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01/05/2019

"Le Maître de lumière", un voyage dans le silence "qui n’a pas de fin" et "redevient Parole primordiale"

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Sur son site, Illuminator (Enlumineur), en légende d’une enluminure de l’exposition Eleven Beatus (Rockefeller Center, New York), dédiée aux victimes du 11 septembre 2001, il est noté ceci : "La structure géométrique ouvre un espace sacré".

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Au début, c’est la danse, le corps, son monde pendant près de vingt ans, "mon unique horizon". Cet univers, dont il dit l’avoir "cru vaste". Car quand il commence à transcrire son extraordinaire itinéraire, il sait que, malgré la beauté créée, malgré la transfiguration du geste, le danseur-chorégraphe qu’il fut (passionné, réputé) n’a pas vraiment idée, alors, de ce que "vaste" veut dire. Parce qu’il n’est pas dans sa voie.


Pourtant c’était une vie où tout était art. Et cela le menait inexorablement vers ce qu’il vivra ensuite. Par ce travail sur le corps : le sien (danseur), celui des autres (chorégraphe). Le corps, l’énergie du corps, préparait le processus d’alchimie intérieure de sa future métamorphose, celle qui transcende la biologie. D’ailleurs le maître futur lui fera plus tard adopter une discipline gestuelle, mais autre, et secrète, propre à sa lignée d’enlumineurs traditionnels. 
C’est autre, mais finalement familier.
 
Une phrase révèle que, longtemps avant cette rencontre, en lui se préparait une conscience de ce vaste qui n’était pas encore là. Il écrit : "Pour moi, un corps qui danse et qui sue était une torche de feu". Magnifique traduction d’un mystère, et prescience troublante. Torche de feu, il le sera, en quelque sorte, plus tard, autrement. D’abord brûlé et affamé, par des travaux matériels exténuants, pour un apprentissage commencé qui est aussi une mise à l’épreuve, physique et psychologique. 
 
Dans cet ouvrage Jean-Luc Leguay n’occulte pas toute une période de vie intense, dans le bruit des rencontres, des amours, des aventures sexuelles, des voyages, des fêtes.
Mais c’est dans un instant de silence foudroyant que tout  commence vraiment pour lui.
Il est un jour à Turin, pour des représentations. C’est une période où il sent le besoin de renouveler ses chorégraphies, et il est attiré par les danses sacrées. Cherchant des documents, il va dans la Bibliothèque royale, consulte des manuscrits précieux. Le lieu est presque désert, il est concentré, intensément présent. Devant une lumineuse page de parchemin, une enluminure, se produit un phénomène extraordinaire, un "séisme". Il est littéralement foudroyé. Ce qui émane de ce parchemin, tant par le léger contact du toucher que par la vue, le bouleverse. C’est un éblouissement radical, une révélation. Pas de mots, une "onde". Seul, dans le silence du lieu, il est brûlé intérieurement par quelque chose "qui n’était pas de l’ordre du profane". Il dira de ce moment qu’il fut "ouvert par le Haut".
 
Évidence. L’enluminure sera sa voie, est sa voie. Mais il lui faudra trouver un maître artisan. Une transcendance l’a habité, l’a guidé jusque-là, l’a traversé, et lui a indirectement parlé (sans rien dire…). Foudre. Il a été illuminé par l’oeuvre d’un ancien enlumineur. Et ce n’est pas traduisible, c’est de l’ordre de l’indicible.
 
Mais si des hasards et des synchronicités ouvrent le chemin, l’épreuve est ensuite le silence des signes. C’est une longue errance avant de trouver le maître. Personne ne connaît d’enlumineurs, beaucoup pensent qu’il n’y en a plus. Mais un ermite orthodoxe italien finira par lui parler d’un moine enlumineur, ermite lui aussi, vivant seul dans une maison isolée, en pleine campagne du sud, mais peu loin d’un monastère. 
La première rencontre est extraordinaire. Après un parcours de centaines de kilomètres en voiture, il marche vers la vieille demeure indiquée, écoute  les vibrations du lieu. Ce moment est aussi important que celui de la révélation de Turin. Le vieux moine est assis, et le regarde de loin, comme attendant ce qu’il sait venir vers lui. Lui marche, "et tout est silencieux". "Comme si une main supérieure, surnaturelle, avait coupé le son". Trois mots résument cette bascule de destin : lumière, silence, lenteur. Tout passe par le regard du moine, qui semble savoir tout de lui et de sa venue. Une heure de présence, peu de mots, presque rien. "Je ne dis rien". Et... "Il ne parle pas non plus". C’est le premier jour d’un lent commencement. Le moine ne semble pas soucieux d’accélérer quoi que ce soit, comme s’il savait, malgré son âge très avancé, disposer encore des années nécessaires pour cette transmission qu’il doit à son art sacré. 
Ce qui commence est l’histoire de l’apprentissage du métier d’enlumineur, pendant dix ans. Dans un silence qui fera partie de l’initiation. Apprendre en se taisant, en regardant, en observant. Accepter que le maître, qui deviendra pour lui le Maître, ne dise rien, n’explique rien, impose son silence comme une discipline. (Même s’il y a quelques rares paroles). 
Double vie, entre danse continuée, et fuites de plus en plus longues vers ce lieu de lumière. Avec des déchirements dans la vie privée (femme, fils), que provoque son propre silence sur ce qu’il vit de si particulier.
Frustrations.
Même la faim du corps est une souffrance, dans une demeure de totale frugalité.  Mais cela fait partie de l’enseignement. Son Maître (il emploie toujours la majuscule pour le désigner) sait où il le mène et comment. Il finira par savoir comment se nourrir autrement, capter l’énergie forte d’aliments rares. Et cela aussi est en relation avec une sorte de silence. Savoir calmer le bruit intérieur des pulsions de faim, pour une attention silencieuse, calme, à la réalité vibratoire de ce qui peut nourrir le corps affamé (et qui le sera de moins en moins). Jusqu’à, dans la dernière année de son initiation, être capable de jeûner quarante jours, et d’y trouver une force autre. 
 
Le maître veut le mener au "geste sacré". Et pour cela l’initiation finale passera aussi par des gestes rituels, secrets, destinés aux seuls initiés.
Comme le maître parle très peu, ses phrases sont comme des clés ouvrant des seuils, des sortes de mantras, de koans du zen. Ce moine chrétien est capable de citer aussi le Coran, tout autant que la Bible. Mais "pas de questions-réponses". Rien de didactique. 
 
Le sommeil, aussi, intéresse le vieux moine. Car on peut être happé par "les ténèbres de la nuit", c’est-à-dire par l’agitation des rêves, des cauchemars, le bruit de l'inconscient et des miasmes du mental. L’enseignement sera de savoir remplacer l’ordinaire sommeil par une présence ouverte à la lumière. "Dors comme un éveillé". Et plutôt que par des discours le changement passe par des rituels. Le maître pose des "sceaux" sur le corps de son disciple. Marques symboliques ou gestes tracés, on n’en saura pas plus, puisque le silence est aussi celui du secret. La pratique symbolique des sceaux se réfère aux bâtisseurs de cathédrales qui marquaient les pierres en y cachant des signes.     
Silence de leur partage. Silence pour nous qui ne sommes pas disciples enlumineurs. Et silence, ensuite, pour lui, l’initié qui ne doit rien révéler de certains savoirs transmis, dont le secret est sans doute aussi la puissance. "Tu es un artisan de lumière qui travaille dans l’ombre. Ce secret est ta force", dit le vieux moine en l’initiant.
Apprendre en se taisant, être privé de mots, mais initié par qui ne dit rien ou peu, et se taire.
Le processus et les rites doivent mener l’initié "de notre nature limitée à notre nature illimitée".
Les mots clés du parcours seraient : sens, signes, rites, symboles, lumière.
Le danseur est passé d’une ascèse à une autre. Il est la matière même de sa création. Et longtemps il ne crée rien d’autre que son dévoilement intérieur. Pas la moindre enluminure. Il fait des travaux préparatoires et se transforme lui-même. 
Ce n’est pas un enseignement oral, donc, mais un dur rapport charnel avec les éléments (terre, eau, feu…).
Matière, silence, immobilité. "L’immobilité qui sous-tend la danse".
 
Le premier dessin, fait au bout de trois ans, lui vaut d’entendre que c’est "un mort dessiné par un mort". Bien plus tard, vers la fin, créer le chef d’œuvre  de sa maîtrise achevée se fera dans un dialogue intérieur intuitif avec la géométrie sacrée, sans calculs. Avec les couleurs, magnifiées, et avec la lumière de l’or, dont il trouve seul comment illuminer sa splendeur. Sans les mots du maître. Toujours ce silence qui initie. 
 
La géométrie de l’enluminure est le miroir d’une structure intérieure à épurer, pour trouver le point qui révèle la forme. 
La place du secret (le silence des signes) est telle que dans l’œuvre même s’inscrit l’invisible point qui porte le visible, et que nul ne doit savoir. C’est la "main de lumière" de l’enlumineur authentique qui guide cette trace. Car pour avoir traversé cette lente épuration l’initié s’est défait de son "labyrinthe intérieur", afin de ne pas être un "enténébreur" qui nous entraînerait vers ses propres ombres, au lieu d’être l’artiste qui donne à l’âme d’autrui un miroir de lumière. 
 
Au bout du chemin, Jean-Luc Leguay devient Heraclius A, nom d’initié transmis par son Maître, avec lequel il devra signer ses enluminures. Il s’inscrit ainsi dans une lignée. Passé de la danse à la Danse intérieure. Car, dit-il, "le moindre geste du début contenait déjà tout". Le très vieux moine meurt peu de temps après l’initiation finale. C’était comme s’il l’avait attendu, dans sa solitude de créateur méditant, ne signant rien, et qu’il s’était donné encore dix ans de vie pour tout transmettre au disciple qui lui était destiné.
Cette mort est un fracas pour celui qui est maintenant Heraclius A. Et une initiation supplémentaire. 
Il sait alors qu’il devra transmettre, et comprend qu’il faudra publier. Puisqu’il connaît le moyen de "sacraliser le temps et l’espace", de "ne pas agir", et de "baigner le travail de transcendance". 
A la fin du livre, dans les deux dernières phrases, est résumé l’aboutissement du processus d’initiation, son sens profond.
L’artisan, l’artiste (le poète, s’il sait) est une part de la Cathédrale planétaire, cosmique (il met alors une majuscule). Réalité de l’hologramme. Il écrit : "Je suis une pierre marquée à la main, une pierre parmi les autres, signée et cachée dans les murs de la grande Cathédrale. D’autres viendront après moi achever la construction".
Voilà la leçon de ce long voyage dans le silence.
J'avais lu ce livre magnifique il y a longtemps. Le relisant je l'ai compris plus profondément. 
Nous, lecteurs de ce récit, on en sort comme d’un voyage semblable presque partagé. 
On a envie de prolonger l’effet en relisant des pages, en ouvrant les autres ouvrages, en regardant les enluminures. 
Et sur le site, "Illuminator", nous lisons cette phrase de lui, à propos de l’édition du  Mutus liber : "Le "livre muet de l’initiation" ouvre des voies de lecture où le silence, grâce à l’enluminure, redevient Parole primordiale."
 
recension © MC San Juan
 
LIENS...
Publication de 2004, éd. Albin Michel… https://www.albin-michel.fr/ouvrages/le-maitre-de-lumiere... 
Réédition, Dervy poche, 2009, et autres livres de lui… http://www.dervy-medicis.fr/jean-luc-leguay-auteur-2279.h... 
Note d'un BLOG, sur une conférence de 2018… http://www.jlturbet.net/2018/05/glnf-le-trace-de-l-enlumi... 
SITE, Illuminator (biographie, vidéos, diaporamas, bibliothèque d’enluminures, dont La Divine Comédie de Dante, expositions, dont Eleven Beatus, New York (dédiée aux victimes du 11 septembre)… 
 
Note brève, même livre, posée le 20 avril, en relation avec l'incendie de Notre-Dame...   http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2019/04/20/le-maitre-de-lumiere-livre-de-jean-luc-leguay-danseur-chore-6145329.html
 
MC San Juan

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