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13/12/2025

Jardins de riens, de Françoise Favretto, Atelier de l’agneau, 2020

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Jardins de riens. Trois parties structurent la série de poèmes brefs, pour ce livre de Françoise Favretto, qui en suit un autre, Jardins.
On est invité à visiter un jardin de ville, puis à passer dans le matin d’un verger (« Déplacement »), et enfin à contempler la nature vers un soir d’éclipse, en lisant « 19 petits textes »...
Avant même de lire tous les textes, des éléments révèlent une intention, un état d’esprit, pour cet ouvrage qui est aussi un objet d’artiste, avec ses feuilles, fins voiles verts transparents posés entre des pages, dans mon exemplaire (voir le lien en bas de note, explication, « livre unique multiple »). Car ces Jardins offerts sont « de riens » (faits du peu, du petit, de bricoles, des riens, donc...). Et tracés, entrés en écriture, comme faits de riens, poèmes brefs en miroir modeste de ce qui est regardé, pour ne pas peser sur ce réel-là. Les textes sont qualifiés de « petits », ce qui ne renvoie pas seulement à la taille (peu de lignes, touches légères) mais au refus du grandiloquent. Pas de posture d’orgueil créateur humain à opposer à la nature, comme elle est : présence silencieuse un peu en retrait, à hauteur d’herbe et arbre, dans l’écoute des sons. Et ces poèmes sont dits « hésitant », écrits en hésitant, l’hésitation étant la mesure du respect rendu aux oiseaux, aux fleurs, aux insectes... même nuisibles (ou considérés tels). Volonté d’insister sur un désir de peindre le peu des choses du jardin, le vivant minuscule, les brindilles du végétal, et de le faire juste en dessinant des pourtours d’existence, sans conceptualiser ce qui est. Une démarche volontairement humble pour tracer ce qui est vu. Et comment être sûre de capter et transmettre l’insaisissable, ce que les sens perçoivent, qui n’est pas idée mais corps ?


J’essaie de dire d’écrire
ce bruit
dans les feuillages


Entrer dans un jardin « comme... ».
Comme... « le chat noir », avec la souplesse de qui ne dérange pas l’infime, « glissant le long des parterres de fleurs ». Car « pointes des herbes » et toile d’une araignée invisible en « fils argentés », c’est délicat. On nous fait imaginer un univers miniature « dans le creux / aux violettes », ruisseau possible né de l’humidité. Les sons naturels sont réduits (« gazouillis / roucoulis », « bruissement léger / d’un jet d’eau »). Et même les échos de la vie humaine s’adoucissent (« Glissement léger d’une voiture »). Un rythme autre se met en place, musique : « Trois coups de marteau / Répons d’oiseaux ».

La beauté.
Un narcisse à lui seul
en son cœur est un bouquet

Couleurs.
Une fleur pâlotte
petit réverbère d’opale


Le végétal, capture de bribes.
« fleur », « feuille, « touffe »...

Le « secret ». Même si « tout n’est pas intéressant » dans ce jardin :
À cette heure matinale
je suis la seule à l’observer
et c’est cela le secret


Les oiseaux...
Dans Le Plaisir à l’endroit de l’arête (La Part des Anges, 1999), Françoise Favretto consacrait plusieurs pages aux oiseaux, un chapitre titré « Parmi mes oiseaux debout », dont j’avais souligné une phrase : « Je ne connaissais que les oiseaux ».
Et dans « Déplacement » (ou le verger), des oiseaux encore : oiseau, colombe, rouge-gorge, geai.. Et les insectes.

Parfums.
La fleur ne sentait pas, dans le jardin de ville. Là, même s’il faut se baisser, « le parfum de l’orchidée » se respire, et « l’odeur fraîche du ruisseau », aussi.

Animaux.
Présences : chenille, cigale, biche, essaim de frelons, chauve-souris...
Chenille. Je pense à ce que Margaret Atwood (La servante écarlate) raconte dans ses Mémoires : qu’elle doit la vie à une chenille sans laquelle elle n’existerait pas. Son père, passionné par une chenille géante, dans sa région loin de tout, décida de partir faire des études d’entomologiste, ce qui lui fit rencontrer celle qui devint la mère de Margaret Atwood.

Passion pour les jardins autant que pour les livres, Françoise Favretto a cela en commun avec Marco Martella, notamment (Les fruits du myrobolan, Actes Sud). Lui qui parle de la naissance de sa passion (rivale au début de la littérature) en disant avoir « rencontré le jardin »...

En quatrième de couverture de Jardins de riens il est écrit ceci : « Malgré quelques tentatives, l’auteure ne sait pas bien vivre en ville. Jardins et bois révèlent un univers où elle parvient vraiment à être en oubli de soi ». Et on peut comprendre un peu mieux la démarche, car cet « oubli de soi » rejoint le message du merveilleux Gravé à l’esprit de Fa Jung, traduit et présenté par Daniel Giraud, l’éminent connaisseur de la culture chinoise et du taoïsme. Cet ouvrage, que Françoise Favretto a publié, est un diamant dans son édition, et l’entreprise des Jardins de riens se situe dans une énergie de conscience assez proche de ce que le traducteur définit. Contemplant la nature on fait le vide, on crée l’écart nécessaire à cet « oubli », état « sans intention » que mentionne Daniel Giraud dans son introduction au livre de Fa Jung. Il écrit : « En étant sans intention, l’esprit unifié est vide d’esprit » (p. 11). Un horizon pour qui contemple en silence jardins et vergers, délivré alors, dans ses marches, des « tourbillons des pensées » (même paragraphe, p. 11). Ces pensées qui ramènent à soi.

Ces Jardins de Françoise Favretto pourraient avoir comme exergue ce fragment de Fa Jung :
les dix mille choses toujours réelles
l’unité caractérise le monde visible
(p. 22)

[Car ces riens que le regard et les poèmes saisissent sont part du Tout.]

ou celui-ci :
ni pur ni impur
ni profond ni peu profond
(p. 24)

[Car pas de jugement dans la contemplation dans « l’oubli de soi », juste voir ce qui existe, est, comme cela existe, est.]
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Recension, Marie-Claude San Juan
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LIEN : Jardins de riens, Atelier de l’agneau (voir sur cette page la conception de cette collection, du « livre unique multiple ») : https://atelierdelagneau.com/fr/collection-framboises-fou...

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