Revue L'Intranquille N° 26
23/07/2024
J’ai lu avec intérêt les poèmes de María Mercedes Carranza (textes bilingues, espagnol de Colombie, trad. Brigitte Vanhove). Dont un poème pour rêver d’une rencontre amoureuse avec Ulysse, afin de comprendre le mystère de son itinéraire. Et un texte testament, ou presque, faisant le tour de sa vie, tous les rôles, les valeurs, les faiblesses communes... Moriré mortal... « Je mourrai mortelle / après avoir dit-on traversé / ce monde / sans le rompre ni le salir » (...) « Et quand surgit la peur / je regarde la télévision / pour dialoguer avec mes mensonges ». Puis, choix, Impudeur, splendeur et peur : « J’ai parlé de la splendeur de la vie / et de la séduction fatale de la déroute ; / quelqu’un a crié « mort à l ‘intelligence », / à l’instant même où Albert camus / disait des mots / d’acier et de lumière » (...) « Ainsi me fut offert le monde. / Ces horreurs, la musique et l’âme / ont chiffré mes jours et mes rêves. ».
Traduction, encore, un dossier sur la poésie serbe contemporaine, par Nina Zivancevic. Elle note une évolution dans la littérature de ce pays qui a connu la dictature communiste, « un nouveau souffle libérateur ».
Citations (sélection) :
Marija Knezevic
« Nous avons fabriqué un enfant de sable / Le sable coulait de la pierre » (...) « Le sable s’est enfoncé dans le sable / Nous sommes devenus / Le rêve d’une création / invisible »
Vladimir Kopicl
« Quand l’obscurité tombera : Nous recommencerons à nous massacrer / Et ce qui restera de nos âmes / Sera repris par l’Asie »
Gojko Bozovic
« Respire, respire profondément / Respire de tous tes poumons / Respire sans compassion // Car la liberté est sans compassion / Car l’eau est sans compassion / Car l’air est sans compassion »
Nina Zivancevic (trad. Pierre Merejkowsky)
Nous et les autres : « Les Ukrainiens se sont baladés / Ils se sont retrouvés dans le sud des Balkans / Au dixième siècle / Ils sont devenus les Slaves du sud /Je dis ‘ils’ / Mais ils sont nous / Et nous sommes eux »
L’absence : « Les années de la folie de l’angoisse quotidienne vont disparaître. / Mes poings enragés brandis dans l’opacité de la nuit vont-ils disparaître ? »
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Le thème central est Aridité(s). Jean Esponde étudie celle de Rimbaud, son goût des pierres et du désert, et sa lassitude. C’est un texte qui rejoint le thème en questionnant le processus littéraire, en interrogeant l’univers intérieur, l’écriture et le mystère d’un destin que Blanchot avait tenté de résoudre. (Jean Esponde est l’auteur d’un ouvrage sur Rimbaud, Le désert, Rimbaud, Atelier de l’agneau, 2018).
Dans le texte de Claire Dumay on retrouve son univers, inquiétude parfois déroutante : « Avec ce mot, j’ai la conviction d’arpenter mon sol » (...) « l’aridité me leurre, gorgée d’équivoques, de reflets ». (...) « L’aridité, c’est tout ce qui vient à manquer » (...) « L’abîme est devenu potable ».
Le poème de Carole Carcillo Mesrobian, Falloir, traite l’aridité en la reliant au silence, à l’oubli et à la mémoire. Aridité intérieure. « Par la fenêtre ouverte tu écoutes un souvenir / revêtu de papier / glacé » (... « j’essaie d’apprivoiser la ténuité du souffle » ( ...) « bientôt chaque désert / sera d’agrume rouge ».
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L’essai de Barthélémy est consacré à Samuel Beckett. Une série de rencontres commence à l’adolescence par le récit que lui fait sa mère de la représentation de la pièce En attendant Godot : il est fasciné et se met à écrire. Puis ce sera la chance d’une vraie rencontre, provoquée par le hasard d’un livre à lui remettre, une longue marche en silence, la fascination continue. Ce qu’il dit ensuite de sa manière de lire Beckett, les lecteurs de l’écrivain le reconnaîtront comme leur expérience, car c’est ce que provoque l’écriture de Beckett, l’impression de toucher quelque chose d’unique, qui atteint profondément, rendant nécessaire de devoir reprendre souffle pour relire et poursuivre, tant sa lecture que sa propre pensée, ayant du mal à ne pas s’inscrire comme un prolongement de celle de l’auteur admiré. Barthélémy a été plus loin, car il a été l’assistant de Jean-Marie Serreau pour la reprise d’En attendant Godot. Il s’est consacré aussi à son travail de journaliste et d’auteur.
Comme dans chaque numéro, textes d’auteurs divers à découvrir (noms en couverture et dans le sommaire, lien en fin de note).
J’ai la joie mêlée de tristesse de redécouvrir un texte de Daniel Giraud, Techniques du mal-être. J’y retrouve sa lucidité et sa sagesse : « Qu’importe le bourdonnement incessant de tous les flagellants en mal de connaissance ? Ceux qui arrivent s’en iront mais ce qui Est demeurera. ». Ce texte est suivi de l’hommage de Françoise Favretto, paru d’abord sur ActuaLitté. Elle rappelle avoir rencontré Daniel Giraud dans un de ses refuges d’après ses voyages, et elle cite le poète Philippe Jaffeux, qui reconnaît en lui bien plus qu’un traducteur et commentateur du Tao, lui, dit-il, a « éprouvé le Tao ». Oui. J’en suis convaincue, pour l’avoir beaucoup lu et pour avoir eu de riches échanges avec lui. L’hommage évoque la publication de son dernier ouvrage personnel, Tout doit disparaître, livre de révolte d’un « éveillé », à la conscience la plus haute, et mentionne la réédition de son Sin Ming par l’Atelier de l’agneau (je l’aurai maintenant en double...).
Recension © Marie-Claude San Juan
LIEN... https://atelierdelagneau.com/fr/accueil/278-l-intranquille-n-25-9782374280714.html
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