20/06/2025
Hommage au poète Jean-Claude Xuereb (1930-2025)
Le poète Jean-Claude Xuereb est décédé début avril 2025 à 94 ans. Son dernier texte en revue aura été publié par À L’Index (numéro 49). Il y évoquait des jardins de Malte, pays des ancêtres paternels qu’il avait visité mais dont il ne parlait pas la langue. Deux autres contributions sont à paraître : une préface, rédigée pour la réédition du livre d’un historien qui avait été publié en 1946 à Alger par Edmond Charlot, et une étude sur l’intertextualité dans l’œuvre de Camus (dont il fut un éminent spécialiste), sa participation à un livre collectif écrit par des auteurs majoritairement natifs d’Algérie (et vivant sur les deux rives). Mais de son recueil paru en 2021 aux éditions Rougerie il savait qu’il serait le dernier.
Grand poète, Jean-Claude Xuereb, mais discret. Fidèle au même éditeur (père puis fils) pour tous ses recueils, sauf des textes brefs parus ailleurs, ou des livres avec des artistes, autre domaine. Discret mais présent pour transmettre et partager. Il avait rencontré Camus en 1948, et il connut René Char en 1962, amitié qui compta et demeura jusqu’à la mort de Char. Sur l’œuvre de Camus il organisa des colloques aux Rencontres de Lourmarin et dirigea les Actes qui en étaient issus. Avec, toujours, le désir de travailler avec des auteurs algériens qu’il invitait, répondant aussi positivement aux sollicitations venant d’Algérie (colloques à Oran et Tipasa). Profond engagement littéraire, tant en poète qu’en chercheur. Mais professionnellement son univers était le droit, comme magistrat (nombreuses années comme juge des enfants, à Avignon et Paris). En dehors de Camus et Char d’autres écrivains ont joué un rôle dans son itinéraire (dont Emmanuel Roblès, Mohammed Dib, Louis Guilloux, Jamel Eddine Bencheikh). Dans le recueil Homme diluvien (1979) il dédia un poème à Jamel Eddine Bencheik, j’en cite une strophe :
« Ô mon frère tragique
depuis nos foulées de lumière
vers les chemins du port
combien rares traverses d’éclair
croisèrent la trajectoire de nos vies. »
Natif d’Algérie, il a connu la guerre et l’exil. La douleur de l’arrachement au pays natal est un thème présent dans ses ouvrages, parfois explicitement, parfois souterrainement. Sa réponse à l’exil a été de faire pont entre les rives, la fraternité comme éthique de vie. S’il écrit « Je trace des signes », c’est « Pour tenter d’éveiller le sens / Des incertitudes où je chemine ». Non pour aller vers des certitudes, au contraire, mais pour déchiffrer ce qui émerge des significations que le questionnement maintenu révèle, ce qui permet de pouvoir « effacer la violence et le deuil. ». Le poète serait...
« Homme du recommencement
détrompeur de l’oracle
orpailleur de l’inutile ».
Déjà, dans le premier recueil, Marches du temps (1970), il écrivait :
« Je me saignerai seulement du mot colère ».
Fidèle à son auteur phare, Camus, tant dans sa démarche intérieure que dans son éthique d’écriture. Déblayer ce qui encombre, en soi, et trouver l’or où l’on ne croirait pas que cela puisse être. Dans le poème éponyme du recueil Homme diluvien, il exprime le désir de fuir « les vaniteuses avenues ouvertes aux dispensateurs de bruit ». Lassitude devant les mirages des paroles et discours. Dans le poème « Lieu vivable », il écrit « J’ai l’oreille du silence », et plus loin, dans « Fosse commune », chercher plutôt « comment abriter une parole qui restaure ».
Dans Pouvoir des clés (1998) on retrouve son exigence :
« Sans impatience ni fatigue
l’âme soudain s’appesantit
de l’impondérable fardeau
d’une lucidité sereine »
Sa poésie n’est pas de mirages.
Les recueils qui suivent offrent toujours questionnement et attention aux réalités quotidiennes des lieux, des êtres, du vivant. Choses, éléments, soleil, terre, vent et oiseaux... Sans évacuer la pensée de la mort. Particulièrement dans le dernier recueil, Avant que s’efface l’ineffable (2021), où alternent poèmes en vers et proses méditatives. Réflexion sur l’encombrement des mémoires des générations successives, les humains accumulant trop, évocation de « l’angoisse des hommes », leur « intranquillité », les désirs de survie de l’âme. Hypothèse ? « Peut-être continuerons-nous de voyager après la disparition matérielle du corps » [...] « Recours illusoire, sans doute, pour nos fantasmes d’éternité ». Et pourtant « L’intraitable »... « s’enchante de l’intacte beauté du monde ». Les deux derniers textes de cet ultime recueil, reviennent, l’un, sur l’exil (par la mémoire d’un retour au pays d’enfance, et le beau geste d’un Algérien, passant là par hasard, devant l’école, ayant compris, qui revient offrir deux roses), et l’autre sur la question de la survie : Il « ne sait si les âmes planent au-delà », sachant être « survivant en sursis ».
Voici une œuvre qui pense vie et poésie, destin personnel et transmission, société et humanité errant sur sa planète. Une quinzaine de recueils ont été publiés par les éditions Rougerie, de 1970 à 2021, quelques titres aux éditions La Porte (collection Minuscule), et des livres d’artistes avec des créateurs divers (éditions À travers, La Bastide, Rivières...). Pour découvrir ou mieux connaître l’écrivain, lire l’essai-anthologie, Jean-Claude Xuereb, par Jean-Louis Vidal, Les Vanneaux (Présence de la Poésie), 2013, et le dossier de la revue Phœnix n°15, 2014. Une fiche Wikipédia liste ses publications.
Marie-Claude San Juan
LIENS :
Revue Phœnix n°15, décembre 2014 : https://www.revuephoenix.com/produit/n-15-revue-phoenix/
Hommage de Gérard Crespo, « Un grand poète nous a quittés », page du CDHA, 18-04-2025 : https://9p40u.r.sp-brevo.net/mk/mr/sh/SMJz09SDriOHTaK44kS8Sdgqw113/8k-BdrklzB6o
Entretien avec Denis Salas (2016, mais toujours valable) : https://afhj.fr/entretien-avec-jean-claude-xuereb/
Fiche Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Claude_Xuereb
Recension MC San Juan, et liens (03-05-2016). Le jour ni l’heure, Rougerie, 2015 : http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2016/05/03/jean-claude-xuereb-ou-repondre-aux-questions-graves-5796638.html
Recension MC San Juan, Avant que s’efface l’ineffable, Rougerie, 2021 (reprise, revue L’Intranquille n°25, octobre 2023) : http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2024/08/04/jean-claude-xuereb-avant-que-s-efface-l-ineffable-recueil-ro-6509393.html
01:26 Publié dans POÉSIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean-claude xuereb, poésie, algérie, jean-louis vidal, gérard crespo, denis salas, livres, citations, valeurs, fraternité, partage
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