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12/12/2022

À L’Index n°45. Une revue de littérature, poésie et prose

à l’index,le livre à dire,poésie,récits,jean-claude tardif,revues,citations,recensionsVoilà une lecture faite dans un contexte problématique, de faits qui pourraient détourner du temps des poèmes, cette actualité désespérante et les souffrances de tant de gens… Je lis et j’écris, avec en moi l’image des villes détruites d’Ukraine, et dans l’oreille le cri d’atroce douleur de la mère dont le fils vient d’être pendu par volonté du pouvoir dictatorial, Iran. En surimpression, des visages de femmes rejetant leurs voiles et dansant au péril de leur vie, et d’autres, ailleurs, Afghanistan notamment, ne pouvant même plus marcher dans les jardins (même enfermées sous leurs voiles cela leur a été interdit) et enseigner à leurs filles les met en situation de subversion méritant prison ou mort.

On critique souvent Facebook… Et pourtant, alors que nous nous sentons tellement impuissants (à part le geste virtuel de signer des pétitions, ou le choix de marcher dans les rues en soutien) cet outil nous permet d’être en contact avec des êtres qui sont, certains et certaines, dans ces lieux de désespérance, et ont besoin de trouver des interlocuteurs pour… dire. Pour eux ce réseau est une porte (pratiquée avec prudence). De même ceux qui, réfugiés à peu près en sécurité, veulent informer. Et la traduction automatique (même quand elle n’est pas très bonne) permet de dialoguer avec des locuteurs de langues dont on ignore tout… 

Quel rapport avec la lecture de la revue ? Tout. Car dans ces échanges la poésie est présente. Dans le pire du dénuement (au sens de la privation de liberté ou de sécurité) des poèmes sont écrits. Et, quand une politique génocidaire veut détruire la culture autant que les vies, soutenir la culture et offrir le miroir de l’espoir en continuant, ici, de croire en la force du poème, de l’écrit, c’est une réponse. Or lisant les autres on renforce cette force et cet espoir.

Et d’ailleurs, dans ce numéro d’À L’Index, un poète ukrainien est présenté et donné à lire.


Donc je lis. En commençant par les quatre pages de l’éditorial de Jean-Claude Tardif, son introduction, Au doigt & à l’œil… Je retrouve son agacement devant des demandes ou exigences de certains qui ne tiennent pas compte des réalités de la vie et survie des revues. Lassitude, car rien n’est simple et les coûts sont lourds. Autre agacement, causé par l’ego surdéveloppé de certains auteurs qui n’occuperont donc pas de pages, ou plus. Car il préfère ceux qui sont curieux des autres. Oui, j’adhère à cela. Et au choix de l’indépendance d’une revue qui vit sans demander de subvention pour ne pas avoir à supporter des conditions… Plus loin, dans la deuxième partie de ma recension, je rends compte de sa nouvelle.

Je fais un premier parcours. Les poèmes. Puis je reviens ensuite en arrière pour des nouvelles (en général j’en suis moins lectrice mais si quelque chose m’accroche alors je lis…) et récits (qui m’intéressent surtout quand ils rejoignent une parole presque autobiographique - ou plus). Mais juste après les poèmes, je commente le texte de Fabien Sanchez, car à part, inclassable, et chargé de poésie diversement… Et, pour finir, suit la recension, pas oubliée.

Parcours sélectif et subjectif. Rien d’exhaustif. Mais d’autres pourront avoir des préférences contraires et en parler. Car même s’ils n’ont pas de blogs ou de sites, les auteurs publiés là peuvent publier des recensions (ou simples notes de lecture, des brèves) pour citer et nommer, sur leurs pages Facebook et peut-être partager dans des groupes… Certains le font.

POÉSIE.

De Patricia Castex Menier, Poème inédit, p. 9-10

Un texte très émouvant, qui évoque un deuil, et la non-espérance d’éternité, avec cependant une paradoxale attente de ce qui pourrait contredire le néant et l’absence.

Citation (les derniers vers)…

 

J’ai

renoncé depuis longtemps

 

à

l’idée merveilleuse de l’âme

 

mais

je me demande

 

s’il

n’existe pas

un dernier état de la matière

 

qui

pourrait tout de même

me donner de tes nouvelles

……

Cinq poèmes inédits, de Gérard Berreby (textes sans titres), p.17-21

On déchiffre l’aveu d’inquiétudes existentielles, des questionnements et des fragilités simplement authentiquement humaines, créatrices d’espoir et… force.

Citation (p.20)…

avec les mots de tous et de chacun

tu t’inventes

tu sais la force inébranlable

venue de loin

des astres divins

l’éclair de ta parole

se fend contre le vent

féroce

……

L’Office des Laudes, de Michel Baglin (1950-2019), p. 22

Avant de mentionner le texte, un rappel. Lui, curieux des autres il l’était. Tenant des rubriques poésie, publiant des recensions (que ce soit à La Dépêche du Midi ou dans des revues de poésie). Et ayant créé un blog, Texture, que j’ai beaucoup fréquenté. Hélas il n’est pas maintenu (sauf des bribes, le début des notes, pas la suite…). Tristesse de voir de tels travaux disparaître. Mais je note le lien, pour mémoire. En regardant à gauche vous verrez la longue liste des auteurs ayant fait l’objet d’une mention.... http://baglinmichel.over-blog.com/

Le texte. Un poème en prose qu’il faut déguster ligne à ligne, car il offre le partage d’une contemplation, regard sur la beauté de la nature et de la vie. Et cette ombre, qui se glisse en écran entre l’émerveillement de l’éblouissement et celui qui regarde, n’est que la conscience de l’éphémère, la perspective de la mort.

Citations, deux extraits…

    On en oublierait presque le qui-vive pour ne plus qu’écouter l’office des laudes, les louanges venant aux yeux avec les larmes de qui s’évade au petit matin par la fenêtre, quand la beauté s’impose et plane avec le milan noir au-dessus des berges, des champs, des chênes, de l’or éteint des feuilles du dernier automne.

(…)

    C’est à peine que déjà on se demande combien on en verra naître encore de ces printemps sauveurs qui donnent à la vie sa mesure pleine

    Celle d’un bourgeon défroissé, d’un instant d’éternité, d’une parenthèse dans le néant.

……

Les mères sont très faciles à tuer (extraits), d’Anne Barbusse, p. 44-48

Texte bouleversant car il vient profondément du corps autant que de la dimension des émotions, des douleurs. Ode souffrante de mère et aux mères, la complexité des vécus d’enfantement et la difficulté des liens et des déchirements.

Citations

je trace le trait qui fend le temps

et je ne parle qu’aux amants floués et doubles

je ne vois pas venir le fils, l’enfant ennemi,

dans mon jardin grandissent l’herbe le désarroi et le lierre

fille éblouie de toute désolation mûre

si tu savais vivre légère entre les mensonges des maisons

(…)

sur le bitume et sur la ville je tâche de marcher ma solitude

la terre brune ne me parle plus la langue du monde

j’ai la parole fauchée par les désastres

je vomis du silence

(…)

quand les enfants deviennent des hommes une grâce tombe des branches des arbres

l’univers se durcit

(…)

(…) j’ai fait un bouquet de lavande pour respirer encore – je survis, déplacée, pleine d’exil, striée de colère mi-animal mi-femme, déracinée de l’enfant, très coupable de rêves

……

Tournant les pages je remarque d’abord le nom du traducteur (et poète), Roberto San Geroteo. Donc je lis attentivement…

Cahier de Berlin, de Jorge Riechmann, traduit du castillan, p. 49-55

Onze poèmes extraits d’un recueil (Cuaderno de Berlin, publié à Madrid, dont l’auteur est natif, et un douzième, pris dans un autre ensemble, Cantico de la Erosion. Les deux ouvrages édités par poesia Hiperion).

Dès le premier poème c’est une parole d’exilé. Je le note en entier (citations, ensuite)…

Conseils pour étrangers

   Dans la ville où tu ne pourras

   dire la vérité,

   la dire.

   Dans la ville où tu pourras

   dire la vérité, travailler

   à ce qu’elle se convertisse en mensonge.

Janvier c’est de l’eau dans le canal de Landwehr

   Berlin, 1919. Janvier c’est de l’eau dans le canal de Landwehr

   où peu à peu s’effacent les mains

   de Rosa Luxembourg.

Évocation de Rosa Luxembourg, à qui le douzième poème, celui de l’autre recueil, est consacré. Donc référence très signifiante.

Suit un poème, Scène d’enfance, sur la cruauté inconsciente de l’enfance (la souffrance animale…). Acuité des perceptions et des ressentis. Je comprends l’intérêt de Roberto San Geroteo pour ce poète. Je trouve la même exigence, la même conscience des réalités sociales et historiques, les mêmes refus, la capacité du refus…

Ainsi, dans un autre poème…

Ville sous la neige

   Parmi tant de paix feinte on dirait qu’il est possible

   de se désintéresser du monde en tant que chose finie

   et d’abandonner mes jours d’un doux coup d’épaule.

Mais aussi la pensée de la mort, des morts, avec des images de cauchemar, dans un fragment en prose, Souvent le ressuscité réveille la mort. Et on peut comprendre que ce n’est que la réelle mort symbolisée par une rêverie volontairement noire, ou que cela parle aussi de la mort dans la vie, rejoignant les mains effacées de Rosa Luxembourg, celles d’une parole non entendue. Et que serait vomir l’agonie ? La mort des corps souffrants ou la mort dans la réalité des vivants, révélatrice de mensonges (ce qui rappelle le poème sur l’exil… Échos d’un texte à l’autre, et sens multiplié…

Citation (les deux dernières phrases, brèves)…

Et en cela consisterait la mort de chacun. Parfois j’ouvre les yeux en ce monde-là.

Mémoire, Berlin, toujours. Un poème,

Chaque nuit

   Se sont tues derrière

   un rideau de sang

   des régions chaque fois plus vastes du passé.

Et cependant, notation d’un espoir intime, Poème de la rencontre. En exergue, Pedro Salinas, sur le clair et sûr hasard.

Et enfin,

Brouillon d’une lettre à Rosa Luxembourg, p. 55

   Mais toi aussi tu parles depuis la trame du sang.

……

Autre traduction, un inédit, Robert Nash traduit de l’anglais américain par Françoise Besnard Canter.

Auteur publié par À L’Index, livres (voir 1984, édition bilingue, coll. Le Tire-Langue)…

Un poème, Old Jack. Le vieux Jack, publication bilingue, p. 56-57.

Évocation d’un métis amérindien, au nom caché, et porteur de la conscience gardée de son animal totem. Mémoire des vols de culture, de la violence de la domination. Et parole venant d’un autre savoir du monde, du rapport à la nature.

Citation… (le poète fait parler le vieux Jack.

Mon peuple, lui, est resté

et continue à prier cette terre, sa rivière

la baie où elle rejoint le ciel et s’endort

……

Traduction, encore. Un petit dossier sur la poésie afro-américaine d’aujourd’hui.

Trois poètes, traduits et présentés par Vladimir Claude Fisera. Poèmes en version bilingue.

La réalité des discriminations et des violences…

Billy Collins

Sur la mort d’amis

   Soit ils meurent tout simplement

   (…)

   Et puis il y a d’autres manières

   dont on ne parlera pas ici.

   (…)

   c’est là où mes amis continuent d’aller,

   un « endroit » qui n’existe qu’entre guillemets.

.

Yusef Komunyakaa

Chaise roulante

   et aujourd’hui on peut facilement entendre

   (…)

   un gémissement s’élever de la terre noire

   où cette femme faisait pousser

   des piments rouges épicés pour sa soupe de tortue

.

JP Howard (Juliet P Howard)

Chanson des gamins noirs

   Les gamins noirs ne peuvent pas marcher dans les rues

   sans devenir des cibles d’exercice.

   (…)

   Des gamins noirs fatigués d’essayer    

   d’arrêter de mourir, tous les jours,

   des gamins noirs qui ont leur Mama

   qui prie pour eux.

……

Autorail & autres poèmes, cinq textes de Philippe Simon, p. 84-86

Des lieux et des émotions...

Citations

L’harmonie anonyme impose son mystère

Sa parole de pierre et sa prière folle

L’élèvent cathédrale

(…)

Le souvenir du beau me sauve du naufrage

……

De Jean-Jacques Camy, L’ami, p.92

Citations

Je tenais dans mes mains

« poèmes à un ami français »,

Et ce livre me déchirait.

(…)

Je tenais dans mes mains ce livre dont je n’arrivais pas à me défaire.

Et l’homme qui ne vivait plus

partageait avec nous les sons de la forêt.

Et l’homme qui ne se souciait plus,

nous était attentif.

……

Le poème en prose de Gilles Pépin rejoint l’univers de Michel Baglin. Comme lui il regarde, et comme lui son regard porte la nostalgie, d’avance, de ce qui ne sera plus, pour nous. Citations

Mots violets, p. 94

   Je n’avais pas de mots pour dire les pervenches devant moi ce matin. Elles semblaient naître de l’hiver tardif, celui qu’il avait fallu affronter lorsque tout déjà souriait au printemps.

   (…)

   Puis me relevant, je regardai les nuages. Mais ils ne disaient rien de nos histoires séparées depuis longtemps. Alors ce furent encore les pervenches ; elles parlaient d’aujourd’hui (…).

(…) Encore une fois vivre le printemps, encore une fois trouver les mots (…).    

……

De Sophie Marie Van der pas, un long poème aux strophes brèves, p. 103-111.

Une recherche de sens, des souvenirs concrets, des douleurs, du cri. Citations

Elle n’a que des mots

   Je sais que je ne sais pas

   Envie de rien, juste écrire

   Remuer la rivière.

   (…)

   Comment exister sans se cogner ?

   (…)

   Tendre l’arc

   Toucher la cible

   Le centre éclate.

   (…)

   Corps habité. Ne pas se perdre dans l’aventure du dehors.

   (…)

   Je m’élance vers l’oiseau.

……

De Jacques Boise, huit paragraphes denses, de même longueur, sept-huit lignes, p.112-115.

Dire ce qui serait la parole de la forêt, être habité par la forêt. Citations

Forêts & autres lieux

   Traces de bleu, le ciel dégouline sur les éboulis, emporte avec lui le cri d’un milan noir.

   (…)

   Un point de lumière nous met en garde : Bientôt il rejoindra la nuit et jamais ne reviendra    en son exacte clarté, en cet endroit. Alors nous essayons, dernière vanité, de le regarder en face, de le fixer. Mais toujours nous baissons les yeux. Savons déjà qu’il en sera de même pour nous.

……  

De Peter Hartling (1933-2017), cinq poèmes bilingues allemand-français (sans titres), p.116-120.

Une vie très bouleversée. Par la seconde guerre mondiale, les exils et la mort des parents (en 45 et 46 : le père de retour des camps soviétiques, la mère par suicide. Auteur de livres pour enfants (les valeurs contre les totalitarismes) et d’études sur des musiciens. La poésie comme une ressource pour trouver une force intérieure.

Citations

Il serait facile de retenir

son souffle et

d’être l’ombre

qui manque encore.

(…)

Pour faire face à la morosité,

Je lance en pensée

une sorte de chalut,

pour collecter étoiles et fragments de lumière

et appâter les mots.

……

Plusieurs poèmes de Jacques Allemand, p.126-132. Le rapport au monde du marcheur semble être vécu comme une sorte d’écriture, en marcheur-creuseur. Écrire, mais aussi hésiter entre peindre ou danser. Vraiment ou comme métaphore…

Citation…`

refaire le chemin dans l’autre sens, je veux bien,

creuser au pied des eucalyptus

où j’avais enfoui deux trois babioles

marcher jusqu’au terrain de tennis

être le marcheur-creuseur,

ça me convient

……

POÉSIE UKRAINIENNE… après l’invasion de la Crimée en 2014. Poésie pour résister.

Présentation de Iouri Bouriak, par le traducteur Vladimir Claude Fisera, p.143.

Ce poète écrit un cycle, Millenium, qui traite de la réalité depuis 2014. Il est aussi éditeur, et traducteur de plusieurs langues. Il vit à Kiiv (Kiev, en russe).

Le poème évoque le temps où la prison Lonsky, à Lviv (devenue Mémorial), était un centre d’emprisonnement de ceux qui refusaient la domination des occupants divers, dont URSS.

Citations..

Dans cette vie-là…

   Dans cette vie-là j’aurais habité à Lviv, ou peut-être à Vienne

   (…)

   Et on m’aurait emprisonné pour interrogatoire à la prison Lonsky.

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À part, PROSE classée nouvelle, mais qui reste inclassable, et si un narrateur dit Je, on peut lire un Je plus fortement présent que dans une histoire inventée…  De plus la poésie est là, tant par l’évocation de Leonard Cohen, poète s’il en est, que par la citation de Georges Bataille, et par bien des fragments du texte, où elle affleure…

Sincerely yours, Leonard Cohen, de Fabien Sanchez, p. 97-102

Deux dates pour évoquer Leonard Cohen. 1989 et 2016. Et l’écho, 2022 (note finale)…

Un avant-dire rappelle Ce mélange d’autodénigrement et de dignité dont parle Adam, le fils de Leonard Cohen, pour caractériser son père.  Qualités trop rares, pense l’auteur…

Oui, Leonard Cohen, qui est pour moi aussi une haute référence, a cette capacité de pouvoir se griffer lui-même, mentalement, pour aller fouiller au fond de l’authenticité de soi, et trier, dans ses failles, ce qui peut faire trouver la splendeur, celle qu’il sait traduire pour nous.

Deux temps, donc. Deux âges du narrateur, qui peut être l’auteur, ou un personnage qu’il habite totalement de ses blessures et joies, ou un mélange de réel et de fiction (mais la fiction est parfois si vraie…).

  1. 1989. Moment d’adolescence déchirée, à Barcelone, période qu’une citation de Georges Bataille résume, dit l’auteur : Toute vie profonde est lourde d’impossible. Donc profondeur et impossible, la part névrotique qui s’y associe, et les colères et douleurs.

Mais, hasard fondateur, découverte de Leonard Cohen, grand choc salvateur. Par la rencontre d’une K7 dans une boutique.

  1. Mort de Leonard Cohen, autre choc. Il est dans un lieu où personne ne semble partager la peine ou même savoir. Lui ressent dans son corps l’onde de cette disparition. Et écrivant cela en 2022 l’auteur repense à la phrase de Leonard Cohen, sur la vie, une drogue qui ne fait plus d’effet

2O22. Épilogue, sous forme de notation personnelle. Avec ce que dit sa femme Sara de lui, sur sa nature à deux visages, mystique et nihiliste. (Ce qui, je trouve, le rapproche encore de Leonard Cohen, qui a ces deux visages, lui qui a passé des années dans un centre zen, à chercher l’éveil des méditants, mais en partant finalement pour vivre sa profondeur autrement, et posant dans ses textes des traces de ses deux espaces intérieurs). Fabien Sanchez reprend la phrase de Leonard Cohen, pour la transformer, l’inverser : La vie est définitivement une drogue qui fait trop d’effets, pour sa nature actuelle devenue trop sensible.

Un texte en prose où la poésie est très présente, et pas seulement dans les citations…

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NOUVELLES, et RÉCITS…  une sélection, dans l’ordre des pages.

Les dessous de l’endroit, de Jacques Nuñez Teodoro, p. 23-29

Une histoire policière, un crime absurde. La folie à l’œuvre, si ce n’est le mal caché dans l’ombre de l’humain. Un tableau joue peut-être un rôle (il représente une femme dont le miroir renvoie le visage d’un homme laid) renforçant sans doute un malaise identitaire chez un être au bord de la bascule, et qui, tuant un inconnu, veut peut-être tuer l’angoisse et la fascination que cette image a provoquées. À moins que cette image n’ait fait remonter une mémoire qui dirait la place, dans l’inconscient, d’un homme qui fut un prédateur d’esprit.

……

« À la recherche d’une musique perdue », de Pierre Mironer, p. 34-43

Une femme, la quarantaine, enseigne au Conservatoire (d’elle l’auteur tient à préciser que c’est un personnage inventé…). Le narrateur lui propose de la musique et l’interroge sur Frédéric Mompou. Histoire de séduction trouble, autant qu’évocation de la musique.

……

Victime ? – Qu’en penserait Maigret -, de Jean-Claude Tardif, p. 58-66

Jean-Claude Tardif se glisse dans la peau de Simenon et pose son inspecteur imaginaire (et narrateur) dans le voisinage de la personnalité de Maigret (et la succession…). Au 36, La Taule, pour les policiers de ce récit, son fantôme est toujours là. Histoire policière, donc, qui part du mot victime (prononcé, au moment de la rencontre, comme une prédiction, ou un emploi volontairement pervers, cynique, par la séductrice devenue compagne). Au début on peut croire que le mot, dans sa bouche, parle du risque d’être amoureuse – victime, elle, pour être séduite. Un mot innocent (et peut-être le serait-il, alors – ou peut-être pas complètement, prescience inconsciente de ce qu’elle sait pouvoir devenir, et faire). Mais dans la nouvelle le mot est annonciateur de la suite, du crime. Et le meurtre est celui de l’inspecteur, trahi par la compagne et l’ami. Assassinat plutôt, car prémédité. Histoire de double trahison. L’ami (apparent ami) vole la femme et tue à sa place.  Avant de mourir l’inspecteur pense encore à Maigret (Qu’en penserait Maigret ?). D’autant plus qu’il voit une suite, en devinant un geste et en entendant un son reconnaissable, et il comprend que la préméditation était double, autant que la trahison, et le tueur sera sans doute supprimé aussi...

Sombre imagination. Jean-Claude Tardif recrée un univers que ne renierait pas Simenon. Vision triste de l’humain (peut-être plus que celle de Simenon, qui a ses douceurs), sans lumière pour éclairer d’un peu d’espoir ce qui, malheureusement, se voit aussi dans la réalité quotidienne, avec les faits divers sanglants. La seule lumière serait peut-être au 36 (mythique, même si le réel a déménagé), avec ces policiers qui affrontent justement ces ombres et cherchent à dénouer le vrai du faux…  

Mais je pense aussi à une autre lecture de cette nouvelle. En faisant intervenir l'humour. Car c'est un peu un Maigret qui se retrouve piégé. Et qui peut-être meurt avec une sorte de sourire, car lui a compris ce qui allait se passer, et il imagine l'énigme que ce sera pour les enquêteurs. 

……

Deux proses, de Soledad Lida

La caravane, p. 79-82

Errance de nomades, jour après jour, dans le désert et sa magnificence. Univers de lenteur et d’attente.

Visitation, p. 82-83

Un visage apparu brutalement chasse le personnage de son appartement. Il déménage, fuyant, sans pouvoir expliquer ce mystère.

……

À l’heure dite, de Béatrice Pailler, p. 122-125

Une adolescente traverse une sorte de banlieue triste, pour rejoindre une maison dans une impasse. Elle pose, nue, là, pour un peintre qui crée avec une frénésie folle. Dans une quête insensée, cherchant l’immatérielle perfection.

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RECENSION… (Rubrique Montré du doigt)

Par Jean-Marc Couvé, un ouvrage de Norman Rosten, Marilyn, ombre et lumière (1967), traduit par François Guérif, pour Seghers (2022).

On ne peut qu’être intéressé par un livre sur Marilyn, fascinante et émouvante, et dont la mort laisse une impression de mystère tragique. Elle qui a été confondue avec son apparence, dans l’oubli de l’intelligence à force de ne voir que la beauté.

La recension précise que l’auteur fut un ami proche de Marilyn, et un ami vraiment, pas un amant. Mais pas non plus un amour ou l’amour qu’elle chercha sans le trouver autant qu’elle le voulait. On apprend que Norman Rosten, poète, lut des textes poétiques de Marilyn et fut touché par eux. Jean-Marc Couvé conclut en demandant de ne pas oublier que, avant d’être un « mythe », Marilyn fut un être intelligent et sensible, pétrie de poésie, qui vécut tout en espérant que vie et amour triomphent de la mesquinerie des comptables d’Hollywood.

Recension du numéro 45 de la revue À L'Index © Marie-Claude San Juan

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