Deux livres de Silvaine Arabo. Automne et Saintonge (photographies), et Au large du temps (poèmes, avec des peintures d’Arève Akopian-Nercessian )
23/07/2022
Dans une note sur la revue L’Intranquille, au sujet d’un entretien de l’éditrice avec un artiste triple (photo, écriture, son), j’abordais récemment cette question des interférences entre les pratiques plurielles. Certains créateurs ne le sont que d’un art, soit pour n’en maîtriser aucun autre, soit pour craindre la concurrence intérieure qu’ils vivraient à se partager entre deux ou trois pratiques. Certains pensent qu’on ne peut intégrer la connaissance et les techniques que d’une voie. Mais la création plurielle existe et on en voit des réussites. Je crois, pour ma part, qu’un art vécu avec intensité peut amplifier la conscience qu’on a d’un autre. Mais là, pour introduire cette œuvre, j’irai même plus loin. Le mot important c’est justement la conscience. Les poètes chinois taoïstes, comme les auteurs du zen japonais, ou certains mystiques soufis, font naître leurs fulgurances (poésie, calligraphie) de leur capacité à maîtriser d’abord l’accès au silence intérieur par la méditation. Et la connexion consciente au Tout de la réalité, si elle est profonde, peut développer la capacité d’en rendre compte de plusieurs manières. Ce n’est pas infini, car le temps est une limite, comme le goût qu’on a pour tel ou tel art et pas pour tel autre. Mais ce peut être pluriel s’il y a un centre commun d’où émerge la création, sous une forme ou une autre. Comme le regard qui capte la lumière, que ce soit par l’écriture, la photographie, ou la peinture. Pour Silvaine Arabo, ce sont ces trois chemins de l’être essentiel qui l’animent de la même façon. Trois voix, trois voies, et une.
L’ouvrage sur l’automne complète le portrait de l’artiste, en ajoutant à l’écriture poétique l’art de la plasticienne utilisant la photographie en peintre, qu’elle est aussi. (Artiste reconnue elle a exposé en France et à l’étranger.). Mais dans le deuxième ouvrage c’est avec la peinture d’une autre plasticienne qu’elle associe ses poèmes, Arève Akopian-Nercessian. Dans une proximité née d’une affinité artistique.
Automne et Saintonge (sous-titré Voyage au fil de l’eau et de la lumière), Alcyone, 2021, est un livre sans mots, ou presque. Toute la place est pour le regard. Cet ouvrage fait partie d’un cycle sur les saisons.
Pas de titres ou de légendes pour les photographies. Mots... ? Le titre, un avant-propos de moins de deux pages, deux exergues (Camus et Sand) et un poème d’elle, reprenant le premier texte du recueil Capter l’indicible. Seul poème mais qui a la force d’une initiation, ouvrant la thématique de la lumière. Albert Camus et Georges Sand sont cités, l’un pour qui, en automne, chaque feuille est une fleur, l’autre pour sa métaphore musicale, cette saison en andante mélancolique.
Dans son avant-propos la poète-photographe dit avoir voulu rendre ces paysages à une présence, à une essentialité, que notre regard quotidien (avec les soucis qui vont avec) nous occulte de façon quasi permanente. Et elle ajoute… Et pourtant là est la Vie. L’enjeu n’est pas qu’artistique. Il est vital, pour nous éviter d’être morts à nous-mêmes en ayant oublié ou perdu un lien fondamental, car la nature et nous ne sommes qu’un. Et elle précise sa conception de l’art photographique. La photo est méditation, contemplation… Du regard de celui qui reçoit les images, elle dit qu’il doit s’exercer avec lenteur. Ainsi on peut aller vers notre intériorité, c’est-à-dire vers notre miroir de « l’étant ».
Ouvrant les pages, il semble que l’automne se déploie pour révéler la splendeur de ses couleurs, et d’une photographie à une autre sont saisis des instants, des tableaux. Regard de peintre.
Voyage, est-il dit. Mais immobile et dans le temps puisque c’est le même paysage qui est contemplé. Infiniment regardé, et infiniment multiple. Arbres et arbres, eau et reflets. Variations des couleurs dont la lumière se vêt, habitant diversement le paysage suivant les heures du jour, de l’aube au crépuscule et à la nuit. Celle qui photographie est Trésorière de la lumière, qui fait se rejoindre les espaces lumineux dehors et dedans, et savoir l’unité de tout.
Les arbres et l’eau se répondent, reflets et couleurs en harmonie, ombres paisibles et striures laissant deviner un mouvement, un flux, le signe de l’air.
Le cadrage nous fait regarder au plus près, comme entrer dans le paysage, en percevoir l’odeur de terre et d’eau. La brume légère de l’aube on croit la sentir effleurer les visages, et on pourrait croire toucher les feuilles de nos doigts, en pensée.
Il y a un pont, plusieurs fois visible, et son horizontalité grise se multiplie dans l’eau. Pont bien réel, mais vecteur de symboles, représentation du passage entre les deux rives de cette âme du monde qu’elle évoquait dans l’avant-propos. La nature et nous : un lien essentiel, et une traversée de nous à nous, vers cette intériorité possible.
Douceur des jaunes, qui ne heurtent ni l’harmonie des gris et gris bleus de l’eau, ni celle des feuillages encore verts. Jaunes vifs, ou pâles, ou presque marrons, masses d’ombres qui dessinent un tableau impressionniste par lequel on peut se sentir entrer dans le rêve de la nature se rêvant elle-même. Brume, encore, qui cette fois semble transformer l’eau en miroir d’un horizon de nuages, mais ce n’est vraiment que brume. Ou couleurs si douces, dans une photo où le gris semble effacer l’excès des verts, qu’on pourrait croire regarder un paysage de neige. Mais il n’y a pas de neige, ce n’est que la palette du réel qui offre une autre dimension. Pages qui suivent, tout est sombre, douce noirceur du crépuscule, et illusion de vagues dans un ciel maritime. Pourtant c’est la terre, les arbres, la brume, dans le soir et la nuit. De nouveau la splendeur de couleurs éclatantes. La floraison de feuilles donne raison à Albert Camus, et à Georges Sand la majestueuse lenteur de ces instants qui se déroulent. La brume, encore, qui voile et fait deviner le mystère d’une profondeur dans la verticalité d’un espace faussement nuageux semblant continuer vers l’infini. Ailleurs une sorte de brouillard léger donne l’impression de traverser un écran et de pénétrer dans l’espace caché du paysage, un arrière-plan secret où la nature se révèle à qui sait contempler. Et le pont revenu, rappelle son symbolisme.
Certaines photos ont une matière qui semble tracée avec le couteau d’un peintre, écrasant une épaisseur de traits de gris, de vert, de noir. Ode au regard, à l’automne, à une région.
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Au large du temps, poèmes brefs de Silvaine Arabo, avec cinq reproductions de peintures d’Arève Akopian-Nercessian, Alcyone, 2020.
J’ai commencé par regarder les reproductions de peintures, me demandant, avant d’avoir lu la quatrième de couverture, s’il y en avait aussi de Silvaine Arabo. Les cinq sont d’Arève Akopian-Nercessian, dont celle qui est reprise en couverture. Découvrant cette artiste j’ai regardé aussi son site et son blog (liens ci-dessous). J’ai vu, ainsi, diverses créations, retrouvé les couleurs jaillissantes posées dans le livre. J’ai lu sa présentation, qui définit peindre comme un état d’être, et la citation d’un article de Rachid Boukheir rendant compte d’une exposition au Maroc, et définissant ce qui lui paraît la caractériser. Lui aussi a été touché par son bleu, et ce qu’il dit de cet art rend évidente l’affinité de démarche entre les deux plasticiennes, celle qui ici écrit, et celle qui rythme le livre avec ses bleus et ses rouges, la puissance de ses couleurs.
Importance des titres qui légendent ses toiles. Car si la peinture est abstraite ils suggèrent une représentation non figurative de paysages, le ressenti chromatique d’un univers intérieur qui se mêle à la vision. Traduction, par les pigments utilisés, d’une jonction entre réel vu, contemplé, mémorisé, et monde intérieur qui correspond. Et c’est peut-être parfois l’inverse, projection sur la toile d’une intériorité métamorphosée en archiviste de visions colorées, en rythme de traces presque scripturales. Intériorité, son dernier titre le dit (Bleu des mers intérieures).
Ce qui est très intéressant dans la structure du livre construit par Silvaine Arabo c’est la place des peintures. Elles interviennent entre les titres des différentes parties et l’exergue qui précède les poèmes. Ce qui fait d’elles (et de leurs titres) comme une autre séquence introductive …
En exergue, un seul auteur cité, François Cheng (extraits de l’ouvrage Enfin le royaume). Ainsi le recueil est un hommage rendu à l’immense poète.
Les peintures d’Arève Akopian-Nercessian et les fragments de poèmes de François Cheng sont des portes guidant dans le mystère des pages qui suivent, la profondeur du regard sur des instants de contemplation, de méditation, de mémorisation. Oscillation du cœur entre joies de la perception, regard fasciné par la beauté de la nature et chagrins pour tout ce qui fait deuil.
Pour ce livre, Silvaine Arabo a choisi d'écrire des formes brèves. Le haïku pour la première partie, Palimpsestes, et poèmes brefs pour la seconde grande partie, celle qui donne son titre au recueil. Poèmes très courts, de deux à cinq vers, rarement six, exceptionnellement sept, dans les quatre séquences d’Au large du temps.
Palimpsestes, j’aime ce mot, et la réalité de ce qu’il désigne. J’aime aussi sa signification symbolique, qui figure très justement, je trouve, notre déroulement de vie. Déjà, la vie de nos cellules que le temps efface, et ce corps qui enregistre de nouveau l’épaisseur de notre identité, comme on écrit sur une page vierge gardant des traces souterraines, mémoires… Et nous, consciemment on efface, et on recommence à tracer des gestes, des affects, des pensées. Corps palimpseste, cœur palimpseste. Et justement, Étincelles, la peinture signée Arève, semble un parchemin, ou un fond de ciel sur lequel la lumière écrirait. Des traits, des taches, une calligraphie mentale, des comètes striant l’espace, ou des spermatozoïdes cherchant un ovule cosmique, des bleus intenses, des bleus clairs. Ce qui est suggéré on le retrouve dans les poèmes.
Et que dit François Cheng, quelle porte ouvre-t-il ? En quelques mots, exactement tout cela. La force de ce qui est. Peu suffit, dans la masse de ce que le réel offre. Un iris. Tout l’être est dans une fleur. Un regard. Ces bribes du réel que le regard rencontre, dans l’instantanéité de voir, c’est ce que la poésie de Silvaine Arabo présente ici, en tableaux minimalistes, mais assez denses pour dire beaucoup, et affirmer le sens, la vérité, du créé justifié du poème de François Cheng.
Une trentaine de pages, trois poèmes par page, trois vers dans l’esprit du haïku, cette forme venue du Japon. Photographies de moments, saisie de réalités captées soudainement. Car l’instant d’après ce sera autre, la nature et la vie effaçant l’image du moment, et redessinant d’autres lieux sur un lieu, un autre réel sur le réel. Palimpsestes… (Comme dans le livre de photographies Automne et Saintonge).
Couleurs. Le blanc de l’eau moirée, ou du géranium (mais d’autres, plus loin, seront rouges), ou des oiseaux, le bleu du ciel, la chanson du vert. Et Nuages gris ou fleurs roses, ou Étranges séquences bleues… L’ombre aussi, cette non-couleur… La lumière…
Nature. La rivière, l’aube, le ciel, le crépuscule, le lac, l’eau des étangs, le vent, la mer. Et quand même, un instant, la ville, une rue…
Le vivant, animal. Des oies sauvages, Envol des oiseaux, un papillon, un corbeau…
Le végétal. Les cerisiers clairs, un géranium blanc, de Longues allées d’arbres, les fleurs roses des pommiers, le pin bleu, des Sapins dans le soir…
Les saisons. Au cœur de l’été… Mémoires d’automne, Printemps enneigé, l’hiver suspendu…
Mais la contemplation n’évite pas le regard sur des réalités plus tristes, des instants qui symbolisent ce qui dérange dans le rapport de l’homme à la nature, quand on inflige des douleurs aux animaux.
On plume les oies :
descente vertigineuse
dans les lois d’ici.
Et, mortelle nature ou nature saccagée, une orchidée (...) fracassée représente la destruction de la beauté, l’injure faite à la vie (pourtant justifiée par le regard, disait François Cheng en exergue, le regard conscient de la beauté).
Des êtres. Un enfant, pour des Larmes sur la page, chagrin d’instant, ou la jeune fille si belle…
Pays, cultures, le lointain. Asie de légendes, Lointaine Arabie, Maison japonaise… Comme du rêve sur le palimpseste du réel.
Des objets. Et les souvenirs qu’ils recèlent…
Un oiseau d’argile
posé sur la cheminée :
fragments de mémoire.
Palimpseste, le temps. Moments de vie sur moments passés.
Échos d’autrefois
parmi le silence blanc
et l’aube endormie.
Mais aussi des émotions, dans le rapport au temps (angoisse du temps qui passe).
Silvaine Arabo est fidèle à l’esprit du haïku, tel que magnifiquement défendu par Franck Médioni introduisant son anthologie, Le goût des haïku (pas de s…). Il soutient une conception exigeante, où cette écriture est une Voie, où les mots doivent surgir de la contemplation-méditation. Et il cite Issa, qui se réfère à la voie de Bouddha (celle du haïku étant, pour lui, la même), et qui refuse qu’on en fasse un jeu littéraire, ne retenant que la forme. Ceux qui font cela sont, dit Issa, des profanateurs. Et Issa, cité par Franck Médioni, ajoute que les thèmes classiques du haïku restent bien sûr des thèmes, mais, dit-il, tout ce qui se passe devant nos yeux ou est ressenti dans notre cœur est aussi matière à haïku.
Et donc elle donne à cette écriture la possibilité de devenir philosophie aphoristique, en plus de donner à voir une réalité contemplée, et pensée comme palimpsestes à déchiffrer.
Être le passage
L’être humain traversé par la nature, devenant lui-même océan, et passeur du sens. L’être humain, et l’artiste, la poète, celle qui écrit. Le passage pour dire le créé justifié (annoncé en exergue par François Cheng…). Et peut-être aider à ce que soit justifiée la vie, ce qui dépend aussi de nous, en offrant un regard… En sachant convoquer l’infime, comme elle l'écrit.
La musique semble être part de ce qui fait déchiffrer et suivre l’exigence du grand Issa. Portée musicale… arpèges… chant.
Et… Des accords dans l’air nu
une portée musicale.
On cherche la Voie.
Au large du temps… seconde partie,
sous-titrée ainsi : (Instantanés)
Instantanés, car sans être un haïku le poème bref sert aussi le regard brut, une vision fugitive, un ressenti éphémère, la perception d’une parcelle de réel. Photographies mentales prises dans l’instant et restituées comme si c’était dans le moment du regard, même si c’est l’effet de la mémoire.
Heurt, cependant, entre le titre, Au large du temps, et le sous-titre (heurt évidemment volontaire). Que comprendre du titre ? Partir au large, c’est, en mer, partir loin et ne plus avoir sous les yeux qu’un immense horizon. L’alliance entre ces mots apparemment contradictoires, entre un temps long propre à l’infini et des saisies immédiates, cela indique que la démarche répond à un double défi. Dépasser, en accumulant les captures d’instants, la perception limitée au seul moment précis. Aller au-delà du temps cloisonné (passé, présent, futur) et passer dans une dimension d’atemporalité où le moment présent est vécu autrement, devenant accès à l’essence d’être.
Quatre sous-parties… Jardins Saisons Couleurs
Mémoires
Sang des douleurs
Ordre cosmique : miroirs intérieurs
Jardins Saisons Couleurs
La peinture d’Arève Akopian (celle reprise en couverture) est riche en couleurs. Rouge intense, bleu profond, marron rosé, un peu de vert, une tache de jaune. Son titre est Lumières du désert I. Le désert, infini comme la mer. D’ailleurs on peut imaginer que les rectangles verticaux figurent des voiles (pour partir, ici, au large du temps, même si le tableau n’a pas été créé dans cette intention). Voiles comme le désert peut en faire rêver, avec ses mirages. Le désert, c’est le lieu des ascèses, des retraites de sages, et de la lumière. Mais il a ses jardins, en quelque sorte, ses oasis…
François Cheng, en exergue, écrit…
La nature, en nous, ouvre ses métamorphoses
Et il met ce qui est vaste, cette nature, à l’intérieur de ce cœur nôtre, infime.
Plaçant l’humain, nous, Au bord de l’immense, allant vers ce loin qui est aussi en nous.
Dans ses poèmes Silvaine Arabo peint en mots ce qu’elle contemple, et effectue le pas d’acceptation des métamorphoses ouvertes par la nature "en nous".
Dans les ciboires de l’instant
la blancheur effleurée
des roses immobiles.
Le visage ébloui, c’est la nature au matin, et c'est qui regarde, percevant la fragrance (des algues ou de tout).
Des yeux sont étoiles qui scintillent, répondant aux scintillements des jardins. Lumières en écho, modulations où l’humain fait partie du Tout, et porte en lui un monde...
Jardins couvant sous les paupières
Le regard est créateur, et pose
Des... éclaboussures d’or
sur les façades moroses du quotidien
Et, mémoire d’un voyage réel, ou rêve de lointain…
Voici venir, vêtu d’horizon,
le cavalier bleu du désert
Comme l’annonciateur d’une lumière, dans l’épaisseur nue des ténèbres. Et même, plus grand lointain, passeur vers des Embrasements cosmiques dans la nuit. Désert et mer, même splendeur offrant la ligne infinie des horizons.
Mémoires…
Bleu des océans, dit le titre d’Arève. Et sa peinture n’est que bleu sur bleu, un carré plus clair encadrant un centre semblant un gouffre vers l’infini. Une tache de blanc, où on peut voir un imaginaire animal de contes errant dans le ciel, prêt à se faire entraîner dans un trou noir, piège cosmique qui dévore tout. Si ce sont des océans que peint ce bleu, ils sont célestes autant que maritimes, rêvés autant que vus. Mais le blanc dans la peinture, on peut y voir aussi l’espace évoqué par François Cheng, exergue qui suit. Une ouverture (fente ou trou) vers l’être, cette essence, à travers une mémoire en jachère. Si l’humain est amnésique de l’être en lui.
Pour Silvaine Arabo, des mémoires qui surgissent devant une estampe chinoise font retrouver des matins d’enfance. Douceur et blessure.
Tu crisses à l’infini – pièce de soie
qu’on déchire.
Souvenir, et absence dans le présent. Mais qui a disparu du présent habite qui se souvient, même avec sa joie.
Et, voilà l’être, le centre, l’essence.
Car dans la vasque débordante de la mémoire… savoir ce lumineux noyau.
Sang des douleurs…
Après le titre, la peinture reproduite. Lumières du désert II. Le rouge de nouveau. Un grand carré qui prend tout l’espace central. Comme la souffrance peut occuper tout l’espace psychique. Et, en exergue, François Cheng écrit la souffrance dans une vie, et la béance de la perte.
Silvaine Arabo, dans cette partie, fait revivre des destins, évoque des séparations, la mort, des deuils, la part tragique des vies, l’amertume douloureuse dans la douceur même des souvenirs et des traces de ce qui fut, comme des pétales séchés dans un livre.
Mais il y a l’écriture, et le pouvoir de sculpter le mot.
Ordre cosmique : miroirs intérieurs…
Bleu des mers intérieures, dit le titre de la toile signée Arève.
Un ciel, une galaxie de visionnaire
Et elle nous fait voir ce que François Cheng et Sivaine Arabo ont dit dans les poèmes précédents, cette nature, dans la conscience de l’humain, sa perception, plus qu’imaginaire, d’une appartenance réciproque.
En exergue, cette fois, Sivaine Arabo a associé une citation de François Cheng et quatre vers d’elle, un extrait du livre Des crépuscules et des colombes. Les deux poèmes dialoguent. Pour François Cheng, c’est une marche nocturne (dans le passé) qui peut se continuer, exorcisme du regard, Par-delà la forêt, vers (peut-être) une plage errante. Et pour Silvaine Arabo ce sont ses propres pas (autrefois), Sur le sable nocturne. Mais ce sont les pas de quelqu’un pénétrant l’être de ce qui est, fleur (j'étais alors la rose), ou océan, devenant soi et autre. Dans les deux cas la mer figure l’infini, le paysage est dehors et dedans.
Silvaine Arabo poursuit sa méditation.
Regardant le ciel, elle interroge le statut de la réalité :
où est le vide ?
où est le plein ?
Elle pense les fluctuations du temps : éternité… l’instant… l’éphémère.
C’est une entreprise de dévoilement intérieur à soi-même, par l’écriture…
Renaître de ses cendres
retrouver le mot juste
phoenix
au milieu des dissonances.
En ayant conscience des coïncidences qui n’en sont pas, ces synchronicités qui guident, langage de l’univers, rechercher la source de tout, l’œil unique de la conscience. Et reconnaître la lumière émanant des visages. L’ordre cosmique du titre, et son reflet dans les miroirs intérieurs, c’est cet accord entre l’univers et les êtres ayant trouvé leur centre d’énergie / lumineuse.
La répétition de l’or figure cette lumière : champs d’or de la Conscience ou cheveux d’or de la lyre. Elle sait une convergence avec Cet abyssal présent (ce qui est au large du temps…).
Poète, elle dit tout cela en connexion avec la force créatrice, La grande lyre… faisant résonner les cordes vibrantes du Verbe.
Majuscules pour Conscience et Verbe. Au large du temps on entre dans une exigence autre de présence à ce qui est.
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Recension © MC San Juan
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LIENS…
Bio-Bibliographie, Silvaine Arabo, éds Alcyone… https://www.editionsalcyone.fr/435026972
Silvaine Arabo, recension précédente, ici, Capter l’indicible, éd. Rafael de Surtis, poésie. (Voir aussi, tag Saraswati, revue)… http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2022/05/20/ca...
Site d’Arève Akopian-Nercesssian (où on voit les œuvres classées selon les couleurs – ses rouges, ses bleus, etc.)… http://areve.fr
Et son blog… https://areve.blog4ever.com
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Merci à Silvaine Arabo pour son message en commentaire. Réponse faite par mail.
1 commentaire
Chère, chère Marie-Claude, vous me voyez très émue par ce grand et beau travail que vous avez fourni.
Tout est saisi, compris de l'intérieur.Tout est dit avec tant de justesse, de subtilité ! Un grand merci, vraiment (et ce mot de "merci" m'apparaît bien insuffisant, presque dérisoire).
Baudelaire avait bien raison quand il affirmait que seul un artiste pouvait "commenter" un autre artiste grâce à une sensibilité analogique. La critique purement mentale "passe" à côté, bien souvent. Je vous embrasse avec beaucoup d'affection (cette critique est en elle-même, pour moi, un genre de petit chef d'oeuvre).
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