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Des ombres et des polémiques... Des mots et d'autres mots... Colonisation...

colonisation,algérie,crimes contre l’humanité,crimes de guerre,histoire,mémoire,traumatismes,jean pélégri,mouloud feraoun,rené-jean clot,albert camus,kamel daoud,hocine aït ahmed,richard malka,fellagAgitation générale autour de déclarations et de retours (parfois confus) sur les mots prononcés par Emmanuel Macron. Articles, émissions, notes, posts et commentaires sur Facebook ou ailleurs. A force de constater n’être d’accord avec personne, et agacée par beaucoup : trop de passions, de projections, de peurs (diverses), de pièges identitaires (de tous côtés…) j’ai réagi, là ou là, d’abord décidée à ne rien faire d’autre (c’est lassant, à force…). Mais tant pis, besoin de faire la synthèse de ma réflexion. Et cela donne cette page, à laquelle j’ajoute des liens vers des articles, qui permettent de revenir sur les notions, et sur le contexte de la polémique, mais aussi sur l’Histoire, en nuançant les positionnements... 

La photographie que je choisis d’associer à cette réflexion a été prise dans l’arrière-salle d’une galerie. Porte vitrée, des gens qui se pressent, ombres superposées. J’ai immédiatement pensé « présidentielle », d’instinct. Des candidats, ombres au sens où on cherche à définir les pensées et les stratégies, et à déchiffrer les parts d’ombre. Ombres qui renvoient aux inquiétudes, doutes, questions. Et de ces ombres plurielles, une sortira, on ne sait laquelle… 

COLONISATION, CRIMES de guerre ou crimes contre l'humanité (et crimes de qui?)... 

… Le terme "crimes contre l'humanité" est inadéquat si on en parle pour la colonisation en général (criminelle effectivement, mais par le statut de domination, par le vol de la terre, et par la violence de la conquête) car cela désigne des crimes précis et définis, particulièrement déshumanisants, commis par des individus ou ordonnés par des gouvernants. (Les procès contre les horreurs nazies, ainsi, ont concerné des personnes précises responsables de décisions ou d'actes criminels). Au sujet de la guerre de colonisation, de l’Algérie mais pas seulement de l’Algérie (et de celle de et contre l'indépendance) on peut parler de crimes de guerre, et dans certains cas de crimes contre l’humanité (massacres, assassinats, torture, déportation) : il y en eut, cela ne peut être nié. De la colonisation on peut (on doit) dénoncer le système global, le fait même que cela ait cru être légitime dans la tête de gouvernants, et les abus que cela entraîne, mais on ne peut qualifier un système, aussi condamnable soit-il, comme on peut qualifier des faits criminels précis dans ce cadre.

… Sachant que c'est cependant une réalité universelle et ancienne (le monde entier est le résultat de colonisations successives et diverses). Et le Maghreb entier en est un, colonisation arabe de peuples berbères, par la guerre au départ, diffusion de la religion et de la langue des dominants. Et de même la France a une culture, au sens large, et une langue qui est héritée de l'occupation romaine. L'Espagne a été colonisée par des pouvoirs arabo-berbères pendant des siècles (et cela a bien commencé par une guerre avec ses violences, même si le mythe édulcore la réalité, complexe, avec ses horreurs et ses partages interculturels, ce qui est le cas de toutes les colonisations). L'actualité débat (ou oublie de le faire, suivant les cas), encore, de faits coloniaux divers (Moyen-Orient/Israël/Palestine, Tibet/Chine, partie de Chypre/Turquie... etc.). 

… Les pays doivent faire retour sur leur histoire, mais sans la ressasser indéfiniment et sans en faire objet de stratégie (ou de campagne électorale - ou d'instrumentalisation pour dominer en utilisant les passions et les rancoeurs). Retour complet sur l'Histoire (il manque l'ouverture des archives algériennes pour que ce travail se fasse historiquement de manière complète, notamment.  Et du côté français il manque le courage de la métropole, à travers son gouvernement, pour assumer réellement les responsabilités françaises passées, au lieu de s'en débarrasser en les projetant sur les Pieds-Noirs dont la majorité est issue d'immigrés qui n'étaient pas Français au moment de la guerre de colonisation...Du côté de certains Pieds-Noirs (pas tous...) il manque le retour critique sur des erreurs d'analyse et la compréhension, à temps, de l'évidente nécessité de l'indépendance (et des manipulations de certains politiques extrémistes). Il manque aussi le refus de croire devoir défendre une France mythique en s’identifiant à ses décisions et actes de pouvoir (quand c’est l’État français qui est mis en question, pas un peuple majoritairement d’origine immigrée - et donc absent de la décision de coloniser et de la guerre de colonisation : car le croire c’est obéir aux injonctions d’une métropole et d’un État qui n’assume pas son passé et le projette sur un pratique bouc émissaire, en occultant, par exemple, la lourde responsabilité d’un François Mitterrand…) 

… Que devons-nous faire maintenant? Dépassionner les débats. Sortir (tous) des remuements victimaires (abus du colonialisme ou douleur de l'exode et des traumatismes dus au terrorisme et aux disparitions). Car on remue des émotions qui minent, et nous piègent, au bout du compte (pas de suivi psychologique dans les années de ces drames humains). Donc faire individuellement et collectivement un travail de guérison. Parce que que le monde va mal, que les extrêmes de tous bords (politiques ou religieux) cherchent à attiser les conflits et à provoquer la haine. (Et, aussi, que la planète est en danger, avec la question de la survie de l'humanité à l’horizon...).

LIRE... De Jean Pélégri, « Ma mère l’Algérie », et voir ce qu’il dit des métropoles…  De Mouloud Feraoun, son "Journal". Mais aussi, d'Albert Camus, "Le Premier homme", ses "Chroniques algériennes", et ses "Ecrits libertaires", regroupés par Lou Marin. De René-Jean Clot, "Une Patrie de sel". Et.. de Kamel Daoud, ses "Chroniques" publiées chez Actes Sud. Car il interroge toutes les consciences de toutes origines culturelles (ou religieuses), dans le but de comprendre quel présent on crée, avec la mémoire lucide du passé...

ARTICLES… 

Sur Le Monde, 16-02-17, une présentation non passionnelle des déclarations d'Emmanuel Macron, déclarations plus nuancées que ce que la polémique en fait. Même si le choix des termes pose question (voir ci-dessous ce qu’en dit Hamon, pourtant peu susceptible de faire l’éloge de la colonisation…)... http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/articl...

La position de Benoît Hamon, JDD, 20-02-17...  http://www.lejdd.fr/Politique/Hamon-sur-la-colonisation-f...

Une analyse de Pascal Blanchard, historien, La Croix, 17-02-17...  http://www.la-croix.com/France/Politique/Certaines-pages-... 

Et je suis assez d’accord avec les conclusions de cette chronique de Bruno Roger-Petit, dans Challlenges, 16-02-17. Qui replace le sujet dans l’ensemble de la colonisation française qui s’étendit en Afrique et Asie. (Je pense aux mères vietnamiennes auxquelles on arracha leurs enfants métis pour les placer dans des sortes d’orphelinats en métropole. Aux enfants réunionnais déplacés loin des leurs pour peupler une province française.). Afrique sub-saharienne et Asie, on n’en parle moins en France, car là il n’y a pas de peuple à cibler comme « responsable » et tout revient à l’armée et au pouvoir français. Clémenceau avait raison contre Jules Ferry.... https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/la... 

Une opinion très critique, qui redéfinit les termes juridiquement et observe le contexte des affirmations variables. Sur les déclarations de Macron. Richard Malka (avocat), JDD, 19-02-17 : http://www.lejdd.fr/Chroniques/Invite-du-JDD/Colonisation...

Vu d’Algérie

Sur Courrier international (Algérie Focus), 17-02-17… http://www.courrierinternational.com/article/vu-dalgerie-... 

Dans Liberté, 18-02-17. Extrait et citation d’Emmanuel Macron par le chroniqueur : « “La colonisation a bel et bien comporté des crimes et des actes de barbarie que nous qualifierons aujourd’hui de crimes contre l’humanité. Pour autant, cela ne veut pas dire que celles et ceux qui vivaient en Algérie et servaient dans l’armée française étaient des criminels contre l’humanité. Car le seul responsable est l’État français”, a martelé Emmanuel Macron, en se défendant, toutefois, de vouloir être le chantre de la repentance. Il a, par ailleurs, indiqué que le devoir de mémoire de l’État français doit aussi couvrir les autres protagonistes de la guerre d’Algérie, comme les harkis et les pieds-noirs. »… http://www.liberte-algerie.com/actualite/macron-defend-sa...

Une pensée d’un militant de l’indépendance, opposant politique exilé, ensuite : Hocine Aït Ahmed (cofondateur du FLN, mort en exil)… Dans le numéro de juin 2005 de la revue Ensemble, organe de l’Association culturelle d’éducation populaire fondée à Constantine puis reprise à Montpellier il écrit le texte qui suit, comme une lettre à ses compatriotes pieds-noirs. Extraits, ici, mais je l’avais lu dans son intégralité alors : « Chasser les pieds-noirs a été plus qu’un crime, une faute car notre chère patrie a perdu son identité sociale. » Il ajoutait :« N’oublions pas que les religions, les cultures juives et chrétiennes se trouvaient en Afrique bien avant les arabo-musulmans, eux aussi colonisateurs, aujourd’hui hégémonistes. Avec les pieds-noirs et leur dynamisme – je dis bien les pieds-noirs et non les Français -, l’Algérie serait aujourd’hui une grande puissance africaine méditerranéenne. Hélas ! Je reconnais que nous avons commis des erreurs politiques et stratégiques. Il y a eu envers les pieds-noirs des fautes inadmissibles, des crimes de guerre envers des civils innocents et dont l’Algérie devra répondre au même titre que la Turquie envers les Arméniens. » Contrairement à ce qui est parfois dit dans des articles ou commentaires de cette lettre il ne parlait pas de génocide des Pieds-Noirs, évidemment, car il n’y en a pas eu (des massacres, oui, un génocide, non). Il mentionnait des massacres successifs et attentats qui avaient fait fuir les Pieds-Noirs. Le texte devrait être disponible en BNF, puisque la revue était déposée (si le document n’a pas été perdu…). Il est visible sur quelques sites, mais qui l’utilisent souvent en en déformant le sens (parler d’un sens implicite qui n’est pas présent dans la pensée d’Aït Ahmed, ou lui faire exprimer un regret de l’Algérie française, même si, oui, dans ce qu’il écrivit, il mentionna un regret de la présence des Pieds-Noirs. Il resta l’indépendantiste qu’il avait toujours été, mais en démocrate humaniste désireur d’une Algérie plurielle, non privée d’une part de ses natifs. Il voyait les Pieds-noirs comme des victimes de la colonisation et de la manière dont la décolonisation s’était produite…  Je note un lien où c’est mentionné, dans un courrier au journal Le Matin.dz : http://www.lematindz.net/news/1555-naissance-dune-associa...

L'analyse de Kamel Daoud...

Kamel Daoud, justement, réagit avec lucidité et de manière nuancée à la polémique sur les propos d’Emmanuel Macron. A la question du journaliste  sur cela il répond « J’appelle ça ‘un petit tour dans l’inconscient’». (Tout en notant que c’est « la halte algérienne » de la campagne électorale). Il reconnaît le courage de Macron, mais considère que « La France devrait chercher à faire œuvre positive au présent, et non à en chercher la trace dans le passé. »… Libération, 17-02-17... http://www.liberation.fr/debats/2017/02/17/kamel-daoud-ce... 

Kamel Daoud trouve qu’Emmanuel Macron a « rompu avec le discours habittuel » et qu’il faut « qu’il y ait quelqu’un qui tranche ». Donc il reconnaît une force à ce qui a été dit. mais aussi il pense qu’il faut une deuxième rupture, arrêter de ressasser et passer au présent…  « «Je suis partisan qu'on arrête de ressasser cette histoire. J'ai assez payé de ma vie personnelle. Je pense que la France a le droit de faire œuvre positive dans le présent, au lieu de chercher combien elle a fait de routes en Algérie par le passé». Il le dit ainsi : « L’exploitation de la colonisation de l’Algérie doit cesser. », citation reprise en titre par Le Figaro, 20-02-17… (D’autant plus qu’elle se fait sur les deux rives, cette exploitation-instrumentalisation, avec des objectifs divers, suivant les rives et les courants qui s’en emparent…)… http://www.lefigaro.fr/livres/2017/02/20/03005-20170220AR...

Et le début de sa chronique de 2013... "Malheureusement nous n'avons pas eu un Mandela en 62..."... https://bel-abbes.info/malheureusement-nous-navons-pas-eu...

.... Mise à jour... 

Et... Un peu d’humour…! Fellag : « Vous avez raté votre colonisation. Nous avons raté notre indépendance. France et Algérie sont quittes. ». Sur Algérie Focus, 24-02-17… http://www.algerie-focus.com/2017/02/fellag-avez-rate-col... 

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20/02/2017 | Lien permanent

Ecriture... A L’INDEX N° 28, revue littéraire

Comme je parle beaucoup des autres avec lesquels je partage cet espace de la revue (et notamment beaucoup d'Anne Sexton), je vais commencer par noter ce qui concerne mes poèmes, pour introduire brièvement ma longue recension. 

Pages 65 à 69, mon texte, poème, vers libres et prose. Une et toutes douleurs. Exergues (bien sûr...) : Anna Akhmatova, Monique Rosenberg, Lyonel Trouillot, Geneviève Clancy. Je ne peux que tisser lecture et écriture. Je ne citerai qu’un fragment, tout au début. Il donne une des clés, en posant une question : "Le lieu est-il l’exil de la pensée ?". Exils, conscience : méditation... La traversée des frontières est au centre de mon identité, de tous mes questionnements. Pluriel interne, valises "arrachées", et chiffre de l'éthique nomade. Regard autre. Je signe d'un S, mémoire du soleil-signature de Jean Sénac, et de l'initiale en commun, S solaire, oui, et S des pluriels, qui ouvre le multiple en soi et dehors (MC San Juan...).

INDEX 28    28.jpg

 

 

 

 

 

Puissante œuvre poétique que celle d’Anne Sexton

 

 

 

 

 

(née en 1928 dans le Massachusetts, morte en 1974, suicidée), fascinante même dans cette obsession suicidaire (qu’elle partage avec Sylvia Plath, poète immense aussi, née en 1932, morte en 1963, par un suicide que toute son œuvre  semble annoncer). Amitié qui constitue le dossier d’ouverture de la revue. Ce qu’Anne Sexton écrit sur (et à) Sylvia Plath est bouleversant, intime, riche autant pour ce partage fraternel d’émotion que pour tout ce qui est dit du processus d’écriture, entrelacé dans le même partage. Puissante écriture, tant pour les textes d’analyse de soi (par quelqu’un qui a vécu la démarche analytique) que pour les poèmes. On la connaît peu, d’où la nécessité d’un tel dossier. Je ne sais pas pourquoi elle a été plus négligée, en France, que Sylvia Plath. J’ai aimé le portrait que Jacques Basse fait des deux auteurs (non, moi je ne mets pas le « e » d’un féminin formel, qui, à mon avis, est un contresens linguistique). Jacques Basse, je l’avais découvert par hasard, avant de lire A L’Index, en cherchant un texte de René-Jean Clot, et le nom m’avait mené à son site, et au portrait du peintre-écrivain (qui m’est cher, très cher), et depuis c’est lui que je cherche aussi, pour ce regard sur des visages marqués par l’écriture. Traits noirs, mais pas tristes, ici. C’est la vitalité qu’il a voulu montrer, pas le désespoir sourd. Dépressives, Anne Sexton et Sylvia Plath, le sont donc au point d’en mourir, de « vouloir mourir » (comme l’affirme en titre le poème de la page 11, d’Anne Sexton, ou page 17 celui sur « La Mort de Sylvia »). Mais leur lecture donne de la joie, par la profondeur du cri intérieur, par la maîtrise lucide, malgré tout, du langage pour saisir ce qui est en jeu,  même quand, comme moi, on se sent complètement étranger à ce genre de triste déchirement intérieur. Mais sans doute en nous tous y a-t-il un écho de tels questionnements. Camus l’a dit, la question du suicide est le sujet philosophique central, et moral, c’est pourquoi ces poètes parlent de nos vies. Et la différence avec elles, avec elle, c’est qu’elles savent, elle sait, quel est le gouffre qui  attire. Nous, consciemment, non, mais qui sait ce qui est mortifère dans nos rapports aux émotions, au corps, au monde. Parfois nous frôlons la mise en danger de soi, par une fuite apparente des parts sombres, et l’inconscient est là.

Magnifique texte, que celui de Frédéric Miquel, dès le début : « Un verre à la main, une bouteille de vodka dans l’autre, elle se mit à exhumer amoureusement les souvenirs enfouis au plus profond de la terre séchée de sa mémoire... ». Il parle d’un « corps solaire » mais c’est l’être entier qui est solaire dans ce portrait d’un « physique éblouissant de beauté ». Texte amoureux. C’est la juste approche, pour lire et relire : que ce soit amoureux. Voilà un critère pour apprécier une œuvre : produit-elle en nous un tel élan (comment, peu importe, mais d'une impulsion violente, de manière inconditionnelle et dans la distance de la gratuité) vers l’être qui a tracé ces mots-là? Anne Sexton y réussit. (Tous ceux qui ont écrit ou dessiné pour ce dossier l’expriment diversement).

Echo des ombres, êtres perdus dans l’immense et dans l’angoisse, le beau poème de Guy Girard (2011). Je retiens ici un fragment, particulièrement : « dansante évidence de la lumière éclairant de son ombre / ce grain de poussière  dans le jeu de quilles du présent. »

Rabiaa Marhouch dit son admiration pour les poèmes d’Anne Sexton, comme dans une sorte de terreur : « Ta poésie me terrasse ». « Ma page blanche » : je le vois, ce texte,  comme un poème en prose. Elle y parle de la lecture de cette œuvre accomplie, achevée, d’Anne Sexton, qui peut être contemplée dans un ciel de splendeur et qui écrase par sa magnificence, quand on admire. Un début, une fin, finalité qui peut paraître trop loin, inatteignable. Je peux comprendre, et l’angoisse et l’élan que le texte sait traduire avec force : « Ma poésie est à délivrer de ta Poésie. »... Au début, cependant, elle écrivait : « Je suis une immensité qui se méconnaît. ». Oui... C'est une phrase qui restera longtemps dans la mémoire, après l'avoir lue. On aura donc envie de relire ce texte, et de suivre cette écriture...

Mais aucune de mes grandes admirations ne m’a jamais fait ressentir ces peurs, même adolescente. Très jeune je savais (et je l’avais décidé, je m’en souviens, à douze ans exactement : j’ai même le souvenir d’un instant précis, à l’ombre d’une entrée de patio, cristallisation des pensées de beaucoup de moments et de jours...). Je savais que le temps serait mon espace d’écriture, des décennies de travail devant moi quand d’autres avaient des décennies de travail derrière eux. De plus, Rimbaud démontrait que l’inverse est possible, l’intense concentre le temps et tout peut être transcendé. La preuve... Enfin, pourquoi craindre le temps si l’on ne rêve pas d’une accumulation de livres remplissant une bibliothèque, mais plutôt de l’ouvrage essentiel, qui serait le produit de la déchirure d’infinis brouillons,  alchimie de soi autant que des mots tracés. L’importance de la création ce n’est pas le poids. Je n’ai pas un rapport quantitatif avec la mesure d’une œuvre. Et ne m’intéresse, pour moi et les autres (écriture, ici, lecture, là), que ce que signifie (et crée) cette lente métamorphose que l’écriture ne fait pas que traduire mais bien plus produit. Les mots comme un feu qui brûle l’inessentiel et fait sourdre de notre ombre des scories qui ne sont pas des déchets mais gardent en eux une densité volcanique faite de son contraire, et, en eux, aussi, ces vacuoles d’espace cosmique. Le creux de soi, centre libre, n’est pas que racines. Ce que je veux dire par cosmique, c’est justement ce qui empêche l’admiration de se muer en peur de ne pouvoir atteindre cela qui est écrit par quelqu’un d’autre.  Tous peuvent être sculpteurs d’eux-mêmes, donc de leur œuvre. A condition de... Affaire de travail, de lecture, et de conscience. De perception de cet espace immense autant interne qu’externe. Et de ce sens présent partout, qu’il faut juste déchiffrer. Est-ce orgueil ? Non. L’humilité, je la mets plutôt dans un goût pour la longue patience, très longue patience... Et pourquoi pas ? Regards et regard...

Mais ce n'est pas de cela que parlent mes poèmes dans ce numéro... Où je partage l'espace avec ceux que je lis ici... 

Donc, poèmes d’Anne Sexton, dans ce numéro. Citations. « Vouloir mourir » (texte pp.11-12) :

« Puisque vous demandez, la plupart du temps je ne me souviens pas. / Je marche dans mes vêtements sans porter la marque de ce voyage. / Puis ce désir viscéral presque innommable revient. »

Et

« La Mort de Sylvia » (pp.17-19)

« Sylvia, Sylvia, / où es-tu allée / après m’avoir écrit / du Devonshire (...) ? » (...) « à quoi as-tu été fidèle, / comment, au juste, t’es-tu allongée dedans ? »

(...)

« cette mort que nous disions avoir toutes deux dépassée, / celle que nous portions sur nos poitrines maigres »

Cette mort l’attriste, mais lui donne le désir « d’y goûter, comme à du sel. »... Elle le fera, plus tard. Ses textes disent qu’elle ne sait toujours pas de quelle plaie vient encore ce désir de mourir qu’elle croyait avoir vaincu. « Innommable » désir, sans mémoire pour pouvoir le cerner. Innommable, car il est le désastre du défi lancé à l’écriture. Si les mots d’Anne Sexton avaient pu saisir totalement l’attrait de la mort, cet attrait aurait-il été englouti dans le travail de mise à la conscience par l’écriture ? Ou, au contraire, si l’enjeu avait juste un peu déplacé le regard ? L’influence de Robert Lowell n’a-t-elle pas été un frein, malgré ce qu’elle en dit, admirative et reconnaissante ? Dans un texte elle écrit « Après tout, le suicide est le contraire du poème » (« Le pilier de bar devait chanter », pp.7-11, citation, p.10). Et elle ajoute qu’avec Sylvia elles discutaient « souvent de contraires ». C’est comme si, là, on était au bord d’une frontière qui aurait pu être traversée dans un sens ou tout à fait dans l’autre sens. Même si, bien sûr, on ne peut rien dire sur le mystère des bascules dans la dépression, ni, dans le fond, pas beaucoup plus sur ce que l’écriture arrive à vaincre chez autrui...

Ce dossier seul justifie la parution du numéro, qu’il emplit déjà, jusqu’à la page 26 (seulement ?) : qu’il emplit de sens.

Mais d’autres textes suivent...

Poèmes de la « Petite anthologie portative ». Plusieurs auteurs. Je relève un nom, pour les textes que je préfère : Nora Thermes, d’évidence. Découverte d’une écriture, où je sens un souffle, une pensée qui sous-tend la poésie (pp. 36-38). Une démarche qui engage tout l’être. C’est une écriture...  On reste à hauteur du dossier...  Citer, c’est parfois trahir un peu, quand tout est lié (comme pour le texte de Rabiaa  Marhouch...). Mais commenter sans citer, non.

Donc... Nora Thermes :  « S’enorgueillir alors de n’être jamais qu’à soi / Et ne se dicter comme quête relationnelle / (Pour ne point effleurer l’affect, / Et sanctifier l’angoisse) / Que la triomphante obtention / Des ombres des corps les moins lumineux » (...) ///   « Et tisser sans transparence des liens furtifs / Fugaces, pour ne point plonger / Ne point goûter la douce douleur salée / Des abîmes d’impudiques » 

Pages 49 à 64, jeu entre écriture et dessins, Jean Chatard et Claudine Goux. Humour et poésie. C’est original (« Visages, Nuages, Mirages »).

Page 77, poème, « Marelle », de Jean-Claude Tardif. Evidemment le jeu n’est qu’un prétexte, pour cartographier bien plus que les pas sautillants d’enfants... J’aime beaucoup. On entre plus facilement dans un univers quand on a lu des recueils, des pages diverses de l’auteur. Dans un poème on ouvre alors un monde. On peut se tromper et inventer un sens qui n’est pas celui que l’auteur voulait nous faire lire. Mais le lecteur crée aussi le texte qui inscrit plus que le poète croyait dire (et il le sait).

Donc... « Sur le chemin de la marelle / L’éclat calcaire / Limite au bonheur » Pourquoi limite ? Parce que cela casse la symétrie plane ? Parce que cela alourdit et ramène au sol vers l’éclat (trop poudreux ?) « L’enfant solaire » ? Ferme son espace ?  Mais quand même l’élan qui élève. « Agir »... « Lancer la pierre / Contraindre l’espace ». Non, décidément, ce n’est plus seulement le jeu d’enfance, le rêve dans la lumière. J’y vois le symbole de nos vies, tous au départ « enfants solaires », à sauter « Sur la nuit et les jours », « Blancs et noirs » du jeu,  à devoir trouver la route entre les « droites » quand un instant peut faire dévier, et arriver, au bout du compte, à être capable de dévier exprès des chemins fixés, sans angoisse. Le but, la fin, dans le texte, c’est aller  « Jusqu’à l’asymétrie ». Parce que l’espace libre échappera aux traits normatifs, que la vie fera entrer du désordre dans nos jours et nos années, et nous forcera à sortir des repères anxieux, obsessionnels, des normes et des cadres. Mais il y a un mot, « lutte », qui marque l’effort de l’enfant dans son jeu (pour suivre ce qui est droit), et, peut-être, la lutte de l’adulte, au contraire (pour fuir ce qui est trop droit...). Asymétrie vivante, l’art... 

Les pages qui suivent sont de Claire Dumay. Feuilletant la revue sans regarder le sommaire pour trouver les pages, au départ, j’ai lu la dernière phrase d’un de ses deux textes (pp.78 à 85), et j’ai immédiatement reconnu le style, signe qu’il est très personnel. Un style...« Essai d’autobiographie », voilà qui soutient ma lecture du poème de Jean-Claude Tardif... La même chose est dite (sans le savoir, en voulant dire le contraire, en regrettant ce contraire...). Elle explique son impossibilité à inscrire un quelconque projet autobiographique qui ressemblerait à ce qu’elle lit ailleurs. Elle croit devoir s’en désoler... Parce qu’elle perd les repères, ne sait plus où elle va, en est « ébranlée, bousculée ». Justement, c’est bien. C’est signe que l’écriture ne se ment pas, que le désordre de la vie est bien là (qui fait arriver où on ne va pas, et fort heureusement car autrement on n’aurait pas su le décider...). Bien sûr les visages du passé ne seront pas les visages du passé. Les bribes captées deviendront autre chose. Et « tourner autour » c’est cela qui est intéressant, car autour on prend le juste recul, alors que dedans on serait enfoui dans les identifications faussaires. « Tourner autour » obligerait-il vraiment au « recyclage d’une gestation unique » que même cela serait une perspective d’écriture. Une page qui devient cent, car elle a autant de significations que de tentatives d’écriture du même instant d’un être. « Impasse » ? « Inutile de dévider l’impasse », écrit-elle. Moi, justement, j’entre dans ce texte qui se dit impasse avec un plaisir de lecture où je trouve matière à comprendre, à interroger. Les histoires tranquillement déroulées ne m’intéressent pas, mais cette hésitation de l’écriture, oui. Car le basculement est en train de se jouer. On approche l’asymétrie que visait le poème Marelle... Parce que le doute l’installe. Aux orties le moment où Pascal « marchait solitaire sur la grève » : c’est juste une clé, le saut de la marelle, avant ce trou du silence où autre chose émerge. Et que ces doutes sont bien écrits... !

Claire Dumay, encore, « Ecrire le matin ». Là aussi j’aime beaucoup. Amusée, aussi. Je remplacerais matin par nuit et je reconnaîtrais  la plupart des signes. Le matin, pour moi, serait celui des nuits blanches (alors je peux voir l’aube). Très beau texte sur l’écriture, celle qui vient sans qu’on la cherche, comme d’une étrangère. Lieux et rythme d’un monde très féminin. Solitude de l’écriture dans les moments où l’espace se libère. Rangements... ou ménage qui va marquer des pauses cérébrales, gestes dont on ne sait s’ils produisent, causent, ce qui s’écrit, ou viennent de ce qui s’écrit. Boisson chaude qui donne de la douceur au corps. Toilette décalée pour ne pas stopper l’élan du flux qui passe par les doigts. Citations : « Je quitte le mémorial, les eaux sacrificielles, la crypte funéraire » (...) « L’exode des mots supplante la stagnation, le règne de l’immobilité. Moi qui suis un être d’attache, fidèle à mes demeures, m’affranchis malgré moi de ces contrées souterraines, de la claustration du confessionnal. » (...) «  J’entre en migration. Les lettres qui sont frappées sur le clavier ne sont plus traces, ni empreintes. »   

Poème... Anne-Marie Marcelli, pp. 90-95. « Prémonitoires ». Le silence, l’écriture, le corps, la peur (ou les peurs). Toujours, l’écriture est interrogée, questions entrelacées aux thèmes courants de la vie (le corps, les liens, les lieux, la matière). Je lis, et des fragments retiennent l’œil. Ainsi :

« Je vis / Que les pierres / Même les pierres / Se froisseraient comm

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06/04/2015 | Lien permanent

Le temps, la création. Créer longtemps, créer toujours… Soi et l’œuvre.

Regards sur le temps.jpgLe temps martèle les visages
    afin que sorte le regard.
(…)
    Si notre vie était le pont ?
Si en-dessous coulait le temps ? 
(…)
Quelques années, quelques heures, puis rien.
             Qu’est-ce qui s’est passé ? 
Jean Mambrino, Le mot de passe (recueil de distiques)
 
Laissez-moi seulement boire
À la source des étoiles
Ahmed Azeggah, À chacun son métier
 
Pour que tu dures : pour que tu dures et te perpétues (…) pour que les ruines des temps réunis soient l’éternité (…).
José Ángel Valente, Noun / Trois leçons de ténèbres
(trad. Jacques Ancet)
 
S’il y a une âme, c’est une erreur de croire qu’elle nous est donnée toute créée. Elle se crée ici, à longueur de vie. Et vivre n’est rien d’autre que ce long et torturant accouchement. Quand l’âme est prête, créée par nous et la douleur, voici la mort.
Albert Camus, Carnets (1942-1951)
 
Pour qu’une forêt soit superbe
Il lui faut l’âge et l’infini.
René Char, En trente-trois morceaux et autres poèmes
 
Je suis assis tout droit sur le bord du lit
et de mes mille et une personnalités
je fais obstacle à l’obscurité tombante
L’obscurité entre
(…)
J’ai copié le temps
je savais que j’étais une fiction
mais je ne pouvais me suspendre
I copied
Léonard Cohen, Le livre du désir/poèmes
 (trad. JD Brierre et J. Vassal)
 
Or qu’est-ce que la vie entière perdue dans l’océan de l’éternité, sinon ‘un grand instant’ ?
Vladimir Jankélévitch, La mort
 
Qu’est-ce que vivre, sinon s’approprier l’infini particulier d’une éclipse de la mort ? 
Pierre Perrin, La Porte
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Le temps, la création... Les EXERGUES ci-dessus en portent déjà tout le sens, avant ce parcours. Qui passe par des penseurs, des artistes, des écrivains (et des citations). Et encore des CITATIONS… Pour clore, des LIENS précieux (dossier, entretiens, articles, documents, vidéos troublantes - dont pianiste et danseuse de 107 ans et bergers érudits - notes de blogs, livres…) qui éclairent parfois des passages de la note, ou font écho, ou donnent à lire ce qui est évoqué. 
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Créer, penser, serait-ce… 
"Tenir l’infini dans la paume de la main
  Et l’éternité dans une heure" ?
L’auteur de ces vers d’Augures d’innocence, William Blake, en avait des intuitions. L’astrophysicien Trinh Xuan Thuan lui emprunta, sans doute pour cela, un fragment pour son livre avec Matthieu Ricard, L’infini dans la paume de la main….
 
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Heure.jpgLe temps, les âges… 

J’ai d’abord vu, par hasard, deux expressions de femmes artistes, qui, à 107 ans (ou presque) témoignaient de la , poursuite de leur art. L’une jouant du piano, l’autre dansant. Colette Maze, pianiste, s’étonnait d’avoir 107 ans, ajoutant avoir l’impression d’avoir le 0 en moins. Écho à une pensée d’Edgar Morin, qui, dans un entretien, pour ses 100 ans, rapprochait "rajeunissement" et "vieillissement" (PhiloMag, juillet-août 2021). Pensée qui n’est pas à écarter comme formule légère, fantaisiste, ou déni. C’est plutôt l’idée d’une métamorphose intérieure qui recrée alors que le corps vieillit et que les années s’ajoutent. 

La danseuse australienne, Eileen Kramer, à plus de 106 ans, continue à monter sur scène. Un spectacle état programmé pour fin juin à Sydney, créé par la chorégraphe Sue Healey. S’exprimant sur BBC News, la danseuse disait ne pas "se sentir vieille", mais "juste là depuis longtemps". Et elle précisait son ressenti dans la création. "Mon attitude par rapport à la création de choses est la même que quand j’étais enfant." Bien sûr le corps ressent les marques du temps, et il est dit qu’elle danse "surtout avec le haut de son corps", mais qu’elle crée aussi ses propres chorégraphies.

Temps... Dans un entretien de Duane Michals (L’Intranquille 20) je vois que, répondant au sujet de son travail, il rappelle son âge, 87 ans, et dit adorer la vieillesse, pour la liberté qu’elle lui donne de créer comme il veut. Il est tout à fait dans l’état d’esprit de ces deux artistes (plus âgées que lui...). 

Là je me souviens de Merce Cunningham, chorégraphe et danseur immense. Je l’ai vu danser, dans une dernière représentation d’adieu, alors qu’il avait du mal à se mouvoir sans difficulté. Et pourtant il dansait. Plus, il était la danse. Une présence intense dans le moindre geste esquissé, comme dans les pauses immobiles. Plus que de la beauté créée, quelque chose de magique, de l’ordre du silence médité. Le voir c’était ressentir de la joie, comme si du sens se déroulait devant soi, nous parlant d’une réalité de l’être transcendant la vieillesse. 

Force vitale qui fait danser. Répondant au "questionnaire de Socrate" de PhiloMag (juillet-août 2021) sur ce que serait la "belle mort", la chorégraphe Phia Ménard choisit un paradoxe. "Un oxymore : mourir vivante." Affirmer le désir d’une présence créative jusqu’à la fin. Ce que vécut Cunningham.

Des articles et vidéos sur des artistes plus que centenaires sont apparus alors qu’il y a avait eu des affiches électorales honteuses d’un parti écologiste ciblant les 'boomers' (la génération née après guerre), comme si leur vote était illégitime. Le slogan repoussait dans la mort les plus âgés (pourtant pas centenaires), pas concernés de leur point de vue par un futur qu’ils ne connaîtraient pas. Cela rejoignait quelques idées proches de l’eugénisme qui ont circulé au sujet de la pandémie.

En même temps j’apprenais la mort de très vieux poètes (et de moins vieux, d’ailleurs, aussi).  

J’ai repensé alors à des articles lus dans la presse littéraire sur des auteurs qui avaient publié leur premier livre très tard, ou republié un ouvrage après des décennies de silence. Soit que, écrivant depuis toujours ils étaient pris par d’autres responsabilités et attendaient d’en être libérés pour s’occuper de leur œuvre, soit parce que leur exigence était telle qu’ils ne voulaient transmettre que ce qui serait justifié par une compréhension de vivre et de mourir suffisamment haute, en adéquation avec une création enfin dépouillée des mirages de la jeunesse pressée d’être reconnue. J’ai aussi découvert récemment des œuvres à cette hauteur (France, Belgique), mais je vais citer ici ces noms et titres croisés en feuilletant des journaux, ou en fouillant dans des archives, en relisant textes ou livres. 

Ainsi, Mary Wesley a publié pour la première fois à 70 ans en Angleterre. Même s’il faut noter que son premier roman avait été refusé par plusieurs éditeurs mais qu’il eut, une fois publié, un grand succès, et les suivants aussi. Sexualité (même assez crue) et humour sont présents dans son univers, qui n’est pas celui d’une frustrée. Un article du Monde (12-06-1992 ) rendait compte de son itinéraire, à l’occasion de la publication en français chez Flammarion des Raisons du cœur. .

Autre cas, celui du traducteur américain Hillel Halkin, qui, après une carrière vouée à l’écriture des autres, avait publié son premier roman à 73 ans. Lui explique que par exigence il "procrastinait", repoussant le projet. Son livre est sorti en français en 2013, au Quai Voltaire, titré Mélisande ! Que sont les rêves ?... 

Et enfin voilà Harper Lee. Cette américaine avait été célèbre, avec la parution du roman Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, en 1960. Et ce n’est que 55 ans après qu’elle a sorti la suite, Va et poste une sentinelle (en français chez Grasset). Pourtant cette suite existait, oubliée dans ses papiers. Son succès l’avait paralysée, et elle ne voyait pas comment faire aussi bien. Si ce manuscrit n’avait pas été redécouvert et soutenu il n’y aurait eu qu’un livre. Ce deuxième est paru alors qu’elle avait 88 ans, et c’est peu après qu’elle est morte, à 89 ans. Ce cas est un exemple de ce que peuvent contenir les tiroirs de gens qui ont écrit ou écrivent et sont freinés pour une raison ou une autre… 

Mais que signifie l’âge dans la création (artistique ou conceptuelle) ? Les itinéraires sont si divers qu’on se rend compte que c’est une autre dimension de soi qui écrit. Ni l’adolescent (Arthur Rimbaud), ni le très vieil auteur (Henry Bauchau à 95 ans, ou Jim Harrison rédigeant ses mémoires testament). Une conscience hors âge, hors temps. Même si dans le détail des inscriptions la voix parle d’où elle est... En couverture d’Encres vives 492, numéro sur Claire Légat, sous son nom une mention, en majuscules mais peu encrée, une trace légère, essentielle. "POÈTE SANS ÂGE". Car la poète belge a su échapper aux injonctions de parutions obligées. Des décennies de silence enlèvent toute signification à l’âge. Ce qui advient est produit par toute la vie, mûri sur des années, poésie issue d’une conscience libre du temps. Car l’essence n’est pas assignable à un moment, l’œuvre d’une vie à un jour de naissance.  

Arthur Rimbaud a créé son œuvre, majeure, extrêmement jeune, mais ayant été au plus loin de l’écriture, il a cessé ensuite d’écrire. Et ce ne pouvait pas être autrement. Maurice Blanchot, dans L’Espace littéraire, a fait une brillante et profonde analyse sur ce qu’est écrire et jusqu’où il est possible d’aller, comment le silence s’impose après une bascule dans un absolu du sens et du langage. Si le petit 'je' de qui écrit vit un anéantissement de soi dans un plus que soi, un centre est atteint qui est su et non su. Alors est franchi un point indépassable. Et seul le silence peut suivre. 

Peu importe l’âge, 17 ans ou 100. Seul compte la démarche d’un itinéraire singulier. Le temps sort du temps. Ce qui compte c’est ce qui advient 'par' l’écriture, et demeure. Mais cela advient aussi 'à' l’écriture, par tous les gestes intérieurs de pensée et de non-pensée (de silence). 

"Écrire", dit Blanchot, dans L’Espace littéraire, "C’est se livrer au risque de l’absence de temps, où règne le recommencement éternel. C’est passer du Je au IL, de sorte que ce qui m’arrive n’arrive à personne, est anonyme, par le fait que cela me concerne, se répète dan un éparpillement éternel".

Attendre pour faire sortir ce qu’on crée ou se presser avant d’être passé "du Je au Il", ou semer des cailloux pour tracer petit à petit une sortie du temps, toutes les manières existent. Comme la quantité, ou la rareté (et la qualité, ou médiocrité autosatisfaite). Choix. Mais il n’y a pas de création valable qui ne soit cheminement de toute une vie, avec ou sans traces. 

"100 ans", dit Edgar Morin (entretien, PhiloMag, juillet-août 2021), "ce n’est pas un chiffre normal, c’est un chiffre fatal". Car évidemment la pensée de la mort s’impose encore plus. C’est peut-être pour cela qu’il lit (entretien du Un, 7 juillet 2021) les Stances de Racan (accompagné par la 9ème symphonie de Beethoven), tout en poursuivant la lecture d’un essai (sa curiosité pour le monde). Car Racan, dans ses Stances à Thirsis, écrit sur le retrait et la mort. "L’âge insensiblement nous conduit à la mort." Et (toujours dans le Un), répondant au "questionnaire de Proust", il cite, comme devise, Antonio Machado. "Caminante, no hay camino, se face camino al andar." (... le chemin se fait en marchant).

Cela restitue peut-être sa place au hasard, aux synchronicités. Est-ce le hasard qui modifie le rapport au temps de qui pense et crée ? Entre hasard et inconscient l’espace est infime. Est-ce de l’ordre de la maturité, ce qui amplifie la conscience créatrice ? Qu’est-ce qui donne à certains la force de continuer à créer, chercher, même quand le corps ne suit pas ? Ou celle de se taire, choisissant l’anonymat de la sagesse retirée ? Ou celle d'attendre, au risque de disparaître en silence, définitivement anonyme et silencieux ? 

Dans l’entretien donné au UN, Edgar Morin dit s’intéresser toujours beaucoup à "Tout ce qui concerne l’univers, la vie, l’humain". 

Michel Bouquet, lui, tout en exprimant, à 90 ans, dans Le Parisien, 20-12-2015, son émotion au sujet des attentats, disait qu’il n’avait plus l’âge "pour être inquiet de l’état du monde", ajoutant, "Ma seule religion est le théâtre" (il jouait alors le personnage de Furtwängler). L’art à vivre.

Créer de la pensée, de l’art, ou de la sagesse. Autre visage, Théodore Monod, arpenteur infatigable du désert, jusque dans les dernières années de sa vie. Lecteur du Nouveau Testament, de Shakespeare, Tierno Bokar et Teilhard de Chardin… Dans un entretien de Lire (été 1997) il disait le privilège de bien vieillir en ayant fait ce qu’il aimait. "Atteindre un très grand âge sans autre dégât que de perdre la vue, c’est formidable"…

On ne peut que penser aux derniers messages du généticien Axel Khan. Sérénité face à la mort, "non-phénomène" pour lui, qui ne veut parler que de vie. (Voir les trois liens). Son dernier texte sur son blog, sur la douleur (sa chronique de fin de vie apaisée), et son dernier entretien, avec François Busnel. L’écriture et la parole pour transmettre son expérience. Choisir son chemin de vie... Ce qu’avait fait l’homme âgé rencontré par Axel Kahn, rencontre qui a sans doute déclenché, longtemps après, certains de ses choix, comme cette longue marche à travers la France…

Anouk Aimée, née en 1932, a joué dans le troisième opus de la série d’Un homme et une femme de Claude Lelouchen 2019, à 87 ans, et c’est remarquable. Mais cela tient au regard de Lelouch sur les êtres et la vie. Rares sont les actrices qui poursuivent une carrière au-delà d’un certain âge, celui de la séduction de la jeunesse. 

Vieillesse qui épuise mais révèle. Ainsi Henry Bauchau disait, à la fin de sa vie (1913-2012) ne plus pouvoir écrire qu’une heure ou deux par jour, en faisant des pauses (Le Monde, 25-01-2008), mais savoir atteindre quelque chose de plus qu'avant. Et sur sa propre démarche d’écriture il faisait un constat d’une grande profondeur, à méditer… Magnifique pensée sur le mystère de ce qui se produit dans l’esprit (ou l’âme ou l'inconscient) qui veille ou qui rêve. "Je suis un écrivain de la maturité. Ma jeunesse s’est éparpillée dans des efforts qui ont tous abouti à l’échec. Je n’exprimais que des surfaces, je n’entendais ni l’espérance de mon passé ni, comme me l’a dit un jour un rêve, la mémoire de mon futur." L’auteur de la chronique, Robert Solé, titrait la page dans ce sens. "Un roman éblouissant au soir de la vie". Et il l’introduisait avec des mots forts. "L’écrivain belge, âgé de 95 ans, publie son livre le plus abouti." Page qui contenait un ample compte-rendu de son entretien avec l’auteur, et sa recension du roman, Le Boulevard périphérique. "…un roman magnifique, un livre éblouissant". Henry Bauchau fut psychothérapeute, et il pensait que l’analyse et l’écriture étaient tissées ensemble pour lui. Il était lecteur des taoïstes et des penseurs du zen. Il avait compris cette dimension spirituelle de la maturité, facteur de la force de création. Il savait ce que dit le psychiatre Olivier de Ladoucette. "La vieillesse est une réserve de vie spirituelle. Je parle moins de religion que d’apprentissage de la connaissance de soi." (entretien, Le Monde, 25-04-2012). 

Comme Henry Bauchau, Lawrence  Ferlinghetti (1919-2021), dernier de la Beat Generation, avait continué à écrire. Lui a eu des difficultés avec ses yeux. Mais pour ses 100 ans il a publié un nouveau livre, Little boy, aux USA. Une traduction est parue en France en 2019 aussi. La vie vagabonde. Carnets de route 1960-2010

Car, résume Roger-Pol Droit pour titrer sa chronique sur l’ouvrage de William Butler Yeats, Lettres sur la poésie (Le Monde, 22-06-2018), "Plus le poète est vieux, plus il est inventif". Car la correspondance que le poète échange avec Dorothy Wellesley

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27/07/2021 | Lien permanent

Gabriel Audisio, ou Ulysse poète...

gabriel audisio,audisio,poésie,misères de notre poésie,racine de tout,livres,citations,louis branquier,henri bosco,jules roy,francis ponge,jean pélégri,edmond charlot,aux vraies richesses        Mon pays,
C’est toutes parts où des hommes.
        Mon pays ?
Toutes parts où des soleils
Gabriel Audisio, Hommes au Soleil, 1923
.
La figure, l’être, le mythe d’Ulysse n’ont jamais cessé de me hanter, m’habitent de plus en plus.                                                         Gabriel Audisio, Ulysse ou l’intelligence, 1946
.
Donnez-moi, dieux des mains qui écrivent, donnez-moi les mains de ceux qui animent des statues !
Gabriel Audisio, Ulysse ou l’intelligence, 1946
.        
D’Hommes au soleil, 1923, à De ma nature, 1977, plus de cinquante années de poésie publiée. Hommes au soleil est dédié à Jules Romains, dont l'unanimisme, cette conscience d'une matrice commune des Méditerranéens, l'a influencé (il fut son professeur de philosophie à Marseille). Cela se retrouve ensuite, mais transformé, magnifié par la connaissance qu'Audisio aura des cultures méditerranéennes diverses - grecques comme islamiques - et par l'intense imprégnation du mythe d'Ulysse. Audisio est poète dans tous ses écrits, dans ses romans comme dans ses essais. Partout, ce même souffle, cet élan singulier. Mais c’est dans les recueils qu’il met en œuvre des refus et des exigences spécifiques, et crée le poème, tel qu’il le conçoit. Pour comprendre ce qui constitue sa poétique il nous faut considérer les éléments qu’il donne dans des essais, et lire, comme en surimpression, les pages des recueils. Des associations apparaissent. Thématiques et formelles. L’idéal d’un humanisme méditerranéen traverse l’écriture d’Audisio, celui de l’être méditerranéen pluriel, porteur d’une capacité de joie vitale, solaire, habité par l’esthétique de la mer, ce "continent" commun, et par la beauté de ses rives. Sagesse méditerranéenne de l’adhésion à la vie.
Ainsi, dans Jeunesse de la Méditerranée, il définit ce qu’il appelle le "mystérieux" de la Méditerranée, "alliance du fantastique et du merveilleux". Ceci est une clé pour lui-même, un des visages de son Ulysse intérieur.
Misères de notre poésie, cet essai en fragments de 1943, expose une éthique de l’écriture poétique, esquissée par ses ombres et le refus des impostures. 
Et dans Racine de tout, l’avant-dernier recueil, 1975, on retrouve des mots de l’essai de 1943, comme cette injonction à soi-même, "rayer". Et la partie titrée Allégories du poème nous fait recroiser l’abeille de l’essai, celle dont le miel dépend du "butin". Dans le poème le pollen est la glèbe aboutie, "le suc / aspiré". Le butin du poète c'est ce dont il se nourrit : expériences, contemplation des paysages, culture, êtres rencontrés.
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SOMMMAIRE, suite  :
 
. Recension, Misères de notre poésie, essai, 1943
 
. Recension, Racine de tout, recueil, 1975
 
. Citations (essai et recueils)
 
. Bibliographie sélective
 
. Lien (thèse au Canada)

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gabriel audisio,audisio,poésie,misères de notre poésie,racine de tout,livres,citations,louis branquier,henri bosco,jules roy,francis ponge,jean pélégri,edmond charlot,aux vraies richessesESSAI. Misères de notre poésie, lecture essentielle.
En exergue, l’avis introductif cite Voltaire et Dante, pour affirmer la volonté de dire : dénoncer les compromissions, les faiblesses, les complaisances, les lâchetés, les artifices. Éclairer, au risque de déplaire. Mais éclairer "ses ennemis mêmes", "gratter" ce qui doit l’être. L’avis précise qu’il ne nommera pas, utilisant des pseudos et brouillant les pistes. 
L’ouvrage, en neuf chapitres, fait alterner des paragraphes et des fragments aphoristiques très brefs (une ligne, deux, trois). Il considère que la poésie qui renonce à ce qu’elle fut n’est plus la poésie. Ce n’est pas un choix traditionaliste mais une exigence vitale. Exprimée dès le premier chapitre.
Le cœur, le chant, la mémoire : 
"Poésie qui ne chante pas n’habite pas la mémoire".
Férule des férules, le deuxième chapitre, questionne l’autorité illégitime, usurpée, une comédie des conventions, la soumission complaisante à ces "lois secrètes de l’Ordre" qui s’allient à des stratégies d’ambition : apprécier ce qu’on croit qu’il faut apprécier. Et à la question de Cyclope sur le nom du "vrai critique de poésie", c'est Ulysse qui répond : "Personne". 
Aversion pour la critique qui "jargonne de philosophie". Et pour   l’inauthenticité des admirations par conformisme, de qui parle sans dire ses "goûts et dégoûts" (mais "dégoûts justifiés", : "dites pourquoi"). Il va plus loin : "Nul n’est tenu d’admirer l’admirable". 
Ce n’est pas "ce qu’est la poésie" qu’il veut définir (ce que "les critiques s’évertuent à dire") : "Et s’il fallait prendre le problème par l’autre bout ?". Non, dire ce qu’elle ne doit pas être.
 
Tout le troisième chapitre traite de l’ampleur, fausse qualité : "Confusion trop fréquente entre l’ampleur et la grandeur, entre l’abondance et la force : Dante écrit un poème de quinze mille vers, et il est Dante 'malgré' les quinze mille". Alors que l’auteur médiocre, écrivant le double, "ne sera pas un autre altissime 'à cause de' ses trente mille". Cela fait écho à ce mot, "rayer", présent dans l’essai et dans un poème de Racine de tout, ou à cette répétition : "ciseaux ciseaux ciseaux", même poème. Écho, encore, ces vers du poème Longueur de temps, publié dans le dossier Audisio de la revue Sud, pages des inédits :
"Il faut rayer mille images
 Pour durcir le diamant du mot."
Dans le chapitre de l’essai, Misères de la grandeur, il écrit : "Rien ne dure qui ne soit dur, qui ne résiste à la main, aux dents, aux larves". Mais il précise ("correctif" qui suit) : "Il y a dur et dur : un caillou peut résister moins qu’un muscle. On dit que S., dans ses poésies, enchâsse des diamants : mettez-y l’ongle, ils s'effritent".
 
Rejeter l’imposture de la quantité n’est pas la remplacer par l’imposture du bref pour le bref. Car… "Tous les vers les plus courts ne font pas les moins longs poèmes (…). Et les plus concis ne sont pas toujours les plus brefs : il en est qui bavardent avec des monosyllabes."
Complexité de la réflexion. En effet, pour Gabriel Audisio, qui nuance ses propositions par des "correctifs" (titrés ainsi), ce n’est pas la forme apparente qui dit la valeur, la "grandeur". L’exigence est plus radicale. La qualité d’une écriture, pour lui, c’est son adhésion avec la force de la pensée, l’intégrité de celui qui écrit, la concordance entre le texte et la rigueur intérieure. Cette capacité de "rayer" n’est pas formelle, ce n’est pas couper pour couper. C’est l’aboutissement d’un processus de pensée pour l’adéquation totale de ce qui est saisi par l’esprit avec les mots, la phrase, le vers, qui traduiront.
 
De nouveau il revient sur la notion du "goût". Au sujet de la "pathologie" des mauvais choix, il affirme la "prophylaxie" : "le goût".
Plus loin, il dénonce des postures. Et le piège de la mode : "La poésie est à la mode, la mode est à la poésie". Mais… "Qui dit mode dit mort."
 
"Le temple de mémoire", ou chapitre pour rappeler que la poésie a une histoire : l’ignorant croit découvrir, vierge de précurseurs. Illusion. 
 
La vanité des poètes peut se cacher dans le mépris du nombre. Qui est beaucoup lu perd en prestige, pour certains, car perdant en mystère, en secret, en réclusion affichée : "Peu d’élus, tel est l’orgueil de toutes les hérésies".
 
Autres impostures, celle d’une religiosité à la mode, les faux mystiques parlant en excès de Dieu, avec une majuscule, et empêtrés dans leur dieu, avec la minuscule… Or… "Une certaine manière de chercher la clarté céleste ramène tout droit à l’obscurantisme." Religiosité engagée qui produit "la littérature militante" : l’œuvre médiocre peut être maquillée par son sujet. 
Pascal, "pris par Dieu", note-t-il, rompit avec "les cénacles littéraires". D’autres, au contraire, utilisent Dieu pour se faire reconnaître : imposture.
Et… "Le vertige pascalien, lui, ne fait pas carrière", écrit-il, plus loin
Mais peu importe, dit Audisio, que ce soit "présence de Dieu" ou "absence de Dieu", ce n’est pas cela qui fait la valeur du poème. Et le mondain qui versifie sur Dieu ne sera pas pour autant un ascète saint.
Au sujet des mystiques authentiques auteurs d’une grande œuvre, comme Jean de la Croix et Thérèse d’Avila, Audisio parle de l’expression de leur foi dans des poèmes comme d’une création "par surcroît". Car "ils vivent pour Dieu d’abord". Des "saints". Quand d’autres sont auteurs d’abord : c’est Dieu, pour eux, qui est "par surcroît", et c’est là qu’est leur imposture.
 
Le dernier chapitre tient en quelques lignes. Moralité, indique le titre. Épilogue, pour dire qu’il a traité de "ce qu’il aime".  Pardonné ? — "Par ceux-là seulement qui comprendront qu’il a beaucoup aimé".
 
Ouvrage de 1943… Audisio fut résistant, comme Camus, Char, et quelques autres. On l’emprisonna, pour cela. Les compromissions et impostures qu’il critique mêlent art et idéologie. Pendant l’Occupation cela prenait évidemment une signification plus grave. On peut interpréter, notamment, le chapitre quatre, Parasites en liberté. Liberté d’écrire de telle ou telle façon ? Ou, plus, manière d’être libre au point de résister ? (Ce qui ne veut pas signifier, pour lui, faire de la poésie engagée : il ironise au sujet des militants de la religion, les autres ne l’intéresseraient pas plus). La liberté ? "Se battre pour la défendre et non pas la chanter en pantoufles." Et… "Mourir de liberté n’est pas mourir pour la liberté". Ces phrases correspondent à la fois à ce qui peut définir un rapport au poème qu’on écrit et un rapport aux choix qu’on fait sous l’oppression. Pour Audisio c’est une question d’intégrité, de cohérence intérieure, d’authenticité. 
 
Audisio, s'il vivait encore, aurait ajouté deux chapitres à son livre. Il aurait parlé d’autres impostures, voisines des sujets qu’il a abordés. 
Celle de l’immédiateté contre le silence de l’œuvre en chantier. Ainsi ces poèmes du jour (termes oxymoriques), publications d’autopromotion louées sur les réseaux sociaux, où la plus grande médiocrité côtoie l’exigence, plus rare, dans une fréquentation qui dilue les critères. Il aurait rejoint, ainsi, la réflexion d’Arnaud Forgeron recensant, dans la revue À L’Index n°41, un ouvrage de Claire Légat, et louant sa capacité de long retrait pour le travail dans l’ombre avant toute publication. Lui qui oppose à cette exigence "l’engorgement du trafic qui semble sévir en poésie et dans nos sociétés de l’immédiateté". Audisio aurait été d’accord, aussi, avec les passages de mes posts ou notes où je dis ma lassitude à ce sujet. Et ma tristesse. Confusion faite, souvent, entre silence et stérilité créative. 
L’acuité d’Audisio aurait combattu les dérives idéologiques à la mode depuis quelques années, accueillies par des complaisances, des complicités. De la bigoterie flirtant avec des extrémismes identitaires (et tellement loin de toute spiritualité), jusqu’au théâtre de fausses subversions enlaidissant la langue et faisant mentir des concepts (comme celui de liberté, pour en faire une prison), en passant par le dévoiement de poètes (censés savoir lire…) séduits par le conspirationnisme… 
 
Audisio, Audisio, écrit Jules Roy, lui rendant hommage dans une plainte et un remerciement, pour l'écriture de sa douloureuse et magique somme de souvenirs, L'opéra fabuleux. Et je reprends encore, mais cette fois avec un sens décalé : Audisio, Audisio, tu nous obliges à la lucidité. Vigilance d’héritiers. 
  
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gabriel audisio,audisio,poésie,misères de notre poésie,racine de tout,livres,citations,louis branquier,henri bosco,jules roy,francis ponge,jean pélégri,edmond charlot,aux vraies richessesDans le recueil Racine de tout (1975), où je lis une épopée de ce Tout de l’humanité, Gabriel Audisio écrit aussi une épopée de la parole. Non dans une perception hiérarchique de ce qui est, mais à partir, comme le dit le titre, des commencements souterrains, cet archaïque rhizome à la source de tout. Recherche du sens dans l’horizontalité des causes. "Chercher"… "à la racine du mal". Car qui aime la vie, comme le méditerranéen absolu qu’est Audisio, sait le malheur des siècles humains. 

Ce monde des racines est celui des "allégories du poème". 
Le premier vers du recueil est un programme : 
"gratter râcler fouiller". "Il faut creuser", autre vers, plus loin. Creuser pour tenter de comprendre comment la source, ces "milliers de graines finies" ont produit ce qui existe. Comment le futur naît du lointain passé de la graine, futur collectif et possible individuel : "On ne sait pas ce qu’on nourrit en soi".
"Dans la racine
 Tout."
La réflexion sur la naissance du vivant mêle nature et mots : 
"Les fleurs les noirs les phrases".
Et
"Plante advenue
 La parole formulée
 A-t-elle le droit de mourir ?"
La démarche de plongée en profondeur pourrait "extraire" la réalité de ce qui fut fondateur, vie comme malheur, mais aussi l’aube de la création :
"Pour y trouver le chiffre
 Peut-être du poème."
(…)
"Mais la plante révulsée en appelle
 Pour délivrer le mot
 Racine d’or."
 
Allégories, les animaux (la taupe, l’oiseau, l’abeille).
La taupe, qui creuse.
L’oiseau, qui sème, et dont l’envol est similaire au mouvement de la parole.
L’abeille, qui crée son miel, par ce qui surgit "de la glèbe… au pollen".
Écrire c’est donc s’inscrire dans le même processus que celui des abeilles. Rendre, par les mots, ce qui vient de la germination souterraine des racines : 
"Trouver le secret d’être nourri
  Par chacune d’où sort le suc."
Déchiffrer ces "racines / indéchiffrables". Aller, de la "glèbe", au "suc", le créer, en "abeilles du parler".
 
La conscience humaine n’entend plus la lointaine "nuit des origines". "Mutisme", "silence"… Mais cependant, toujours, la tentation de la parole. Muette origine, muet humain, ou "sourd". Serait-ce, alors, le défi de la poésie, que lutter contre cette surdité ? Entendre et traduire ? Et, justement, faire de la surdité handicapante une autre capacité, celle de saisir ce que l'écoute normalement ne sait pas : capter l'insaisissable. 
"Tout est encore à dire
  Et rien n’est entendu."
 
Le parcours des éléments structure le recueil : eau, air, feu, terre. Matérialité de la nature. Poésie qui fait que se traversent les univers de la terre, de la mer, et de l’homme : même source de chair vive sous des formes différentes. 
Eau. C'était "la rosée", le "plus dormant des secrets", puis "la mer des origines, la mère l’eau", source gelée, ou fleuve qui "crée la mer".
Air. Celui de la "rose des vents", d’est en ouest, du sud au nord (sous-titres : E, O, S, N). C’est, Est, "l’air mouvant" du "murmure" des feuilles. Ouest, ce souffle du vent "qui chasse la mémoire". Sud, le "vent du sud" du poème dédié à Jules Roy, celui de l’univers du "sel sable soleil" et de la palmeraie,  "les trombes rouges du désert" qui déploient le sable sur  "les villes étonnées". Nord, vent "magistral" c’est "le vengeur", "le maître des hauteurs". L’air c’est le "règne du vertical", qui va vers le monde des pléiades, des étoiles, des galaxies. Et rencontre la pensée du vide.
Feu. "Premier feu" (…) "La foudre’" Mais phare qui guide, lumière, "volcans funèbres", le "grand incinérateur" qui détruit tout en cendres, "jusqu’à l’ultime résidu", et nous rend aux premiers temps du monde.<

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22/03/2021 | Lien permanent

2. ANTISÉMITISME. Faits et réactions... (dossier, note 2/5)

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lls vinrent / firent griller nos vêtements / et notre peau /  Ils vinrent / pour brûler notre sang / nous étions les bûchers de notre temps.

Rose Ausländer 

Voir, sur Rose Ausländer, la page d'Esprits nomades...
"L'antisémitisme est un marqueur de la destruction des sociétés, et l'histoire nous l'enseigne." Vincent Duclert, "L'antisémitisme sans fin", Esprit, janvier 2019... https://bit.ly/2TccdWG
 
Des FAITS… 
Michel Jonasz témoigne, lors d’un rendez-vous sur la 2, pour parler d’une pièce de théâtre sur Einstein (ses drames personnels et la période du nazisme).
"Je me disais, heureusement que ma mère (qui a eu ses parents et quatre de ses frères qui sont partis en fumée par les cheminées d'Auschwitz) n'est plus là pour voir ça. Heureusement qu'elle n'est pas là pour voir les croix gammées sur les portraits de Simone Veil, pour voir marquer "Juden" sur la vitrine d'un commerçant juif ... Sarah Halimi et Mireille Knoll assassinées parce que juives, la mémoire d’Ilan Halimi souillée , et tant d’autres actes antisémites, encore hier… (l'agression visant Alain Finkielkraut, samedi 16 février 2019, à Paris, lors d’une manifestation de "gilets jaunes", alors que, simplement, il rentrait chez lui]. Elle me dirait... ‘Mais Michel, je ne comprends pas, ça existe encore ?' Eh bien oui…".
Émission, vidéo et page, FranceTv... https://bit.ly/2SfE1V6
 
Antisémitisme ? Série de faits récents et d'articles, à travers la page des tags "antisémitisme"sur 20 Minutes...
 
Actes antisémites recensés sur France Info
 
Émission sur le phénomène de la parole antisémite assumée
"Élie sans interdit". VIDÉO. Reportage d’Élie Chouraqui sur l’antisémitisme : la parole libérée (la parole des racistes et celle des personnes atteintes), I24NEWS. 
 
L’agression visant Alain Finkielkraut ...
Manifestation des G.Jaunes. Insultes antisémites contre Alain Finkielkraut (sale sioniste ! on est chez nous ! on est le peuple ! etc.) Pas étonnant, quand 34% des GJ croient au complot sioniste mondial, qu’il y ait infiltration d’islamistes qui y croient aussi. Et pas étonnant, quand certains leaders des GJ veulent un coup d’État. Car les islamistes veulent aux aussi détruire la démocratie et déstabiliser le pays... VIDÉO, Yahoo...
 
Alain Finkielkraut : "Quelque chose me gêne dans la mobilisation de demain" (de mardi 19 février). (…) "On y revient, on se mobilise contre, si j'ose dire, le bon vieil antisémitisme, (croix gammées, mot ‘ Juden") celui qu'on aime détester". Or "ce n'est pas lui qui était à l'œuvre contre moi en tout cas. Est-ce que c'est lui (ce bon vieil antisémitisme) qui est à l'œuvre de manière générale en France ? Je ne le crois pas. »  Il considère que "tous les partis républicains devraient être invités », RN compris (aux nombreux électeurs). 
Je trouve qu’il a raison. On combat les idées du FN, réelle extrême droite aux  réseaux problématiques. Mais, quand on fait front commun, on n’exclut pas du champ collectif ceux qui s’y seraient peut-être joints (d’autant plus que certains partis qui seront présents sont loin d’être plus clairs avec l’antisémitisme, mais sur d’autres bases idéologiques). Vidéo et page, France Info...
 
GILETS JAUNES. L’intox double d'un GJ sur la kippa
(1) Faire croire qu’un Juif manifeste tranquilement avec une kippa sur la tête, sans être agressé (pour démontrer que les GJ ne sont pas antisémites) : sauf que c’est un GJ pas du tout Juif, avec ses amis GJ.
(2) Relayer l’idée que la kippa protège de la répression. (Puisque, croient les complotistes antisémites, la police étant sous les ordres des Juifs, elle ne réprimera pas un Juif (Juif en apparence).
Décryptage sur FranceInfo... https://bit.ly/2T5Usrc
 
DES RÉACTIONS.
 
Réactions à l’augmentation importante des actes antisémites et aux agressions récentes... (Des articles, des dossiers, des déclarations, des émissions, des débats, des protestations, un appel à manifester le 19 février…). 

Témoignage et APPEL d'une rescapée d'Auschwitz, Magda Hollander-Lafon (danger pour tous, vigilance de tous...)... "Des tags antisémites, des croix gammées sur des murs ou sur le portrait de Simone Veil... Voilà des images que Magda Hollander-Lafon espérait ne jamais revoir. À 91 ans, cette rescapée du camp d'Auschwitz regarde avec effroi le retour de ces expressions antisémites, elle qui dit porter cette douloureuse mémoire dans la peau. "Quand le juif est en danger, le monde est en danger. On commence toujours par ce petit peuple-là", dit Magda Hollander-Lafon, rescapée d’ Auschwitz où elle fut déportée à 16 ans.". Émission, la 3. FranceTv,vidéo et texte... https://bit.ly/2Sbi6yj

Et, ainsi, un APPEL, en Provence, de 150 personnalités contre l'antisémitisme... "Les 150 signataires de la tribune font part de leur indignation totale et demandent une réaction républicaine forte, implacable et sans merci contre toutes celles et ceux qui se rendent coupables de tels agissements." Sur 20 minutes… 
 
TRIBUNE de Mario Stasi, LICRA. "La République doit se réarmer contre la haine". Trois directions. L'éducation dans le respect de la République, la réponse juridique du droit sanctionnant les infractions antisémites, la régulation de l'expression sur l'espace virtuel ("régulation numérique")... 
 
L’UEJF (Union des Étudiants Juifs de France) demande des réactions fermes (une déclaration"d’état d’urgence face à l’antisémitisme"). 
 
APPEL transpartisan à manifester mardi 19, Paris et autres villes). Même les partis non invités par le PS (qui a eu l’initiative) disent soutenir le combat contre l’antisémitisme. Mais certains des partis signataires de l’appel ont souvent été très en retrait de la lutte contre l’antisémitisme. (A noter que l’appel général contre le terrorisme avait suivi l’assassinat de Charlie Hebdo, pas celui des enfants de l’école juive de Toulouse). L'article ne le mentionne pas, mais on a appris qu'une certaine extrême gauche, comme le NPA, s'associait à un autre rassemblement, celui du PIR racialiste. Leur appel, même s'il mentionne l'antisémitisme, met l'accent sur le refus de... "l'instrumentalisation" de l'antisémitisme (et fait une liste de multiples racismes éventuels, pour ne surtout pas reconnaître le contexte particulier). Leur rassemblement fait le procès d'un antisémitisme dont ils réfutent la réalité, l'importance, et le caractère. On trouve de forts échos à cela dans les déclarations des responsables du LFI... (Instrumentaliser quoi, pourquoi? C'est très inspiré des thèses complotistes... Pour occulter le déni.)
Voir l'appel sur 20 minutes.
 
Regard extérieur… Article critique. L'écrivain et chroniqueur Amin Zaoui montre comment on peut, en France, se tromper sur ce que sont réellement des individus et des lieux. (Certains, ici, pratiquant la taqiya, masque idéologique, il faut une vigilance extrême pour ne pas se faire piéger, et savoir lire les indices... Mais d'autres, qui sévissent à visage découvert, en France ou à l'étranger, ne devraient jamais être sollicités d'aucune manière. Et pourtant…).
Liberté-Algérie...
...............................
Bertrand Delanoë, France Inter, 18-02-19
"Il ne faut pas dénoncer que l’antisémitisme, il faut aussi dénoncer les antisémites  : derrière cette vague qui est particulièrement dangereuse, il y a des gens qui profèrent des idées de haine". (…) "Tous ceux qui sont identifiés dans les médias, sur les réseaux sociaux, comme proférant des propos antisémites doivent être poursuivis fermement."
 
...............................
Mise à jour, 1er mars 19
"L'antisémitisme sans fin"
Vincent Duclert (historien : affaire Dreyfus, étude des génocides) rappelle, dans "Esprit", janvier 19, l’article d’Émile Zola, en 1896, condamnant l’antisémitisme, les luttes antijuives de l’extrême droite (article qui précède de près de deux ans son "J’accuse" pour défendre Dreyfus injustement diffamé et accusé). Vincent Duclert recense les différents courants de l’antisémitisme actuel, cinq. Et affirme que les luttes antijuives "du présent" sont très graves. Qu’il faut donc s’inscrire dans la lignée de Zola pour s’y opposer.
....
Les idées claires. FranceTV. 27-02-19
"D’où vient le mythe du complot juif?"
(Certains croient que les Juifs veulent dominer le monde...)
Texte de présentation et vidéo (légendes-textes). 
On peut écouter ou lire la vidéo aussi.

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17/02/2019 | Lien permanent

ALGÉRIE. Refus, élans, inquiétudes, et ESPOIR...

ESPOIR... 
ALGÉRIE… Comment ne pas suivre ? Un tel élan... Enthousiasmant, respectable, admirable, même, par la manière dont il est vécu et pensé. Pacifique, joyeux et triste à la fois. Joyeux, car, comme le dit Kamel Daoud, la peur a été cassée. Plus de peur d’affronter le régime. Plus de peur de provoquer des affrontements entre adversaires et soutiens du système (ou peur maîtrisée). Joyeux, l’élan, comme celui  de la danseuse au drapeau qui fait des pointes dans la manifestation, belle photographie, riche en symboles. Elle marquera l’Histoire, sa photographie. (Mais je ne l'ai d'abord trouvée que sur Facebook, sur une page, celle du livre "Alger sans Mozart", de Michel Canési et Jamil Rahman, Folio. Portrait de femme, aussi…). Imaginez une jeune femme élancée qui danse, cheveux au vent. On pourrait la penser Parisienne ou Madrilène. Une femme moderne, libre, d’évidence. Symbole de ce que peut être une Algérie libérée de la pression d’un clan dictatorial. Et, signe de ce qui est déjà en germe dans le pays, qui connaît, malgré le pouvoir, de multiples initiatives pour changer le quotidien (sociales, culturelles, environnementales, etc.). Avec, bien sûr, les archaïsmes qui tentent d’imposer obscurantisme et croyances aberrantes, les islamistes, moins agressifs (pas toujours) qui guettent, le complotisme, nourri, comme en France par la lecture de Russia Today, la voix du Kremlin… . Pays de fractures (mais on peut en dire autant, sur ce plan, de la France et de beaucoup d’autres, en ces temps de populismes et de nationalismes - au pluriel). Triste, l’élan, car portant l’inquiétude des risques de dérives et récupérations, et celle du manque d’alternatives. Mais les voix des intellectuels (universitaires, chroniqueurs, écrivains) portent à la vigilance.
En France, on suit. D’abord la diaspora algérienne et les Franco-Algériens, qui manifestent à Paris et ailleurs, et participent au débat sur les réseaux sociaux et autrement. 
Ensuite les natifs d’Algérie, Pieds-Noirs attachés au pays actuel, et Juifs pieds-noirs (se définissant ainsi ou pas), ayant des liens sur les deux rives (et plus qu’on ne croit, souvent par les villes de naissance, contacts maintenus, mais aussi par des réseaux professionnels, des coopérations diverses). 
Enfin les observateurs (presse, médias, politiques). Avec de la sympathie.
La jeune danseuse s'appelle Melissa Ziad. Et la photographie est sur la page du Matin d'Algérie (celle de la chronique de Tawfiq Belfadel sur les femmes dans ce mouvement, commentaire et lien en bas de note). Choix avisé.
Cette jeune femme est entrée dans l'Histoire. Et pas seulement celle de son pays.
D'abord, de ce pays... Mais symboliquement au-delà. Je vois cette danse comme un signe de l'humain à venir.
SI nous marchons vers cela. La beauté, plutôt que les cris. Sens universel. 
Lien. Pour la PHOTOGRAPHIE, même si le haut est coupé (dommage). Pour l'article c'est plus bas... 
 
La presse française et internationale a couvert aussi les manifestations et relayé des analyses et questionnements.
L’Union européenne a appelé au respect des droits des manifestants. Manière de soutenir, tout en rappelant les liens entre l’UE et l’Algérie… AlgériePart… (D'autres signes et appels similaires suivent, d'après la presse algérienne). Europe, UE :
"La France a-t-telle son mot à dire sur l’Algérie ?" (Risques d'interprétations 
négatives ?).
"Si la France soutient la rue, ce sera de l’ingérence. Si la France
soutient le pouvoir, c’est la main de l’étranger. Dans les deux cas, la France
ne peut que produire un silence assourdissant’’.
Naoufel Brahimi El Mili, politologue. France Culture,4 mars 19… 
https://bit.ly/2ETQR7H
La France réagit, cependant, discrètement, lentement...
Diplomatie.gouv Site officiel. Réponses de Jean-Yves Le Drian,  ministre des Affaires étrangères. 
France 24, 06-03-19. "Pour Jean-Yves Le Drian il faut laisser le processus électoral se dérouler en Algérie."
 
....................
Les FAITS...
 
Refus du 5ème mandat
Dès janvier, le boycott des élections comme riposte.
JeuneAfrique, 25-01-19. "Présidentielle en Algérie, le front du boycott s’élargit"…
Manifestations partout
Des milliers de manifestants (puis beaucoup plus…)… 
Le Parisien, sur les manifestations,
22-02-19. "Manifestations tendues contre un 5ème mandat"…
 https://tinyurl.com/yxc4eo83
Courrier international, REVUE de PRESSE. 
"En Algérie des milliers de manifestants crient leur colère
contre Bouteflika
"...
https://tinyurl.com/y4qjap8l
Belle photographie d’une manifestation… 
BFMtv… https://tinyurl.com/yyu83jc8
Et la diaspora algérienne s’engage…Le Figaro, 28-02-19.
"En France aussi la diaspora descend dans la rue contre Bouteflika"...
 
Mais... Diaspora (et.. autre diaspora)… Fausse note. La Grande mosquée de Paris soutient le 5ème mandat de Bouteflika, y mettant même un budget. Elle se compromet nettement. TSA Algérie, 27-02-19. "La Grande mosquée de Paris au secours du candidat Bouteflika"… https://bit.ly/2HbQpV5
………..
Bouteflika se représente et promet des élections (ensuite…)…
Citations..."Cette nouvelle candidature fait bien sûr aussi la Une de la presse ce lundi. Le journal El Watan titre que le président, par sa décision d’être candidat, défie les Algériens. Dans son éditorial, le quotidien francophone estime que cette décision est une humiliation insupportable." 
"Pendant ce temps, sur les réseaux sociaux, les appels à la désobéissance civile sont relayés en masse. Plusieurs centaines de milliers d'internautes ont d'ores et déjà fait savoir qu'ils participeraient au mouvement."
"Les promesses de Bouteflika n'apaisent pas la colère"RFI, 04-03-19… https://tinyurl.com/y6hg22sa
 
Le Point, 7 mars 19. "Algérie : le 5ème mandat fragilisé par une série de défections importantes." (Et par les informations sur la santé d’Abdelaziz Bouteflika, données par les médecins qui le suivent à Genève)… https://bit.ly/2H63gb6
 
REVUE de PRESSE, France Culture… Au 2 mars 19… 
....................
ANALYSES
 
"Pourquoi la jeunesse algérienne dit non." Omar Belhouchet, Marianne,
1er mars 19.
(Quatre grands paragraphes lisibles en ligne... L’essentiel…).
Omar Belhouchet est le fondateur d’El Watan.
Ce défenseur de l’état de droit dit que le 22 février a été un
'tournant historique’ dans le pays, avec cette jeunesse dont il loue
la maturité. Et il rappelle ce que sont les refus exprimés
par les jeunes (le régime, le système et sa corruption)…
 
La situation actuelle, 2019. 
Analyse approfondie d'El Mouhoub Mouhoud, universitaire (économie), Paris Dauphine.
Citations..."Il est tout d’abord désolant de constater que la préoccupation essentielle de certains observateurs en France, relayant la crainte des autorités, réside dans la peur d’un afflux massif d’immigrés. La « stabilité » garantissant la mise à distance des candidats potentiels à l’émigration vaudrait elle mieux que les espoirs du changement auquel aspire une jeunesse nombreuse et délaissée ? Il est vrai que ce fut déjà la première réaction du pouvoir politique en France au moment du déclenchement de la révolution tunisienne en 2010. Il serait bien plus utile de chercher à mieux comprendre les bases profondes de ce nouveau soulèvement." (...)"Ces propositions ne sont possibles que si une réforme profonde de l’État est réalisée. Il va sans dire que le préalable réside dans la lutte radicale contre la corruption à tous les niveaux et la mise en œuvre de mécanismes garantissant la transparence. Ce dernier point sera au centre des changements que réclament les Algériens." The Conversation, 1er mars 19, "Algérie, économie politique d'une rupture annoncée"… https://tinyurl.com/yxpwe5do
…………..
L’article de The Conversation ci-dessus répond indirectement à celui du Parisien qui parle de l’inquiétude française qui serait de voir s’installer en Algérie l’instabilité… Lien ci-dessous. La France n’a pas à soutenir silencieusement le maintien d’un régime mafieux et dictatorial pour des intérêts discutables et des peurs fantasmatiques… Le Parisien, 26-02-19. "Contestation en Algérie : ce qui inquiète la France"… https://tinyurl.com/yylc3q3f
.

L’état politique… 

"Thomas Serres est lecturer au département de politique à l’université de Californie, Santa Cruz, et chercheur associé à l’UMR développement et Sociétés. Il a publié des articles dans plusieurs revues à comités de lecture, dont « En attendant Bouteflika. Le Président et la crise de sens en Algérie », Année du Maghreb (2014). Il a également dirigé un ouvrage collectif avec Muriam H. Davis, intitulé « North Africa and the Making of Europe », Bloomsbury (2018). Il s’apprête à publier un ouvrage consacré à l’Algérie de Bouteflika chez Karthala, intitulé  'L’Algérie face à la catastrophe suspendue. Gérer la crise et blâmer le peuple sous Bouteflika (1999-2014)' (prévu pour mars 2019)." (....) "Pour le spécialiste de l’Algérie, le mouvement de contestation actuel en Algérie possède ses propres spécificités, ce qui permet de sortir de la « logique catastrophique » de la Libye et la Syrie."... Les clés du Moyen-Orient, 03-03-19. "Entretien avec Thomas Serres","En Algérie…"… https://tinyurl.com/y4vcu4p7

.
Aspiration au changement ou révolution ?  L’Orient le Jour, 07-03-19.
"Une prudente aspiration au changement plutôt qu’une révolution."
 
La question de la fraude électorale, par Mourad Benachenhou. (Citations... "L'Etat algérien actuel n'est ni algérien, ni démocratique, ni populaire." (..) "La normalité du quotidien masque l'anormalité du système politique algérien.")
Le Quotidien d’Oran, 03-03-19
 
..................
Des universitaires réagissent."Déclaration...". Actu-Fil...
https://tinyurl.com/y4wftaup
.
Les écrivains s’expriment, analysent, prévoient..
 
"Les écrivains algériens décrient le 5ème mandat", 
El Watan, 04-03-19...https://tinyurl.com/y69uss93
.
Kamel Daoud
Déjà, au moment du 4ème mandat, Kamel Daoud exprimait sa colère. Son texte a été repris cette fois par des lecteurs, notant qu'il suffit de dire 5 au lieu de 4, et tout reste valable. le texte est assez visionnaire, prévoyant
ce grand élan du peuple...
Citation... "Vous allez nous laisser un pays corrompu,
exsangue, défait, ridicule, mort, sans don et humilié
et cette humiliation on vous la rendra. C’est une
promesse et un serment. Ce peuple qui, selon vous
ne vous mérite pas, vous n’en méritez pas la terre.
Ils vous survivra et s’éveillera et vous renverra
vers le désert qui vous sied si bien. La cours des
comptes sera cette fois celle de l’histoire.’.
 
"Honte à toi Bouteflika",
Algérie Focus, 02-03-19https://tinyurl.com/y5c8fsxd
Et en 2019 Kamel Daoud voit une évolutio

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04/03/2019 | Lien permanent

UKRAINE. INITIATIVES solidaires... Poésie, art, et associations impliquées...

Chevtchenko  âme.jpgLa solidarité, c’est aussi l’engagement des internautes qui, sur les réseaux sociaux, répondent aux militants d’extrême droite et aux trolls très investis dans la propagation des intox. (Répondre, et, pour cela, s’informer au plus près des données transmises par les journalistes, tant les reporters de guerre que les analystes et commentateurs, et auprès des spécialistes de l’histoire et de l’actualité de l’Ukraine et de la Russie, le pays agresseur).

En lisant la presse, en écoutant, regardant, la télé (les images font comprendre plus que des mots, souvent, et les témoignages d’Ukrainiens entendus de loin).

Parmi les sites précieux, desk-russie (une mine d'informations et d'analyses rigoureuses). Dans le dernier numéro, 27 (articles lisibles en ligne sur le site), un film d'archives (et de témoignages) sur le Donbass est présenté en précommande, La Cacophonie du Donbass, d'Igor Minaiev (sortie le 18 mai). Il a pour but d'aider à "comprendre les origines de la guerre en Ukraine". Il "déconstruit la propagande soviétique puis russe". (Utile car un documentaire, très controversé - d'une poutinienne - est très diffusé par les réseaux complotistes)... https://desk-russie.eu

C’est, bien sûr, la solidarité, l’action des pays occidentaux qui livrent des armes pour aider la résistance des Ukrainiens contre l’envahisseur et ses crimes de guerre. (Et qui participent à la documentation pour garder traces et preuves, comme le font notamment des gendarmes français spécialisés).

Ce sont les rassemblements sur des places ou des marches, et les interventions de responsables de diverses structures…  

Et l’accueil, par ceux qui le peuvent, de réfugiés. Plus les convois humanitaires pour des dons et des transports (de réfugiés, aussi). 

Dire non à la guerre prend des formes nouvelles, par la diffusion de la culture ukrainienne, art et littérature, mais aussi par la création (poésie, art) et la publication de chroniques, d'essais (et la rediffusion de ce qui a déjà été publié, alertes parfois trop négligées).

Parcours de plusieurs initiatives…

Testament.jpgÉDITIONS qui ont des collections publiant des poètes ukrainiens…

Seghers (avec, notamment, son ouvrage de la collection Poètes d’aujourd’hui, 

sur Tarass Chevtchenko)... https://www.lisez.com/seghers/livres/4

Et Notre âme ne peut pas mourir, de Tarass Chevtchenko, que Seghers republie, 

aux bénéfices de l’AMCFU France-Ukraine (aide aux réfugiés)…  https://www.leslibrairAMCFUes.fr/livre/20885462-notreâme-...

L’Harmattan, coll. Présence ukrainiennehttps://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalog...

Les Éds Bleu et jaune (dont un récit d’Artem Chapeye, traduit de l’ukrainien)... https://www.editionsbleuetjaune.fr 

Christophe Chomant éditeur (anthologie de la poésie ukrainienne et recueil de Dmytro Tchystiak, Verger inassouvi, bilingue ukrainien-frnaçais)… http://chr-chomant-editeur.42stores.com 

POÉSIE 

J’ai déjà cité le travail de Marc Georges, qui traduit un poète chaque jour depuis le début de la guerre et le publie sur Facebook. Le but est de réaliser une anthologie qu’il fera imprimer en Ukraine après la fin de la guerre, au bénéfice de la reconstruction du pays. 

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Ce recueil de Jean Lavoué, c’est un élan, envol du cœur pour porter un acte solidaire. En exergue, René Guy Cadou et Xavier Grall. Cadou, qui associe le chant d’un oiseau, dans le silence des ruines, désastre de la guerre, et le chant du poète devant les mêmes ruines. Et Grall qui dit la douleur, la souffrance. En quatrième de couverture, une citation brève, trois vers, puis un paragraphe pour présenter l’intention en rappelant les faits, la guerre lancée par la Russie, et une citation de Tarass Chevtchenko, ce poète ukrainien si important dans la conscience de l’identité nationale ukrainienne. Deux vers…

Notre âme ne peut pas mourir,

La liberté ne meurt jamais.

Intégré au cœur des pages un poème d’Armand Robin, Le programme en quelques siècles (La fausse parole), critique radicale et lucide de l’évolution idéologique du monde. Texte précédé par le poème de Jean Lavoué qui lui rend hommage, pour avoir su dénoncer le système soviétique quand tant en faisaient l’éloge, malgré la réalité de la famine génocidaire provoquée par Staline. (J’ai vu récemment la reproduction, fac-similé, d’un article de L’Humanité d’alors, niant les faits et parlant de propagande anticommuniste pour tout écarter en une phrase).

On feuillette le livre et on voit des dessins (dont celui de Tim Wootton, Une mésange bleue pour l’Ukraine * Paix / Blue tit for Ukrain* Peace), des photographies (mimosa sur ciel bleu, ou lumière trouant un sombre ciel nuageux, symbole d’espoir), une peinture (de Déborah Chock), une « fenêtre  ouverte » en face du poème d’Éluard qui l’évoque, La nuit n’est jamais complète, en guise d’excipit.

Début du livre, le premier poème de Jean LavouéJquestionne la place de l’oiseau dans le ciel ukrainien pris sous les bombes…

   Reste-t-il encore des oiseaux à contempler 

   Dans le ciel d’Ukraine,

   Y entend-on toujours leur chant ? 

Texte suivant, écho, chant contre chant, l’auteur évoque la difficulté de l’écriture face à la mort. Mais justement pour dire l’espoir de paix, et pour être part de ceux qui donnent courage, il écrit…

    Les mots nous sont retirés de la bouche,

    Nos poèmes meurent sous les bombes

    Avec ceux que l’on assassine à Kiev, à

    Marioupol et à Kharkiv. 

Évocation de Christiane Singer pour un poème où l’auteur oppose ce qui vient du cœur, « force rayonnante », à la violence.

Puis, poème suivant, espoir…

 Le juste triomphera. 

Autres poèmes, CITATIONS… 

   Il faut si peu de mots pour haïr, 

   Une pluie de bombes suffit. 

Pensée pour les Russes contre la guerre, aussi…

   Risquant des peines de prison

   Parce que, dans leur pays,

   La vérité est devenue un crime. 

LIENSDes ailes pour l’Ukraine 

Éds. L’enfance des arbreshttps://www.editionslenfancedesarbres.com/des-ailes-pour-... 

Revue Refletshttps://revue-reflets.org/des-ailes-pour-ukraine/

Bretagne actuellehttps://www.bretagne-actuelle.com/des-ailes-pour-lukraine...

Ouest-France…  https://www.ouest-france.fr/culture/livres/des-poemes-pou...

J’ai vu que des lectures de poèmes, DE et POUR l’Ukraine, étaient organisées dans diverses villes et à l’étranger. Paris, province. Québec, Espagne, Italie, etc. On ne peut tout énumérer… 

Des expositions de poèmes solidaires. Ainsi sur le mur Lennon de Prague.

Mur Lennon, voir le 2ème lien du Jeudi des mots, ci-dessous, car l’illustration est une photographie du mur chargé de poèmes…).

ukraine,stand up for ukraine,solidarité,poésie,art,jean lavoué,l'enfance des arbres,marilyne bertoncini,recours au poème,jeudi des mots,oxybia éditions,raphaël pitti,uossm,notre âme ne peut pas mourir,seghers,amcfu france ukraine,des ailes pour l'ukraine,rebecca morrison,illuminationsgalerie,éditions levantMarilyne Bertoncini, poète et revuiste (Recours au poème, Jeudi des mots) a lancé une opération poétique ambitieuse, un appel, invitation proposée à des poètes du monde entier. Écrire un poème pour la paix, solidaire de l’Ukraine. Une centaine de textes sont arrivés, de nombreux pays. Publiés petit à petit sur le site Jeudi des mots. Lecture et exposition le 28 avril à Nice. Un livre collectif sera édité par Oxybia éditions (au bénéfice d’une association d’aide à l’enfance dans la guerre).

Dernier volet, annonciateur de la fin, projet réalisé…  (C’est celui où mon poème est lisible, Des mots en bleu, et le poème de Consuelo Jiménez, La guerra, avec ma traduction). Plusieurs autres textes, dont celui de Jean-Claude Bourdet (et en marge droite de cette page, liens vers les pages précédentes et tous les autres auteurs)… http://jeudidesmots.com/mots-de-paix-et-desperance-suite-7

J’ajoute un lien, celui d'une page de Jeudi des mots, 7 avril 22, rendant compte d'un événement à Prague, avec l’introduction de Marilyne Bertoncini qui fait le lien avec son projet de livre, et un poème de John F. McMullen, poète américain, La communion des poètes, où, sous sa photographie du mur Lennon de Prague, il parle de l’initiative WeStandWithU de Poetizer (groupe international, lien sur la page)... http://jeudidesmots.com/la-communion-des-poetes-par-john-...

Voir aussi, note Littérature ukrainienne, la publication de poètes ukrainiens sur Recours au poème et autres sites ou blogs. Jeudi des mots, voir la page du 7 avril 22, pour lire un poème de Serhiy Zhadan, auteur ukrainiens. Alors je vais en parler.

Le soutien vient aussi de tous ceux qui partagent les initiatives pour les soutenir, comme, pour donner un exemple parmi d'autres, la poète Rebecca Morrison (poète américaine qui vit maintenant en France) sur son blog illuminationsgalerie.wordpress.com, qui a fait une note sur le projet de Marilyne Bertoncini en partageant le lien 7 du Jeudi des mots... Note titrée "Poems of peace and hope by an international group of writers". (Je précise que de nombreux poèmes sont bilingues, traduits en français par des participants auteurs et traducteurs). En consultant la liste des catégories on trouve l'indication d'une publication bilingue de l'auteur (elle est publiée en revues aussi en France)...  https://illuminationsgalerie.wordpress.com

Je note aussi ce que fait Christophe Condello (poète grenoblois qui vit à Montréal). Ainsi, sur son blog, christophecondello.wordpress. Si vous cliquez sur la catégorie "Humanisme", vous lirez un poème de Lucie Poirier (accompagné de la photographie de sa performance dans les rues de Montréal), Boutcha. Texte de solidarité qui exprime de la compassion pour l'horreur de ce que vivent des femmes en Ukraine (viol, terrible arme de guerre) et dit son soutien aux actions de militants russes contre la guerre, leurs performances similaires à Moscou. Et suivent d'autres poèmes solidaires, d'auteurs divers. À lire, une note pour les textes de Vladislava Simonova, poète ukrainienne, qui voudrait ainsi "... Au moins transmettre quelque chose au reste du monde par ces haïkus. Transmettre la tristesse que je ressens au quotidien dans ce chaos qui n'en finit pas". La note parle d'un autre partage, une publication en japonais (précisions sur le blog). En descendant sur la page on peut lire aussi Christophe Condello, Nous esquivons des murs / avec des portes (poème accompagné par une photographie, celle de la fenêtre de Lev Shevchenko, qui a mis des livres comme barricade contre les éclats de verre en cas de bombardemen

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29/04/2022 | Lien permanent

ISRAËL. Un rapport d'Amnesty très critiquable...

Amnesty. LOGO.pngAmnesty a publié un rapport qualifiant Israël de pays d'apartheid. Terme qu'on a déjà eu l'occasion de trouver dans les critiques les plus haineuses d'Israël, en général associées à la mise en question plus ou moins explicite de l'existence du pays.

Avant de lire quoi que ce soit parmi les réactions diverses qui étaient publiées j'ai été choquée par ce rapport, mais pas très étonnée, car cela me paraissait correspondre à une orientation d'Amnesty de plus en plus partisane, et de plus en plus confuse idéologiquement au sujet de l'islamisme. (Comme dans leur manière de défendre, lors d'un rassemblement à  Paris, une avocate emprisonnée pour avoir défendu des femmes refusant le voile, et présentée par eux comme défendant le droit de se voiler ou pas... et rapprochée ainsi des positions d'associations proches des Frères musulmans, donc trahie). C'est dommage. Sur d'autres sujets je soutiens souvent.

 

Puis j'ai lu. Articles, tribunes, communiqués.

israël,palestine,amnesty international,antisémitismeLa réaction des adhérents de J-Call et de La Paix maintenant est particulièrement signifiante, car ce sont des militants très engagés pour la défense des droits de tous, Palestiniens comme Arabes israéliens ou Israéliens. Ces associations ne cessent de critiquer les dérives de colons extrémistes ou des carences de la société, et ils militent pour le droit des Palestiniens à avoir un État. Cependant ils refusent, à juste titre, que soit mis en question la légitimité d'Israël à exister (ce qui est souvent présent dans bien des attaques idéologiques qui visent ce pays - comme ce n'est le cas pour aucun autre, y compris des dictatures ou théocraties - sauf, hélas pour l'Ukraine niée comme État par le Kremlin impérialiste). Ils revendiquent le caractère démocratique du pays (qui le serait plus encore, je pense, s'il n'avait à lutter en permanence pour maintenir son existence et défendre sa sécurité).Lire ce communiqué, qui explique précisément pourquoi ils dénoncent l'abus du rapport d'Amnesty. https://fr.jcall.eu/communiques/amnesty-international-sur-israel-un-rapport-biaise-et-contre-productif-communique-de-jcall

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Mais avant même de lire j'ai décidé d'écrire à Amnesty et fini par le faire. Si j'étais israélienne je serais certainement dans l'opposition, adhérente d'associations... affrontant les extrémistes (il y en a dans tous les pays, donc logiquement là aussi, des faits le rappellent régulièrement : et c'est la presse du pays qui les dénonce), et... affrontant les colons belliqueux et les identitaires qui rejoignent des formes d'intégrisme. Condamnant le terrorisme aveugle du Hamas, je condamnerais ce qui lui ressemble chez des fanatiques. Je contesterais certaines lois et certaines carences. Mais je n'accepterais pas qu'on nie la légitimité du pays, qu'on refuse d'en voir le caractère démocratique (avec ses failles, la démocratie étant, partout donc là aussi, un combat permanent). Et je ne comprendrais pas que des critiques portent de manière obsessionnelle et disproportionnée sur ce pays, sans jamais faire le constat des abus de ceux qui veulent le détruire. Pas israélienne, je suis cependant de près l'actualité, et remarque que bien des initiatives fraternelles des uns ou des autres sont ignorées à l'étranger, nourrissant des rejets. Solidaire, je m'implique... Comptent d'ailleurs deux peuples, ma solidarité va vers les fraternels  sur les deux rives d'identité. (Cela aussi est souvent ignoré : il n'y a pas que haine chez les Palestiniens - disant 'les' Palestiniens on globalise souvent à tort, et certaines associations, notamment en France, capturent ceux qu'elles disent défendre). 

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Voici...

Ma lettre à Amnesty, envoyée le 22-02-22, et réagissant à leur pétition (qui allait dans le même sens que le rapport).

à amnestynews@amnesty.fr :

« Immonde pétition. 

Déjà que votre rapport sur Israël choque jusqu'aux Arabes israéliens qui le rejettent et le disent, eux qui sont représentés à la Knesset... Rapport idéologique démontrant une ignorance double : de la réalité d'Israël et de ce que fut l'apartheid réel.

Certes on peut critiquer les colonisations et des courants extrémistes, (quel pays n'en a pas ?) mais dans un contexte où le pire extrémisme est celui du Hamas islamiste, qui opprime d'abord les Gazaouis (on ne vous voit pas soutenir les dissidents de Gaza, pas plus d'ailleurs que le poète, pourtant palestinien, Ashraf Fayad, prisonnier en Arabie saoudite, et qui fut sauvé de la condamnation à mort par la solidarité internationale des poètes, pas par la vôtre).

Israël est la seule démocratie de la région, qui a subi le terrorisme et subit toujours des attaques de roquettes. (Mais cela non plus n'entraîne pas de dénonciation de votre part).

Je note un point remarquable dans votre dernière newsletter.

Sur la même ligne un soutien des hijabeuses du foot et la défense d'une iranienne, condamnée par l'idéologie que veulent imposer les hijabeuses. Schizophrénie.

D'un côté vous devenez très suiviste de l'islamisme, de l'autre vous cherchez à maintenir un rôle de défense sans voir que vous soutenez ce qui opprime les victimes en question.

Y a-t-il dans les instances militantes d'Amnesty des Frères musulmans suivant l'injonction de leurs maîtres, taqiya et infiltration, influence et prise de pouvoir dans les associations ? Il semble bien... »

Marie-Claude San Juan 

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LIENS... Compléments d'information.

Voici d'abord un bilan d'ensemble, tant du rapport que des réactions. Les Échos, 03-03-22... 

Les Échos, 03-03-22...  https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/le-rap...

Tribune de David Horovitz, Times of Israël, 06-03-22... Times of Israël est un journal de qualité, qui a pour éthique de rendre compte des faits, tels qu'ils sont, critiquant ce qui doit l'être (abus ou violences, dérives d'extrémistes ou lacunes gouvernementales) mais informant aussi de tous les faits fraternels ignorés par la presse étrangère. Un journal qui dit la complexité du terrain et les difficultés de la situation, comme les réalisations positives du pays.

David Horovitz est un chroniqueur d'une remarquable lucidité rigoureuse.  https://fr.timesofisrael.com/les-propos-damnesty-internat...

Amnesty connaît des tensions internes avec ce rapport. Et notamment le désaccord de la responsable d'Amnesty en Israël... (On retrouve aussi cette position critique dans la réaction de gouvernements divers, rejetant le rapport d'Amnesty - Canada, Allemagne, etc. Mais aussi, comme c'est mentionné dans certains articles, chez bien des Arabes israéliens qui se sentent ignorés par les conclusions de ce rapport qui ne tient pas compte de leur place dans le pays)... https://fr.timesofisrael.com/la-responsable-damnesty-inte...

Tribune de Yael German, ambassadrice d'Israël en France, JDD...  https://www.lejdd.fr/International/yael-german-nouvelle-a...

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PÉTITION contre le rapport d'Amnesty....  (pour documentation, info)...

Appel du Crif à la signer, voir pourquoi.. http://www.crif.org/fr/content/crif-rapport-antis%C3%A9mi...

La pétition, et le texte introductif qui motive l'appel... https://www.change.org/p/marc-eisenberg-rapport-honteux-d...e

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MISE à JOUR, 30-03-22. LIENS qui confirment la complexité d'un pays qui n'a rien à voir avec ce qu'en dit Amnesty. 

Très intéressant entretien avec Élie Barnavi, qui fut ambassadeur d'Israël en France.. Ce qu'il dit éclaire notamment la notion de sionisme, comprise par un citoyen d'Israël, historien très attaché aux valeurs démocratiques. Éclairé, lucide, critique quand il le faut, et s'affirmant sioniste, en expliquant pourquoi et comment (utile rappel, car le terme "sioniste" est utilisé régulièrement comme injure par des "pro-palestiniens" - ou se croyant tels, usant d'alibis à l'antisémitisme). L'entretien est fait à l'occasion de la publication de son autobiographie, "Confessions d'un bon à rien", éd. Grasset.... https://cclj.be/elie-barnavi-lexcellence-dun-bon-a-rien/

Élie Barnavi. Fiche Wikipédia... Qui rappelle qu'en 2014 il fut signataire d'une lettre de 660 personnalités israéliennes qui demandaient aux parlementaires européens de reconnaître l'État palestinien.... https://fr.m.wikipedia.org/wiki/%C3%89lie_Barnavi

Excellente note (de blog hébergé par Le Times of Israël) suivant immédiatement les récents attentats en Israël. Refuser la peur et refuser les pièges de la haine. Donc refuser ce que les terroristes veulent provoquer.... https://frblogs.timesofisrael.com/ils-ne-gagneront-pas/

Appel d'un élu arabe... https://fr.timesofisrael.com/nous-voulons-vivre-ensemble-...

//// MISE à JOUR, 17-04-22 ////

Témoignage d'un Palestinien sous le pouvoir du Hamas... https://fb.watch/clSVzsV7XQ/

Donc, d'un côté une critique interne, d'un Gazaoui confronté au pouvoir du Hamas. Mais aussi, de l'autre côté, on l'a vu, des militants israéliens critiques, ou soles citoyens s'exprimant. Et là, lisant le témoignage de Janina Hescheles, Les Cahiers de Janina, souvenirs du camp (de travail et de la mort) mais aussi du début des persécutions dans sa ville, Lvov,  je vois ce qu'elle écrit en épilogue. Son témoignage avait été noté après son évasion du camp, sauvée, à peine ado, par des résistants. Ses deux parents, eux, étaient déjà morts. En 2015, pour la publication qui suivra, elle ajoute une réflexion actualisée. Elle vit en Israël et a un regard critique. Elle ne supporte pas qu'on ait pu chasser des gens de leur village natal, elle se souvient de son passé, privée de sa maison, et s'identifie à eux.  Et dans le présent elle ne reconnaît pas à Israël le droit "de confisquer des terres, de détruire des maisons,  d'arracher des champs d'oliviers entretenus pendant des générations". Et elle salue le retour de manifestations où des Juifs et Arabes s'allient pour la paix, elle y voit un espoir... Mais elle ne nie en aucun cas la légitimité du pays à exister. 

Critiques internes des uns et des autres, chemin vers la paix.

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07/03/2022 | Lien permanent

Le monolinguisme de l'autre, de Jacques Derrida

Mono JD.jpgJacques Derrida (1930, El-Biar, Algérie - 2004, Paris) fut le co-fondateur du Groupe de recherches sur l’enseignement philosophique (Greph) et du Collège international de philosophie. Œuvre abondante (livres publiés par Galilée, Le Seuil, Minuit, des femmes…).

Pour commencer, trois exergues, citations de Jacques Derrida qui éclairent le contenu du livre commenté ici, Le monolinguisme de l’autre. [Sommaire de la note : exergues, commentaire, citations, bibliographie (livres de Jacques Derrida, livres sur lui), 3 articles et 2 textes (résumés + citations), sites....]

Néanmoins, dans la culture des Français d'Algérie et de la communauté juive des Français d'Algérie, une chose faisait que, malgré tout, la France n'était pas l'Algérie ; la langue française avait sa source, sa norme, son autorité ailleurs. Et, d'une certaine manière, on apprenait confusément, je l'apprenais confusément, comme la langue de l’autre.                                                                    Jacques Derrida, entretien avec Didier Cahen, diffusé sur France-Culture, le 22 mars 1986, publié sous le titre Entretien avec Jacques Derrida dans la revue Digraphe N°42, décembre 1987. Repris dans le livre Points de suspension. Entretiens (pp. 209-228, et p. 217, pour cette citation), Galilée, 1992.

Cette parole à circoncire, à circoncire pour quelqu'un, à quelqu'un, cette parole qu'il faut donc donner, et donner une fois circoncise, entendons-la comme une parole ouverte.
Comme une blessure, direz-vous. Oui et non. Ouverte d'abord comme une porte, ouverte à l'étranger, à l'autre, au prochain, à l'hôte ou à quiconque.          Jacques Derrida, Schibboleth pour Paul Celan (p. 103), Galilée, 1986.

Il me faut essayer d'écrire de telle sorte que la langue de l'autre ne souffre pas de la mienne, me souffre sans en souffrir, reçoive l'hospitalité de la mienne sans s'y perdre ou intégrer. Et réciproquement, mais la réciprocité n'est pas la symétrie […].  Cela doit s'inventer à chaque instant, à chaque phrase, sans assurance, sans garde-fou absolu. Autant dire que la folie, une certaine « folie », doit guetter chaque pas, et au fond veiller sur la pensée, comme le fait aussi la raison.                                                                                               Jacques Derrida, entretien avec François Ewald, Le Magazine Littéraire, numéro spécial Derrida, N°286, mars 1991. Repris dans Points de suspension. Entretiens (pp. 349-375, et p. 374, pour cette citation), Galilée, 1992.

Celan JD.jpgLe monolinguisme de l’autre (Galilée, 1996), est central. Il fait écho à Schibboleth, pour Paul Celan (1986, Galilée), répond à Feu la cendre (Éditions des Femmes, 1987, 1998), se médite et se prolonge dans le double Séminaire « Hospitalité » (cours 1995-1996 et 1996-1997, Seuil, 2021 et 2022). Tout est tissé, par ces titres et les autres…

En sous-titre de ce livre, page intérieure : ou la prothèse d’origine.

C’est un ivre sur la déchirure linguistique vécue par lui, enfance en Algérie, avant 62, famille juive autochtone, et réflexion sur les effets psychologiques, identitaires, et philosophiques de la complexe et paradoxale étrangeté du rapport à la langue non maternelle qui est cependant la seule maîtrisée, le français.

Jacques Derrida aborde le sujet de la langue d’une manière qui éclaire le paysage global de la vie en Algérie avant 62.

C’est une parole qui s’adresserait à quelqu’un pour lui faire comprendre son expérience avec la langue française (et ce fut d’ailleurs le premier état du texte, communication dans un colloque, ensuite remanié). Ou un dialogue entre soi et soi, car il n’est pas simple de déchiffrer et mettre au jour des réalités contradictoires (ce terme est employé pour insister sur la complexité, le paradoxe, du vécu, pour un autochtone juif d’Algérie (comme Jacques Derrida), qu’est ne penser et écrire que dans la langue qui est, en fait, la langue de l’autre : cela provoque une sorte de déplacement intérieur. Cette expérience concerne beaucoup de natifs d’Algérie, et pas seulement les Arabes, Berbères, Juifs, présents depuis des siècles. Car la majorité des Pieds-Noirs étaient issus des migrations méditerranéennes, ayant donc une langue racine qui n’était pas le français. (Et c’est peut-être aussi pour cela que le pataouète a pris pour eux une telle importance de substitution, ou de captation contre, mention personnelle, ce n'est pas un sujet dans cet ouvrage, mais c'est lié...). Contre l’arrachement linguistique augmentant l’exil, une volonté plus ou moins inconsciente de garder sa part étrangère, de ne pas être complètement assimilé, pas vraiment noyé dans le bain officiel. Le bilinguisme, ou trilinguisme étant une autre forme de résistance intérieure. L’expérience de ceux qui héritent de plusieurs langues, et vivent un plurilinguisme intime sous un monolinguisme de fait, est d’être traversé par un processus de traduction permanente. Et que les langues familiales soient perdues ou pas cela se fait autrement, le rapport à la culture linguistique n’étant pas, paradoxalement, limité aux mots : il concerne le corps, la perception du paysage, la gestuelle. Ainsi, même ceux qui n’ont pas appris l’arabe ont été imprégnés (le sachant ou pas) par l’esthétique du visuel de la langue. Écrire en ayant dans la main des cercles qui ne sont pas ceux de l’alphabet français. Lire avec une gymnastique intellectuelle qui trouve logique de regarder de droite à gauche. Donc ce que dit Jacques Derrida sur cette fracture de langue dans la langue qu’il utilise, cela peut parler à beaucoup. C’est une analyse sur les effets du processus colonial. Sur ce que cela fait psychologiquement, psychanalytiquement, intellectuellement. La langue capture. (Mais elle est aussi capturée, comme l’a dit Kateb Yacine, en voyant le français comme un butin de guerre). L’exil linguistique (c’est un peu de cet ordre) déstructure, mais il structure. Et Derrida, lui, interroge la contradiction performative apparente de ce qu’il énonce (avoir et ne pas avoir une langue sienne, non sienne mais pas pensée comme étrangère, précise-t-il). Il relie, dans ce livre, cette question de la langue à celle de l’identité, au trouble de l’identité (en n’y mettant rien de pathologique), en relation avec le souvenir de la privation de la citoyenneté française (la période de Vichy). Et, évidemment la langue et l’identité parlent, pour lui, de la nature de la colonisation. Notamment en évoquant (pp. 56-60) le double interdit de l’accès à autre chose qu’au français, et, aussi mais autrement, au français (cela ne concernant pas la maîtrise des langues, mais l’expérience complexe d’identification – tout étant légalement permis mais échappant de manière souterraine). Au-delà des interrogations subjectives, autobiographiques, l’écart linguistique rend possible le questionnement politique, autour de cette question de la langue maternelle des autres (pp.60-67). Intéressant aussi, ce qu’il dit (page 71) de sa trouble proximité avec la langue arabe (ce que j’ai évoqué ci-dessus pour le penser, pas de la même manière : pas du même lieu intérieur). S’il interroge l’identité et la mémoire, il ne veut pas (comme il l’explique pp.76-82) que dans la langue littéraire ou philosophique on puisse déceler son identité de « Français d’Algérie » (p.77), de « pied-noir » (p.80). Car la littérature découverte par l’enseignement reçu était sans continuité avec la vie algérienne. Une sorte de distance, de pureté (p.80), qu’il considère constitutive de la production intellectuelle et même artistique. S’il n’a pas perdu vraiment son accent c’est la part privée (et entendre René Char lire des aphorismes avec l’accent du midi l’a détourné des textes admirés plus tôt, même si l’accent n’était qu’à l’oral : l’exigence vaut pour autrui). Sa « nostalgérie » (p.86), il la traduit en fantasme d’une langue métamorphosée, ramenée dans cet ici de l’exil. Évocation (en note) du tatouage, sujet d’un film japonais : mot fort. Quatre belles pages (84-87), pour dire que ce tatouage-déplacement de la langue serait « son » indépendance de l’Algérie (p. 87) : notion intéressante, beau paradoxe, encore. Langue qui dit plus que langue, ce qui suit le montre, abordant la culture juive algérienne, contaminée par les rites chrétiens. Ramener la langue ici ce pourrait être y faire entrer les noms perdus. Et refus de mots et concepts transmettant une certaine métaphysique héritée de cette langue de l’autre (tant aimée, aussi). La référence à Celan (pp. 129-130) est une réponse méthodologique et philosophique : mettre Babel dans ce qui est écrit (et pensé). Car, écrit Jacques Derrida, il revient toujours à une langue d'appeler l'ouverture hétérologique (p.129). Donc d'aller vers ce qui lui est étranger, autre.

Ouvrir. (On retrouve cette idée dans le séminaire sur l’hospitalité). Et, finalement, la démarche, là et dans d’autres textes, a un but qui se dit un peu (p. 135) : finir par « voir » l’envers caché des ombres, des images, des images d’images, des phantasmes […] ou la vérité de ce qui fut vécu.

Présentation de ce livre par Jacques Derrida lui-même, page éditeur. Lienhttp://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2784

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Le monolinguisme de l’autreCITATIONS.

pp.13-14 : …quelqu’un qui cultiverait le français.

      Ce qui s’appelle le français.

      Et que le français cultiverait.

[…] …un sujet, comme on dit, de culture française.

[…] « Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne. » […] « Je suis monolingue. Mon monolinguisme demeure, et je l’appelle ma demeure, et je le ressens comme tel, j’y reste et je l’habite. Il m’habite. […] C’est moi. Ce monolinguisme, pour moi, c’est moi. »

p. 47 : Si bien que le « colonialisme » et la « colonisation » ne sont que des reliefs, traumatisme sur traumatisme, surenchère de violence, emportement jaloux d'une colonialité essentielle, comme les deux noms l'indiquent, de la culture.

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BIBLIOGRAPHIE et LIENS… Quelques LIVRES... DE Jacques DERRIDA (ordre chronologique).  Titres classés par éditions.

                             La Dispute

Déclaration  [Colloque. « 17 et 18 octobre 1961 : massacres d’Algériens sur ordonnance ? », (octobre 2000), texte in Le 17 octobre 1961, un crime d’État à Paris (dir. Olivier Le Cour Grandmaison)], La Dispute, 2001. Lisible en ligne, sur le site redAprenderYCambiar, riche espace bilingue espagnol-français, Derrida en castellano.] Lienhttps://redaprenderycambiar.com.ar/derrida/frances/declaration-derrida.htm

                               Minuit    (M.)

--- De la grammatologie,  M., 1967. [Lecture par François Wahl, La Quinzaine littéraire, 1967 (fragment, citation) : « Par une série de secousses de proche en proche, Derrida ébranle ainsi, sous le couvert d’une réhabilitation de l’écriture, pas seulement notre linguistique, mais tout le système d’opposés sur quoi repose notre pensée. »]

                              des femmes   (F.)

--- Feu la cendre, F., 1987, 1998. [Sur ce livre, ci-dessous, dans Textes, une lecture de l’ouvrage.]

                             Calmann-Lévy   (C.-L.)

--- De l’hospitalité précédé d’Invitation, avec Anne Dufourmantelle, C.-L., 1997. [Hospitalité, hostilité, frontières, altérité, étrangers, exil, conflits…]

                             Galilée (G.)

--- Glas, 1974, G., rééd. 2004.

--- Schibboleth : pour Paul Celan, G., 1986, 2003.

--- De l’esprit. Heidegger et la question, G., 1987. [Extrait de la présentation, par Jacques Derrida lui-même explicitant sa démarche : Il s’agit encore du nazisme – de ce qui reste à penser du nazisme en général et du nazisme de Heidegger. Mais aussi des “politiques de l’esprit”, des déclarations sur la “crise de l’esprit” et sur la “liberté de l’esprit” qu’on prétendait alors, qu’on veut aujourd’hui encore opposer à l’inhumain (nazisme, fascisme, totalitarisme, matérialisme, nihilisme, etc.).]

--- Points de suspension. Entretiens, G., 1992.

--- Résistances de la psychanalyse, G., 1996. [Présentation : Partant des résistances sociales et institutionnelles « à » la psychanalyse, se développe une réflexion sur un processus autre, celui « de » la psychanalyse à elle-même, inventant une réponse à ce qui la nie ou rejette.]

--- Apories, G., 1996. [Passage, frontière. Penser la mort, l’aporie.]

--- Le monolinguisme de l’autre, G. 1996.

--- Adieu à Emmanuel Lévinas, G., 1997. [Deux textes. Allocution de 1995 et conférence de 1996. Hommages.]

--- Cosmopolites de tous les pays, encore un effort, G., 1997.[Suite aux assassinats d’intellectuels et écrivains en Algérie (décennie noire), le Parlement international des écrivains avait été créé pour organiser les soutiens et accueils. Jacques Derrida en était un des vice-présidents. Cet ouvrage de 64 pages est le texte qu’il lut, en mars 1996, au premier congrès des villes-refuges, constituées suite à l’appel de ce Parlement des écrivains, lancé le 6 novembre 1995.]

--- Voiles (avec Hélène Cixous), G., 1998 [La voile (bateau, voyage) et le voile (ce qui voile). Citation de la 4ème de couverture : Ce serait aussi bien un sous-titre pour "Savoir" d’Hélène Cixous et "Un ver à soie", de Jacques Derrida – qui paraissent ici sous la même reliure.]

--- De quoi demain… Dialogue (avec Elisabeth Roudinesco), Fayard/Galilée, 2001. [Sept sujets, dont différence et universalité, avenir de la famille, liberté et contraintes, souffrance des animaux, révolution et échec du communisme, peine de mort, antisémitisme et haine de l’autre. Et en conclusion, éloge de la psychanalyse.]

--- H.C. pour la vie, c’est à dire, G., 2002. [Souvenirs, amitié, lecture, hommage, et analyse du parti « pour la vie » d’Hélène Cixous.]

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A poèmes ouverts. Parcours d’un livre. Choix de citations…

POEMES.jpg

A poèmes ouverts. Anthologie. 50 poètes français présentés par Jean-Pierre Siméon pour Le Printemps des Poètes. Ed. Points, 2008 http://www.lecerclepoints.com/livre-poemes-ouverts-collec...

Ma lecture, pour un choix très subjectif : mes fragments préférés(mais, d’abord, les absences que je repère…).

Jean-Pierre Siméon dit proposer un  « échantillon de voix ». Et, dit-il, de la poésie, «… C’est ça la poésie, d’abord et surtout, une questionneuse enragée. Moins il y a de réponses, plus elle interroge… ». Puis : « … Si vous vous dites : ‘C’est bien ma langue mais je n’ai jamais vu ma langue dans cet état’, probable que vous êtes en face d’un poème. »

 (Mais…  il y a de grands absents, cependant, dans cette  intéressante anthologie. Ainsi, Bonnefoy, Clot, Xuereb… Je mets trois liens ci-dessous pour compenser ce manque.)

Yves BONNEFOY : http://fr.wikipedia.org/wiki/Yves_Bonnefoy

René-Jean CLOT : http://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9-Jean_Clot

Jean-Claude XUEREB  :  http://xuereb-p oesie.pagesperso-orange.fr/  ]

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Parcours. CITATIONS :

Dans cette ville où tout se vend je suis le vent / je suis la marge. / (…)  / Comprenez-vous que dans mon chant ce qui chante /  c’est le silence ? / Je n’existe pas à plein temps. Je suis avec ce qui commence.  Marc ALYN, Avec ce qui commence                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                               

Celui qui marche d’un pas lent dans la rue de l’exil  / C’est toi  / C’est moi  / Regarde-le bien, ce n’est qu’un homme / Qu’importe le temps, la ressemblance, le sourire au bout des larmes l’étranger a toujours un ciel froissé au fond des yeux   Tahar BEN JELLOUN, Eloge de l’autre

Lutteur il souffle sur des tisons /  son visage mal géré par la nuit  Aimé CESAIRE, Mort à l’aube

La gare pickpocket déleste de leur passé ceux qui la traversent / Sans savoir vers où le verrou du soleil va s’ouvrir / Et quelle liberté en secret peut cicatriser notre vie.  Charles DOBZYNSKI, Gare de l’Est                                                                                                               

on ne dort pas / on trie on écrit on pétrit on assemble (…) le poème aussi est / façon de voir venir / du fond du sombre / les mots comme un ciel d’aube   Antoine EMAZ, Sous les étoiles exactement                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

peut-être que l’espoir / n’est qu’une entaille dans la chair / une étincelle sans futur / dans la mémoire   Claude ESTEBAN

Marcheur à Paris tu te cognes aux blessures / ouvertes au trépan chaque jour pour travaux     Ludovic JANVIER                     

et pourquoi naguère n’ai-je pas été là / pour empêcher que survienne / l’épreuve qui t’a laissé cette fêlure (…) et pourtant tu es ma blessure / c’est toi qui me fais grandir   Charles JULIET, Ton regard ta voix                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    

Tu descends le chemin de mon sang / comme un caravanier / la route de la soie / Lorsque tu tomberas de mes hanches / mille ans auront passé   Anise KOLTZ

Cela dit / c’est de persister qu’il s’agit / Ne pas oublier (…)Protéger de ses poèmes nus / la flamme de la petite bougie    Abdellatif LAABI, La flamme de la petite bougie

J’ai laissé sur le sol mes armes / de chasseur / et tout mon silence durci sur le feu / nu contre le sol / je cherche à être la terre / le support de l’étoile du matin   Luis MIZON

Khayâm, je crois te lire  en Bonnefoy / La poésie dure comme sortilège   Azadée NICHAPOUR, Quatre quatrains pour Omar Khayâm

ce qui restera caché / cette chose est devant nous / qu’est-ce qu’un visage / le couvercle d’un secret  Bernard NOEL, Lumière du noir

Ce qui existe, / c’est depuis hier. / Le reste c’est du blanc.   Virgile NOVARINA, Ecrits de nuit pour noctiluque                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                     

Dans une valise idéale /  on peut ranger tout l’univers / la troupe engloutie des étoiles / une seule fourmi  / un seul amour   Serge PEY <

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29/11/2011 | Lien permanent

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