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03/07/2020

Aziz CHOUAKI, Les oranges. Ou le parcours poétique d'années algériennes par un humaniste camusien...

aziz chouaki,les oranges,mille et une nuits,algérie,citations,littérature,théâtre,humanisme,fraternité,camus Attendre, que le sang sèche, comme l’encre, puis écrire, avec le vent, avec les arbres, des feuilles simples et splendides, pour dire le vœu, l’œuf le mot, la pastèque de Camus, le mètre cube de terre, le chant de Rosina, la grande et puissante symphonie des oranges. Celle qui, partout et nulle part, dit le cercle parfait.
   Le témoin a avoué, la plaque de la rue a été retrouvée. Le voleur c’est un gars des nouvelles cités.
   Le match est fini, ceux d’en bas ont gagné, bravo les gars.
   Quant à moi, je crois que je vais descendre me faire une bonne petite belote.
 Aziz Chouaki, Les Oranges, Mille et Une Nuits, 1998
 
   Moins de cent pages et toute l’histoire de l’Algérie. Aziz Chouaki fait d’abord parler un vieil homme qui se souvient de ses sept ans en 1830 et qui regarde la mer et Alger de son balcon. Mais le Je qui s’exprime tout au long du récit est un Algérien qui traverse le temps, de la colonisation française à l’indépendance, en passant par les dérives du pouvoir et les horreurs de la décennie noire, avec les litanies de victimes. Sans omettre les violences du FLN et de l’OAS. C’est cela le sang dont on attend qu’il sèche, celui de la guerre et celui du terrorisme. Le Je multiple c’est aussi Aziz Chouaki lui-même. Pour la fraternité.


Pourquoi ce titre ? À cause du serment que fait le personnage central au "Royaume des oranges", ce fruit si méditerranéen, si algérien : "Je jure à jamais d'enterrer cette balle le jour où tous les gens de cette terre d'Algérie s'aimeront comme s'aiment les oranges". Faire disparaître la balle qui a 'tué' une orange, en juillet 1830, en même temps que plusieurs personnes de sa famille tombaient elles aussi. Cette symbolique première balle de la guerre représente aussi celles du terrorisme (des terrorismes), ceux associés à la guerre et ceux de la décennie noire. Et "les gens de cette terre d’Algérie", on voit, en lisant le livre (et en lisant, notamment, l’entretien dont je parle ci-dessous) qu’ils sont aussi les exilés de plusieurs communautés. Désir de paix des esprits au-delà des violences vécues.
Les oranges symbolisent l’harmonie de la paix (et de l’amour) entre les différentes communautés du pays. L’utopie, l’idéal de la fraternité.  
    Pour Aziz Chouaki, la fraternité se construit en réinventant le peuple disséminé par des exils successifs. Lui qui se présentait (provocation mais pas seulement), dans un entretien avec Marie Virolle, en 2003, comme "un pied-noir de culture musulmane…. athée, Dieu merci !" (dossier PAGE des libraires sur la littérature algérienne).. Pourquoi ? Parce que lui aussi exilé, fuyant les islamistes. Et nourri d’une culture algérienne métissée, comprenant Albert Camus, Isabelle Eberhardt (avec "son islam rose-des-sables, sa foi mobile au verbe doux"), et les Kader ou Rosina, Ouardia ou Manolo...
 
   Le peuple rêvé d’Aziz Chouaki il en fait la liste. Il y met "des communistes, des homosexuels, des juifs, des cyclistes, des chrétiens, des drogués, des footballeurs, des femmes, beaucoup de femmes, des mères de famille, des putes, des imams, eh oui, des enfants, des pieds-noirs, des Noirs, des fleuristes, des arabisants , des francisants (…) des blonds aux yeux bleus, des crépus au coeur d’or". 
   Camus ? "Camus, lui, c’est avec son âme qu’il raisonne, voilà pourquoi il a pas vu venir l’affaire." (C’est écrit dans l’algérien francophone parlé d’Alger).
   Et c’est quoi, la pastèque de Camus ? La métaphore de sa fraternité. "La spécialité d’Albert Camus : découper la grande pastèque en tranches circulaires, et non pas en quartiers, c’est là l’astuce." / "Comme ça chacun il a un peu de coeur."
 
Le livre contient une postface de Christiane Achour et Benjamin Stora. Présentation de l’auteur et lecture de la pièce (puisque ce monologue est destiné à être joué) - l’histoire, l’identité, la fraternité.
 
Aziz Chouaki est décédé en avril 2019, à 67 ans, à Paris. Ce monologue a été mis en scène au théâtre et a inspiré un film (2008). 
 
recension © MC San Juan
 
LIENS…
 
Une page passionnante sur la mise en scène des Oranges par Éric Checco, 2002 (Compagnie du Théâtre du Voile Déchiré).
Paroles partagées, après une introduction  (le metteur en scène, l’auteur, le chef de Chœur - car la musique fut associée, le parrain - qui symbolise, représente, tous ceux qui luttent contre la violence fratricide et l’oppression).
 
Chronique de Guillaume Sergent, sur la mise en scène de Marie Fernandez et Mohamed Brikat (qui est aussi le comédien)… En note une erreur à corriger, sur l’identité des Pieds-Noirs. (Non, principalement pas des "Français de souche" - expression déplaisante d’ailleurs - mais une communauté issue majoritairement de nombreuses immigrations méditerranéennes. Et les Juifs algériens, qui sont devenus pieds-noirs par l’exil et la nationalité française, étaient des Berbères présents en Algérie avant même l’occupation ottomane)...
 
Autres mises en scène. Laurent Hatat (création en 2010), Hakim Djaziri (création en 201!)...
 
Un film documentaire de Lamine Ammar-Khodja, 2008. Autour de l’auteur. Aziz Chouaki ou le serment des oranges
 
Fiche wikipedia, Aziz Chouaki
 
Éditions Mille.Et.Une.Nuits/Fayard

Commentaires

Article très utile, merci

Écrit par : lina madi | 11/07/2020

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