À L'Index, revue, n°52
19/11/2025

L’éditorial de Jean-Claude Tardif (pp. 5-8) alerte, questionnant le délitement de l’humanité piégée par l’univers des algorithmes, des QR codes et de l’IA, dans la mesure où le risque est une perte de langage, vers une uniformisation appauvrissante. Que devient « l’intelligence collective » ? Constats inquiétants, comme l’emprisonnement d’écrivains dans de nombreux pays, atteintes graves à la liberté, évolutions nationalistes et illibérales... Donc « parler d’autres choses », non, il ne peut pas. Plutôt choisir la vigilance, celle que doivent avoir les poètes. Il appuie sa réflexion sur plusieurs citations de Guillaume Apollinaire, extraites de son « Introduction à l’Œuvre poétique de Charles Baudelaire ». J’associe certaines de ses interrogations à celles d’Éric Sadin, qui dans ses livres s’inquiète d’un effet IA (quels que soient ses intérêts techniques et scientifiques), d’une perte de contact avec le réel, et interroge la « rupture anthropologique à l’œuvre ». (Parmi ses titres : Le Désert de nous-mêmes, et L’Intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle. Anatomie d’un antihumanisme radical). Inquiétudes qui rejoignent celles de Jean-Claude Guillebaud (prix Albert Londres, décédé début novembre) exposées dans ses écrits, particulièrement dans Le principe d’humanité. Lui craignait l’obscurcissement de la conception de ce qu’est l’humain.
Citation
Sommes-nous à ce point mentalement « castrés » que notre avenir se circonscrive à quatre initiales et quelques algorithmes qu’agitent une poignée de ploutocrates aux ego tridimensionnels ?
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Dans ce numéro mon premier hommage au poète Jean-Claude Xuereb (pp. 13-15). Né près d’Alger, il est décédé le 2 avril 2025 à 94 ans . J’en copie la conclusion.
Voici une œuvre qui pense vie et poésie, destin personnel et transmission, société et humanité errant sur sa planète. Une quinzaine de recueils ont été publiés par les éditions Rougerie, de 1970 à 2021, quelques titres aux éditions La Porte (collection Minuscule), et des livres d’artistes avec des créateurs divers (éditions À travers, La Bastide, Rivières...). Pour découvrir ou mieux connaître l’écrivain, lire l’essai-anthologie, Jean-Claude Xuereb, par Jean-Louis Vidal, Les Vanneaux (Présence de la Poésie), 2016, et le dossier de la revue Phœnix n°15, 2014. Une fiche Wikipédia liste ses publications.
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Au fil des pages je regarde les Chorégraphies de Marie Alloy, traits qui évoquent des traces, des lignes libres, et une gravure de Léo Verle.
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Dans ce volume des nouvelles, des poèmes. Je choisis de ne mentionner que poésie ou études, ne pouvant tout commenter. La sélection représente le tout à lire dans la revue.
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Publications solidaires, enrichissement culturel, la poésie ukrainienne est très présente, grâce aux traductions et présentations de Vladimir Claude Fisera. Ainsi, « Écrire en temps de guerre », pour introduire le poète Volodymyr Vakoulenko, « retrouvé et identifié dans une fosse commune de 400 morts ». Il avait écrit un Journal de guerre, 33 pages enterrées dans son jardin pour échapper aux Russes dans sa région alors occupée, et déterrées ensuite par son père puis publiées.
Citation (p. 26), poème extrait d’un recueil
Cher papa, dis-moi
des contes de fée de diverses couleurs,
sur un bébé éléphant et comment
il arrosait les fleurs
sur les graines semées,
sucrées par un tout petit soleil.
...
Ukraine, aussi, deux poètes. Liouba Yakymtchouk qui a fui son village occupé par les Russes et a été publiée notamment aux éditions Des Femmes (Les abricots du Donbas).
Citations, p. 41-42
Pépé et Mémé sont morts le même jour,
à la même heure, au même instant,
les gens ont dit que c’est de vieillesse
[...]
Olia était enceinte
Serguiï était ivre
et Sonia avait à peine trois ans
et ils sont morts aussi
et les gens ont dit que c’est de vieillesse
...
Halyna Krouk, née à Lviv. Comme eux elle écrit douleur, résistance, et tendresse. Le poème cité (p. 83) évoque une pause en Italie pour représenter le Pen Club ukrainien.
On cesse un peu de tomber
pendant trois jours sans souci à Rimimi
où à la fontaine de la Piazza dell’Agnolo,
tu lances et relances
les bateaux de papier de l’espoir
qui ne reviennent jamais.
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« Mandiargues ou Écrire la marge. Notes en marge de La Marge ». À part, ce texte de Michel Lamart (pp. 43-56). Une étude ample et profonde, méditation sur la notion de marge (si importante aussi dès qu’on pense écriture, même si dans le récit étudié le personnage est « en marge de sa vie »...), et la question du rapport au texte pour le lecteur devant un miroir ou un mystère à « affronter ».
Citations
Encore faut-il savoir en quoi je suis appelé – convoqué – par cette continuité qui s’établit entre moi, lecteur, cet ‘autre’ du texte, et le texte lui-même, dans l’équation qui m’y lie.
[...]
Si la marge est écrite par un peintre, c’est le cadre. [...] Tout s’immobilise. Et les mots sont des images où mon reflet me contemple...
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Isabelle Rebreyend consacre plusieurs pages (pp. 129-141), à une lecture de Jacques Boise (dont des fragments sont publiés pp. 58-68, « Une journée à Inebolu », où il marche dans les pas d’un poète). Elle lit de lui une plaquette, Carré suivi de Extension du carré.
Citation
L’auteur, un auteur de ‘notes’, « n’auteur », « noteur », écrit à partir de son pas. Le pas porte le marcheur, mais aussi la négation, le refus fondateur, le contre-pied.
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NOTES De LECTURE, rubrique Montrés du doigt
Philippe Simon recense Pagan, de Padrig Moazon. Une page dont j’extrais une phrase : « J’aime la profondeur de son regard sur les êtres, les choses, et tout ce qui se devine derrière les apparences. »
Vladimir Claude Fisera présente (pp. 152-156) Le musée des secrets abandonnés, « Roman monumental devenu un classique de l’Ukraine » (832 pages), qu’Oxana Zaboujko acheva en 2003, « à la veille de la révolution orange de 2004 ». Livre très traduit, mais pas encore publié en français, dit-il. L’histoire du pays, les persécutions, les famines, la guerre d’indépendance suivant l’occupation soviétique, à travers l’histoire des personnages, vies marquées par les drames et secrets. Je choisis de citer ceci : « Oxana dira que le but de son travail était ‘de donner un nom aux choses’ et de ‘rassembler sa culture’. Il s’agit en effet d’un passé qui ne passe pas, comme dans les livres de Faulkner ou de Joyce [...]. »
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Recension Marie-Claude San Juan
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LIEN :
http://lelivreadire.blogspot.com
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