L'Intranquille n°28
21/11/2025

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Un entretien, pour commencer... Catherine Belkhodja, « jongleuse en arts divers », comme la définit Françoise Favretto dans son titre, avant de la questionner. Effectivement son itinéraire créatif est pluriel. Conservatoire à Alger puis à Paris. (Diplômée en philosophie et architecture, ce qui lui a donné des métiers à exercer, la rendant libre pour ses choix de rôles au cinéma.) Première expérience cinématographique dans Zone interdite de Lallem à Alger. En 1973 rencontre de Chris Marker, retrouvé des années après, pour une collaboration cinématographique importante (Silent movie, 1995, Level five, 1996). Autres de ses arts, la peinture et l’écriture (haïkus et nouvelles). Un riche itinéraire à découvrir dans ce numéro pp. 3-9).
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Connaît-on la poésie alsacienne ? Pour moi ce sont surtout deux noms, Jean-Paul de Dadelsen et Claude Vigée. Mais la chronique de Mathieu Jung, qui les mentionne aussi, traite d’une autre entreprise, en introduisant l’anthologie qu’il propose dans les pages qui suivent, réunissant onze poètes (dont Claude Vigée) écrivant en alsacien. Présentations et textes bilingues à découvrir. Quand ils écrivent en français les Alsaciens ont une expérience particulière du rapport à la langue, l’histoire de la région a inscrit dans les mémoires des fractures identitaires. Mathieu Jung cite Claude Vigée pour définir la « complexité linguistique » de ce « terroir poétique » qu’est l’Alsace : « Le poète alsacien doit effectuer en soi-même une macération d’ordre linguistique ». Et il poursuit en expliquant où situer le dialecte alsacien (matrice originelle allemande) et quels composants on y trouve, que ce soient les éléments du « francique méridional » ou des « apports ponctuels de yiddish ». Suivent plusieurs pages consacrées aux auteurs choisis (pp. 13-40), textes bilingues, et pour fermer l’ample dossier, une bibliographie sélective.
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Je remarque un poème d’Adrien Finck, « Afin que quelque chose demeure », p. 23, qui évoque justement la question linguistique.
Extrait
Je parle une langue que bientôt
nul ne parlera plus
et avant qu’il ne soit trop tard
je veux dire encore
comment tout se nomme
je l’écris afin que quelque chose demeure
se transforme en esprit en écrit
en souvenance
je l’écris sur une feuille
et déjà surgit le vent
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De Claude Vigée on découvre ou redécouvre son écriture alsacienne, avec Les Orties noires (pp. 26-28), poème qui a été édité par Flammarion en 1984. Dans ces pages titrées « Les Orties noires flamboient dans le vent. Un requiem alsacien », de longs extraits.
Citations
Au bout de quels pays vous êtes-vous perdus ?
de quel train de minuit êtes-vous descendus ?
Le quai de Nulle-Part fut votre terminus.
[...]
Je vous appelle tous, patiemment, par vos noms :
peut-être au fond, là-bas, quelque chose remue ?
[...]
Maintenant, il nous reste à sortir nos drapeaux
pour pavoiser la ville en l’honneur des victimes :
en tous lieux, les plus sûrs compagnons de la mort,
ce sont nos camarades de classe d’autrefois.
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La question de l’identité alsacienne est présente aussi dans les « sept propos » du texte « Debout ! » de Gaston Jung (p. 33). Je retiens les 1, 4 et 7.
Citations
1. Il ne suffit pas d’écrire en dialecte
pour parler de l’avenir de l’Alsace
[...]
4. Ne pas souffrir de la mauvaise conscience allemande
ne suffit pas pour se pavaner avec une bonne conscience bleu-blanc-rouge
[...]
7. Le complexe alsacien est une vieille coiffe usée
Le complexe alsacien est comme un vieux chapeau sur un épouvantail
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Traductions, encore. À découvrir, un poète anglo-irlandais, Tom Raworth, pp. 42-47, une poète néerlandaise,Astrid Haerens, pp. 48-52, et leurs traducteurs.
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Le thème central, « Écritures expérimentales », propose des recherches formelles, des mises en page géométriques, des tissages répétitifs à partir de mots ou variations sémantiques, des jeux transgressifs avec la ponctuation, les langues, ou l’orthographe. Pour interroger son espace intérieur. (pp. 53-69).
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Auteurs, trois textes dont un d’Éric Auvray, décédé en février 2025. Les quatre pages (74-77) sont le début et la fin de sa présentation – le résumé - d’un manuscrit. On a l’impression de lire une lettre posthume, une bouteille à la mer, lancée au-delà du temps. Il y fait le récit d’une destruction de HLM et d’un moment de guerre, la frontière espagnole en juin 40, le danger, la mort.
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J’ai lu avec grande attention l’hommage à l’ami perdu, Daniel Giraud, par Michel Capmal (pp.
81-82). Il se souvient des rencontres avec celui qui devint un ami. Il évoque sa bibliothèque, avec évidemment beaucoup de livres sur la Chine, le taoïsme, l’alchimie. Il mentionne les nombreux voyages de l’auteur-traducteur-poète et sa vie de solitaire paradoxal peuplé de liens, cet inquiet de l’inconscience humaine, frère de ses sages chinois, ermites poètes.
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NOTES DE LECTURE, rubrique Chroniques critiques
Plusieurs, par Françoise Favretto (pp. 83)85), dont le livre d’Isabel Voisin, Estaciones de los muertos/ Stations des morts, bilingue espagnol-français, poèmes de retour à la langue ancestrale et aux mémoires qu’elle tisse.
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Iraj Valipour n’aime pas la collection Poésie/Gallimard (« quasi monopolistique » ). Critique fréquente, cette collection n’étant pas édition de découvertes comme le sont les indépendantes dédiées à la poésie. Mais on peut nuancer l’approche en considérant que des œuvres sont ainsi disponibles en poche, et qu’on y retrouve Paul Valet, Philippe Jaccottet ou Thierry Metz, qu’on y relit Anise Koltz, exemples précieux... Mais ce n’est pas l’essentiel de son propos, dans sa « Lecture d’une lecture », pp. 85-87) où, mettant à l’honneur Annie Lebrun et Lucien Francœur (« Pluie d’hommages » qu’on apprécie) il suit le parcours de lecture d’un Mémoire de 1977 publié en 2024, Un travail de lecture productive, où Jean-Claude Annezer rendait compte de publications dessinant un temps, la photographie d’une période. Et à travers cette lecture il trace sa propre perception, regard sur l’imaginaire et les idées.
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Recension, Marie-Claude San Juan
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LIEN, L’Intranquille n°28, éditions Atelier de l’agneau :
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