Revue L'Intranquille N°25
23/07/2024
Le numéro 25 commence par un hommage à Jean Cocteau, mort en octobre 1963. Écho à l’exposition qui lui est consacrée à Menton, au Musée Jean Cocteau. L’auteur, Jean-Paul Gourévitch, rappelle surtout la fascination de Cocteau pour Orphée, sa « figure tutélaire », fascination qu’il partage avec lui. Orphée, ce personnage légendaire dont on ne sait vraiment s’il exista ou n’est que mythe (même si des poèmes lui sont attribués), mythe particulièrement riche et symbole à la fois de la création, le père imaginaire de la poésie, la représentation du rapport avec la mort, de l’amour passionné qui transcende la peur de l’au-delà, même infernal.
Suit un entretien en trois parties, trois moments plutôt, de Pierre Merejkowsky, par Françoise Favretto. C’est un réalisateur (une centaine de films...) et auteur (l’écriture est son activité principale, dit-il, même si cela passe par le scénario). Il se définit aussi comme commentateur, et ses sujets semblent surtout sociaux.
Comme toujours, des traductions. Cette fois c’est de D.H Lawrence et Rick Barot.
De D.H. Lawrence, ses oiseaux, trad. Élise Duprat... Son Colibri :
Nous l’observons par le mauvais côté du long télescope du Temps,
Par chance pour nous
Et son Aigle au Nouveau Mexique :
Tu ne regardes jamais le soleil de tes deux yeux.
Seul l’œil intérieur de ta large poitrine roussie
Regarde directement le soleil.
De Rick Barot, trad. Carole Naggar, Les amants :
aucune logique à ce que nous retenons, y compris de nous-mêmes.
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Des poèmes suivent, d’auteurs divers (voir la liste des noms en couverture et dans le sommaire, lien en fin de note).
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L’essai, par Calogero Giardina, porte sur L’Heptaméron, ces nouvelles de Marguerite de Navarre. Ouvrage du 16ème siècle qui est régulièrement étudié dans les programmes universitaires. Quand on le lit on est étonné par l’audace presque moderne, une parole libre sur l’amour et le désir, un portrait assez critique des rapports entre les hommes et les femmes. Et l’auteur de cette ample chronique a mis aussi l’accent sur cela, en divisant son texte en deux parties : Parole et pouvoir, Parole et désir. Je relève un passage qui insiste sur la difficulté de l’interprétation, certainement par la volonté de Marguerite de Navarre qui fait alterner récits et discussions, et sur le caractère subversif de cette écriture :
... Dans L’Heptaméron, la vérité est souvent insaisissable. La parole est justement cette porte entrouverte au lecteur pour arriver au sens. Encore faut-il savoir quelle est la parole véritable. Est-ce celle des débats ou celle des récits ? Celle de Marguerite de Navarre, sœur du roi, ou celle de Marguerite de Navarre, conteur ? En effet, souvent les devisants, dans les débats notamment, interprètent l’histoire qui vient d’être relatée. Or cette lecture reste, la plupart du temps, aveugle à la signification subversive du récit. De même, les devisants, lorsqu’ils racontent, ne connaissent pas toujours la portée de ce qu’ils disent. La vérité se situe, en fait, dans l’inconscient qui s’exprime à travers la parole…
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Le thème du dossier central est double.
Qui dit quoi à qui où comment, etc.
Et Parlez-vous aux animaux ?
J’ai remarqué d'abord le texte de Damien Paisant. Pour l’exercice de lucidité, avec des plongées dans la réalité inconsciente du dialogue. Deux paragraphes d’un seul bloc, comme deux grandes phrases. Ce qui revient toujours, et Tel quel. Une écriture qui fouille, qui interroge, en aller-retour vers des apparences et des contraires, qui demande une attention pour une lecture analytique et des fragments ouvrant vers du philosophique.
Citation : je lui demande de m’expliquer, lui me répond qu’expliquer ce qui est en train de venir fait revenir ce qui revient toujours, que c’est chercher derrière la question sachant qu’il n’y a rien à voir, que c’est devant qu’on arrête de voir, ce qui revient toujours, venant de soi, fera venir autre chose
Entreprise intéressante, aussi, celle de Laurent Lacotte, qui inscrit des mots et des phrases sur des lieux parfois improbables. Son outil est un pochoir alphabétique. Il dit « dresser des sortes de cartographies sensibles des territoires » et « générer un abécédaire poétique et politique des lieux. » Il parle « d’actions ou de gestes au sein de territoires partagés. ». À regarder certaines phrases photographiées on voit des confidences, poèmes en une ligne, ou ordres donnés à soi-même.
Un fragment de Françoise Favretto commente un double graffiti, qui s’adresse aux agents municipaux qui ont effacé les précédents. Effacer devient le thème, pour l’entêtement à revenir écrire en interpellant ceux qui effacent. Un peu de rébellion graphique...
Tristan Felix analyse sa communication avec les animaux, sachant que « nous n’avons pas les mêmes codes de langage ». Mais l’essentiel c’est cela : « je rêve que je m’approche de ce qui m’est étranger ».
Isabel Voisin craint les animaux sauvages mais communique plus facilement avec les chats, gestes plutôt que mots.
Texte essentiel que celui de Christophe Migault, qui affronte la barbarie. Le fait que l’homme soit « un déluge de violence, de haine et de rivalité malsaine, mesquine. », qu’il soit « voué à la guerre ». Car il y a eu Auschwitz. Ineffaçable, indépassable. Et la question qu’il pose est « comment sauver l’humanité de l’homme ? ». S’interrogeant sur lui-même, homme parmi les hommes, « au milieu et décentré de tout ». Il regarde ce qui existe, s’enchante de ce qui est, souffre de ce qui détruit. C’est le regard qui compte, la présence et les questions contre la barbarie. Car l’autre face de cette barbarie est l’abattoir. Dont il fait ressentir l’horreur en racontant l’histoire d’une vache qui disparut, quand il était enfant, vouée à la mort certainement. On sent que son interrogation pose la question de ce rapport aux animaux (communiquer avec eux efface la part morbide qui reste l’essentiel à questionner). La violence humaine qui se produit là n’est pas étrangère aux horreurs des crimes contre les humains par les humains, en quelque sorte elle légitime le crime, crée la persistance de l’acte violent dans l’inconscient collectif.
Et bien sûr, des recensions, signées par Françoise Favretto, Julie Estop, Jean Esponde, Jean-Pierre Bobillot, et moi (ma lecture de Jean-Claude Xuereb, pour son recueil Avant que s’efface l’ineffable.
Je repère le livre de Teo LIbardo (découvert justement il y a maintenant un certain temps par une publication d’un poème de lui dans L’Intranquille). L’empreinte Matala. « Pari dangereux mais réussi » dit de ce livre Françoise Favretto, car il englobe des récits de voyage, des souvenirs, et des réflexions.
Recension © Marie-Claude San Juan
LIEN... https://atelierdelagneau.com/fr/accueil/278-l-intranquille-n-25-9782374280714.html
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