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02/12/2025

Diérèse n°94

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Parcours non exhaustif...
L’éditorial de Daniel Martinez, « Vies de la poésie » (pp. 7-8), s’inscrit entre affirmation et interrogation, comme posé dans les interstices d’une pensée qui (comme il l’apprécie dans une citation de Bernard Noël à la fin de son texte) s’écrirait au conditionnel. Opposant la poésie, dans son rapport avec la langue, à ce qui, dans la culture acculturée du social, se situe « dans un siècle où la communication forcenée a dévalué la parole ». La poésie, elle, « renoue avec l’irremplaçable d’une langue qui vise à se défaire des faux-semblants ». Pour lui, aborder « la genèse du poème » est penser « perspective », considérant autant l’espace du geste externe d’écrire que le geste intérieur de déchiffrement des géométries intimes, des superpositions mentales à décrypter en soi (« le proche, le lointain »). J’aime la métaphore qu’il utilise pour traduire l’opération créative en poésie : frotter « les cailloux d’un réel polymorphe » [...] « afin que le feu prenne ».
Un autre questionnement intervient, qui n’est pas sans importance : la question de l’ego, dans une « tension » où se joue « la crainte d’être à un moment ou à un autre dépossédé du fruit de son labeur », mais aussi le processus d’une démarche intérieure vers un détachement permettant d’accéder à plus de « transparence ». Métamorphose de conscience qu’Henri Bergson, qu’il cite, formule en parlant du regard des poètes posé sur « une chose », vue « pour elle, et non plus pour eux ».
La poésie ? Elle « échappe à toute tentative de subordination » et « déborde le langage conçu comme simple outil de communication ». Le poète se faisant transfuge de soi-même, accédant à l’autre en lui dont Bernard Noël « suggère, lui, que cet autre pourrait ‘être une figure que nous ne touchons qu’en nous’ ». La poésie, libre « parole déplacée », dévoile, écrit Daniel Martinez, « la singularité de chacun », rendant possible un autre rapport au monde réel, pour une « respiration », « côté lumière ».

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L’exergue noté en page titre, introduisant ce numéro, convient aussi à cette réflexion. Céline Zins (1937-2024) évoque la légèreté du « sable de la marche » et on le voit effacer « l’empreinte » des pieds, à laquelle, dit-elle, « on croit ». L’ego nous fera croire à l’empreinte, et y tenir, craindre la perte. La mémoire du sable, au lieu de l’oubli, sera leçon d’effacement, autre transparence...
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Des pages « Rubrica » je retiens particulièrement la chronique de Satyaryana Swami Pavitrananda, « Inde et Occident » (pp. 230-232). Précieux texte (même si je formule à la fin des réserves), qui présente une synthèse de ce qu’est la culture de l’Inde, sa spécificité, analysant la différence entre Inde et Occident dans la manière de penser et vivre les valeurs. Si l’Occident distingue vie intérieure et extérieure, il donne, au regard de l’Inde, plus d’importance à l’extérieur. Alors que ce qui marque la culture indienne est « la prépondérance donnée par les Indiens aux valeurs spirituelles », est-il écrit.
Plutôt que faire un exposé en énonçant des concepts, le choix est de s’appuyer surtout sur des images et récits : Bouddha (sa représentation, statues, statuettes, peintures), le quotidien d’un ascète, un conte ancien...
La figure du Bouddha, tout le monde la connaît, le sens en est explicité. La méditation, le sourire, la paix, les yeux (« Ces yeux sont tout un symbole ; ces regards fermés au monde extérieur mais ouverts à la clarté de l’âme, et cette joie sereine que rien désormais ne saurait plus faire vaciller »).
Ce qui est mis en avant, pour éviter tout contresens, c’est que l’Inde n’écarte pas la vie extérieure mais elle l’habite de signes et de rites correspondant à la vie spirituelle : « la vie extérieure est une série de manifestations et de symboles, à travers lesquels l’âme s’exprime et rayonne ». La « prééminence du spirituel » s’inscrit dans la tradition, par l’accueil de « toutes les diversités ». La contradiction n’est pas rejetée, l’Inde sachant « concilier la création et la destruction », et les contraires elle sait « les harmoniser en les transcendant ».
Une notion a une particulière importance. (Je note qu’on la retrouve aussi, cependant, dans les sagesses d’autres territoires d’Asie, taoïsme chinois, zen japonais... et, dans le monde méditerranéen et occidental, dans les mystiques soufies, juives, chrétiennes). C’est la pensée du Un (« La vérité est Une, dit le Rig-Veda »).
Comment transmettre la poésie des auteurs indiens, leur langage ? « Impossible de rendre dans une autre langue les sonorités magiques du sanscrit »...
La démonstration s’achève sur un portrait d’ascète et un conte.
L’ascète, et sa parole, un quotidien sans confort, de dépouillement total, une radicalité des renoncements, une vie qui n’est que spiritualité, dans un accord avec le Tout de la nature, et la joie d’une sorte d’éveil, de libération loin de « l’égarement », l’attente d’une fusion avec « l’être suprême ».
Le conte, très ancien, est beau et étrange. Histoire d’un chasseur affamé pour lequel un oiseau se sacrifie.
Oui, l’Inde est fascinante, sa culture, son esthétique, et, donc, sa spiritualité. Mais est-il si vrai que l’Occident soit à ce point coupé de la vie intérieure ? On peut le discuter (importance des écrits mystiques, profusion de créations, domaine métaphysique...). Est-il si vrai que l’Inde ait transcendé tous les contraires ? Il en est qui questionnent. La réalité des castes, la désespérante situation des Intouchables, les Dalits, même si Ram Nath Kovind a pu être élu Président de l’Inde de 2017 à 2022, par exemple, et si la Constitution de 1950 interdit officiellement la discrimination (mais elle demeure dans les croyances). L’autre fait problématique est la situation des femmes, et notamment des mères âgées et veuves dont beaucoup se retrouvent hors de chez elles dans le dénuement.
Page suivante, la photographie d’un fragment de tissu hindou, la beauté des signes inscrits, un alphabet qu’on ne peut déchiffrer...
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TRADUCTIONS, pp. 9-51

Charles Wright, présenté et traduit de l’américain par Jean-Yves Cadoret
« Buffalo yoga »
Toute ma vie j’ai écouté le sombre discours du silence.
[...]
Tout semble tendre vers un cercle – le monde,
Cette vie, et sans aucun doute celle d’après
[...].
[...]
Nos vrais noms, impérissablement inscrits dans le registre de la lumière,
D’où procèdent toutes les lettres.

[...]
Le monde est un livre magique, dont nous sommes les phrases.
Le lisant nous nous lisons.

...

Gerhardt Falkner, présenté et traduit de l’allemand par Joël Vincent
« La moitié d’un petit bout de temps »
Des mots, pompeux et énormes,
ne méritent pas d’entrer dans un poème

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José Manuel de Vasconcelos, traduit du portugais par Jean-Paul Bota
« Jorge Luis Borges »
Nous ne saurons jamais qui nous sommes
vieux mage qui lisais dans la mémoire
ce que le présent lent ne te permettait pas

[...]
Tu cachais finalement les clés du désert
dans la magie douce d’un vieux bouquin

...

Carlos Ramón Aránguiz Zúñiga, traduit de l’espagnol (Chili) par Pacôme Yerma
(Carrière juridique, enseignement du droit, créateur d’une revue de poésie, a publié quatre recueils.)
« Dis-moi, quoi de nouveau ? »
Quoi de nouveau dans cette besace de rêves
pendue à ton épaule, que tu traînes
sur le sentier désert que l’on appelle Vie ?

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Cahiers (POÈMES), pp. 53-186. Quelques citations...

Pierre Dhainaut
« Deux avant-poèmes »
... on ne voit bien
que si nous relie le langage, et l’on se tend
au point de bloquer la respiration

[...]
À l’intérieur de l’œil par menus cercles
qui prolifèrent, se scindent, se réunissent,
éblouissante, une force à fendre
parois et ténèbres, à nettoyer les traces,
à illuminer non ce qui reste, ce qui vient.

[...]
Loin de nous, en nous-mêmes,
quand l’air, le regard se confondent.

[...]
Le poème est sans doute un cri
par-delà ces ratures, il se module
dans un désert comme au milieu des vagues.

...

Sabine Dewulf
Alors je me souviens
qu’aucun fragment de l’âme
ne s’en prend à ma peau.

[...]
Ouvrir à reculons
la porte de la nuque.

[...]
Apprendre du déséquilibre
l’irruption du vivant.

...

Isabelle Lévesque
« Rouge inconditionnel »
(page qui précède, en regard, sa photographie d’une fleur haute, pétales rouges)
Levée tôt, je m’accommode de la brume
et j’avance vers le secret.

...

Gérard Bocholier
Mais il est grand temps d’ouvrir
Sans trembler l’ultime porte

...

Michel Lamart
« Variations »
(en exergue Anna Akhmatova)
Ranimer
Le feu intérieur
Sans quoi
Rien n’est possible

...

Daniel Martinez
« Simple flamme »
Entre l’air et la buée
de la langue à la bouche
le vif de la parole
aille s’y perdre
jusques au cœur optique
du grand Tout

.
« À n’être »
(en exergue, Hölderlin)
et suivre le sillon
d’un feu abstrait
où rien ne brûle
mais s’éploie à nu
telle la chevelure
emmêlée des augures

...
Philippe Mathy
« Où es-tu ? »
(en exergue, K. A. Al-Ansârî et Juan Ramón Jiménez)
Ce qui s’éloigne emporte nos murmures
peut-être pour découvrir un chant
qu’il ne nous sera jamais donné d’entendre
ici-bas

[...]
Tu ne t’effaces pas
Tu es l’effacement

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NOTES de LECTURE (sélection, textes amples)

De Laurent Faugeras, Michel Diaz a lu La vie extime, éd. L’herbe qui tremble. Titre intéressant, mot rare que Michel Diaz resitue avec des occurrences. Ici comprendre non le contraire d’intime mais l’intime porté au-dehors par l’écriture comme fouillé intérieurement, abordant l’essence de l’être.
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Par Gérard Bocholier, recension de La Voix de l’érable, Opus incertum VII, de Roger Munier (1923-2010), Arfuyen. Publication posthume (et destinée à l’être par l’auteur). Des éclats, des pensées, sous une forme qui s’imposait à lui. Roger Munier médite et offre des fragments d’une grande profondeur, inquiétante aussi, l’auteur étant conscient de parler à partir d’un « étrange lieu »... « C’est un lieu nul, même pour moi. Le seul où l’on soit traversé. »
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Lecture de François Cheng, Une nuit au cap de la Chèvre, éd. Albin Michel, par Pierre Tanguy. Livre écrit à partir d’un séjour dans un lieu qui a captivé François Cheng, offrant comme une connexion avec le cosmos, une expérience forte, unique. Sa méditation associe, comme toujours, taoïsme et christianisme. Un diamant à ses 95 ans.
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Janine Poulsen à partir d’une soirée à la Sorbonne autour d’Hélène Dorion, a voulu rendre compte du volume de Poésie/Gallimard qui lui est consacré, Un visage appuyé contre le monde et autres poèmes. Lire ce livre c’est, dit-elle, entreprendre un « voyage cosmique ».
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Par Marie-Noëlle Agniau, relecture de Feux (1936, 1957), de Marguerite Yourcenar, éd. Plon. Douleur d’amour, mais comme le titre le dit, écriture de flamme.
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Recension de Paul Celan, sauver la clarté de Marie-Hélène Prouteau, éd. Unicité, par Jean-Louis Bernard. Il relate la genèse de l’écriture de cet essai et son axe, dire la lumière de la poésie de Celan.
Jean-Louis Bernard a lu aussi Pour que parle la beauté, d’Éric Chassefière, éd. Rafael de Surtis, qu’il présente comme un « bouquet » de voyages. Et plus loin il recense Francis Bacon, le lieu du visage, de Michel Diaz, Encres vives. Étrangement les interrogations de ces ouvrages se rejoignent.
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J’ai lu Moi qui ne possède rien, célébrant le papillon, de Johannes Kühn, traduit par Joël Vincent, éd. Ressouvenances. Auteur que j’ai découvert ainsi. Initiation facilitée par la fine présentation écrite par le traducteur et la préface admirative de Peter Handke.
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Recension, Marie-Claude San Juan
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LIEN, revue Diérèse/Les Deux-Siciles (Daniel Martinez) : http://revuepoesie.hautetfort.com/

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