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Entretien. Parole de poète, Éric Dubois
L’écriture de poésie est ce qui émerge de l’itinéraire d’un auteur et devient trace de son cheminement intérieur, le produit d’une maturation. Ce qu’il fait de ses épreuves et de ses joies, dans un travail sur le langage. Bien sûr cela commence par des lectures, des affinités et des admirations. Mais cela peut se prolonger aussi en partage de plus que sa propre écriture, quand celui qui écrit est aussi attentif aux autres et au monde.
Questions-réponses…
.1. Quand as-tu commencé à écrire de la poésie ? Et quand as-tu pris conscience que tu voudrais être réellement écrivain ? J’ai commencé à écrire au collège vers 14/15 ans. De la poésie mais aussi des récits et des tentatives de romans. Je pense que c’est il y a une vingtaine d’années, après mon internement en HP, que j’ai pris conscience de ma vocation d’écrivain, ayant la certitude que je n’arriverais jamais à imposer une quelconque ambition dans le monde de l’entreprise, n’ayant pour bagage qu’une première partie de bac validée (et ayant raté à l’oral la seconde, deux fois ).
.2. Quels sont les auteurs qui sont tes références majeures ? En quoi t’ont-ils nourri et peut-être changé, ou au contraire confirmé dans tes options ? Ce sont les Surréalistes qui m’ont poussé à écrire, à éprouver la liberté d’écrire. Breton, Artaud, Aragon, Éluard, pour ces deux derniers avant qu’ils n’écrivent une poésie engagée, mais aussi Char et Bonnefoy, qui ne sont pas surréalistes mais qui les ont fréquentés. Il y a aussi Guillevic et du Bouchet, comme aussi Emaz et Bernard Noël. Sans compter les écrivains de la Beat Generation et les écrivains américains comme Henry Miller, John Fante ou Charles Bukowski. J’aime aussi, pour les femmes, Duras, Sagan et Despentes.
.3. Comment s’est faite la rencontre avec ton premier éditeur ? Hasard ? Contact provoqué par quelqu’un ? Envoi d’un manuscrit comme on lance une bouteille à la mer ? Qu’as-tu à dire de ton expérience avec l’édition, pour tes livres ? J’ai commencé par l’édition en ligne avec les éditions Le Manuscrit/ Manuscrit.com, mais ce fut un échec critique et commercial. Ce fut avec la revue Encres Vives, dirigée par Michel Cosem, qui publie des plaquettes format A4, et l’association Hélices, créée et dirigée par Emmanuel Berland, que j’ai vraiment eu la sensation de publier quelque chose de sérieux, avec des auteurs/éditeurs qui savent sélectionner les textes en fonction de la qualité de la forme et du fond. Cela a été pareil avec publie.net, créé par l’écrivain François Bon, et avec les éditions Unicité de François Mocaër, lui-même aussi auteur. Je crois à la vertu des auteurs/éditeurs.
.4. Tu as créé une revue en ligne, Le Capital des mots (arrêté maintenant, plus d’ajouts, mais toujours en ligne) et tu continues depuis avec Poésie-Mag, blog qui ouvre ses pages à celles d’auteurs divers. Qu’est-ce qui t’a donné le désir de publier les autres de cette manière ? Quel est ton objectif dans les deux cas ? Je pense qu’en étant auteur, il faut aussi être « passeur », comme l’a été mon ami feu Charles Dobzynski , poète et critique, directeur de la revue Europe et du prix Apollinaire, et Christophe Marchand-Kiss lui-aussi disparu, poète et directeur de collection « L’œil du poète » chez Textuel. Comme aussi maintenant Pierre Kobel, poète et blogueur, « La pierre et le sel », et concepteur d’anthologies chez Bruno Doucey. Mais aussi François Bon, écrivain et donc passeur par son site tierslivre.net et sa chaîne Youtube. Tous ont voulu et veulent promouvoir l’écriture contemporaine, exigeante et en dehors des canons commerciaux. C’est ce que j’essaie de faire avec mes blogs et mes revues.
.5. Peux-tu présenter l’association que tu as créée, pour promouvoir la poésie, provoquer rencontres et événements divers ? L’association Le Capital des Mots prolonge en quelque sorte ma revue/blog éponyme, qui n’est plus active depuis septembre 2020. Elle organise des lectures publiques avec des intermèdes musicaux et des chansons, avec ses cotisants et des invités surprise et elle publie aussi des recueils de poèmes de ses membres.
.6. Développant encore ta démarche, pour être partie prenante dans la vie éditoriale, tu as créé récemment une édition. Quel est son axe ? Les critères de choix des auteurs ? Et comment réussir à faire vivre un tel projet, matériellement, financièrement, quand la situation des éditions est si difficile souvent ? L’association Le Capital des Mots touche depuis 2017 des subventions locales, et peut donc publier des livres qui sont auto-distribués par le site lecapitaldesmots.fr et les récitals de poésie qu’elle organise. Nous faisons faire des tirages de 200 exemplaires pour chaque livre, par un imprimeur du sud-ouest, nous faisons les choses correctement, nous avons acheté des ISBN et nous faisons le dépôt légal à la BNF ainsi qu’un contrat à compte d’éditeur, avec, pour l’auteur, la possibilité d’avoir 30 exemplaires gratuits qu’il peut revendre pour avoir ses droits. Mais c’est difficile actuellement de bien vendre des livres de poésie, surtout depuis ces dernières années avec la crise du Covid et le prix du papier qui augmente.
.7. Revenons à ton œuvre personnelle. Tu as beaucoup publié. Quels sont, parmi tes livres, ceux qui ont pour toi le plus d’importance ? As-tu l’impression d’avoir trouvé tes lecteurs, et d’être compris vraiment ? Je dirais « Mais qui lira le dernier poème ? », publié autrefois chez publie.net, et mes ouvrages de poésie chez Unicité. Je dirais que comptent pour moi mes derniers livres de la décennie 2010 et début 2020. J’ai des lecteurs, d’abord ceux de mes livres et des revues où je suis publié, mais aussi ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux et les blogs. Suis-je compris ? Je ne sais pas. Je sais que je ne suscite pas l’indifférence, j’ai des fans et des détracteurs.
.8. En dehors de la poésie, tu as abordé le récit (L’homme qui entendait des voix), témoignage important qui correspond à une nécessité intérieure – dire et se dire, casser des tabous – mais livre qui est certainement précieux pour beaucoup d’autres. Qu’est-ce que cette publication a changé dans ta vie ? « L’homme qui entendait des voix » (éditions Unicité, 2019) est un témoignage et peut-être faut-il commencer par ce livre pour aborder mon « œuvre ». C’est le livre que je vends le plus, sujet oblige, la schizophrénie. Je pense que c’est grâce à lui que mon public m’a vraiment découvert.
.9. Mais, sortant du témoignage tu t’es mis à écrire des romans. Peux-tu rappeler lesquels, leur thématique, ce qui pouvait passer par eux et pas par les poèmes ? Que signifie-pour toi ce passage de la poésie au roman ? Et en quoi cela peut-il gêner ou enrichir ta pratique de poète ? Mon premier roman « Lunatic « (éditions Le Lys Bleu, 2021 ) a été écrit quand j’avais 27/28 ans , c’est donc un roman de jeunesse, mais il a été remanié en 2012. C’est un livre d’amour, une romance trash, sur ma génération, celle née dans les années 60/70, la génération X, post-soixante-huitarde, avec ses addictions alcool et drogues. Mes nouvelles, « Paris est une histoire d’amour » et « Le complexe de l’écrivain », qui ont été publiées dans un seul volume aux éditions Unicité à la fin de l’année 2022, sont des textes sur la maladie mentale mais aussi sur Paris et la vocation d’écrivain à travers des histoires d’amour atypiques.
.10. Que penses-tu de la presse littéraire (suppléments des quotidiens, revues de poésie, magazines) ? C'est important, pour toi, de publier dans des revues ? Y a-t-il des émissions (radio ou télévision) que tu voudrais signaler ? Toi-même, es-tu intervenu dans l’une ou l’autre ? De quelle manière ? Les revues papier et internet m’ont fait indéniablement connaître, comme des émissions de télévision. Ainsi, sur France 2 , le reportage de Télématin, « Vivre avec la schizophrénie » en mars 2021, mais aussi l’interview que j’ai accordée, « 1 jour avec 1 schizo », à la journaliste Marie-Léty Burny de BDMT.TV, une chaîne télé web en ligne sur la santé mentale en mars 2022, ou bien plus avant, à la radio, l’interview accordée à Carole Clémence sur Vivre.fm en avril 2019 pour l’émission « Bien dans sa tête » . N’oublions pas qu’entre 2010 et 2018 j’ai interviewé des auteurs avec Jean-Claude Caillette dans l’émission « Le lire et le dire » sur Fréquence Paris Plurielle. Cela fait plus de vingt ans que j’interviens dans des radios libres. Enfin n’oublions pas mon interview avec Carole Carcillo Mesrobian dans le premier volet de son émission « L’ire du dire », « Entre les mots, les murs, écrire avec la schizophrénie » en septembre 2021, sur Fréquence Paris Plurielle, et celle avec Christian Saint Paul de Radio Occitanie dans son émission « Les poètes » au printemps 2022.
.11. Qu’aurais-tu à dire au sujet des événements littéraires qui rythment l’année (Marché de la Poésie, Salons divers – comme celui de L’Autre livre ou celui de la revue, rencontre de Sète, etc.) ? Je trouve cela bien. Et ces événements m’ont fait connaître et continuent à le faire. Je trouve cela excellent pour la poésie.
.12. Enfin comment verrais-tu une évolution culturelle et sociale qui aide la diffusion de la poésie, mais développe aussi l’exigence, contre la médiocrité ? Je pense que le Net et les récitals de poésie sont les meilleurs moyens de faire connaître le genre.
.13. Poètes et implications diverses. On voit des poètes réagir à des tragédies, comme la guerre en Ukraine ou le soutien porté aux poètes subissant la répression dans des pays totalitaires, en publiant des poèmes pour marquer leur solidarité (Ukraine), en signant des appels, en écrivant des lettres (comme pour Ahsraf Fayad, quand il était prisonnier en Arabie saoudite), et certains autres être indifférents à tout ce qui n’est pas leur autopromotion infiniment répétée… Que penses-tu de cela ? J’ai participé à de nombreuses anthologies thématiques engagées, comme par exemple « Passagers d’exil » aux éditions Bruno Doucey, sur les migrants. Je pense que le poète doit coller à son époque et fuir toute tour d’ivoire. L’histoire de la poésie mondiale le montre depuis Homère.
LIENS…
Note Trames nomades sur deux de ses recueils, 28-05-2019… http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2019/05/28/ch...
Note Trames sur son livre témoignage, 17-07-2019… http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2019/07/17/l-...
Le livre Langage(s), page de l’édition Unicité (avec présentation de l’auteur)…https://www.editions-unicite.fr/auteurs/DUBOIS-Eric/langa...
É. Dubois, Maison des Écrivains… http://www.m-e-l.fr/eric-dubois,ec,1140
Page sur Printemps des Poètes… https://www.printempsdespoetes.com/Eric-Dubois
Le Capital des mots… http://lecapitaldesmots.fr
PoésieMag… http://poesiemag.fr
31/01/2023 | Lien permanent | Commentaires (1)
À L'Index n° 46 (2). Poésie et prose...
Dans l’introduction de Jean-Claude Tardif, deux sujets. La conception de la poésie, d’abord, définie comme acte collectif, création qui se construit, se travaille, dans le temps long. Et, littérature de passage, de transmission […] d’abord enracinée dans les revues. Mais ensuite c’est une parole douloureuse, de deuil, car des êtres qui comptaient sont devenus des absents, que la mort a emportés (âge ou maladie). Expression de désespoir et de doute sur ce qui peut se faire alors, sans les Pirotte, Emaz, Noël et quelques autres, dont, notamment, l’ami cher, Werner Lambersy. Suivent, dispersés dans les pages, sept poèmes dits halieutiques, comme une litanie de signes, univers de pêche, pas métaphorique (ou peu) mais réel : l’eau et des animaux dans leur monde, avec des notes d’humour.
Alors, justement, l’eau. Même si la nouvelle de Jean-Claude Tardif ne suit pas (Le Bruit de l’eau, pp.34-37), je choisis de la mentionner là. Car c’est troublant ce lien. Univers d’eau encore. Une très belle réussite ce récit, car indépendamment de l’histoire c’est une évocation puissante d’un moment de pluie. Le réel et la force métaphorique, cette fois, sont tissés ensemble. Le personnage regarde les passants et se demande (on retrouve la tristesse des deuils mentionnés dans le texte liminaire) lesquels sont dans la mémoire d’un deuil, lesquels dans un an seront disparus aussi. Il pense la vie comme l’écoulement d’une rivière (un mouvement qui a sa propre loi, emportant le présent, effaçant). Lui-même se voit comme un poisson derrière le verre de son bocal (symbole d’impuissance) et de solitude, car il regrette de ne pas exister pour ces passants indifférents à sa présence. Il perçoit le dehors à travers une vitre (Il regardait les gouttes d’eau glisser lentement sur le verre froid). C’est comme un écran qui trouble sa recherche. Car il dit chercher quelque chose qu’il pense être le seul à pouvoir saisir (Il se devait de guetter le signe, l’infime). Là j’ai l’impression qu’on retrouve l’interrogation sur la poésie. Le poète n’est-il pas un de ceux qui doivent se rendre capables de capturer et d’offrir des signes et du sens ? (Voyant, a dit Rimbaud). Cependant l’eau n’est pas que pluie et rivière dans ce récit. Il y a l’eau souillée d’un voisin qui descend bruyamment la canalisation. Le réel trivial revient. Cependant il imagine la couleur des yeux d’une jeune femme sous la pluie, bleus ou vert, en harmonie avec l’hiver et le silence. (Ou avec l’eau…). Peut-être se tourne-t-elle vers lui, ou pas. Mais cet homme, Emmanuel, est malade. Il semble qu’il perde la mémoire et qu’il soit conscient de l’atteinte, douloureusement. Alors il décide de clore sa contemplation et sa vie par un geste final, bruit d’une arme contre bruit de l’eau. C'est la détonation sèche de son 7,65. Triste clôture.
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Les pages qui suivent le texte introductif (pp. 8-19) sont bilingues. Poèmes titrés Journal de la peur. Dominique Stoendesco, qui a traduit les poèmes de Joao Melo du portugais (Angola) nous explique le contexte, employant l’expression stratégie de survie. Textes écrits pendant le confinement dû à la pandémie (2020), et avec l’attention, aussi, portée à des révoltes et violences un peu partout dans le monde. Publication en portugais en 2021. Le premier poème (De la nécessité de la poésie) ne dit ni Je ni IL mais Elle. Dédié à la poète Hissa Hilal, il fait l’éloge d’une poésie radicale et nécessaire. Le deuxième poème (Épitaphe) est un cri. Pour...
les condamnés de la Terre,
ceux qui ne sont jamais allés au-delà des frontières
des quartiers sombres et pauvres
Ensuite (Chronique de la peur), c’est le doute sur la lucidité de l’humanité.
Puis poèmes sur naître et mourir, mort (aussi) par assassinat. Et de nouveau, interrogation sur ce qu’est la poésie.
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Emmanuel Golfin, Poèmes en attente (pp. 28-33) regarde et dit la lumière.
Pas la solaire et vive, la douce : la lueur ténue des lampes dans la nuit.
Et celle des visages : Obliques lueurs des patiences inavouées
Ou les
Brèves trouées luisantes dans la nuit
(celles des trains).
Méditation, esquisse de grandes questions : la vie, la mort, le mystère même de la création :
Parfois une incompréhensible force dicte
Des phrases venues des gouffres sac et ressac
Pour miracle de la venue dans la lumière
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Traduction, de nouveau (pp. 38-40. De l’hébreu. Quatre poèmes de Noam Weissman, traduits par Fabienne Bergmann.
Évocations un peu désabusées des humains dans leurs illusions, les apparences, et coupés du monde, piégés dans le virtuel des écrans. Mais une note d’espoir (qui n’en est pas une car projetée loin dans le temps.…) pour un futur où quelqu’un sortirait de cet état d’absence et regarderait de nouveau le monde réel, où un musicien créerait ce qu’il a entendu en rêve.
Une nuit
Tu te réveilleras.
Vision désabusée, oui.
Mais le questionnement peut s’entendre.
...
Mes textes (poème et méditation en prose) suivent (mais c'est en recension précédente, comprenant aussi ma note de lecture d’un recueil de Michel Diaz).
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Plusieurs poèmes de Mehdi Prévot (pp. 45-49).
Mémoire, silences, non-dits, émotions, et peut-être colères. Et, écho de proximité, Nerval.
Quand l’inattendu de la parole vient troubler la prière improvisée
du silence
Ce qu’on ne dit pas se fraye un chemin sous la table
Pourtant bien dressée (p. 45)
[…]
Et j’ai passé la nuit à me voir dans la coupole du monde
À scruter la venue des anges
Mais pour compagne j’ai la nuit intruse au-dedans (p. 49)
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Aggiornamento, poème de Jacques Nuñez Teodoro (p. 50)
On ne voyage pas
On bouge des restes de rêves
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Claire Légat, Promenoir des Déracinés, poèmes (pp. 62-63)
Toujours le choix de la mise en page centrée, vers brefs le plus souvent. Des touches délicates, comme des fragments sculptés.
transe
du
corail
[…]
en
nids
mes mains
pour consigner l’inquiétude et l’insomnie
de la matière
pour intimer par sa musique
la naissance d’une étoile
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Poèmes des Indiens des Etats-Unis (pp. 82-86). Traduction (de l’anglais américain) et présentation par Vladimir Claude Fisera.
Jim Northrup, À faire le psy (p. 82-83)
J’ai survécu à la guerre
J’avais des ennuis à survivre à la paix
[…]
je me suis rendu compte
que c’était à moi de survivre à la paix
.
Kimberley M. Blaeser, Apprendre à réclamer justice (pp. 83-84)
Et aucun vent du désert
ne saurait relever
cette histoire de perte et de manque
.
Al Hunter, La coupe à prière (p. 85)
Quand la lune est tournée vers le haut comme une coupe à remplir
On doit la remplir. On doit la remplir en honorant les esprits de la création
[…]
Des prières pour le Créateur, des prières pour nous-mêmes, avec les instruments sacrés
Qui nous relient à la gloire de ce monde, qui nous relient à la gloire de ce monde
Et au monde au-delà de notre sommeil.
.
Ofelia Zepeda, Enterre-moi avec un orchestre (p. 86)
Ma mère disait : « Enterre-moi avec un orchestre »
[…]
Le créosote [...]
C’est pour qu’elle garde sur elle l’odeur du désert,
Pour lui rappeler son foyer une dernière fois.
(Le créosote est une plante du désert)
.......................
Poèmes de Vera Duarte, Mots tissés et métissés (pp. 87-99)
Traduction du portugais (Cap-Vert) par Dominique Stoenesco
Enfant de la rue (p. 89)
Sur la plage à la merci des goélands
Des enfants dorment à la belle étoile
02/08/2023 | Lien permanent
À L’Index, revue, N°43. Poésie...
D’abord, j’ai lu l’introduction de Jean-Claude Tardif , Au doigt et à l’œil, humeur de saison sur les failles et pièges de la communication, les brutalités, même. Regard attristé. Métaphores… Les « sabliers engorgés », et, comme « verset » d’espoir, celui des oiseaux, « mélopée libre ». Mais espoir amer, car « les oiseaux disparaissent ». Conception d’une poésie de la « légèreté » (oiseaux aériens...), contre la lourdeur pesante du réel. Pour conclure sur le « besoin » de poésie… « pour renouer avec l’un des plus beaux rêves de l’homme, la Liberté dans un monde partagé. ». Et, en face de ce texte, une illustration de Léo Verle, Bouteille à ma mer. Une feuille glissée, balançant entre sable et eau. Finalement, la poésie envoie bien des bouteilles à la mer (et chacun la sienne, peut-être, car suivant les messages et les réseaux le voyage ne sera pas le même, ni les destinataires.) De Jean-Claude Tardif, un autre texte est un hommage rendu à Michel Héroult, poète et revuiste, avec lequel il partagea beaucoup d’engagements pour la poésie, pas toujours faciles ou heureux. In memoriam.
Je ne suis pas très lectrice de nouvelles, je vais plus vite vers les poèmes.
MAIS certaines parfois peuvent retenir mon attention, surtout si elles échappent au genre, et j’aime la prose, qui a un souffle différent du poème en vers. (Nouvelles, si c’est pour dire bien plus que du fictionnel, ou pour contenir des fragments de poèmes, d'aphorismes, ou pour rejoindre une pensée philosophique ou métaphysique…).
J’ai donc beaucoup aimé le texte de Christian Jordy, De l’autre côté de la mer. Car le couple dont il raconte un itinéraire d’amour, exil, et mort, existe assez pour représenter bien des couples réels de cette histoire tragique. Rencontre et espoir de fraternité, guerre et exil, solitude à deux dans un univers étranger, maladie qu’on peut interpréter comme le symptôme d’une souffrance non libérée (on peut mourir d’exil). L’auteur fait revivre des bribes de la vie oranaise espagnole - dont les douceurs sucrées, mouna et mantecaos (même s’il a un nom d’une autre rive méditerranéenne), et l’Histoire, depuis la peste du milieu du XIXème siècle, jusqu’à la guerre qui déchira les communautés, sans oublier les attentats et le massacre du 5 juillet 1962 qui fit des centaines de morts et de disparus (et reste très occulté). Journée que j’ai évoquée dans un poème publié dans À L’Index N° 37, Litanie pour juillet plusieurs fois, plusieurs fois tous les temps, même si ma dédicace élargit à des drames similaires dans le monde contemporain et ses violences (sans oublier la décennie noire qui fit 200 000 morts en Algérie, les intégristes islamistes recommençant les assassinats ciblés et les massacres, légitimant encore le terrorisme contre les civils).
L’histoire de son couple, Pierre et Maria, commence dans la mer, rive algérienne, se brise par la mer (départ en prenant le paquebot Ville d’Oran), continue devant la mer, regardée dans l’exil en cherchant mémoire de l’autre rive, et finit dans la mer, cette Méditerranée devenue patrie d’exilés (et cimetière de beaucoup…). Leur leucémie, qu’ils ne soignent pas, maladie du sang, peut être interprétée comme une mémoire traumatique du sang versé, et leur suicide une façon de rejoindre leur pays, se mêlant au sang salé de la mer.
Puisque je parle des nouvelles je vais sauter des pages et continuer ma sélection très subjective parmi les pages en prose…
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TEXTES en prose, donc, plus loin. J’ai trouvé passionnant celui de Joël Vincent, essai érudit, Profondeurs et chaos intérieurs. Très riche réflexion, avec beaucoup de références et citations. J’ai d’abord remarqué les exergues (Nelly Sachs, Büchner, et Cioran). Ce qu’est l’écriture, la poésie. Il part d’une lecture d’Elias Canetti, La conscience des mots, traitant, dit-il, du chaos intérieur, et qualifiant les poètes de « gardiens des métamorphoses ». Le chaos n’est pas à comprendre comme un négatif désordre, au contraire. Et Joël Vincent cite Elias Canetti, pour bien introduire le sens de cet état qui ouvre la création... Car « C’est si le poète porte un CHAOS EN LUI qu’il est le plus proche du monde. Il est responsable de ce chaos et il a en lui de la place pour tant de choses contraires et disparates… ». Écho qui confirme ce qu’est ce processus créateur, ce que dit Novalis. « Il faut que le chaos brille dans chaque poème. » Joël Vincent parle d’une genèse dynamique, un mouvement en soi qui s’inscrit dans un triangle « le monde, le sujet et la langue ». Plusieurs noms viennent appuyer l’analyse et préciser le rapport au langage dans la création littéraire (dont Maulpoix, Emaz, Verlaine, Merleau-Ponty, Char, Beckett, Nietzsche, Celan, Rimbaud, Pichette, Noël…). Le poète ne l’est vraiment que s’il refuse de refouler le « chaos intérieur », et au contraire en fait une force de « résistance » pour ne pas rester « à la surface des choses ».
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Prose, aussi, le long texte de Timotéo Sergoï, L’interminable Java très triste du train qui traversa toutes les Russies. Six jours de voyage, dit l’auteur, de Vladivostok à Moscou, en quelques pages d’une très longue phrase. Mystère du transsibérien « qui relie les sans monde, qui renoue les cent mondes ». (Mais lesquels ? de quel temps ?). Évocations diverses, Chagall ou « les sorciers chamanes ». Voyage dans la mémoire, aussi, des jeux d’enfance. Le train emporte des univers de vent et d’êtres que Moscou dévore à l’arrivée. « … la capitale moscovienne qui dévorera leur passé, ne fera d’eux qu’une bouchée, ni temps ni espace n’existent, ni ce que l’on prenait pour Amour, ce n’est que neige, ce n’est que peur (…) ».
Train qui « n’est qu’un imaginaire », « amour impossible ». Et où « penser est impensable, penser est impossible, penser est interdit ». Malgré le rêve, ou le rêve malgré cela… « aimer vivre une liberté loin des hommes assis, la liberté debout dont rêvent nos amis ». Mais « (nous ne vivons que de nos rêves/que de nos rêves/nous ne vivons que de nos rêves) alors peut-on rester assis ? ». Et voilà que le train rêvé dépasse Moscou et rejoint le monde. En laissant « Crânes, corps et cœurs » qui « pleurent un hasard qui les a menés là » et qui… « n’existe plus ». Le réel ce sont des « monuments aux soldats fous, aux socialistes en caoutchouc ». MOSCOU.
Ce texte, écrit en 2012, pour un voyage fait apparemment cette même année, et publié en octobre 2021, là, paraît visionnaire. À la fois poétique, parcours réel et parcours intérieur, et politique, amer, lucide. Ode d’amour à une terre et ses paysages, ses glaces aussi (présence métaphorique) et ses êtres. Et sorte de film triste, sur les impossibilités et fractures d’un monde.
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POÈMES. Cela s’ouvre (premières pages suivant le texte de Christian Jordy) par les textes de deux poètes afro-américains, traduits par Vladimir Claude Fisera, qui les présente. Ishmael Scott Reed (né en 1938 dans le Tennessee, reconnu important comme poète beat, il est aussi musicien) et Reginald Wayne Betts (né en 1980, il a connu la prison et de dures années, pendant lesquelles il poursuit ses études qu’il mènera jusqu’au doctorat ensuite – il enseigne la littérature à l’université et intervient sur la question de la délinquance des jeunes).
CITATIONS…
O, it’s hard to come home, baby
To a house that’s still and stark
All I hear is myself
thinking
and footsteps in the dark
Oh, c’est dur de rentrer à la maison, vieux
dans une maison muette et froide
Tout ce que j’entends c’est moi
Ishmael Scott Reed
(…) Believe me
when I tell you I fell in love. Not with her, but
with her tears.
Crois-moi quand je te dis que je suis tombé amoureux.
Pas d’elle mais de ses larmes.
Et… (…) night //
longer than a sinner’s
prayer in Red Onion’s small
ruined cells where ten thousand //
years of sentences
beckon over heads & hearts,
silent (…)
(…) cette nuit //
plus longue qu’une prière de pécheur
dans ces petites cellules décrépites de Red Onion
où dix mille ans de condamnations font signe au-dessus //
des têtes et des cœurs silencieux
Reginald Wayne Betts (Je note les lignes sautées par deux traits, //)
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Le poème de Charles Bukowski, qui justement suit le texte de Joël Vincent, parle aussi de ce « chaos intérieur » créateur car assumé. C’est dit avec un certain humour, ou comment n’obéir qu’à l’authenticité d’une nécessité plus forte qu’aucun vain effort, écrire d’évidence.
Comme ça, tu veux devenir écrivain ?
(So you want to be a writer ? ), trad. J-M Couvé
CITATIONS…
si ça ne sort pas de toi dans un jaillissement
de tous les diables
laisse tomber.
(…)
à moins que ça ne jaillisse
comme un missile de ton âme
(…)
à moins que ton soleil intérieur
te brûle les tripes,
laisse tomber.
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Et quelques pages plus loin je retrouve encore ce qui m’intéresse le plus dans un poème, cette force de profondeur unique qui donne accès à un sens déchiffré, qui autrement aurait échappé à tout autre. Long poème de Werner Lambersy, qui n’est hélas plus là pour qu’on lui dise ce qu’on aime de son écriture…
La Charge de la Brigade Légère
Ou De Re Poetica
Parmi les exergues, une citation d’Erri De Luca. « Après la première mort, a écrit Dylan Thomas, il n’y en a pas d’autre. »
CITATIONS…
À quoi sert de tant
Lire //
Écrire ce qui n’est
Pas encore voilà
La véritable tâche
(…)
Quelque chose se prépare dont
On ignore tout //
C’est de l’ordre des levures dans
La pâte
(…)
…. // je suis
Dans ce malaise //
De savoir que la beauté existe
Sans que je sache
//
Ce que je puis espérer encore
D’elle et du monde
Dans l’horreur de son retrait
(…)
A danser dans
L’absence de signes //
Il reste cependant
L’antique angoisse
La peur millénaire //
D’être envahi
Par tant de mystères
(…)
Ça pénètre par la peau et la
Mémoire //
Un parfum inoubliable vous
Entoure du dedans //