23/11/2016
Habiter poétiquement le monde, Poesis. Anthologie... / NOTE mise à jour, juin 2022
Riche en mérites, mais poétiquement toujours, / Sur terre habite l’homme.
Friedrich Hölderlin, En bleu adorable, cité dans Habiter poétiquement le monde, Poesis, 2016
(Exergue de l’anthologie-manifeste réalisée par Frédéric Brun, et dont le titre s’inspire de cette pensée d’Hölderlin. Formule, non, bien plus. Fragment d’un poème, et vision-programme.)
...
Il faut, sans innocence et naïveté, certes, dépasser ses doutes pour s’offrir un chemin de résistance.
Frédéric Brun, Avant-propos, Habiter poétiquement le monde
Dans cet avant-propos de l’anthologie, c'est ce chemin de résistance, qui est proposé, résistance car il n’est pas évident de suivre avec optimisme la formule d’Hölderlin. Le manifeste que veut être cette anthologie, pensée par Frédéric Brun, tient compte des difficultés d’un monde traversé par des laideurs qui peuvent masquer sa beauté, sa possible beauté. Résister par un acte de lucidité, un retour sur soi, une volonté de métamorphose. Pour créer un monde plus juste il faut d’abord se mettre en situation de refus. Résistance contre ce qui doit être refusé, et résistance contre la part amnésique de soi, oublieuse de son essence. Ensuite, alors, créer et agir. Mais comme le pense Michel Deguy (et c'est rappelé là en le citant) ce n'est pas forcément un chemin politique mais une habitation intérieure différente... http://www.poesis-editions.fr/habiter-poetiquement-le-mon...
...
Cette anthologie, très ample (pas loin de quatre cent pages, 367 exactement) ne donne pas à lire des poèmes (sauf fragments de citations), mais des textes "sur" la poésie. Principalement des écrits de poètes sur leur art, mais pas uniquement : penseurs qui sont proches de la poésie, pour en être lecteurs attentifs, ou pour avoir une conception de leur écriture qui s’en rapproche, et personnalités qui, par leur vision et leur action, tentent de définir ce que peut être habiter poétiquement le monde. Ainsi Pierre Rabhi est présent, au même titre que Gaston Bachelard ou Hubert Reeves.
Des poètes présents dans cet ouvrage je retrouve beaucoup de mes propres références. Ainsi, dès l’avant-propos, et dans la table des matières, je vois mentionnés des noms qui sont aussi sur les rayons de ma bibliothèque (mais je ne les citerai pas tous…). Voici : Joubert (celui des Pensées, pour moi coup de foudre absolu,) Baudelaire, Dickinson, Rimbaud, Mallarmé, Rilke, Valéry, Tagore, Pessoa, Tsvetaeva, Artaud, Michaux, Paz, Borges, Neruda, Bonnefoy, Aleixandre, Juarroz, White, Glissant, Adonis, Deguy, Cheng, Midal (dont j’ai apprécié certains textes dans la revue Ultreïa, Bobin (que je retiens aussi, à la mesure des résistances que certains lui opposent au nom d’une fausse rationalité confondue avec l’aveuglement arrogant), et Bianu, Velter, Siméon… et d’autres, tous qui comptent.
J’aurais ajouté certains noms (Nerval...?!), comme celui de Jabès, par exemple…! Camus manque aussi, et Lorca (son texte sur El duende…!). De même Levis Mano, poète et éditeur génial… Et María Zambrano (philosophe espagnole, qui a écrit des pages magnifiques sur la poésie… et dont certains fragments sont à hauteur du poème). Et Anna Akhmatova ? J’aurais trouvé le moyen de placer Antonio Porchia… Les "trous" dans mon abécédaire idéal peuvent être dus à une volonté de cohérence intérieure, autre que celle que je projette…
Mais ce n’est pas mon anthologie… et elle est d’une telle richesse que je me contente de picorer de temps en temps des citations, pour me faire, en feuilleton, une anthologie mentale miniature… Ainsi, partager un plaisir de lecture, dans ce considérable travail de lecture et recherche qui a été produit par Frédéric Brun… Il faut être, nous aussi, passeurs de ces messages qui ont un sens politique, bien au-dessus des batailles des égos politiciens.
Pour Frédéric Brun, dans l'axe de pensée d'Hölderlin, habiter poétiquement le monde définit tout autant une conception de la manière de choisir de vivre sur cette planète pour le temps qui nous est réservé que la manière de concevoir le rôle de la poésie, cette écriture spécifique qui manie les mots mais vient d’un regard particulier d’êtres qui engagent une éthique de vie. Regard, âme, spiritualité, conscience… sont des termes qui peuvent aider à traduire ce qu’est l’expérience poétique, ses liens avec le quotidien banal et la hauteur d’une perception de ce qu’est "être", pas seulement exister. En fait, la mystique (que plusieurs assument en tant que telle pour exprimer ce qu’est leur itinéraire entre ciel et terre) rejoint l’écologie et la politique. Non la politique partisane, mais l’engagement d’un Hugo. Non l’écologie comme une mode sans remise en question profonde, mais une écologie qui est tout autant écologie de soi-même - comme l’affirme Michel Deguy, transformation intime, un pas vers autre chose (lire Pierre Rabhi..)…
L’autre nom majeur, ici, fondateur, en dehors d’Hölderlin, est celui de Kenneth White, car si éthique il y a, c’est bien dans la pensée de ce très grand poète, dont l’ambition n’est pas, pourtant, d’être cela (un "grand poète" reconnu, ou simplement connu) mais d’impulser une pensée du monde, dans le monde, solidaire, une "géopoétique" d’êtres incarnés, soucieux de leur planète, et conscients de leur place dans le cosmos.
Consulter ce site : http://www.kennethwhite.org/geopoetique/
Et celui-ci : http://www.oeuvresouvertes.net/autres_espaces/white.html
Pour Kenneth White, la poésie commence par un refus radical du monde, le monde tel qu’il est, fait par les hommes, pour l’injustice, la violence et la haine (ou l’ennui). Monde mobile, inachevé, il est là pour qu’on le crée et qu’on se crée en même temps, et ainsi qu’on crée les liens avec les autres humains, à la mesure de notre connexion cosmique, puisque nous sommes part du cosmos et devons nous en souvenir, pour devenir qui nous sommes…
De Kenneth White j’ai envie de copier un poème du recueil La résidence de la solitude et de la lumière (William Blake and co, 1978). Car il dit une intention principale, sur quels refus se fonde sa démarche essentielle, et donc sur quelle création fondamentale et fondatrice.
Travaillant et retravaillant
les mêmes textes
jour après jour
perdant tout sens
de ‘production’ et de ‘publication’
toute idée d’une ‘réputation’ à forger
engagé plutôt dans quelque chose
— loin de toute littérature —
que l’on pourrait pertinemment nommer
un yoga poétique
Sagesse humble, humble du vrai orgueil d’être, qui devrait être méditée par pas mal de gens qui jettent en pâture des écrits trop imprégnés d’une ambition qui suinte entre les mots et les pages, et nous fait remporter certains livres achetés par erreur, vers des circuits moins exigeants… Car alors l’âme est désertée, il ne reste que le vide un peu trop "littéraire", au très mauvais sens du terme.
Je reviens donc à l’avant-propos de Frédéric Brun (une dizaine de pages).
Après avoir cité de nouveau Hölderlin : Et pourquoi des poètes en temps de détresse ?, il rappelle que l’habitat poétique exige une éthique, pour laquelle l’homme doit cesser de mettre l’économique en première place, et donc changer de priorités pour retrouver l’essence de son existence. Pour cela, notamment, se nourrir de beauté, regarder (s’en inondant l’âme et les yeux). Et il conclut : Cette attitude poétique pourrait, si nous étions plus nombreux à l’adopter ou au moins à en prendre conscience, devenir également un acte politique et écologique qui participerait au changement du monde.
......................................
Mise à jour, juin 2022
Pour le Marché de la poésie, j'ai l'habitude de faire un exercice de sagesse (pour éviter de charger mon sac de médiocrité, car la médiocrité est aussi présente sur certains stands - et mon exigence me fait ne vouloir lire que ce que je situe dans l'espace de la haute poésie, telle que je la pense et telle que je ne veux l'écrire qu'ainsi, car autrement... stérile occupation d'ego). Donc je programme mes choix, sélectionnant avec mesure. Et je reviens vers les éditions proches (au sens où j'y habite des pages, en affinité) et vers celles où j'ai eu aussi, en lectrice, la joie de grandes rencontres de lecture. Je suis donc revenue, aussi, vers Poesis, et j'ai recherché cette recension, qui date de plusieurs années. Notant d'abord (je n'y avais pas pensé avant) la proximité entre le sujet de mon livre sorti ce mois de juin 2022 (Le réel est un poème métaphysique, éds. Unicité) et les questionnements des pages de l'anthologie. Ma démarche rejoint l'éthique définie par les auteurs.
À côté de l'anthologie j'avais glissé, dans ma bibliothèque, en 2018, Le plâtrier siffleur de Christian Bobin, ce petit livret publié par Poesis et reprenant l'intégralité d'un texte publié dans la revue Canopée en 2012 (dans l'anthologie la contribution de Christian Bobin est ce texte, par de larges extraits). Relisant, là, je regrette de ne pas l'avoir fait plus tôt, car je tombe sur un passage dont j'extrais une pensée qui aurait pu s'ajouter aux exergues en tête de mon livre. Je vais garder cela en mémoire, le regard sur le réel restant toujours mon sujet, d'une manière ou d'une autre. Définissant sa conception de la poésie, et refusant l'excès technique, ce qui fait grandir une lèpre d'irréel qui envahit silencieusement le monde, il écrit, pour insister sur l'importance de regarder...
La contemplation (...) c'est comme mettre la main sur la pointe la plus fine du réel.
Voilà qui complète la vision qui est l'axe de cette édition, Poesis. Car si, comme le dit Maître Dogen, qu'il cite, l'univers entier est la pensée des fleurs, écrire de la poésie, en voulant habiter poétiquement le monde, c'est, écrit Christian Bobin, tendre le langage au maximum.
À savoir, l'anthologie a été rééditée, version enrichie, "édition revue et augmentée", 2020.
Mais, exercice de préparation du Marché, et des livres à rechercher plus tard, suite...
J'ai regardé, sur le site de Poesis, ce qui est dit des publications. Plusieurs livres m'intéressent d'avance, la présentation qui est faite donne assez d'éléments pour permettre de choisir. J'ai très envie de découvrir d'abord l'ouvrage de Jean Onimus, Qu'est-ce que le poétique ? Sur ce livre j'ai lu aussi une recension ailleurs, mais qui dit qu'il oppose prose et poésie. Ce n'est pas ce qui me semble son approche dans ce livre, telle que présentée sur le site de Poesis. Il oppose le poétique et le prosaïque, ce n'est pas la même chose. La prose peut être très étrangère au prosaïque.
Les autres titres que je mentionne feront aussi un programme de lecture décalé...
Anthologie, encore (en tout cas livre collectif), un ouvrage sur la notion de beauté. Des auteurs de plusieurs époques... et François Cheng (argument d'achat suffisant pour moi...).
Mais aussi, La poésie de la terre ne meurt jamais, de John Keats...
J'ai repéré deux livres de Carles Diaz, poète franco-chilien, et historien de l'art. Il entre dans l'univers d'un autre et rend compte de ses rêves et pensées. Que ce soit un peintre allemand, Carl Alexander Simon (son parcours au Chili, et sa disparition), L'arbre face au monde. Ou une conservatrice française sauvant des œuvres des spoliations nazies, Rose Valland, La Vénus encordée. Journal imaginaire dans les deux cas.
Un titre m'a attirée. (J'accorde beaucoup d'importance aux titres, tant ceux que je choisis pour mes propres textes ou livres que ceux des auteurs sur des catalogues. Un mauvais titre, ou titre vide, trop neutre pour signifier et intriguer, cela peut suffire à éloigner certains ouvrages.) Celui-ci a le mystère que la démarche semble confirmer, Ce que dit le nuage. Un livre dont l'écriture est venue de dessins naissant sans décision mentale de l'auteur, Enza Palamara. Et j'ai feuilleté l'ouvrage, sur le stand. Confirmation de l'intérêt.
Mais un titre a un statut particulier. Perla, de Frédéric Brun. J'y reviendrai. Car il est fondateur, ayant déclenché l'intérêt pour ce qui nourrit l'axe de cette édition, créée ensuite. Une sensibilité esthétique, une pensée théorique, un domaine de la création. Perla, c'est un prénom.
En retournant en arrière dans le catalogue, retenir Novalis, ses fragments sur la poésie (traduits par Laurent Margantin). Poésie, réel absolu. Et s'initier, en complément, par la lecture de l'ouvrage de Frédéric Brun sur lui, Novalis et l'âme poétique du monde.
SITE des éditions Poesis... http://www.poesis-editions.fr/
23:48 Publié dans POÉSIE, Recensions.livres.poésie.citations©MC.San Juan | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : habiter poétiquement le monde, anthologie, anthologie-manifeste, poesis, hölderlin, frédéric brun, kenneth white, poésie, éthique, spiritualité, citations, livres, le plâtrier siffleur, christian bobin, jean onimus, novalis, laurent margantin
Les commentaires sont fermés.