin, une phrase m’a choquée, page 280, à propos d’une anecdote troublante, la prédiction que fit en 1942 Max Jacob à Camus d’une mort tragique. Il est noté ceci : un astrologue, Max Jacob, poète à ses heures. Quelle idée !!! C’est justement le contraire. Poète s’intéressant aussi à l’astrologie. Et pas n’importe quel poète. Un grand, celui que l’immense auteur Edmond Jabès admire (Max Jacob correspondit avec Jabès, qui, jeune alors, attendait de lui des conseils, qu’il reçut).
Ceci dit, les quelques désaccords sur des points particuliers ne changent rien au bilan de lecture. Livre important, nécessaire. À lire et faire rire.
À la fin du livre il y a une riche bibliographie, dont on retrouve des titres dans les notes de bas de pages. (On est gêné cependant par l’ordre alphabétique qui se fait par les prénoms (pas par les noms), ce qui rend la recherche des références plus difficile. Mais j’ai apprécié que les références ne se limitent pas aux textes et livres sur Camus (abondantes bien sûr) mais que soient indiqués aussi des ouvrages qui concernent l’Histoire de l’Algérie, la guerre, les tragédies des terrorismes, les conflits entre courants idéologiques et politiques, des témoignages.
Pourtant je formule deux regrets.
Les livres d’Albert Camus mentionnent les éditions auxquelles l’auteur se réfère pour ses citations, ce qui est effectivement nécessaire. Mais les dates des publications originelles ne sont pas indiquées, sauf certaines. Or, même si dans l’essai la chronologie des écrits se replace dans la biographie de Camus, il est important de la rendre visible sur cette page qui est une photographie de l’œuvre, en quelque sorte. (Pour les lecteurs qui connaissent moins Camus, et les lycéens ou étudiants). Les Carnets, par exemple, mentionnent dans le titre complet, les dates des fragments pour chaque tome, ce n’est pas repris. Et si on peut lire Le Mythe de Sisyphe dans une édition de 2013, ce n’est pas la date de la publication pendant la vie de Camus.
L’autre regret est l’absence de certains livres qui apporteraient des informations complétant ou contredisant celles de certains titres qui ont servi de référence pour des sujets où d’autres regards auraient été plus que nécessaires.
Ainsi, au sujet des Pieds-Noirs restés en Algérie, la référence Pierre Daum n’est pas la plus adéquate (et de loin). Car son livre est purement idéologique, occultant ce qui dérange son point de vue. Il n’a pas rencontré ceux qui, vivant en Algérie, avaient à dire ce qui ne correspondait pas à sa vision dogmatique (volonté de démonstration et de culpabilisation des Pieds-Noirs partis, dans le refus de reconnaître les raisons légitimes).
Bien plus juste, le témoignage de Dominique Cabrera, elle qui est retournée en Algérie pour rencontrer les Pieds-Noirs qui y vivaient encore et qui a élaboré son documentaire sans présupposés, dans l'écoute des paroles. Sa perception n’est pas celle de Daum. (Daum dont j’ai pu constater - lors d’une conférence, qu’il refusait même de l’entendre. Conférence où j’avais été très choquée par le rôle d’un dessinateur, ami de Daum, qui, pendant que celui-ci parlait, projetait des dessins qui se voulaient humoristiques, dignes des caricatures des nazis : j’avais envoyé alors à Daum une lettre ouverte, sans réponse évidemment).
Dominique Cabrera a publié Rester là-bas (éds du Félin, 1992) et a réalisé le film éponyme : https://www.film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/38...
Sur ce même sujet, Jean Pélégri, l’auteur des Oliviers de la Justice (livre, 1959, et film, réalisé avec James Blue en 1962), a témoigné, dans un très beau livre, de ce qui le faisait souffrir, dans les suites de 1962, où il avait pu constater qu’il n’avait pas réellement sa place en Algérie (Ma mère l’Algérie, Laphomic, Algérie, 1989, puis Actes Sud 1990, rééd. 2003). Lire les pages 76 à 83 (sur les promesses trahies), pages qui suivent un autre constat, celui de l’ostracisme métropolitain.
Et puisque Jean Sénac est donné comme exemple des Pieds-Noirs restés en Algérie, on ne peut évacuer ce qui malheureusement contredit la part heureuse. S’il a d’abord eu son rôle (qu’il joua à fond pour aider le développement de la poésie algérienne) et s’il a été reconnu comme leur par bien des poètes algériens, ayant leur estime et leur amitié, il n’a jamais eu la nationalité algérienne (qui devait passer par une demande ne tenant pas compte du droit du sol - pas dans la constitution algérienne - et par des conditions humiliantes, en plus de la conversion attendue à l’islam). Et il fut écarté des fonctions qu’il exerçait, subit aussi une sorte d’ostracisme, comme certains de ses poèmes l’expriment. Pour finalement mourir assassiné (d’évidence sur ordre du pouvoir car il dérangeait l’ordre du moment). Donc le livre de Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, Assassinat d’un poète (Éditions du Quai - Jeanne Laffitte, 1983) manque à la liste.
Le livre d’Albert Memmi, Portrait du colonisé, est noté. Mais pas celui qui suivit sa déception tunisienne, Portrait d’un Juif. Or les Juifs algériens ont dû massivement quitter l’Algérie, cet autre essai de Memmi peut aider à cerner les difficultés.
Le Journal de Mouloud Feraoun est mentionné, à juste titre. Livre majeur, où Camus apparaît plusieurs fois, et qui est un témoignage incontournable, en plus d’être un chef-d’œuvre. Mais pour donner à lire les lettres les plus importantes de Feraoun à Camus il manque un ouvrage précieux, L’anniversaire (Seuil, 1972). Car, en plus de récits inédits sur lesquels l’auteur travaillait avant d’être assassiné par l’OAS ; il y a deux grandes lettres adressées à Camus : La source de nos communs malheurs (pp. 35-44) et Le dernier message (pp. 45-52). Ce dernier titre renvoyant au dernier message reçu de Camus avant sa mort.
Je n’ai pas vu de titres de José Lenzini dans la bibliographie, alors qu’il en a écrit plusieurs sur Camus, dont il est un de ceux qui connaissent le mieux son œuvre, notamment Les derniers jours de la vie d’Albert Camus (Actes Sud/Barzakh, 2009) : important, avec l’histoire de l’altercation avec le jeune étudiant, la vraie phrase de Camus, et l’évolution de cet homme après la lecture qu’il fit de Camus, tout cela compte… Pas de mention, non plus, d’Alain Vircondelet et Georges-Marc Benhamou… qui ont écrit sur Camus et la guerre d’Algérie.
Le massacre d’El Halia est mentionné, et le témoignage de Louis Arti (pseudonyme d’artiste du chanteur, dont le nom est Louis Gaudioso, un des survivants, alors enfant âgé de dix ans), mériterait d’être noté. Publié sous le titre El Halia. Le sable d’El Halia, par Comp’Act en 1996. Lui aussi a rejeté toute haine et tout ressentiment, engagé au contraire pour la fraternité. Mais ce livre n'est sans doute pas facile à trouver. Dans le même esprit je peux ajouter un titre que l'auteur n'a pu connaître non plus, je crois : Deux enfants dans la guerre, de Nicole Guiraud (peintures) et Gérard Cortes Crespo, textes, éds. de L’Onde, 2018. Titres qui correspondent aux mémoires d'enfance (sur deux rives) réunies par Leïla Sebbar aux éditions Bleu autour : Une enfance dans la guerre, 2016. [Nombreux témoignages, dont ceux de Nora Aceval, Leïla Sebbar, Martine Mathieu-Job, Alain Amato, Karima Berger, Jacqueline Brenot, Jean-Pierre Castellani, Mehdi Charef, Patrick Chemla, Abdelkader Djemaï, Jean-Jacques Gonzales, Mohamed Kacimi, José Lenzini, Daniel Mesguich, Arezki Metref, Simone Molina, Georges Morin, Noureddine Saadi, Mourad Yelles, Bernard Zimmermann,Christiane Chaulet-Achour, Alain Vircondelet, Monique Ayoun, Maïssa Bey.] : https://www.bleu-autour.com/produit/une-enfance-dans-la-guerre/ Leïla Sebbar avait réuni, en 2015, des mémoires d’enfance, sous le titre L’enfance des Français d’Algérie avant 1962. Plusieurs des noms du livre de 2016 s’y retrouvent (et la guerre aussi).. Plus d'autres noms, dont ceux de Jean-Claude Xuereb, Jean-Jacques Jordi, Jeanine de la Hogue...
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Présentation du livre, Camus et le FLN, Éditions Erick Bonnier... https://www.erickbonnier-editions.com/camus-et-le-fln8db7...
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NOTES de LECTURE, sur l’essai de Tarik Djerroud :
Article de Kamal Guerroua, Le Matin d’Algérie, 30-01-2023. Retour sur une époque charnière :
Extraits : Dès les premières lignes, on se sent comme happé par la beauté de l’incipit du jeune éditeur, romancier et essayiste, très fasciné par l’histoire contemporaine de l’Algérie. Le parcours de Camus nous revient alors, par bribes, et on ne s’en rassasie plus. On redécouvre, à travers une fresque historique de la guerre d’Algérie, le vécu de l’homme de lettres et sa relation tumultueuse avec l’Algérie sous un autre aspect, beaucoup plus proche, frictionnel, intime avec sa terre. […] Cette Algérie qui l’avait vu naître et qui ne cessait de bercer ses rêves, ses pensées et ses idéaux jusqu’à son décès en 1960. Et face à l’auteur du célèbre chef-d’œuvre littéraire L’Étranger, la guerre d’Algérie fut plus qu’une rupture : un drame à nul autre pareil. Le pied-noir du quartier de Belcourt fut tourmenté ; déchiré ; tiraillé entre deux univers irrémédiablement irréconciliables. […] En rentrant dans le vif des tourments du philosophe, ses états d’âme, sa souffrance intérieure, ses douleurs, sa conception de l’avenir de l’Algérie, le contenu de ses articles et de ses textes, Djerroud nous révèle, comme par magie et d’une manière suggestive, un autre homme d’une toute autre envergure : un indépendantiste « visionnaire », mais en état de réserve, de recul et de prudence. […] Le regard de Tarik Djerroud contraste, et de façon on ne peut plus critique, avec tout ce qui a été écrit jusque-là sur Camus des deux côtés de la Méditerranée. Il apporte quelque chose de neuf, du concret, et surtout de « conciliateur ».
[Une réserve, à propos de cette chronique : L’expression d’Albert Memmi, citée, ne concerne en rien Albert Camus, mais Albert Memmi l’utilise pour parler de la situation tunisienne – pas plus qu’elle ne concerne Memmi, qui se rendra compte plus tard que peut-être certains, dans son pays natal, la lui appliquent, ne le considérant pas vraiment comme Tunisien. D’où l’écriture, ensuite, d’un livre qui sera l’autre face de son Portrait du colonisé. Réserve qui porte aussi sur la confusion que crée un passage du livre de Tarik Djerroud.]
Lecture intégrale... https://lematindalgerie.com/camus-et-le-fln-de-tarik-djer...
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Chronique de Robert Mazziotta, sur Mare Nostrum, 28-12-2022 :
Extraits : Après Alain Vircondelet, Albert Camus et la guerre d’Algérie, aux éditions du Rocher, après Georges Marc Benhamou, Guerre d’Algérie, pour saluer Albert Camus, dans la collection Placards et libelles aux éditions du Cerf, on pouvait se demander quel était le point de vue d’un auteur algérien sur la position d’Albert Camus pendant la guerre d’Algérie. C’est dire l’intérêt de l’ouvrage de Tarik Djerroud, romancier, éditeur et auteur passionné par l’histoire de son pays. […] En même temps que celle d’Albert Camus, Tarik Djerroud raconte l’histoire du nationalisme algérien et son engagement progressif et inéluctable dans un dur conflit. […] Tout au long de son récit l’auteur rappelle le déroulement de la lutte des Algériens pour se libérer, sans en occulter certains aspects sombres… […] Camus et le FLN avaient des grandes divergences sur les objectifs et sur la méthode. […] L’auteur présente Albert Camus comme il l’est habituellement : un anti-indépendantiste qui ne pouvait concevoir la séparation entre la France et l’Algérie, refusant les attentats des uns et des autres. Mais au fil du récit, il nous fait découvrir un homme bien plus complexe, qui avait parfois des éclairs de lucidité et un certain recul sur ses prises de position. Camus : Je peux me tromper ou juger mal d’un drame qui me touche de trop près. Il nous suggère même que Camus, au fond de sa conscience, était indépendantiste, mais qu’il ne pouvait l’admettre publiquement ou même se l’avouer à lui-même, car il était effrayé par les conséquences que cela impliquait pour les Français d’Algérie dont il se sentait solidaire.
Lecture intégrale... https://marenostrum.pm/camus-et-le-fln/
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Note de blog de Jean-Pierre Ryf, 18-11-2022 :
Extraits : Ce livre de Tarik Djerroud, Camus et le FLN, qui vient de paraître aux Éditions Bonnier, tente de comprendre l’attitude de Camus face à la guerre d’indépendance et plus précisément à l’égard de la politique du FLN. C’est, à ma connaissance, la première fois que l’on aborde de front cette question. […] C’est, enfin et surtout, un livre qui donne une analyse très subtile de la pensée d’Albert Camus. […] Cependant l’auteur montre aussi qu’à un certain moment Camus acceptait l’idée d’indépendance mais à la condition qu’elle s’ouvre sur une Algérie plurielle, ouverte, protectrice de la minorité européenne comme le proclamait, aussi, au début, le projet FLN. / L’auteur montre que ce projet a ensuite évolué sous l’effet des idéologies panarabiste, islamiste, et que cette Algérie ouverte et plurielle n’était plus à l’ordre du jour. /
C’est à ce moment que Camus revient sur l’idée d’indépendance.
Lecture intégrale... http://jpryf-actualitsvoyagesetlitterature.blogspot.com/2...
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AUTRES AUTEURS. PUBLICATIONS sur Camus et la guerre d’Algérie …
De Georges-Marc Benhamou, Guerre d’Algérie, pour saluer Albert Camus, Cerf, coll. Placards et libelles, N° 8, 03/03/2022 (1 feuille, 2,50€).
Chronique de Robert Mazziotta sur Mare Nostrum, 22-03-2022…
Extrait : Parmi les intellectuels qui prirent position dans le conflit algérien, Albert Camus occupe une position particulière, par son origine et ses idées. Mais aussi par sa fin tragique qui lui a évité de connaître l’exil de sa mère. Lui qui se situait à la fois dans le refus du terrorisme et dans la recherche d’une Algérie fraternelle, multiculturelle et égalitaire, a été rejeté par les totalitaires des deux bords. Pourtant, il pourrait apparaître comme l’homme de la réconciliation parce que beaucoup d’hommes de bonne volonté peuvent comprendre ce qu’il a ressenti.
Dans la collection Placards et Libelles, Georges-Marc Benhamou publie Guerre d’Algérie, pour saluer Albert Camus.
C’est un format particulier, une grande feuille pliée en quatre, une sorte de journal qui complète le film, fait en collaboration avec Benjamin Stora, C’était la guerre d’Algérie.
Il faut souligner la performance de l’auteur qui réussit à nous restituer, en quelques paragraphes, une synthèse de la position complexe d’Albert Camus par rapport à l’Algérie.
Lecture intégrale... https://marenostrum.pm/guerre-dalgerie-pour-saluer-camus-...
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D’Alain Vircondelet, Albert Camus et la guerre d’Algérie. Histoire d’un malentendu, Éditions du Rocher, 2022
Présentation éditeur. Extrait : L'Algérie restera la grande douleur d'Albert Camus. Dans cet ouvrage, Alain Vircondelet retrace les années de guerre qu'a vécues l'écrivain, de 1954 à son accident fatal en janvier 1960. Le conflit y est raconté avec sa violence, ses injustices, sa terreur, ses trahisons, ses silences mais aussi la vie courante d'Albert Camus, attelé à son travail d'écrivain et d'éditeur, voyageant pour alléger le poids de sa souffrance, aimant en Don Juan désespéré plusieurs femmes à la fois, correspondant avec René Char, Louis Guilloux, Jean Sénac, Mouloud Feraoun…
Lecture intégrale... https://www.editionsdurocher.fr/product/122810/albert-cam...
Chronique de Jean-Jacques Bedu, pour ce livre d’Alain Vircondelet, sur Mare Nostrum :
Extraits : Titre qui – par les multiples interrogations qu’il suscite – ouvre un champ à de très larges interprétations. Entre Camus, la France, les “pieds noirs”, les “indigènes”, et les intellectuels de son temps, faut-il voir dans ce terme l’amer constat qu’il y a de telles différences d’interprétations, de méprises, de propos équivoques autour de la solution que le Prix Nobel de littérature envisageait à ce conflit inextricable et qu’on s’évertuait alors pudiquement à considérer comme “des évènements” ? Faudrait-il discerner dans l’emploi du mot “malentendu” des divergences si profondes qu’elles échappent aux parties en présence ; ou enfin une interprétation plus simpliste : Camus aurait-il été “mal” entendu ? […] Car là est le grand mérite de l’ouvrage d’Alain Vircondelet : contextualiser avec honnêteté la pensée et l’action d’Albert Camus au sein des nombreux groupes d’intellectuels qui dominent le paysage français : les catholiques et les marxistes qui s’unissent autour de la cause algérienne. Camus est viscéralement de gauche, mais pas celle de Sartre qu’il considère comme sectaire. Il est aussi le plus Algérien des Français, et le plus Français des Algériens, mais les extrémistes et les indépendantistes les plus modérés le rejettent, tout comme il va être haï par les partisans de l’Algérie française.
Lecture intégrale... https://marenostrum.pm/albert-camus-alain-vincondelet/
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Recension © MC San Juan
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