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26/08/2020

POÉSIE. Les Cahiers du Sens N°30, Le silence. Et des livres associés...

Cahiers du Sens 30.jpgEn lisant la revue j’ai commencé par la fin, ou presque la fin, les voyages, puis les recensions. Notes de lecture de plusieurs intervenants. Les miennes, que je ne commenterai pas, sont le condensé de notes de blog trop amples pour la rubrique, et que j'ai donc résumées. Lecture de François Cheng et Patrick Le Bescont (Échos du silence), de Jean-Luc Leguay (Le Maître de lumière), et d’un numéro de Poésie première sur le silence. Je ne parlerai pas, là, non plus, de mon texte dans le dossier "Silence" (Déchiffrer ce qui lentement se déploie), ni de mes poèmes (je me contente d’en noter ici les titres : Des oiseaux… / L’apogée du parfum. (Et maintenant je ne m’occupe plus que des autres, notant et commentant). Mes publications, j’y reviendrai en automne... (Mise à jour 07-12-20. C'est fait. Deux mois après, j'ai repris mes trois textes (dont deux poèmes), et posé titres, exergues et fragments, tout en bas de la note...). 

Quatre parties, dans la revue... Dont je change l'ordre.

Voyage... Lectures... Textes sur le silence, le dossier... Anthologie, poèmes. 


Voyage...
J’ai parcouru les récits de voyage...
Et relu le texte d’Éric Desordre (dont je lis en ce moment le recueil Tu avanceras nu - ses poèmes, ses photographies). Népal dans la brume. D’abord, Katmandou, "la ville des signes", son fouillis urbain. Puis la route vers l’Himalaya. Les noms, déjà, font rêver, tant des repères culturels nous lient à ces contrées, repères parfois fantasmés, parfois justes. Mais le voyage est dans le réel : "Vu les conditions de vie, tout est courage". Éric Désordre note un message vu dans une boutique de cordonnier : "Life is hard but not impossible". Puis ce sont les routes vers les pentes pré-himalayennes. Humour. Il s’imagine dans l’émission Les routes de l’impossible, et a l’impression "d’être Charles Vanel dans Le Salaire de la peur, sans le salaire"… Paradoxes, dans ce qui est vu. D’un côté un univers de détritus, qui semble ne déranger personne dans le pays. De l’autre ces êtres qui vivent là, habités par le sacré. Il cite la pensée de quelqu’un dont il ne donne que le prénom, Patrick, phrase qui résonne en lui : "Nous sommes faits pour l’infini, nous ne sommes pas faits pour ce qui est fini". Et il ajoute le questionnement que cela provoque. "Comment relier notre compréhension de l’univers, notre propre recherche spirituelle à celle qui s’exprime ici, sous nos yeux étonnés ?". La réponse est peut-être dans ce qui suit, ces moines bouddhistes croisés, qui connaissent Matthieu Ricard. La culture, le métissage spirituel. Et le regard sur notre Orient spirituel, dans les paroles des sages d’ici. La phrase de Patrick m’a immédiatement fait évoquer celle de Pierre Teilhard de Chardin : "Nous ne sommes pas des êtres humains vivant une expérience spirituelle, nous sommes des êtres spirituels vivant une expérience humaine"…
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Lisant les choix de la rubrique Lecture cela me donne envie de me procurer certains ouvrages (ou confirme un choix déjà fait). 
… Ainsi je remarque, dans les notes de Jacqueline Persini, le recueil d'Isabelle Lelouch, Le banquet des solitudes, chez Unicité (une traversée de douleur cherchant la lumière). Puis le livret de Felip Costaglioli et Vincent Rougier (peintre et éditeur), Le revenant, dans cette précieuse collection-revue, Ficelle (Comment on est habité par des présences, mais aussi par des parts inconnues de soi). Et enfin la revue Arpa N° 127 (de Gérard Bocholier). Et je note la présence d’auteurs dont j’ai lu des textes ou livres, et que j’apprécie (Werner Lambersy, Philippe Mac Leod, Michel Diaz…). 
… Des choix de Maurice Cury je retiens le livre de Matthias Vincenot et André Prodhomme (que je lis, lui, dans la revue À l’Index, notamment, comme Werner Lambersy d’ailleurs), La chair des mots.
... Marie-Josée Christien a la bonne idée de nous signaler l’ouvrage de Guy Allix et Pointilleuse, Les couleurs du Petit Peintre. Livre à s’offrir et offrir.
... Bruno Thomas parle d'abord de la revue Thauma, qui allie poésie et philosophie, en les maintenant "dans la différence de leur être". Je suis intriguée (et attirée) par ce qu’il dit, ensuite, du recueil de Claude Cailleau, Anthologie poétique, de ses décisions de silence, le trou de nombreuses années entre deux temps des poèmes de ce recueil, sa décision d’arrêter d’écrire de la poésie (qu’il la tienne ou pas, car on a le droit de changer d’avis).
. Réfléchissant encore aux silences de Claude Cailleau (que Bruno Thomas me donne envie de lire...)  je trouve, en relisant une préface de Marcello-Fabri où il définit sa conception de la poésie, des pensées qui relativisent la question de la production et de la publication (Marcello-Fabri est le pseudonyme espérantiste du poète Marcel Louis Faivre, 1889-1945, Algérie). Voici ce qu’il écrit dans ce texte liminaire du recueil Les chers esclavages (titre du texte sur la poésie et du recueil - 1938, réédition 1989)… Est poète, pour lui, "celui qui crée, à son seul usage sa métaphysique et celui qui nourrit le plus grand nombre d’intuitions" (…) "celui qui crée en lui un monde personnel - féérie intime parfois, enfer mythique aussi, ou les deux ensemble, - et dont la volonté sensible, continuellement, fait obstacle aux ruées du monde extérieur. Et, surtout, celui qui, ayant ouvert à son esprit ce monde visionnaire, tente - avec ou sans réussite, de le rendre tangible…" (…) "Le poète peut ne rien créer, et conserver ses droits à son titre. Il y a certainement des poètes, et des grands, dont les rêves seront à jamais ignorés." Claude Cailleau doit être de la trempe de Marcello-Fabri, peu soucieux des gloires illusoires… 
Guy Allix parle avec douleur du recueil de Michel Baglin, Les mots nous manquent. Poète décédé qu’il faut lire et relire encore (poète et passeur généreux). Commentant l’ouvrage de Marie-José Christien, Affolement du sang, il dit la densité de ses poèmes courts, opposant cela à la fausse brièveté des "haïkus à la mode". Éloge pour un livre qui est, écrit-il, "une traversée, un livre de solitude, de lucidité et de vrai courage signé par une des plus vraies poètes d’aujourd’hui".
. J’apprécie particulièrement sa remarque sur les haïkus. Car si j’aime (beaucoup) les haïkus de la tradition japonaise et les très brefs poèmes des maîtres du zen ou de la dynastie chinoise Tang, je ne supporte pas la médiocrité de tant de publications de haïkus qui sont complètement à l’opposé de ces créations originelles. Les textes authentiques des sages d’autrefois (ou plus rares contemporains) sont le produit de lentes maturations, d’instants qui extirpent le diamant d’une conscience méditante. Pas les superficielles descriptions qui ne disent rien d’autre que leur brièveté ou la stérilité d’auteurs sans souffle (quand ce n’est pas sans maîtrise grammaticale, faiblesse cachée par le vide… et que la prose révélerait). Oui, rares, les haïkus de valeur (j’y mets ceux de Christian Tortel, lisibles sur son site - là il y a une densité, une pensée).
… Six livres dans le bouquet de Jean-Luc Maxence. Dont celui de Bernard Perroy, Un rendez-vous avec la neige. ll lui dit, avec amitié, qu’il aimerait voir sortir, de la douceur habituelle de ses textes, des "vents contraires" ("ses révoltes et ses doutes, en dépit de la beauté des astres mystiques entrevus dans la nuit…"). Ayant lu - et apprécié - depuis, le texte de Bernard Perroy sur le silence, j’ai l’impression que c’est dans la prose qu’il peut plus facilement aller vers les ombres contraires, autre écriture que celle des intuitions spirituelles qu’il choisit d'inscrire dans ses poèmes. Lecture de Jean-Luc Maxence, aussi, celle du recueil de Gabriel Zimmermann, Depuis la cendre, sur "le deuil impossible des êtres que nous avons tant aimés". "Ce poète est rare, parfois exceptionnel". 
…  De Jean-Luc Maxence, c’est Frédérique Kerbellec qui a lu Tout est dit ?. Elle en parle avec intuition et profondeur. Ayant lu ce recueil je reconnais la qualité de sa lecture (j’en ferai aussi une recension, à l’automne). Pour elle, en plus, ouvrir le recueil a été l’occasion d’une expérience de synchronicité bienfaitrice (sur la peur qu’on a de voir mourir qui on aime…). Elle apprécie la parole juste sur l’amour vécu qui dure, le couple de beaucoup d’années, écriture plus rare peut-être que celle des passions éphémères. Mais elle mentionne aussi ce qui concerne la mémoire de la jeunesse, des élans et colères d’alors, des douleurs et du pire. 
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Mais les premières pages de la revue sont celles du dossier Le silence… Une centaine de pages et beaucoup d’auteurs. Tout est intéressant, même si, bien sûr, je préfère certains textes. Paradoxe, pourrait-on dire, tant de pages pour ce qui est le retrait hors des mots. Sauf que, et c’est le point commun à beaucoup de réflexions, le silence fait partie de l’univers de la poésie, il lui est nécessaire. L’écriture de la poésie puise dans les tréfonds inconscients des savoirs et des émotions. C’est une démarche de création qui passe par un processus de mise à l’écart du langage ordinaire. Une plongée en soi vécue dans la solitude d’instants radicaux hors communication. Cela, les poètes le disent tous à leur manière.
Impossible de parler de tous : il faudra lire… Et j’espère que d’autres poètes-blogueurs feront des recensions en repérant d’autres noms… C’est ce croisement des lectures qui fait vivre la poésie. (Je suis l’ordre des pages…).
 
Pour commencer, le très beau texte de Guy Allix (Si lent ce silence…), riche de références, d’échos. En exergue Shakespeare et Louis Lavelle. Guy Allix traite d’un silence "habité", que beaucoup fuient, et que le "bruit" social anéantit. "Oui", écrit-il, rejoignant une réflexion de Michel Baglin, "le silence fait peur, comme la solitude, comme l’ennui, comme la lenteur, comme la nuit, nous confronte à ce que nous redoutons le plus quand pourtant la pensée de la mort elle-même nous construit et nous rend véritablement libres" (et il cite Char, "la blessure la plus rapprochée du soleil", à laquelle nous sommes "ouverts" par la capacité de penser la mort). Par cette peur, on se détourne du "réel à soi", ou "réel en soi". "Dénuement", "sobriété", sont les mots des valeurs que Guy Allix inscrit contre le "brouhaha" qui nous éloigne de nous, ce "vacarme du monde".  Loin du vacarme se rencontrent pour lui deux démarches, celles du marcheur et du poète.
 
J’ai apprécié qu’Annie Coll (La poésie fait hurler le silence) cite Paul Celan : "La poésie est un cadeau fait aux attentifs". L’attention, oui. La poésie dont elle dit qu’elle "rend compte du mystère, de l’inconnu du réel" et qu’elle "élargit notre conscience". Pas d’exergue, pour Annie Coll. Cependant elle dit que son texte lui est inspiré par le livre de Jean-Pierre Siméon, La poésie sauvera le monde.
 
Mais il y a aussi des silences qui sont toxiques. Ceux qui occultent des faits qui nous ont construits ou déconstruits, détruits parfois. Occultation par amnésie ou manque d’informations. Et les non-dits, l’impossible à penser ou dire. Jacqueline Persini (Une traversée du silence) a eu la bonne idée de parler de Georges Perec, à partir de son livre W ou le souvenir d’enfance. Son histoire personnelle terrible enfouie dans le silence de la mémoire et de l’Histoire. La mort des parents, la disparition de la mère en camp nazi d’extermination. "Sans l’écriture, Perec n’aurait-il pas été affronté à la folie ?", se demande-t-elle ? Juste question, car lui-même l’évoqua (et elle le cite beaucoup). Il dit devoir se "recréer". Oui, l’écriture peut sauver, être une descente dans l’archéologie de soi.
 
Texte essentiel, aussi, celui de Bernard Renaud de la Faverie (Silence, méditation et ego). En exergue, Paul Valéry et Fritjof Schuon. Pour lui, le silence est "lieu de conscience profonde". Et, pour mieux définir ce qu’il désigne par "château intérieur", ce lieu en nous auquel on accède notamment par la méditation, ce "lieu intime d’où vient la parole", il se réfère à Robert Mizrahi, pour Construction d’un château. Cependant il exprime une mise en garde importante, le refus des pièges. Dont celui de fausses approches de la méditation, qui développeraient l’ego alors que le but de la méditation authentique est de le faire disparaître, dit-il. Mais là on peut peut-être nuancer, car chercher la disparition de l’ego peut être aussi un piège mental. D’une part car cette dissolution de l’ego ne peut être la première étape, l’être doit d’abord se structurer, ego compris (ou, même, avec l’ego). Dissoudre l’ego, je crois, ne se cherche pas, cela advient. Autre nuance. C’est vrai que beaucoup d’Occidentaux semblent chercher des voies orientales alors, dit-il que le christianisme, ici, a ses méthodes, "une discipline du silence et de la méditation". Oui, d’ailleurs les trois monothéismes ont leurs méthodes et mystiques. Mais c’est religieux. L’Orient propose aussi des approches a-religieuses. Enfin peu importe que les voies soient occidentales ou orientales. Ce qui convient à quelqu’un n’est pas forcément ce qu’il pratiquera pour l’avoir cherché, mais plutôt pour avoir été rencontré. Et même la méditation de pleine conscience, dont il pense qu’elle n’est "qu’une forme détournée et appauvrie de la vraie recherche du silence" (car sans référence spirituelle et trop diffusée ?), peut être, pour certains, un chemin vers eux-mêmes (notamment s’ils refusent, autrement, des pratiques associées à des univers religieux, à des dogmes). La réalité est plurielle. Et comment pourrions-nous savoir ce que les adeptes de telle ou telle pratique vivent réellement (d’où ils viennent et où ils vont) ? 
 
La mise au monde, dit Laurence Cécile Golan, dès son titre. Elle décrit un "accouchement" de soi. Qui passe par le courage de lâcher "tout repère" et "d’arracher un à un les masques".
 
Frédéric Vincent, lui (L’inconscient est silence ?) parle de "l’expérience du silence" qui "mène à l’ataraxie", "une abolition permanente du mal-être ?". Ce qu’il faut assumer c’est d’accéder à la capacité de "se choisir", au lieu de vivre dans "les carcans idéologiques", enfermé dans le "ON". Vers "une régénération de l’âme".
 
Pour Claire Dumay (Une espérance forte), aborder le sujet du silence, c’est, comme toujours chez elle, un exercice-scalpel de retour sur soi. La recherche du silence est douloureuse, il est encombré par des "fermentations vénéneuses", ou rencontre une "vacuité" angoissante. Mais cette vacuité, "proche de l’épouvante", semble, perçue du dehors, comme ce qui serait juste avant une frontière à traverser, révélant l’inverse. 
 
Jacques Sommer (Marguerite Duras et l’éloquence du silence) rend compte d’une fascination, au point d’une lecture qui provoque "une métamorphose". En exergue, elle, bien sûr (Césarée).
 
Pour Jean-François Migaud (Diagonale du silence), constat, d’abord, d’un paradoxe. Car on ne parle du silence que de "biais", "en parlant d’autre chose". Comme le fait, dit-il en note, Jean-Claude Pirotte, dans son livre Le silence. Et justement il associe le silence à des éléments ("feu", "neige").  C’est une poétique de la métaphysique. C’est pour lui le tableau d’Edward Munch, son CRI, qui donne à voir le mieux "un silence viscéral fait d’une angoisse coincée au fond du gosier". Il évoque aussi d’autres tableaux. Un passage essentiel de cette riche réflexion est celui sur l’expérience d’éveil de Gustave Roud, telle qu’il en rend compte dans son Journal. Un moment de révélation spirituelle qu’il traduit notamment ainsi : "Instant d’extase imprévisible", ajoutant que "le temps s’arrête" et que les éléments du paysage autour de lui sont "saisis par l’éternité", c’est un "suspens indicible". En note Jean-François Nigaud corrige cette notion d’éternité ("confusion", dit-il) en se référant au philosophe mystique Angelus Silesius qui préfère parler de "temps éternel". Mais de grands textes d’éveil refusent aussi le terme "éternel", parlant plutôt de "hors temps", d’accès à une dimension difficile à saisir à partir de notre réalité ancrée dans l’espace-temps. Car "éternel" c’est encore le temps…  
 
Liliane Limonchik (Il était une fois…) partage le souvenir de silences posés sur des mémoires impossibles, comme le sont celles d’une famille exterminée. Les ombres des morts rendent les joies indécentes. Alors on se tait. Puis les deuils révèlent la force paradoxale du "silence partagé", car partage cependant, ce silence du terrible.
 
Marie-Claire Bancquart est en exergue du texte de Bernard Perroy (Devant toi le silence). Questionnement métaphysique sur le "silence de Dieu". En sous-titre il y met un point d’interrogation. Et il répond avec des poètes, dont Marie Noël, pour qui le silence contenu dans un chant est critère de beauté, et Pablo Neruda ("La parole est une aile du silence"). Très intéressante approche de la poésie à travers ses références et commentaires. Mais aussi avec ce dont il parle en évoquant le pochoir-autoportrait de son frère, Chuuuttt (on peut le voir quartier Beaubourg). Le street-artiste, Jef Aérosol, se peint "le doigt sur la bouche", pour dire "chut", donc inviter à se taire pour écouter le monde autour de nous, et peut-être le monde en nous... Cet exemple suit, dans le texte, un commentaire de la Bible, ce qui serait cette fois l’injonction divine ("Écoute").
 
Marguerite Duras en exergue du texte de Fanie Vincent (Si lancinant). Encore M.D., dont l’écriture sur les silences, le silence, a séduit plusieurs ici. Et, aussi, autre écho, le CRI de Munch. Oui, "hurler en silence" (M.D., l’exergue). Les mots enfermés dans la gorge, le hurlement muet. Et quand le son des mots n’est pas possible c’est le corps qui parle. Jusqu’à ce que, heureusement, la main puisse écrire.
 
Il y a un texte sans nom (Trois petits points, du silence et des nombres), signé Quelqu’un d’autres (avec le s du pluriel : métissage d’être, se dire habité par les autres, le goût ou le souci des autres ?). Et même l’exergue est de lui, signé Quelqu’un. J’en copie un extrait, car c’est une indication d’intention, de sens : "Il n’y a pas de commencement au silence, ni de fin. Tout ce qui existe a en soi un fond qui vient de plus loin que la parole le désignant. Ce fond, l’homme ne peut le rencontrer autrement que par le silence"… Pas de plus grand silence que l’anonymat choisi. Réflexion à la dimension du cosmos, où la fin de la terre et de l’humain n’aurait pas tant d’importance. Évocation de notre "obsolescence programmée". Mais retour à la "discipline intellectuelle" du silence, celui qui, "alchimique", ouvrira "l’intelligence du cœur". La "voie du silence" donne les "outils du silence", vers une "perception supérieure". Et, clés du sens radical, le nombre, les mathématiques, questionnement sur ce mystère du binaire tant en informatique que pour le symbole du Yin Yang. Donc, le nombre, choix du silence. Mais l’initié accepte la "descente dans l’intériorité", il peut rencontrer le silence "au cœur de l’atome", suivre un chemin jusqu’à la "réalisation ultime". J’ai pensé, lisant ce texte, à un ouvrage anonyme, Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot (Aubier). L’initié qui a commenté les arcanes a fait part d’une tradition hermétique, d’une voie de sagesse. Mais il est resté dans l’ombre volontairement, refusant d’apparaître comme "maître" nommé, ne voulant faire passer aucune injonction (et l’anonymat dissout cela). Je trouve là une correspondance. Retrait qui évacue toute parole d’ego. Et libère la parole vraie, car il est plus difficile de dire son lieu d’être, et les voies qui y mènent, en signant. J’ai pensé aussi à un autre livre, signé, lui. Les nombres sacrés, de M.-H. Gobert (Stock). Dès l’introduction l’auteur du texte cite Pythagore ("Tout est arrangé d’après le Nombre"), et Saint Augustin (sur l’inintelligence des nombres qui limite notre compréhension des textes sacrés). Et en 4ème de couverture l’éditeur cite Platon, qui a dit du nombre qu’il était "le plus haut degré de la connaissance"). L’ouvrage puise ses références autant dans le Zohar que dans la Bible juive ou le message chrétien, et le texte sur le "2" parle du principe binaire et du Yin Yang chinois… Paroles d’initiés. Le silence "au cœur de l'atome' évoque l'expérience mystique de celle qui fut appelée "Mère", et Aurobindo... 
 
Le CRI de Munch revient, évoqué par Marie Gatard (Fragile), dans un texte très bref. Pour le "hurlement muet" du tableau. Ainsi elle peut évoquer plusieurs cris impossibles ou difficiles. Que ce soit la sidération devant l’horreur du terrorisme, ou d’autres réalités. Mais elle parle aussi de silences autres. Un tableau, encore, mais cette fois la vague d’Okusai. Pour "l’inouï", le "temps figé".
 
Gérard Mottet (Et le silence prit la parole) met une citation d’Edmond Jabès en exergue (sur le silence, "âme des mots"). Car pour Gérard Mottet la poésie doit saisir "ce qui se dérobe à la parole". Conception d’une entreprise d’écriture qui est en quelque sorte une plongée en soi et aux racines du langage. Dans le "monde du silence" qui demeure dans ce qui s’écrit ("la parole ne rompt pas le silence dont les mots du poème restent tout imprégnés"). Il précise la portée de cette vision en citant Saint John Perse, sur la nuit "de l'âme" que la poésie "se doit d’explorer".
 
Tragédie d’une approche, mystérieux texte de Bruno Thomas. Mystérieux... en partie. Une page dont les fragments sont séparés par la répétition d’une phrase qui pourrait être celle de cette "approche", peut-être : "quand nous n’aurons passé que la mort", "que" la mort.  Qui serait donc moins que le sujet principal de la tragédie du titre. Quelle mort ? Celle des pensées du sujet en soi qui résiste au silence ? Car le silence à obtenir ici n’est pas l’absence de bruit ou le simple calme du mental. C’est plus. Silence "absolu". La tragédie c’est que sont "rares" les "suspensions où il se découvre". Aussi rares que le moment décrit par Gustave Roud dans son Journal, et dont parle Jean-François Migaud dans Diagonale du silence. (Les textes se font écho dans ce numéro sur le silence). Tragédie parce que l’expérience est en partie déjà là, mais l’absolu ne se décrète pas. Un chemin sans certitude...
 
Danny-Marc a posé une petite anthologie poétique, titrée Je ne saurais passer sous… silence ces quelques pensées... Elle fait lire des paroles de poètes et de sages, pour dire ce qui compte vraiment (l’amour, l’accomplissement). Phrases de René Char (cité trois fois), Albert camus, André Breton, et quelques autres… 
 
Pour Monique Leroux Serres (Rideau !), qui met en exergue Frédérique Germanaud ("Du silence ou de la lumière, qui étreint l’autre ?"), le silence est blanc et son univers est traduit par des tableaux, comme celui de Van Gogh, La chambre. (Le titre du texte, lui, fait référence à l’interruption des Cahiers du Sens avec ce numéro 30…).
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Et enfin la partie suivante ce sont les poèmes, l’Anthologie (thèmes libres, silence ou pas…). Lecture subjective, je ne peux parler de tout (mais j’ai tout lu…). Je suis les pages (auteurs classés par ordre alphabétique).
 
De Guy Allix, trois poèmes qui vont au centre de la gravité. (La force du naufrage, Locataire, Michel). Poésie qui traite de sujets vitaux, de douleurs qui pourraient détruire, et structurent. Même les pires, même le naufrage. Valeurs, éthique. "Ne pas posséder / Jamais". Car "simple locataire de la vie" nulle possession n’aurait de sens. C’est plutôt la terre qui nous possède, puisque nous sommes part d’elle et rien de plus : "Tu es ces mots de cris rentrés dans la gorge" se dit le poète à lui-même (et nous dit, car "tu" c’est aussi tout l’humain, le "toi" identique). Les cris, le cri, c’est encore Munch en écho. Et le dernier poème est consacré à Michel Baglin, à l’absence, à la peine.
 
Didier Ayres peint un "pays nocturne", dans Suspension des vents. "et des lampes souterraines / glissent sur des glaciers d’encre".
 
Les poèmes de Marie-Josée Christien (Alchimie des sens, Généalogie de la matière) ne traitent pas du même sujet, mais tissent un sens commun, la recherche de ce qui fait source. Le premier interroge le corps dans son rapport avec la douleur, le mystère de la venue des larmes. "il est la seule demeure / qui nous habite". Le second nous fait voyager dans la matière stellaire, le temps, la lumière. Le corps, la matière, nos mondes.
 
Annie Coll est une terrienne. En tout cas ses poèmes s’inscrivent dans cet ancrage (Promenade en automne, Un geste, La maison). Elle dit reconnaître l’odeur de la terre ancestrale. Mais "peu importe" les arbres et le vent, puisque, dit-elle, "il y a plusieurs mondes / en ce monde" et "peu importe" les âges, car "il y a / plusieurs vies en cette vie". Le geste du poème suivant c’est peut-être l’élan vers un être, ou le cri d’appel du "lendemain", geste mental ou émotionnel. Et la maison est "matrice d’équilibre", comme lieu à habiter, réellement ou dans "l’invisible" (et peut-être les deux à la fois).
 
Les deux poèmes de Danny-Marc (Ostende,et Si nous refaisions le monde), sont d’amour, son centre et son axe. Le monde est présent (même à refaire….) mais autour d’un visage qui donne sens : "ton visage où lire / le champ des étoiles". Le monde c’est pour l’offrir à la tendresse : "le désert pour toujours / te serait permanence / d’oasis / et d’eau claire". 
 
Je connaissais déjà le poème de Pascal Hermouet, de son recueil, Sillage (Requin chagrin). J’aurais aimé découvrir un inédit. Je relis, cependant, ce que j’aimais déjà, et j’en extrais des bribes : "requin chagrin rêve de sirène / le ciel laiteux ne te dit rien" (…) "chaque jour est une traversée nue". De Pascal Hermouet (dont je ne saurai donc pas encore à quoi ressemble ce qu’il prépare) je connais le lecteur connaisseur de Claude Esteban. Et je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’intuition que sa familiarité avec cette grande œuvre est part de ce qui est en maturation pour la sienne. Il y a là des clés.
 
Le cri du poème de Bernard Jakobiak (Un cri de silence) est plutôt une écoute qui tente de "déchiffrer le sens" de ce qui crie dans le monde, et pour dire quel manque surnage dans l’encombrement de tout. C’est le monde qui crie, la planète, les êtres en manque de vérité. Mais cela le "traverse", correspond à un cri en lui, de partage. C’est "un cri de banquise dans une nuit polaire" et "Les ténèbres / encerclent".
 
Frédérique Kerbellec interroge nos renoncements (Pardon mais non, et Les bras croisés du ciel). Renoncements, car "Nous avons délaissé nos vœux / pour des putréfactions sordides" (…) "Et nous agitons nos refus / nous disons non et non". Les anges du poème disent non aussi, mais à l’inverse.
 
Le poème de Jean-Luc Maxence répond  à celui de Danny-Marc. Tu t’y prends toujours au dernier moment. Le tu du titre est-il pour elle ? Non, il se parle à lui-même, puisque c’est parole dite, enfin, qui ne fut pas dite. "Et je voulais te dire / Ce que je n’ai pas su te dire". (C’est comme on attend le dernier moment, pour ne pas affronter peut-être les "yeux de colère", ou simplement pour remettre au lendemain). Ce qui demeure du poème c’est la présence cumulée de tout un vécu, la complicité, la tendresse. 
 
Je retrouve dans les poèmes de Jean-François Migaud ce qu’il écrivait sur le silence et les éléments (feu, neige), porteurs de silence, ou symboles, ou mondes.  Trois des poèmes évoquent la neige (Bonhomme de neige, Neige - séquence brève, L’échalier). Et, autre écho à son texte sur le silence, le poème Le cri, extirpé "du gosier" (il parlait du CRI de Munch). Cohérence forte entre l’écriture théorique et l’écriture des poèmes. "Nos mots sont mots de neige". La neige, ou "l’âme du Blanc".
 
Avec Pascal Mora c’est d’abord un univers musical (Opéra Garnier, Tango I, Tango II). Orchestres, danse, voix. Mais le dernier texte est autre (Source). Long poème d’eau et de rêve liquide. Une ample métaphore pour dire le temps des racines, des pratiques sacrées des mondes anciens. Eau métaphore, et eau de la terre, élément du réel. Poème qui crée un monde très riche de perceptions visionnaires et de pensée profonde. 
Citations
L’eau du puits des rêves / Est l’eau rêve des cavernes.
(…) J’ai soif des mondes anciens / Où le bain était sacré.
(…) Elle me désaltère, moi, enfant de la terre / Et du cel étoilé / M’éclaire la face et les yeux.
(…) Ici, les arbres font une rumeur / De toit à contre-ciel, / Un murmure de mer / Où s’abreuve infiniment ma maison d’être.
(…) Il y a très longtemps / Bien avant notre présence / En ce monde énigme, / Les sources étaient divines.
(…) Elles veillèrent l’âme silencieuses des choses / Puis les roches devinrent chapelles.
 
Gérard Mottet poursuit dans ses poèmes sa méditation sur le silence, mais déplacée dans la nature. Arbres, eau, vent, dans le poème Silences. Il cherche à relier ce qui en ces éléments de la nature correspond à ce qui sous-tend les mots, à quelle obscurité souterraine de non-dits, à "tant d’abîmes qui demeurent sans voix". Un autre poème, Éclats de rêves, fait aussi que la pensée soit traversée par le filtre de la nature. Rêves "à la cime des arbres", ou "dans le fond des rivières".
 
Émouvante, la Litanie pour l’Anonyme d’Étienne Orsini. Vie sans traces, sans mémoire, ce qui disparaît et n’est plus rien. Une vie, plusieurs. Divers destins pour l’amnésie. Mais peut-être aussi l’angoisse d’être cet anonyme, dont se perdrait ce qui peut faire mémoire et sens, comme tant de choses et d’êtres qui disparaissent sans que plus personne ne sache ce qui fut. Et bien au-delà, des mondes. L’autre poème, Où ?, interroge aussi ce qui s’enfuit, "La haute-joaillerie des rêves" effacée . Alors "nous veillons sans savoir".  
 
Bernard Perroy aussi associe silence et neige (À propos). Lui aussi interroge les rêves. Et il semble évoquer le rêve lucide ("quand on rêve que l’on rêve", Va donc savoir).
 
Jacqueline Persini (Un cri) interroge le "dire". Le cri qui s’impose et annule le silence, les mots aux multiples causes et effets (amour ou haine). "Ta parole bouge les choses / Parmi des bribes de hasard".
 
Les lits du monde est le poème d’un parcours de vie et d’écriture. Celui de Catherine Pont-Humbert. Solitude d’une démarche, "seule avec l’écriture pendant des années". Errance. Et cheminement, cependant.
 
Des questions dans les textes de Charles Watson. Des titres clairs (Beauté, Clarté, Esquisse du jour) et la pensée de la mort et de ce qui flétrit. Je relève ceci : stèles, corps en croix, naufrage, cadavre, fragiles, profaner, villes sans fossoyeurs. Réel déchiré entre l’obscur et l’espoir du chant.
Citations...
Je dirai aux oiseaux / mon ombre / moi-même / une main tombée sur le talus
(...) Les murailles sont comme des épis de blé / qui nous séparent de ces mots à venir
 
Je trouve fortes les images du poème Baume de Gabriel Zimmermann. La sciure comme un sang versé, le cerisier brûlé, comme une silhouette nocturne. Manière de traduire ce qui est "cicatrice", mais, comme le dit le titre les "mots de moisson" réparent. Et c’est ce processus de réparation des mémoires qui est en jeu dans les autres poèmes aussi, diversement. Le poème Retour utilise la métaphore de la maison (le seuil, la fenêtre), pour marcher "parmi notre mémoire". Promesse, ainsi, entend les voix de "l’ombre", celles des "bouches invisibles", et "nos mots" peuvent "emplir" le silence nocturne et permettre "la chance / d’un souffle à venir". Même souffle dans Voyage et Ensemble.
 
Chez Dominique Zinenberg (Que la fête commence) c’est un "chant choral funèbre" pour les espèces qui meurent et la planète en danger. Et aussi pour les drames humains, les dictatures qui écrasent.
(Mais, non, les génocides n’ont pas pour but de limiter la population mondiale. Ils sont ciblés,  haine de groupes humains précis, "autres" rejetés.) 
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Je n’ai pas parlé de la 4ème de couverture, l’adieu des éditeurs, émouvant, la revue s’arrêtant avec ce numéro de la trentième année… À lire. 
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recension © MC San Juan
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Mise à jour, 07-12-20
 
Et maintenant, après n’avoir donné à lire que les autres, je reviens sur mes trois textes (dont deux longs poèmes), présents dans la revue 30. Je note les titres, les  exergues (car c’est encore citer ceux que je lis et relis), puis le début, et un autre fragment (pour le troisième texte)…

. D’abord le texte en prose, dans le dossier Le Silence… 

Déchiffrer ce qui lentement se déploie

 Il faut tant de silences pour rejoindre le silence. 

              Philippe Mac Leod, Variations sur le silence

le silence

l’œil du rite

Franck-André Jamme, Au secret

 

Est-ce que je sais ce qu’est l’espace de mon silence ? 

Est-ce que je le sais toujours ? 

Des instants volés au bruit, dans l’enfance, presque par inadvertance, et le silence qui s’impose, qui s’empare de soi, comme un mystère, dans le fait de regarder.  

Cela n’est pas encore connaissance, plutôt une effraction de l’expérience dans un processus de conscience.

Puis un autre silence se déploie, pour moi, par la rencontre d’êtres qui en sont habités (et qui peuvent être, paradoxalement, de grands amateurs de parole, pour le goût de l’échange). Mais aussi parce que la lecture de Rimbaud est une rencontre foudroyante, qui fait entrer, avec ses mots, dans un gouffre ultime sans mots. C’est ainsi que je le ressens. Et quand François Cheng parle de poésie de l’être, la seule qu’il aime lire, j’entends ceci : poésie dont les mots apprennent le silence qui dit l’âme. 

Est-ce paradoxe ? Pour moi, non.
 (Suite dans la revue : deux pages et demie… )
...
L’apogée du parfum

Odorat, souverain sur les choses invisibles et inaudibles, toi qui trahis la dispersion de matières dans des profondeurs inaccessibles aux autres sens.   

                                            Josef Váchal, La  Mystique de l’odorat                                                                            

 

L’apogée du parfum

ne serait-ce pas

rien 

justement rien ? 

L’absence tissée d’effluves imperceptibles,

célébration d’un itinéraire de souffles 

passés dans la sueur des arbres plutôt que des corps 

et dispersant des graines à peine odorantes 

pour des fleurs pas encore nées.

...

Des oiseaux…

Nul ailleurs que ce regard sans nom qui tient en son absence la totalité des mondes possibles

                   Claude Louis-Combet, Le petit œuvre poétique

L’oiseau et l’arbre sont conjoints en nous.

           René Char, Recherche de la base et du sommet                   

 

Je photographie les flaques, les arbres, et les oiseaux…

Mésanges, moineaux, hirondelles, goélands ou pigeons.

Oiseaux qui tracent les marges de l’espace,

calligraphient

ciel 

et

sol.

(…)

Les oiseaux prolongent les arbres.

Ils sont comme leurs ailes,

pour l’envol

symbolique 

des branches tendues vers l’ascension de racines du ciel.
L’ardeur volatile s’élance en plumes séphirotiques

pendant que les nids sont gardiens protecteurs.

© Marie-Claude San Juan 

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Cahiers du Sens 30, Le Silence
Le Nouvel Athanor
70 av. d’Ivry - boîte 270
75013   Paris
Revue et livres, voir le site de Soleils-diffusion...
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