Théâtre. El Ajouad, Metteur en scène Kheireddine Lardjam
03/02/2023
J’ai vu les deux pièces, Tenir jusqu’à l’aube et L’exploitation à la cool.
Choix d’y aller parce que c’est El Ajouad, la compagnie de Kheireddine Lardjam, dont j’ai aimé tout ce que j’ai vu de ses mises en scène. Je l’avais découvert en apprenant sa création des Justes de Camus en Algérie, il y a des années. Puis j’avais vu (et revu, tant c’est fort) End/igné, adaptation d’un texte de Mustapha Benfodil sur la tragédie de jeunes Algériens qui s’immolaient en se suicidant par le feu (on a plus su le cas du suicide d’un jeune Tunisien de cette manière). Terrible et superbe texte. Et de même, j’avais été impressionnée aussi, notamment, par la pièce O-Dieux (revue aussi), adaptation d’un texte de Stefano Massinii sur le conflit israélo-palestinien (ce que j’ai vu de plus intelligent sur ce sujet, loin des projections partisanes haineuses et des certitudes militantes). L’humanité réelle et complexe (voir plus bas, citation – texte d’intention - et lien). Hélas je n’ai pas vu La quête de l’absolu (voir citations et liens en fin de note). J’espère que ce sera repris à Paris…
Et que ces deux pièces du programme soient jouées au Lavoir Moderne était un argument de plus. Beau lieu. Murs comme lavés et déchirés par le temps, qui donnent l’impression d’être une création de street art, mais dont les gris favoriseraient un dépouillement pouvant convenir comme décor nu à toutes sortes de pièces.
J’ai consulté le site (la compagnie El Ajouad est dans le Jura), regardé les autres créations, relevé des citations et des liens (à voir en fin de note).
Autres créations récentes (voir en fin de note) : La dernière (Une histoire française) et En pleine France.
C'était donc au Lavoir Moderne Parisien… https://lavoirmoderneparisien.com/
Par la compagnie El Ajouad… https://elajouad.com/
Kheireddine Lardjam, le metteur en scène, a adapté le texte de Carole Fives (éd. Gallimard). Seule en scène, la comédienne Céline Hilbich.
Une mère seule avec un tout petit (de ces familles dites monoparentales). Situation précaire et solitude sociale. Épuisement, sensation d’enfermement. Déchirement entre l’énervement causé par la fatigue et la place considérable que prend l’enfant, d’un côté, et l’amour et l’inquiétude, de l’autre. Des émotions contradictoires, des culpabilités et des colères, des désirs d’autre chose, ou simplement de vie normale de femme.
Cela c’est le texte, le sujet. Portée sociale, interrogation que ces situations renvoient à tous.
Mais au théâtre il y a le texte et une comédienne, avec sa voix et son corps. Forte présence physique. Une femme qui marche, s’assied, se couche. Et un corps qui exprime la complexité des sentiments en allant jusqu’à la danse. Une danse qui serait murmure. Pas de grands gestes mais une présence qui fait du geste un langage porteur de sens. En voyant la pièce je n’avais pas lu la liste des noms de toute l’équipe, et j’ai pensé chorégraphie (y percevant aussi une marque du metteur en scène, dont j’ai vu plusieurs pièces). Et, oui, une chorégraphe est intervenue, Nedjma Benchaïb. Ce qu’elle a induit est subtil.
La lumière est une aide, quand celle qui joue y trouve un partenaire, une parole visuelle qui porte la parole des mots, marque des silences, appuie des phrases.
Dossier, note d’intention, par Kheireddine Lardjam. CITATIONS : Tenir jusqu’à l’aube est un récit féministe sur une maman monoparentale (ou « maman isolée avec enfant »). […] Mon parti pris de mise en scène sera la sobriété afin de mettre en valeur le texte, mais aussi pour inviter le spectateur dans ce huis-clos entre cette jeune femme célibataire et son fils de deux ans. Le spectateur est collé dos au mur dans cette maison où le destin de deux vies devient cette contemporanéité mise à rude épreuve. […] L’enfant n’a pas de nom ou bien il porte celui de tous les enfants. La mère non plus n’a pas de nom parce qu’elle ne sait plus qui elle est. Elle n’est plus que la mère.
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C’est cette fois un texte de Jules Salé (éd. Stock) qui est adapté par Kheireddine Lardjam. La même précieuse équipe (lumière, son, vidéo, voir page du site lien plus bas). Et toujours la chorégraphe Nedjma Benchaïb dont on sent ce que son travail a ajouté à l’incarnation de la présence du comédien, seul en scène lui aussi, Cédric Veshambre. Rôle très physique, puisque le sujet est la course éperdue des livreurs de repas en vélo. La vitesse pour cumuler les « missions » et gagner un peu plus de quoi vivre. Vitesse, fatigue, danger. Conditions hors droits, irrespect et mécanisation des rapports avec l’invisible hiérarchie. (Depuis j’ai lu dans la presse que des employés de ces entreprises particulières s’étaient regroupés pour créer une sorte de coopérative professionnelle avec des règles conformes au droit du travail. À suivre…). Le vélo est l’objet central, qui sert à toute une gestuelle d’expression, et le sac isotherme complète le cadre. Vélo et gestes porteurs de force symbolique. Le texte rappelle l’insécurité, la peur parfois, les salaires ridicules. Il dit aussi le paradoxe de ces injustices.
On sait, et on le constate encore, que le metteur en scène veut porter un questionnement sur la société, justice et injustices, douleurs et détresses sociales. Accidents, et morts (une liste de noms est récitée). Mais aussi hommage à ces êtres un peu trop dans l’ombre. Et interpellation des complices passifs que sont les indifférents, clients pressés de trouver un repas (mauvais, le plus souvent mais tout prêt) porté à domicile.
Dossier d’intention. Citations : La première intention de ce spectacle est donc de révéler l’envers du décor de ce que l’on nomme l’ubérisation de la société. […] Ce projet artistique offre un espace de réflexions partagées sur la société, sur l’humain, sur la mémoire et les angoisses collectives. Il nous nettoie des images et des bruits qui nous assaillent en permanence et minent notre capacité de réfléchir et de voir. 1 texte, 1 comédien, 1 vélo : le théâtre, dans sa simplicité, est toujours d’actualité.
LIENS…
Kheireddine Lardjam, itinéraire théâtral. Dont la création, en 1998, de la compagnie El Ajouad (Les généreux), nom emprunté à une pièce de l’auteur Abdelkader Alloula, dramaturge assassiné en 1994 par les islamistes… https://elajouad.com/kheireddine-lardjam/
Tenir jusqu’à l’aube. Page où on peut voir les noms de tous les intervenants (lumière, son, chorégraphie, etc.). Sur El Ajouad…https://elajouad.com/productions/tenir-jusqua-laube-de-caroles-fives/
Sur la page de Babelio, un entretien avec Carole Fives au sujet de son livre Tenir jusqu’à l’aube. Elle ne traite pas d’un vécu personnel mais de ce qu’elle a pu voir vivre d’autres femmes, et porte un regard qui refuse les clichés… https://www.babelio.com/auteur/Carole-Fives/88057
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L’exploitation à la cool… https://elajouad.com/productions/lexploitation-a-la-cool/
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Voir aussi...
End/igné. Adaptation d’un texte de Mustapha Benfodil,
Citation (présentation) : C’est par un suicide par le feu en Tunisie que les révolutions arabes ont commencé. Geste extrême d’une revendication sociale restée vaine qui se multiplie depuis dans tout le Maghreb, et bien au-delà. Quand Kheireddine Lardjam décide de donner la parole à ces hommes, il s’adresse à Mustapha Benfodil, auteur et reporter-journaliste au quotidien algérien El Watan et témoin de la recrudescence des immolations par le feu dans son pays… https://elajouad.com/productions/end-igne/
De Mustapha Benfodil (texte d’intention), citations : A travers ce texte, j’essaie d’aborder un sujet brûlant : celui des immolations par le feu qui ravagent le corps de dizaines de mes compatriotes. Sujet difficile s’il en est. Extrêmement compliqué à porter sur le plateau. Comme tous les sujets où le background social est fortement présent. [...] Il ne s’agit donc pas ici de se prêter à un « théâtre d’information ». Même si l’actualité est dans les coulisses. Ou l’arrière-scène. D’où la distance. L’Humour. La Fable. Le Cynisme. La Dérision. La Poésie. Même si je n’ai pas le recul nécessaire, temporellement et émotionnellement parlant. La construction du texte est dictée dès lors par cette obsession de « ne pas copier le Réel », de ne pas le transposer brutalement sur scène. […] Problème complexe donc. Problème esthétique. Problème éthique. Pourtant, quand le metteur en scène Kheireddine Lardjam m’a proposé d’écrire quelque chose sur ce sujet, je n’ai pas hésité une seule seconde à dire oui. Surtout que de mon côté, dans ma littérature du moment, il se trouve que ce sujet hantait mon écriture, et j’avais même commis un chapitre dans un roman en cours, intitulé L’AntiLivre, sous le titre : « L’Ind/Igné ». […] Je reste convaincu que le théâtre a aussi pour boulot de dire le monde. Reste à savoir avec quels mots. Pour ma part, j’ai fait le pari de l’intériorité, de l’intime ignition, de la citoyenneté refoulée. Loin de moi le projet d’écrire une sociologie du désastre. Ni un manifeste politique. Même si le politique se profile, est à l’affût derrière chaque hémistiche, s’immisce jusque dans les interstices du silence. Mon propos est simplement de dire : qu’est-ce que/QUI est-ce que le feu a brûlé ? […] D’où l’autopsie. Pas l’autopsie du corps social. Juste celle d’un corps qui a mal. […] Une autopsie poétique donc. Avec pour seule médecine légale la liberté du scalpel... https://elajouad.com/wp/wp-content/uploads/2022/07/dossie...
Le texte a été publié par Les presses du réel en 2013, sous le titre Le point de vue de la mort…
Page auteur, Mustapha Benfodil sur le site d’El Ajouad… https://elajouad.com/auteurs/mustapha-benfodil/
Page de L’avant-scène théâtre sur Mustapha Benfodil…https://www.avantscenetheatre.com/auteurs/mustapha-benfodil
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O-Dieux
Présentation. Citation : Sous le titre O-Dieux, le metteur en scène Kheireddine Lardjam porte sur les planches un texte inédit de Stefano Massini sur le conflit israélo-palestinien, vu à travers les yeux de trois femmes : Eden Golan, israélienne, professeure d’histoire juive appartenant à la gauche intellectuelle, Shirin Akhras, jeune étudiante palestinienne de Gaza, prête à tout pour s’enrôler comme kamikaze, et Mina Wilkinson, militaire américaine en mission en Israël. Dans une mise en scène et une scénographie qui font la part belle au jeu, une seule comédienne prête sa voix au théâtre-récit de Stefano Massini, incarnant ces trois destins parallèles qui finiront par se percuter dans une collision tragique... https://elajouad.com/productions/o-dieux/
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Adaptation de textes de Rûmi (sa spiritualité, la rencontre avec son maître Shams, sa poésie)…
Ou la pièce que j’aimerais voir…
Présentation. Citations : Notre spectacle parle du soufisme, de spiritualité et d’Amour. La quête de l’absolu est l’occasion de briser quelques clichés, en rappelant que les mots «arabe», et «islam» renvoient à une civilisation tout entière. / L’actualité a vidé de leur contenu ces termes, en pétrifiant toute une littérature dans un ensemble de règles et d’interdits, asséchant la dimension poétique et spirituelle qui devrait les entourer. […] Rûmi… fut aussi l’un des plus grands poètes mystiques de l’islam et demeure aujourd’hui encore un «maître d’éveil» reconnu par les soufis. / Nous lui devons l’apport à la spiritualité de la notion de beauté, d’art, l’importance de la musique, de la danse et de l’amour… https://elajouad.com/productions/la-quete-de-labsolu/
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Créations récentes…
La dernière (Une histoire française)
(Adaptation d’un texte de Métie Navajo, écrit sur proposition de Kheireddine Lardjam)
Texte d’intention de Métie Navajo. Citations : Le point de départ de cette pièce, c’est la proposition faite par le metteur en scène Kheireddine Lardjam de me pencher sur l’histoire complexe et douloureuse des anciens supplétifs de l’armée française en Algérie, ceux qu’on désigne par le terme « harkis », et qui englobe leurs familles entières. En me documentant, en rencontrant des personnes, enfants de harkis nés sur le sol français, ou enfants d’enfants arrivés dans les camps où ont séjourné des dizaines de milliers d’entre eux après la guerre d’Algérie, j’ai compris que derrière l’idée un peu grossière et générique que j’avais au départ, il y avait autant d’histoires que de personnes, des situations et des parcours de vie très différents les uns des autres. J’ai été frappée par ce que le terme véhicule encore de représentations erronées… […] J’ai élargi le champ ; j’ai pensé à la « tradition des camps », notamment en France, qui servent de lieu de séjour pour des populations diverses, aujourd’hui encore. […] J’ai pensé aux bébés enterrés sans témoins. Et j’ai pensé aussi à ceux qui vivaient de l’autre côté des barbelés ; ce que ça fait de grandir à proximité de ceux qui sont enfermés dans un non lieu, et de ne pas les voir... https://elajouad.com/productions/la-derniere-une-histoire...
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En pleine France
(À partir d’un texte de Marion Aubert). Histoire de footballeurs, pendant la guerre d’Algérie, qui ont quitté leurs clubs pour créer une équipe du FLN. Présentation (l’intention dit comment de cette histoire tirer l’occasion de faire débat, de penser la complexité).
Texte d’intention. Citation : Quelles traces la guerre d’Algérie, et plus largement le colonialisme ont-ils laissé dans notre imaginaire collectif ? Que peut nous dire le football des crispations identitaires de la société française ? La diversité est-elle une tare, ou au contraire une richesse collective ? Comment se remet-on de l’Histoire ? Comment la transmet-on ? https://elajouad.com/productions/en-pleine-france/
Tous spectacles… https://elajouad.com/les-spectacles/
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