L'Intranquille n°29
26/11/2025

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Entretien... pp. 5-10. L’écrivain Jean Daive répond aux questions de Françoise Favretto, qui dit être « impressionnée » par son « érudition ».
Première question, comment « articuler » les « cordes » de son « arc », radio et poésie ? Plutôt qu’articuler il note laisser en quelque sorte s’établir le rapport entre la pensée et la parole, à partir de la « faculté naturelle de [se] questionner devant l’inconnu ». Il parle des lettres, le rond des a, c, d... et des sons écoutés enfant, la genèse d’une attention aux « empreintes sonores ». Et il mentionne sa faim, à 17 ans, d’une culture encyclopédique : tout lire, tout voir.
Comme Françoise Favretto s’intéresse aux pratiques plurielles d’auteurs-artistes, elle lui demande ce qu’il fait de ses « passages » entre écriture et art. Écrivain, non, il ne reprend pas ce terme pour identité, préfère interroger sa mémoire de « l’équivoque » de la vie perçue très jeune et se souvenir des difficultés de l’enfant qu’il fut, de « l’intolérable » à les vivre, du choix de résister, en étant « être imperceptible ». Il mentionne rencontres, découvertes, et passion pour Kafka, s’étant identifié à l’Arpenteur, celui qui, donc, arpente et enquête (Auschwitz, Assise, Cnossos, Birkenau...). Mais, ajoute-t-il, « C’est aussi ma propre vie que j’arpente, car le corps des autres c’est aussi le mien ».
Est-il critique d’art ? Il répond en évoquant les mots, une « immersion » dans l’étymologie, et la « contemplation des étoiles ». L’essentiel est ce pouvoir, contemplation et « distanciation ». Il se souvient, œuvres nombreuses...
Question 4, la parole... Dans sa manière de faire de la radio il pose ceci : « une équation simple : micro + oreille = sens ». Mais, poursuit-il, « quel sens à donner au sens ? ». Revenant sur un sujet traité en émission, l’égarement, il donne alors peut-être une clé, s’égarer, lâcher, libère une autre attention, un espace de sens dans une autre écoute.
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Traduction
Élise Duprat a traduit un poème du bestiaire de D.H. Lawrence.
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Plus loin on trouve un dialogue entre la linguiste Colette Noyau et l’écrivaine Sophia Lunra Schnack, qu'elle traduit de l'allemand. Échange en profondeur, la démarche étant captée par celle qui interroge, dans ses paradoxes apparents, sa spécificité.
Citations, dialogue puis poème...
Le travail d’écriture commence là où les mots manquent, là où on ne peut pas utiliser la langue mais où il faut la repositionner, démonter et recomposer. La beauté littéraire se trouve là où les choses ne sont pas dites jusqu’au bout. Un texte littéraire n’est pas un sentier battu mais un cheminement [...].
[...]
Un texte qui sait tout ne vaut pas la peine d’être écrit ; l’écriture, la littérature sont toujours une recherche qui apporte des changements dans la perception.
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Poème
Écrire non dans une langue
mais plutôt tenter
en se taisant vers quelqu’une
loin de quelqu’une
tâtonnant
ailleurs
à travers un hasard, une rencontre
...
Plus loin encore, Iren Mihaylova a traduit du bulgare le poète Georgi Slavov.
La terre n’est pas poétique, le ciel n’est pas une arche
Ma main reste une main et les plaies – des plaies
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Auteurs...
Dont Françoise Thieck, qui met en exergue Jean Cocteau (« Écrire est un acte d’amour. S’il ne l’est pas, il n’est qu’écriture »).
Des voix secrètes chuchotent la vraie vie, la vraie vie, la vraie vie
Cette voix lointaine qui vient d’un autre monde est douce
...
Et Erwan Gourmelen, « Les bruits »...
Cela s’éloigne et se rapproche, va et vient. Ça y est presque. C’est si zen, dans la nuance de tant de bruits. Le langage des ombres, tout à coup j’ai la sensation d’errer dans un cachot.
[...]
C’est plus fort que d’imaginer, réaliser qu’on existe et que l’Univers est tout autour, ses lignes d’un bout à l’autre de chaque point.
[...]
Avoir écouté les astres, tournant autour de soi, dans un moment de paix – le chuchotis du monde est si doux...
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Le dossier central, thème, « Capsule temporelle »...
(Interprétée non comme objet pour archiver des mémoires, mais plutôt prétexte, déclencheur, pour méditer sur le temps...)
Quelques citations (en suivant les pages...)
Victoria Rouëssé
J’ai perdu ma montre ? //
à moins que ce soit la pile...
qui me montre une face immobile ?
Ce bracelet qui me ceint me ment [...]
[...]
De l’autre côté de son disque, un monde semblable à l’envers du miroir.
[...]
Il faut entrer dans la montre arrêtée.
Il faut traverser son écran pâle et relire à l’envers l’histoire de mon rêve, recommencer petit.
[...]
Ne jamais croire ni sa montre
ni le temps.
[...]
La vie comme des milliers de billes qui se multiplient
à
l’infini.
[...]
Dans mon ventre il y avait une galaxie très noire et imperceptible très invisible et infinie.
...
Marie-Claude San Juan, « Vertige »
On bascule dans la naissance, oubliant l’infini, toute éternité...Sur la langue une hostie se dissout, capsule de temps pour errer dans l’espace, instants coulant comme un fleuve vers le rêve d’un futur incertain, sauf l’échéance. En cellule spatiale, voyage vers l’imaginaire d’un monde qu’on croit le monde, son univers peuplé d’images, d’êtres multiples se heurtant aux miroirs.
[...]
Le temps,
comme les pétales d’un œillet
frôlant les doigts.
Éblouissante chimère,
Leurre
si fort qu’il est averse de minutes.
[...)
Dans le marbre des tombes le temps est scellé, aucun retour, aucun recours ; seul le vent fait vibrer le silence des pierres.
...
Carole Naggar, « Une échelle, une façade, un inconnu »
C’était il y a 80 ans. Au-dessus du Japon le ciel était clair et pur.
Au matin du 6 août 1945, le bombardier américain Enola Gay lâche une première bombe atomique, nom de code Little Boy, sur Hiroshima. Le 9 août, une seconde bombe A, code Fat Man, frappe Nafasaki.
[...]
Une échelle, une façade, un inconnu. Eiichi Yatsumoto a parfaitement composé sa photographie. Sans sa légende, elle paraîtrait paisible, banale : sur un écran gris creusé de fines mouchetures – pellicule vieillie ? Empreintes de pluies et de neiges ? éclats de pierres ? – des ombres se détachent.
[...]
Cette photographie exprime, compresse et fige. Elle incarne la capsule d’un temps catastrophique et témoigne d’une folie meurtrière dont elle a gravé pour toujours les effets sur l’écran noir de la ville.
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Céline De-Saër, « Ulule »
L’univers forme un mandala, on dirait Je l’ai écrit dans la voie lactée de cette nuit à
mon chemin qui semble venu de la constellation boréale aux vents
d’étoiles semé e s
[...]
Et la Voie lactée est un soleil : c’est la
nouvelle histoire que les traînées de poussières m’ont racontée
[...]
le temps n’existe pas le temps qui n’existe pas enfermé dans une
capsule l’enfermement du temps n’existe pas
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Un essai d’Éric Phalippou sur Enid Blyton.
Mémoire, en introduction, d’une délectation de lecture d’enfance, refus d’oublier ce souvenir constitutif de soi, l’imaginaire... Il loue la « fraîcheur d’âme » de celle qui fit preuve d’un don d’écriture dès l’enfance. Portrait d’elle qui écrivit des centaines d’histoires venant comme sous hypnose, de manière médiumnique. Elle qui garda l’enfance en elle, en relation, aussi, peut-être, avec une expérience d’ordre « cosmique » (spirituelle ? océanique ?). Interrogations sur ce qui a déterminé sa faculté imaginative intense, et ce qu’elle-même se demande (effets hallucinatoires provoqués par des substances biochimiques, engrais, de son environnement ?).
Très longue citation, plus d’une page (passionnante...) d’Enid Blyton sur son expérience (qui ressemble à une bascule de conscience, d’Éveil, en voyage hors du corps) car elle eut, une fois, une perception de la totalité du sens et du temps. « Détachée » de son corps, explique-t-elle, « J’ai eu le sentiment de filer sur des vagues de lumière vibratoire et la pensée m’est venue que je traversais mille systèmes solaires et mille univers ». [...] « Stupeur, « émerveillement », « joie », « lumière », « extase »... « ... le secret de Toutes Choses allait m’être révélé » [...] « .... j’appris avec délectation le pourquoi du temps et de l’existence, du bien et du mal, de la souffrance et de la bonté. »
En conclusion Éric Phalippou explique ce que fut la peur d’Enid Blyton parlant d’identité, c’est « l’idée d’avoir à perdre de son enfance », car pour elle, note-t-il, « l’enfant en nous est l’être que l’on est », « empli d’un pré-savoir ». Contraintes et oubli de l’enfant en soi, ce texte en rappelle la nécessaire présence à retrouver.
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Suivent des pages sur La Maison de l’Art Vivant (Jean-Luc Parant), puis sur le Mail art, et un dossier sur les cartes d’Olivier Chagnaud.
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Chroniques critiques
Nombreuses recensions de Françoise Favretto, dont le livre de Sylvie Durbec, Père Liban, Mère Suisse (éd. Rosa Canina). Un parcours de recherche des racines. Elle vit à Marseille, et « l’Algérie est au commencement ».
Parmi les revues, je repère Halo, un hors-série sur René Alleau, intriguée par ce qu’en dit Françoise Favretto. Multiple, René Alleau, alchimiste, fasciné par la géomancie, entraînant André Breton vers des voies plus secrètes. Mais de l’éditeur, mythologue érudit, le dossier révèle un monde...
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J’ai lu Éloge des eaux murmurantes (textes de Michel Diaz, gravures de Lionel Balard (éd. Simarre). J’ai mis l’accent sur l’univers d’eau et de feuillages que les textes comme les images rendent perceptible, on croit y pénétrer, mais on entre aussi dans une méditation sur le sens qui émerge de ces chemins croisés, et sur ce que l’écriture fait advenir.
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De Sabine Dewulf, Où se cache la soif, ouvrage réalisé avec les peintures de Caroline François-Rubino (éd. L’Ail des ours) j’ai découvert aussi l’attrait pour un univers d’eau... La soif est bien plus que le désir du corps, là c’est un appel de l’être, pour naître à soi-même, et l’univers aquatique mêlé de terre et de feuilles dessine des métaphores intérieures où l’intime spirituel grandit avec l’écriture.
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Recension, Marie-Claude San Juan
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LIEN, L'Intranquille n°29, éd. Atelier de l'agneau : https://atelierdelagneau.com/de/accueil/305-l-intranquill...
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