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18/05/2025

Jacques Boise, Les mots du passant, livre, éd. À L’Index, coll. Empreintes

IMG_6155-734x1024.jpgJacques Boise, Les mots du passant, À L’index, coll. Empreintes, 2025.

Livre collectif sur Jacques Boise, poète (dir., introduction et entretien : Jean-Claude Tardif), avec quelques textes de Jacques Boise, aussi.

J’y ai participé avec plusieurs auteurs. Liste : M. Alloy, C. Baptiste, É. Bouchéty, J-C Bourdet, J-J Camy, M. Lamart, S. Lida, J. Nuñez Teodoro, G. Okoundji, I. Rebreyend,  Ph. Simon, S. Van Der Pas, L. Verle... (et moi, M-C San Juan). Un texte liminaire de Werner Lambersy, introduisant une des plaquettes de Jacques Boise, a été repris.

Dans l’introduction, « Vous avez dit Boise ? », Jean-Claude Tardif évoque d’abord un paradoxe, la difficulté d’entreprendre de présenter quelqu’un qui part beaucoup, disparaît longtemps, n’est « pas des plus faciles à saisir ». Mais il arrive, en partant de ce qu’il perçoit, aidé par des années d’amitié, à nous révéler un être auréolé d’un riche mystère, confirmant ce qui séduit dans ses textes. Et quand il cite une de ses paroles, la conviction que « nous sommes tous liés », mais « l’avons oublié », effet de notre société, je reconnais là une pensée d’intuitif à la sagesse des marcheurs solitaires, qui rejette ce qui limite la vie, la folie du monde. De lui Jean-Claude Tardif sait le regard sur le réel,« au travers de ses yeux, où se mélangent une vive acuité et une tristesse profonde bien que l’homme aime tout ce qu’il regarde ». Ce n’est, nous dit-il, que tardivement que Jacques Boise lui confia ce qu’il appelle ses « notes ». On comprend dans l’entretien qui suit dans quel état d’esprit. Et on se dit que le destinataire de ces papiers était vraiment bien choisi, que parfois le hasard des rencontres est un guide qui mène vers des choix essentiels. Qui pouvait mieux comprendre quel auteur se cachait derrière celui qui ne se voyait pas ainsi, et que ces papiers étaient traces de poèmes ?


Avant l’entretien se glissent neuf pages de Jacques Boise, respiration faisant retour au texte. Deux « notes » rectangulaires par page, huit lignes, la forme permanente de tout ce qu’il écrit, fragments denses. Ruzanna. Évocation d’une rencontre ancienne d’une jeune femme, lors d’un de ses parcours, des moments de partage de présence, évidence simple, rare, et forte. De ces connexions entre les êtres qui leur font se dire ce qu’ils savent de plus profond. Elle, errant dans ces instants comme lui, leur fatigue comme une ivresse. Une jeune femme à laquelle il s’adresse dans ces pages en la tutoyant, retrouvant une sorte d’intimité d’âmes par-delà le temps, et se souvenant de ses paroles il la cite. Elle exprime ses vérités comme les éclats d’un koan zen à décrypter, pensées qu’il continue à interroger et comprendre lors d’un autre voyage, notant ce dialogue mené seul, nourri du dialogue réel passé, où celle qui parle dit peut-être aussi l’écho de la sagesse du marcheur. À cette mémoire se mêle celle d’un poème de Chiraz. Là, se souvenant, il se demande quelle femme elle est devenue. On est pris par l’émotion, une sorte de nostalgie, comme si on voulait aussi avoir des nouvelles d’elle, en entrant dans la solitude errante du marcheur.

Suit l’entretien de plusieurs pages, « L’Homme qui passe », aux amples réponses. Passionnant. Questions de Jean-Claude Tardif qui réussissent à faire venir les mots essentiels. On apprend l’enfance dans plusieurs pays où le métier du père les déplace, sa curiosité des mondes qui l’entourent, des êtres. Études chez les Jésuites, évocation d’un échange avec Jean Mambrino (cela m’émeut, je me souviens de son abord chaleureux). Apprendre... Mais, dit Jacques Boise, « ... je sais que nous passons notre vie à désapprendre. Que nous avons le devoir de nous alléger si nous voulons vivre. ». À la question sur sa décision de « changer de vie » il répond que ce fut, « avec l’âge », pour avoir compris que l’implication dans le travail recouvrait quelque chose de « factice ». Voyage et marche comme allègement suprême... Alternance avec des pauses bretonnes, « contrepoint », et contemplation de la beauté dans ce qu’il nomme « pays des limites ». Et s’il repart, ce peut être « une fuite ou une recherche », il ne sait, ou « par crainte de perdre la beauté, celle qui habille le regard dans un lieu que tu aimes », pour « ne pas se lasser de la beauté ». Écrire ? « Je prends des notes, c’est bien différent ! ». Elles sont « mes aide-mémoire, des nœuds à mon mouchoir ». L’écriture fut commencée tard, dans des moments angoissants de solitude ou de peur de réels dangers, ou « effroi de la mort ». Alors « Dans ces moments-là, écrire, c’était se rattacher – tenter de le faire – au vivant par l’entremise d’une langue ».  Écrire ? « Métaphoriquement c’est mon pas, ce qu’il me donne à voir, à rencontrer, qui me dicte ce que j’écris. » [...] « Mais vivre est pour moi premier ». De la poésie il ne veut pas débattre. Mais ce que « se doit d’être » le poète ? Il dit « humble ou guerrier », et corrige en « humble et engagé », au « devoir » de « s’impliquer ». Et il cite Neruda, Jacques Rabemananjara (indépendantiste malgache condamné aux travaux forcés), Pasternak, et, fait récent, Lev Rubinstein (opposant russe, mort « d’accident » à Moscou).  Et prolongeant cette réflexion, pour lui la poésie « doit nous inciter à nous remettre en question ». Dans ses voyages, quels livres ? « Rimbaud, toujours ! Supervielle ». Et il en cite d’autres : Holan, Hikmet, Tati Loutard. Le reste ce sont les rencontres ailleurs, dont les bibliothèques. Et « Lire est un voyage dans le voyage ». Publication ? Étonné de voir son nom en couverture sur les plaquettes, comme si c’était un « homonyme ». Ce n’est pas ce qu’il cherchait en laissant des notes, plutôt que la lecture par quelqu’un maintienne quelque chose des mots. En formulant ce qu’on pense « Nous sommes toujours en-dessous de nous-mêmes », dit-il. Sa demande était ceci : « être rassuré sur mon équilibre, mon intégrité. » Il laissait ou envoyait ses notes comme des « bouteilles à la mer ». Mais les publications avec textes et illustrations, il a trouvé cela beau, touché. Évocation de nouveau de Jean Mambrino, en le désignant par son premier grand titre, Le Veilleur aveugle...  Jacques Boise sort un carnet, notes anciennes, écrites à Rome, sur la marche et le regard. Et il revient de nouveau à sa parole présente, l’interrogation sur la marche. « Peut-être est-ce pour tenter d’approcher un peu plus ce "monde rêvé" que nous portons tous en nous, car celui que l’on nous donne à voir, que nous proposent nos contemporains, est à mon sens trop hideux, trop malheureux... ». Et... « Paradoxalement, je marche seul pour l’être un peu moins... ».

Avant de parcourir les chroniques je lis les textes de Jacques Boise qui sont posés entre certaines, et les créations qui marquent des pauses, dessins de Léo Verle (clins d’œil : la moto, le verre qui a prolongé l’entretien des deux amis), peintures de Marie Alloy (univers de traces, superbes, Empreintes, qui peuvent évoquer la démarche de Jacques Boise, le mystère de l’écriture, la question des traces et de l’effacement). Retour au Carré, écarté d’un manuscrit par l’auteur, prolonge l’entretien, car il montre le lien entre l’enfance et la marche de l’adulte, entre les pays inventés, rêvés, et les pays du voyage. Autre texte, Retour, encore une méditation sur la marche et les traces de soi qu’on laisse, celles des autres, installés, « laissant derrière eux des traces de leur venue ; des histoires de mots et de chairs qui ensemble continueront à les dire ». Mais, écrit-il, « Pour moi rien de tel. Pas même une empreinte dans la glaise ». Dans ses Douze notes de fin et Manière de codicille, c’est la nuit et la mort qui errent dans un bilan sur le chemin et le regard sur ce qui est. « Je ne sais plus si le Monde est au monde ». Quand « le temps du dernier pas » ? Le fac-similé d’un courrier envoyé à Jean-Claude Tardif, après un retour imposé par un médecin, explique la teneur du texte d’inquiétude... S’adressant à nous tous (qui d’autre ?) il interroge : « Ce que je vous dis, l’entendez-vous ? », songeant sur sa ligne de vie (le vrai, le faux ?). Mais « Pourtant je veux y croire encore de toutes mes dernières forces. ». Dans Interlude, côte nord (sous-titre, notes d’intervalle), il écarte les questions sur le pourquoi partir, de peur de ne pas y trouver que « futilités ». Mais dans Notes sans feu ni lieu, ce sont les espaces dans « nos souvenirs » , nos villes et lieux passés, et donc la question du temps. « Il est des lieux que l’on porte en soi comme une rédemption ou un blasphème où que nous soyons dans l’Ailleurs. » Les pages de Vers Huasco, c’est un univers solaire, de chaleur et lumière.

Quand on consulte la table des matières, on peut être frappé par certains titres. Bien sûr il y a ceux de Jacques Boise quand le texte, comme le mien, est une recension d’ouvrage. Mais d’autres parcours font que certains créent comme un portrait vertical, celui d’une pensée et d’une esthétique. J’ai noté déjà le titre de l’entretien. J’en relève certains autres : « De la mare au minimalisme, Jacques Boise poète de l’effacement de soi », par Michel Lamart, « Il est de la marche comme des lectures », par Jean-Claude Bourdet, « Jacques Boise – le sondeur des océans », par Gabriel Nwèné Okoundji, « L’inventeur d’atlas et de traités », par Philippe Simon, « Jacques Boise... le Voyageur essentiel », par Jacques Nuñez-Teodoro.

Je recopie la conclusion de mon texte, portant sur un des livres. Elle convient comme fermeture-ouverture de cette note : « L’écriture regarde ce qui est éphémère, nous. Conscience que les traces s’inscrivent et s’effacent en même temps... Cet univers nous émeut, mais on en sait plus, aussi, sur nous-mêmes, ayant lu. Et plus sur la force de l’écrit. »

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Recension © Marie-Claude San Juan, Trames nomades

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À L’Index, revue, et coll. Empreintes, Plaquettes : http://lelivreadire.blogspot.com/

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