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Hommage populaire... Johnny.
" En nous quelque chose de...". Quand un artiste populaire touche des millions de gens pendant des décennies...Un être qui a ému, même par ses propres fêlures, où d'autres se reconnaissent aussi... Une voix (et la voix c’est de l’ordre de l'âme). Très aimé. Il est allé au bout de ses rêves avec son chant. Un visage. Une vie dense et du don.
Ceci, qui précède, c’est ma première réaction, posée en post sur Facebook. Parce que cette mort m’a émue un peu comme ces foules. D’abord j’entendais le « ding ding dong… salut les copains ! » rappelé par les radios, symbole d’un commencement, d’espoirs et révoltes mêlés. Et je sentais que des choses disparaissaient avec lui, Johnny, de chacun de nous et de l’histoire de ce pays. Car ce n’est pas rien qu’un élan qui part de la musique et de la danse pour faire émerger plus tard une révolution de moeurs. Le rock lancé par un jeune qui bouge autrement et qui énerve la génération précédente, peut-être inquiète d’un mouvement dont on ne sait pas ce qu’il fera de la société et des destins. Rien de politique, en apparence, dans ces chansons de « l’idole des jeunes », dans les mélodies berçant des slows avec des mots.
Émouvant itinéraire qui suit les vies des uns et des autres, quand il se marie, et d’autres de même, divorce, et d’autres aussi. Miroir de nos fêlures, questions. Et énergie qui transcende. Donc il y a du sens. Et justement, lui, transforme sa vie en destin, qui parfois rejoint la tragédie, parfois se perd apparemment dans des galeries de glaces, mirages des grands, des fuites, d’autre chose, des souffrances et peurs qui remontent.
Sauf qu’il rebondit. Et ceux qui l’écoutent avec lui (beaucoup de ses « fans » témoignent de passages de leurs vies où ses chansons, sa voix, les ont aidés, contre le désespoir ou même l’envie de mourir, ou simplement pour supporter un quotidien lassant ou trop solitaire, avant de retrouver un équilibre et de changer).
Énergie. On aime cela, l’énergie de chanteurs ou acteurs (de ces artistes les plus populaires) qui font capter quelque chose de cette énergie corps-conscience qu’on sait tous avoir en soi : la voir ainsi transfigurée renvoie un écho. C’est peut-être cela, un mystère capté, qui fascine et fait aimer. Et des connexions d'inconscient à inconscient (individuel et collectif).
Lui en a plus que bien d’autres, de l’énergie. Et cela passe par un corps sensuel (donc une beauté de cet ordre), par des yeux au regard intense, un visage qui vieillit avec le temps (comme tous) mais qui, marqué, intensifie son expression. Ses visages successifs se superposent, puisque tous sont connus, et il est l’enfant blessé et l’ami contemporain ou même le père, tout cela.
Donc j’étais émue et j’écoutais plutôt avec plaisir les chansons passées et repassées (radio, télé). « Retiens la nuit », « Marie », etc. Diverses car paroliers divers suivant les époques, et de très bons. Des paroliers qui savent tous saisir (avec lui, donc par lui) ce que sa voix portera le mieux de lui, de son histoire même. Dont le rôle de ses femmes (les trois plus importantes).
Émue, et énervée par des réactions stupides de certains snobs (comment dire autrement?), qui, réseaux sociaux, voulant montrer à quel point ils ne sont pas de la même engeance que cette populace, protestent contre les chansons qu’ils entendent de force (pourquoi ne pas fermer radio et télé dans ce cas?), contre l’hommage, indû (n’est-ce pas?), ces foules émotives et, même, les personnalités qui disent leur peine. Commentaires agacés sous les articles ou posts contraires à leur malaise. Mais ceux qui assument d'apprécier ce chanteur "populaire" assument d'abord leur appartenance à autre chose qu'à des élites sociales se reconnaissant entre elles et balisant des frontières. Même s'ils sont très diplômés, et créateurs autrement. Sans doute conscients de racines sociales humbles, et d'une proximité avec leurs "pareils", dans le fond...
Mais, quand j’ai vu les images du défilé menant le convoi funéraire à la Madeleine (ou de groupes, ailleurs, rendant hommage en chantant dans d’autres villes), j’ai aimé cette foule capable de tant d’amour, pour avoir reçu, longtemps, des chansons. Je regardais les visages, écoutais. En me disant que ce pays était spécial, d’être capable d’un tel ensemble dans le chant ou le grand silence, élan de foule sans le désordre passionnel des foules (comme pour la marche silencieuse après les attentats : ou pour écouter Johnny Hallyday chanter ensuite ce dimanche de marche, à République). Et que ces gens me plaisaient, somme d’individualités sympathiques, soudées par le partage. Je me demandais quelle impression cela pouvait faire de l’étranger (nous trouvera-t-on ridicules ou touchants ? étranges ? remarquables à notre façon ?). Peu importe. Symbole fort que la place du chant, de la musique, des foules sans peur, dans le contexte actuel des haines intégristes de la musique et des menaces terroristes.
Un enfant, dix ans peut-être, interrogé par un journaliste (étonné de le voir, ému, chanter avec les autres, connaître les paroles comme les adultes) répond : « Bien sûr qu’on peut aimer Johnny quand on est un enfant. Il n’y a pas d’âge pour aimer Johnny ! ».
Un jeune homme dit être venu de Hong Kong et repartir le lendemain. Trop important pour lui.
D’autres, la génération du chanteur, ont l’émotion de la mémoire d’adolescence, lointaine… La peine de la mort de ses jumeaux d’âge… prescience de la sienne. Et l'empathie pour ses intimes (quatre enfants, femme, ex-épouses,amis), tout le monde sachant les deuils.
Philippe Labro, parmi ceux qui ont parlé devant les proches et les moins proches, a évoqué (enregistrement, télé, émission spéciale) Nietzsche, le citant, pour rappeler que l’homme (l’humain…) est « une corde tendue au-dessus de l’abîme »). Oui, je le pense, Johnny Hallyday en était une figure, tendue au point de craquer parfois, s’étant brûlé aussi. Et finalement, emporté par la maladie , comme bien d’autres. Mais artiste jusqu’au bout, pour affronter l’abîme, ou lui présenter un visage sans renoncement.
J’ai écouté (émission spéciale, télé, encore) le sociologue Michel Fize, qui, reprenant la formule d’Emmanuel Macron (qui a réussi son hommage) dit préférer le terme « héraut » à « héros » pour Johnny. Car, expliqua-t-il, porteur d’une parole de liberté, la chanson devenant une thérapie qui guérit (preuve : des témoignages). La variété, a-t-il ajouté, est un genre noble. D’où le « merci » exprimé par beaucoup (et inscrit sur la tour Eiffel…).
C’est donc un jour particulier, un événement riche de sens, même si nous sommes, pour la plupart, plus observateurs qu’acteurs présents dans la foule. Par l’émotion à la nouvelle de la mort du chanteur. Et par la manière dont cela a été exprimé et porté de la foule anonyme aux personnalités connues (politiques aussi, sauf M. Le Pen, refusée par la famille), jusqu’au pouvoir, président actuel et présidents récents… Tous touchés vraiment. Effet d’onde.
Populaire, marque d’une certaine vérité, pour l’art. Les gens ne viennent pas aux concerts par hasard, pas parce que la pub est bonne (cela ne dure pas), et ils n’achètent de disques que pour les écouter… Tous avec … « Quelque chose de Tennessee », dans l’oreille et symboliquement.
Et ce malgré la distance qui fait qu’on apprécie de loin, sans connaître plus que son art, un grand chanteur, d’une génération mais pour plusieurs… Distance mais perception de pans de vie, autre connaissance malgré tout. Et un visage peut suffire à capter beaucoup.
VOIX… Une voix, et c’est beaucoup. On sent inconsciemment que c’est plus que ce qu’on croit, une voix. Cela vient d’un corps et de beaucoup plus qu’un corps. Cette voix traduisait une énergie d’amour, c’est cela que les gens sentaient, et ils savaient que l’énergie circulait, trouvait en eux le point dense qui répondait. Le peuple (simple et divers, peu lettré ou très cultivé, mais dans tous les cas instinctif) a des intuitions pour reconnaître un mystère qui lui parle de chacun. Un peuple, cela peut devenir une foule haineuse, si des meneurs la manipulent, des autocrates avec du charisme. Si le peuple n’est que foule il peut être très bête. Mais là, justement, les foules aimant Johnny Hallyday, et lui rendant hommage, n’avaient de collectif que le partage, et restaient une somme d’individualités. Visages devant un visage.
MUSIQUE… Une cérémonie de deuil qui laisse la joie d’être passer. Et la joie de la musique. Rock, bien sûr, chansons, et le rappel (par La Quête, pour clore la cérémonie) de ce que Jacques Brel représentait pour Johnny Hallyday.
LIENS…
SITE officiel… http://johnnyhallyday.com
Fiche wikipedia… https://fr.wikipedia.org/wiki/Johnny_Hallyday
Paroles des chansons… https://www.paroles.net/johnny-hallyday
Écoute, sur Deezer… http://www.deezer.com/fr/artist/1060
Articles… Le Monde, 06-12-17, « Notre seule rock star »…http://lemde.fr/2AGM1Ht
Parcours de vie, Le Monde, 06-12-17…http://lemde.fr/2BDm36W
Revue de presse interne, Libération… http://bit.ly/2nM4OON
Évocation d’un attrait pour des questions métaphysiques, Le Figaro, « Un désir d’au-delà », 08-12-17… http://bit.ly/2jleIp8
L’hommage populaire, Le Monde, 09-12-17… http://lemde.fr/2B6SCxt
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MISE à JOUR, 11-12-17, et autres liens...
Déjà, je recopie ce message trouvé sur la page Facebook dédiée à Camus… (car... Johnny, Jean-Philippe Smet enfant, chez Camus… !)... https://www.facebook.com/AlbertCamusAuthor/ ... "Alors que nous apprenons la triste nouvelle de la mort de Johnny Halliday, nous nous souvenons avec émotion que le petit Jean-Philippe Smet fit ses tout premiers pas sur scène en 1949, à l'âge de 5 ans, non pas en tant que chanteur mais comme figurant dans une mise en scène de "Caligula" d'Albert Camus à Londres. Or, il est avéré que Camus assista à la première de la pièce le 8 mars 1949. L'histoire ne dit pas si c'était le petit Jean-Philippe qui était sur scène ce soir là. En ce jour particulier, nous nous plairons à le croire. »
L’éditorial du Parisien, le 10-12-17, par Frédéric Vézard, titré « Un ange est passé » caractérise ce que Johnny Hollyday produit chez les gens, une force pour aimer. Et insiste sur la « bouleversante communion en musique ».
Hervé Gattegno (« Une idole et son peuple », JDD, 10-12-17) dit la même chose de cette ferveur (« La foule vibrait, chantait ») et de la musique.(« On attendait l’hommage, ce fut un concert »). Il justifie la grandeur de l’hommage que les Français ont voulu, eux, car, dit-il, le rebelle de la jeunesse a touché toutes les générations, en étant capable de se renouveler. Et aimé tel qu’il fut, imparfait donc humain, « fort et fragile comme un homme, simple et grand comme la France ». Il évoque Jean d’Ormesson, uni à lui par la date de leur mort (« l’aristocrate devenu populaire et le fils du peuple devenu un seigneur »). Texte fort, dommage qu’il ne puisse être lu en ligne…
Johnny, vu d’Algérie. Un très bel hommage, ample, vibrant. Texte de Kacem Madani, Le Matin, 09-12-17, « Nos années d’or à Alger : Oh Johnny si tu savais ! ». Comment l’art d’un chanteur aide à vivre, donne l’élan pour se trouver. Texte nostalgique, car l’élan a été étouffé ensuite par un contexte dur. Mais en soi, ce qui vibre est toujours là… http://www.lematindalgerie.com/nos-annees-dor-alger-oh-jo...
Autre hommage, venu du sud, lui, même sincérité. Traduction d’un itinéraire… Et comment ce qu’on aime ne se dit pas toujours, car les codes et les normes nous imposent de jouer des rôles, de rester dans les cadres qui s’imposent à nous… Dans Libératon, 06-12-17, Magyd Cherfi raconte son rapport avec les chansons de Johnny, d’abord aimé en cachette, en conflit de soi à soi. Et maintenant assumé totalement, intensément. « Johnny, plus qu’une voix »… http://www.liberation.fr/debats/2017/12/06/johnny-plus-qu...
... Mise à jour, 16-12-17… (Courrier international)
L’hommage vu de l’étranger… https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-letra...
Et particulièrement, côté anglais… https://www.courrierinternational.com/article/hommage-qua...
Johnny Hallyday symbole de « la résistance culturelle française » (il chantait en français, notamment). Point de vue d’un chroniqueur : « Johnny Hallyday était pourtant bien plus qu’une rock star, affirme ce chroniqueur britannique. Il était un trésor national. Et un sacré bon chanteur. »… https://www.courrierinternational.com/article/johnny-symb...
... Mise à jour 18-12-17... Le Point. Dossier… http://www.lepoint.fr/dossiers/culture/johnny-hallyday-un...
09/12/2017 | Lien permanent
1. ANTISÉMITISME. Constats et analyses... (dossier, note 1/5)
Le président de la Conférence des rabbins européens,
"L'antisémitisme s’aggrave et conduit au pire",
Le JDD...https://bit.ly/2ttWXVV
14/02/2019 | Lien permanent
3. À L’Index n°37. Se relire, Noir sur noir, soleil... Donc retourner sur les traces de soi et de plus que soi…
Tout ce que nos yeux ont vu et que l’esprit ne parvient pas à comprendre.
Margherita Guidacci
Nous qui doutons à une encablure de nous-mêmes
Ermites ultimes ou migrateurs du sang.
Jamel-Eddine Bencheikh
J’ai autre chose à dire avant d’en arriver à la relecture de moi-même, et à me citer. Exercice un peu difficile, parce qu’il faut mettre au dehors des textes du dedans, même s’ils parlent du hors soi tout autant, et alors, pourtant, qu’ils sont déjà dehors, puisque sur les pages d’une revue… (Relire… Si relecture on peut dire, plutôt peut-être détour en marge, un peu à la façon d’Amin Maalouf pour la mer, dont il dit aimer rester sur le rivage, marcher au bord plutôt qu’affronter les flots et le grand large. Le grand large de soi, de ce qu’on écrit, c’est écrit, ce qui dut être affronté des mémoires et des rêves, de l’écriture en train d’advenir, c’est fait, c’est là.)
Je veux revenir sur le frontispice de la revue, que j’avais déjà commenté il y a longtemps (mais je ne sais plus ce que je disais, ancienne note). Cette vignette créée par Yves Barbier est une absolue réussite, car elle donne matière à interprétation et vaut manifeste. Dans un rectangle, qui peut figurer une page, une silhouette androgyne pousse une spirale, ou la suit en courant, à moins qu’elle ne lui résiste, reculant. J’y vois le poète qui trace ses signes, en alphabet archaïque, originel, et qui les déchiffre (ou déchiffre en lui ce qui émerge de lettres et de mots). Signe spirale ou Terre, pour le poète qui garde le lien avec le monde, cette planète ronde et son feu central, et nous dans ce circulaire cosmos des galaxies, dont Hubert Reeves dit que nous sommes "poussières d’étoiles". La main touche la surface. La silhouette danse un peu, le cercle est peut-être aussi un cerceau, celui du jeu, pour garder l’esprit d’enfance et faire de la poésie une divinité intérieure "qui saurait danser" (Friedrich Nietzsche…). Ou c’est un fil lancé comme un lasso pour attraper mots et sens, ou s’attraper soi-même, et faire naître la possibilité d’accepter cette "salve" dont parle Henri Pichette cité par Jean-Claude Tardif. Je vois aussi une surimpression de O, cercle symbole de ce qui fait chercher et créer un centre (de soi, d’un texte, d’une oeuvre visuelle)... Mais j’y ai vu aussi l’immense et lourde pierre que Sisyphe pousse jusqu’au sommet qu’il doit atteindre, et inlassablement recommence encore à gravir, encore et encore. Car si l’élan est là, qui fait créer, si la page est tracée, encore faut-il qu’elle sorte du rectangle. Et si la "présence au monde" (Jean-Pierre Chérès) fait s’impliquer celui qui écrit (celle), celui qui se sait "embarqué" (Albert Camus), il peut désespérer devant son impuissance. Désespoir, quand l’obscurantisme et la violence règnent, qu'on sent que ce qui ressemble au fascisme guette, et que cela menace toute possibilité d’entrer dans le silence de l’intériorité. On tend d’aller vers le sommet de soi-même, et tout bouscule et ramène aux réalités triviales. Redescendre, reprendre l’ascension.
Il y a des phrases d'Albert Camus qui m’aident à faire la paix avec ce questionnement tellement mien, intime. J’y reconnais ce grand écart intérieur, que j’ai toujours choisi de garder, mais qui m’a fait choisir longtemps d’être surtout celle qui est "embarquée" plutôt que celle qui prend le temps de montrer l’autre part créatrice. C’est le temps qui déchire. Camus, d’abord, cite Emerson : "Tout mur est une porte" (merveilleuse formule). Et il commente ainsi : "Ne cherchons pas la porte, et l’issue, ailleurs que dans le mur contre lequel nous vivons. Cherchons au contraire le répit où il se trouve, je veux dire au milieu de la bataille. Car selon moi il s’y trouve." (Discours de Suède, 1957). Ailleurs il cite Pascal, en exergue des Lettres à un ami allemand : "On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux à la fois." (Et tout le livre illustre cette vérité éthique). Cela rejoint d’ailleurs ce que dit Jean-Claude Tardif sur ce qui est vécu en dehors des "salves" de la création : l’ordinaire des vies et des engagements.
Donc. Retour à mes poèmes du numéro 37. Ils font aussi ce grand écart d’une "extrémité" à l’autre "en touchant les deux à la fois" (merci, Pascal). Comme je le fais pour tout ce que j’écris et choisis de vivre. Ils sont en prose, le deuxième alternant fragments en prose et vers isolés, le premier n’ayant que peu de vers seuls, à la fin.
J’ai cinq sortes d’écriture, différences formelles mais unité intérieure.
… Celle du blog, ou des posts, prose qui commente ou lutte. (Et j’y tiens). C’est un outil d’implication, d’une part, de méditation, d’autre part (notamment avec les recensions, réflexion intense), quand la pétitionnaire ‘embarquée’ s’arrête. C’est un exercice d’écriture, une mise en état d’écriture, donc de l’écriture, tout simplement. (Je la retrouve dans ce que j’ai donné à la revue Mémoire plurielle, par exemple).
… Celle des poèmes en prose, pour tout un ensemble (comme les textes dans les numéros d’À L’Index). Pour le souffle, le mouvement qui va (et une parole d’émotion qui a besoin du "large").
… Celle des poèmes en vers libres (comme ceux parus dans Les Cahiers du Sens). Une écriture plus ciselée, qui travaille sur le silence.
… Celle des fragments poétiques (comme les "36 choses à faire avant de mourir" édités par pré#carrré). Choix du minimal, des miniatures. Celle-ci étant aussi l’écriture des aphorismes (eux sont dans la longue épreuve du tiroir, c’est-à-dire sur un fichier sauvegardé, tiroir actuel).
… Celle de la photographe, que je suis aussi. Écrire PAR la photographie et SUR ce qu’est, pour moi, photographier. Écrire "sur" est aussi important, pour l’acte de photographier, que le temps du regard. Il y a interférence. Je l’ai fait pour un dossier sur une série de feuillages d’ombres (dans la revue Babel heureuse : "Peindre sans peindre, et soi dans l’ombre et les ombres..."), et je suis en train d'achever de le faire pour un projet en chantier. C’est mon "art poético-photographique".
Donc, ici, numéro 37, deux textes. Et des exergues. Sans doute trop d’exergues. Mais j’aime ces croisements avec les écritures des autres qui comptent, et dont les citations font manifeste esthétique et éthique. Je n’en ai gardé ici que deux, au début de cette note.
J’ai ajouté une dédicace au premier poème. Pour, à partir de mémoires anciennes, réactiver les faits passés dans l’écoute des drames du présent.
Un paragraphe où j’évoque les prisonniers, les torturés, les "plaies du monde", les noirceurs de notre humanité.
Car comment pourrais-je écrire sur quoi que ce soit en oubliant que le très jeune Ali Al Nimr peut être exécuté d’un jour à l’autre en Arabie saoudite, lui qui attend dans le couloir de la mort pour avoir manifesté un jour avec un rêve de démocratie ? Quand je sais que le poète palestinien Ashraf Fayad (qu’on a sauvé de l’exécution par nos actions) y est toujours prisonnier, condamné pour des poèmes ? Quand je sais qu’au Yémen des gens meurent de faim, quand ils ne meurent pas sous les bombes ? Sans parler des Rohingyas persécutés en Birmanie, des Ouïghours musulmans opprimés en Chine, des chrétiens et des juifs tués (parce que chrétiens et parce que juifs). Non, d’abord faire comme Anna Akhmatova affirme le pouvoir. DIRE. Parce que les mots le peuvent. Et trouver la porte dans le mur. C’est ce que j’ai voulu inscrire dans ces poèmes, même si les bribes citées là en rendent difficilement compte. J’ai tenu à faire cela, et le reste : les deux bouts des fils.
Mais l’autre extrémité du fil tiré en moi, c’est, presque, un univers étranger à mon regard sur les douleurs du réel de tous. C’est la parole de la méditante qui lit les mystiques et les philosophes de la haute conscience (avec ou sans dieux), et réussit parfois à s’abstraire du bruit du monde. Celle qui contemple le beau, et écoute le chant des sages. Celle qui pourrait être un ermite heureux.
Dans ces mêmes poèmes cela passe aussi, par bribes, par évocations glissées. Et dans certains autres, encore plus, avec la joie d’être, de sentir; de voir.
En photographie c'est différent. Je choisis l’abstraction graphique, ou la distance des rues (street photography), les signes sans visages et douleurs, une autre présence de l’humain, par les marques qu’il laisse sur le réel. Et je peins "sans peindre". Si je n’avais pas les mots j’aurais peut-être choisi de montrer ce qui fait mal. Mais j’ai les mots. Donc la photographie est un regard libre de capter des formes, et la joie de ce qui est. Préservé.
Dans mes textes je mets parfois, comme des petits cailloux pour retrouver un chemin de racines, des mots d’espagnol, des bribes de phrases. Et je ne traduis pas souvent. Une signature.
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CITATIONS
Litanie pour juillet plusieurs fois, plusieurs fois tous les temps…
Aujourd’hui je ne me souviens pas. Je ne me souviens pas d’hier, seulement du plus lointain de la mémoire, d’une pluie de sable, d’une pluie d’instants.
Nuages. Comme brouillard sur l’écran des yeux. Très douce la parole du passé, très douce.
Douce et violente de la violence des exils, douce de la déchirure des langues, douce du froissement du papier de soie autour du texte offert par l’étrangère, en cette intime voix du dedans.
(…)
Je ne me souviens plus, je danse. Je danse sur des cadavres, je marche sur des charniers, j’habite des immondices mémoriels, je dors sur de la cendre. Et douce, douce, est la cendre.
Soleil je bois, en coulées d’averses. Non, je ne bois pas l’or, soleil, je cherche l’ombre qui brûle. Je la chante, sanglant oublieux, je la cherche.
(…)
Gargoulette fantasmatique, inutile de tendre les lèvres vers une image, ou de poser les paumes sur un souvenir de fraîcheur, la soif reste, et les mots, dans l’incandescence des mains. De ne pas savoir je me souviens.
(…)
Vers un ailleurs qui sait, lointain rivage.
Buscar. Buscar la luz.
L’étrangère aussi, en soi sait peut-être… Elle.
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Noir sur noir, soleil
Il y a des êtres qui sont séparés par des frontières dressées.
Séparés aussi d’eux-mêmes.
Mais ils marchent, le regard à l’horizon, cherchant à rejoindre leur indicible étrangeté. Ecrivant des douleurs inguérissables, des colères enfouies, celles qui rongent et tuent, oblitèrent l’âme. Fouillent, libèrent, réparent. Trouvent l’indicible et l’étrange, la part universelle. Noir sur noir.
(…)
Tourner autour de la ville, dans la poussière.
Oublier. Olvidar ?
(...)
Croix, croissant, étoile. Redire et redire. Appel des sages… Espérance soufie.
(...)
Femme magicienne, viens enlever le feu du feu.
(...)
Rêve, enfant, rêve…
Et ne traverse pas encore des mers infranchissables.
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Recension (et auto-recension...) MC San Juan
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LIENS
06/05/2019 | Lien permanent
Albert Memmi. Hommage.
12/06/2020 | Lien permanent
ROGER HANIN. HOMMAGE...
Pas question, pour moi, de ne pas rendre hommage à Roger Hanin, « le Raimu des Pieds-Noirs » (le Soir, Belgique, titre de l’article de Fabienne Bradfer). Acteur plus grand qu’on ne l’a suffisamment dit (et Alexandre Arcady le rappelle), homme d’idées, fidèle à ses racines, et antiraciste de toujours. Son dernier choix (être enterré à Alger, dans le cimetière juif où son père repose) est un geste symbolique très fort, un message envoyé autant aux Algériens qu’à la communauté des Pieds-Noirs (Juifs ou pas), et, aussi, aux Français métropolitains. Que comprendre ? L’appartenance irréversible à une terre de naissance et d’origine (ce qui n’est pas contradictoire avec la pleine implication dans la citoyenneté française). Le lien possible entre les communautés d’une même terre native ou originelle, sur cette rive et sur l’autre rive, à condition de se pacifier soi-même, de ne pas être dans une mémoire de la guerre qui évacuerait les mémoires de paix et de partage. La paix des esprits, donc, nécessaire. La fraternité, indispensable. Et ce message, il le lance dans une période secouée où il est d’autant plus nécessaire de l’entendre.
Liens...
Alexandre Arcady, cité par Le Monde, 11-02-15. Il dit notamment que pour lui Roger Hanin était "de la même trempe que Gabin et Belmondo », et « n'a pas eu dans le monde du cinéma la reconnaissance qu'il méritait".
Lettre-hommage d’Alexandre Arcady, réalisateur, dans une lettre ouverte écrite le 13, dans le retour vers Alger pour l’enterrement de Roger Hanin (selon le choix de l’acteur), lettre dans laquelle il cite Camus. JDD, 18-02-15… http://www.lejdd.fr/Culture/Le-cineaste-Alexandre-Arcady-...
La proximité d’Elisabeth Guigou et Roger Hanin ("On trouvait Mitterrand injuste vis à vis des Pieds-Noirs et ça nous réunissait"). Lci.tf1... http://lci.tf1.fr/cinema/video/elisabeth-guigou-evoque-ro...
Le Parisien, 12-02-15. Dossier. Titres et sous-titres : "Il était bien plus que le commissaire Navarro". / L’Algérien / L’Amoureux/ L’Acteur. Evocation de Robert Castel, de Marthe Villalonga ("Roger Hanin le plus souvent marié à Marthe Villalonga") / L’Engagé / Ses grands rôles vus par Emmanuelle Boidron, Patrick Bruel, Alexandre Arcady, Richard Berry...
LIVRES de Roger Hanin. Sélection. L’Ours en lambeaux, autobiographie. "Roger Hanin raconte et se raconte. Comme il parle : d'une écriture murmurée, traversée d'éclats et de chatoiements.". Et "Les Sanglots de la fête" (histoire vraie de Blanchette, partie de la Casbah vers Paris, et qui mourra à Ravensbrück.)
Fiche wikipedia (biographie, filmographie, bibliographie, théâtre)... https://fr.wikipedia.org/wiki/Roger_Hanin
Hommage. Article, Actu.J., "L'homme qui a fait entrer les Pieds-Noirs dans le cinéma français"... http://www.actuj.com/2015-02/culture/1451-mort-de-roger-h...
23/02/2015 | Lien permanent
CARNETS D’ORIENT, BD de Jacques Ferrandez, L’Intégrale
Bédéiste, Jacques Ferrandez l’est, d’évidence : il a réussi à créer une oeuvre forte, riche d’albums qui nous racontent une histoire qui rejoint l’Histoire, celle de son pays natal, et des communautés de ce pays, dans un contexte violent de colonisation, guerre, et décolonisation. Des personnages riches en profondeur et humanité permettent de saisir la complexité de cette longue période, sans dogmatisme, sans projections idéologiques, sans volonté de juger les uns ou les autres. Les carnets d’Orient, qui constituent une part importante de cette œuvre, majeure même, sont regroupés en deux volumes (mais disponibles en albums séparés aussi). Je présenterai les différents ouvrages plus précisément, en leur consacrant, petit à petit, une vignette et une page dans un album dédié aux bandes dessinées, qui va s’ouvrir avec ces deux volumes compacts.
C’est donc un auteur de BD, un très bon. Cependant on découvre le peintre, à travers les tableaux de son personnage, Joseph Constant. Mais on sent que le bédéiste observe le peintre, car les tableaux font partie de l’histoire, et posent un regard sur l’histoire de l’art, aussi : l’orientalisme, ses réussites superbes et flamboyantes parfois, ses limites, que le bédéiste veut, lui, franchir. Il n’est pas dans un rapport de contemplation extérieure, celle qui reste étrangère, malgré la fascination qui est celle des grands artistes orientalistes, malgré l’empathie, même : lui regarde de l’intérieur, ses personnages jouent des rôles qui parlent aussi des siens, et de possibles identifications avec les uns et les autres, des parts des uns et des autres. Loin d’une vision duelle, il propose une lecture qui cherche l’approche universelle, et trouve cette dimension dans les récits d’une douloureuse période historique. C’est une création fidèle à l’héritage humaniste de Camus, de Feraoun.
CARNETS D’ORIENT, L’Intégrale, tome 1, 2008 : http://www.casterman.com/Bande-dessinee/Catalogue/albums-...
Présentation EDITEUR : «Ce premier tome de l’intégrale des CARNETS D’ORIENT de Jacques Ferrandez réunit en un volume unique les cinq premiers tomes de la série (de Carnets d’Orient au Cimetière des princesses) – soit l’époque historique s’étendant des premières années de la colonisation de l’Algérie à la veille de l’indépendance. Bonus : en complément de l’album, un carnet de croquis relié, à la manière d’un fac-similé, rassemble les peintures réalisées par Joseph Constant, le personnage principal du premier volume de la série. »
L’intégrale, tome 2, 2011 BdFugue : http://www.bdfugue.com/carnets-d-orient-integrale-t-2
Présentation EDITEUR. Citation : « Après un premier tome regroupant les cinq épisodes du premier cycle narratif de la série, le second volume de cette intégrale rassemble en un volume unique les cinq titres du second cycle (La Guerre fantôme, Rue de la bombe, La fille du Djebel Amour, Dernière demeure et La Valise ou le cercueil), qui commence en 1954, à la veille de l’insurrection. »
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BioBibliographie de Jacques Ferrandez, sur wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Ferrandez
et… bdparadisio.com : http://www.bdparadisio.com/scripts/detail.cfm?id=664
Article, Le grand soleil de Jacques Ferrandez, sur actuabd.com : http://www.actuabd.com/Le-grand-soleil-de-Jacques-Ferrandez (Citation : « La saga des Carnets d’Orient puise à deux sources très différentes. La première relève d’une certaine tradition historique de la bande dessinée franco-belge. Le trait de Ferrandez est sage, sans envolées excessives. Il fait preuve d’une certaine neutralité qui est aussi celle du propos. Ferrandez ne se propose pas de juger l’histoire de l’Algérie coloniale. Son graphisme respecte cette intention. »)
02/12/2011 | Lien permanent
Quelque part la lumière pleut, de MICHEL DIAZ. Poésie (Alcyone, 2022, collection Surya)
tu savais que le temps se cachait dans le battement de tes cils, mais ne pouvais que demeurer ainsi, et enclos en toi-même, comme un arbre veillant le silence de ses blessures
Michel Diaz, Quelque part la lumière pleut, p. 13 (le titre vient d’un poème de Silvaine Arabo)
on n’écrit rien avec le rien, même en lisant dans son miroir ce vide qui s’étonne, ni rien non plus avec ce qui s’épuise à lutter contre l’ombre
Quelque part la lumière pleut, p. 25
mais surtout j’écoute le vent, j’écoute les murs, j’écoute les âmes
Quelque part la lumière pleut, p. 71
Je regarde d’abord l’encre de Silvaine Arabo qui introduit le livre (juste après un texte avant-signe). Je la regarde avec la même liberté intérieure que celle que j’ai devant les affiches déchirées que je cherche dans le métro, en capturant du regard des fragments pour recréer un autre imaginaire que peut-être personne n’aurait vu. Évidemment, là, nulle affiche déchirée, mais une création pensée, structurée, de l’art.
Cependant je sens que je réinvente peut-être l’œuvre (après tout c’est ce que l’œuvre veut aussi, toujours).
Ivresse des vents, est le titre de lâencre. Et voilà , avant dâêtre un lieu du livre de Michel Diaz, ce qui prolonge ma lecture de Capter lâindicible de Silvaine Arabo, livre où lâair et le vent font lâépure du réel. Mais dans ce livre de Michel Diaz, ouvert par cette image, dans les dernières pages surtout, celles de lâespoir, épure par lâair et le vent, aussi. Parenté dâunivers dans lâexigence du regard et de lâécriture. Pas étonnant que ce livre de lâun soit dédié à lâautre. Par la dédicace, par le titre, par un exergue, par la citation finale et bien sûr avec cette encre.
Alors je regarde encore et reviennent deux vers de Silvaine Arabo⦠(Capter l'indicible).
Ultime salut au vent
Et à lâoiseau.
Et des mots de son livre, encore. Jubilation, vertige.
Puis deux autres vers d'elle, même recueilâ¦
Ce grand océan cosmique
Qui nous interpelle sans cesseâ¦
Toujours dans la présence de lâencre qui offre des clés pour lire ensuite au plus juste les pages qui viennent.
Câest cela que je vois dans lâencre, pas étonnée quâelle soit là . Car lâUlysse de Michel Diaz était déjà ce voyageur cosmique, dans lâabîme dâune profondeur, interrogeant le destin, les choix, et la bascule toujours possible vers un renoncement, un néant, ou au contraire lâancrage dâêtre, démarche métaphysique au-delà des temps (Le verger abandonné, recension à lire ici, lien en fin de note).
Dans lâencre, serait-ce Ulysse, ce personnage dont lâombre contemple un gouffre bleu, près dâune sorte de fleur verte géante ? Gouffre de lâinfini, car le bleu est sa couleur. Ombres séparées, deux silhouettes sombres, sur une rive ou un bateau, sous un fragment de ciel mauve et un envol dâoiseaux. La solitude des êtres dans les lieux vidés de vie. Mais ayant lu le livre qui suit, je vois aussi la barque de Charon dressé devant lââme dâun mort et traversant le Styx avec lui. Alors Ulysse est aussi lâauteur écrivant pendant lâhiver du confinement, entendant la litanie quotidienne des morts, et qui évoque les fantômes des êtres perdus, ces inconnus, mais aussi les deuils personnels, ces présences-absences dans une maison. Comment penser nos vies sans penser la mort ? Et comment penser le monde tel quâil est sans penser ce quâil fait de la mort ? Cela est dans lâencre comme je la perçois, assez riche pour porter tout lâunivers des pages de Michel Diaz en même temps que toutes les méditations de Silvaine Arabo.
Je ne peux quâassocier cette encre au logo de la couverture, belle conception de Silvaine Arabo, qui est la marque visuelle de lâédition Alcyone. J'y vois un infini, de la douceur.
Quelque part la lumière pleut. Magnifique titre, cet emprunt à la poésie de Silvaine Arabo. Thématique commune aux deux auteurs, la lumière. Croire quâun sens peut émerger, que lâécriture peut faire advenir et transmettre. Ou que, quelque part, cela sâoffre si on le déchiffre. La lumière câest aussi celle qui sourd du mystère de la camera obscura de nos yeux, au profond du regard, et dans la tension entre écrire et être.
Mais un texte précède lâencre.
La première phrase offre les trois titres des parties du livre.
Dans lâincertain du monde
Sâessayer à vivre plus loin
Travailler à lâoffrande
Partir du constat, dire lâintention, agir pour un possible horizon.
Superbe texte, entre prose poétique et philosophie. Constat lucide concernant lâétat du monde, et élan pour ne pas renoncer, éthique dâune présence agissante, par la conscience dans la création. Dans ce texte je trouve un souffle qui a la force de celui d'Albert Camus dans Noces ou LâÃté. Et justement des refus similaires, la même ardeur vitale pour choisir de FAIRE, et un mot commun, qui vient de la même perception dâune nécessité, résister. Recoudre.
Michel Diaz veut (lui et nous, humains) quâon travaille à recoudre les fêlures de lââme, et, avec ce qui nous reste de raison⦠affronter le crépuscule des désastres à venir. Plutôt que dâaccepter le désespoir (frôlé dans certains textesâ¦) il choisit dâécrire que rien ne sera perdu dans l'éternité du silence, tant que (â¦). Câest donc notre choixâ¦.
Albert Camus, qui parle du malheur du siècle en refusant lui aussi le désespoir, veut quâon sache sauver lâesprit, apaiser lâangoisse infinie des âmes libres. Et il écrit que Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste (â¦). (Les Amandiers, dans LâÃté).
Recoudre. Cela signifie quâon part de ce qui est, et quâon fait lien. Câest tisser avec le réel, pas avec des projections mentales. Du concret. Chez les deux auteurs la nature, pour rappeler notre ancrage dans le présent matériel et le voisinage du vivant. Du réel. Camus insiste, au sujet des amandiers de son texte. Ce nâest pas là un symbole. Non, pas un symbole, des arbres vraiment. De même la mer présente dans les deux textes. Pour Albert Camus, câest le vent qui vient dâelle. Pour Michel Diaz câest, dans cette page, celle que va rejoindre une rivière. Lui aussi pourrait insister et rappeler que la nature dont il parle, si présente, nâest pas un symbole. Elle est le vrai chemin pour ses pas de marcheur, lâombre vraie du soir avec ses odeurs et ses sons, lâherbe réelle, des arbres quâon peut toucher, des pierres quâon ramasse (il en posait, raconte-t-il, comptant des jours dans notre hiver confiné).
Ce texte dâavant-signe, qui préfigure la structure et la dynamique du livre entier, sera à lire et relire, pour qui veut saisir la densité de lâensemble. Afin de sâen imprégner et dâen saisir la beauté. Il contient beaucoup, tant la perte que la joie, le temps, le silence, le visage et lâarbre. Et il inscrit une écriture qui nâappartient quâà lâunivers de Michel Diaz, une densité particulière, un rythme qui contient du silence, posé dans les virgules, dans les espaces entre les brefs paragraphes (pour le temps dâune respiration), et dans les mots qui donnent à voir, par touches légères (rose, mésanges, arbreâ¦). Car le regard ne se trouve que dans lâimmobilité du regard, même en marchant.
Chaque partie a ses exergues.
Silvaine Arabo pour la première. Cinq vers de Triptyque. Pour inscrire le même regard que celui de lâavant-signe, un constat, et le souffle portant au-delà des douleurs.
Ensuite câest Léon Bralda, La voix levée (pour un rêve vers un ailleurs autre), et Paul Verlaine, Sagesse (Lâespoir â¦).
Enfin, dernière partie, André Gide, Nouvelles nourritures (le don⦠lâoffrande).
â¦â¦â¦â¦â¦â¦â¦â¦â¦â¦â¦â¦â¦â¦â¦..
Dans lâincertain du monde
On ouvre les pages et sâoffrent encore des paragraphes brefs, sans majuscules ni points, seulement des virgules pour marquer les espaces intérieurs. Ãcriture du marcheur qui dessine un chemin, un long couloir de mots où je vois lâimage du rouleau de Jack Kerouac (Sur la route), comme si lâhorizon dâun voyageur et celui dâun marcheur pouvaient se figurer de la même manière. Mais jâai en mémoire, aussi, de longs parchemins enroulés, portant des textes sacrés conservés dans des monastères lointains. Lâécriture et sa part sacrée, avec ou sans dieux. Lâabsence des majuscules fait couler doucement un fleuve de phrases, sans angles.
La route de Kerouac câest une errance, sacrée à sa façon. Celle de Michel Diaz câest une déambulation, autant intérieure que de pas, un parcours libre avec, comme bagage, le regard, des questions, et, peut-être, carnet et crayon. Les questions, câest justement ce dont lâauteur dit vouloir créer un nÅud coulant qui fera du lecteur inconnu le passager dâun espace de silence de funambule, le réceptacle, en son corps, dâune cicatrice inversée, mémoire dâune brûlure. Ambition, pour lâécriture, dâun pouvoir qui est très loin de la fadeur mièvre. Une conception de ce que doit être la poésie, le contraire dâune jolie distraction. Conception active de la lecture, faite pour des mains tisonnières capables de chercher la lumière dans les traces du feu qui a brûlé les questions (et les réponses ?) par lâécriture. Lâinconnu est aveugle, mais muet aussi. Car pour lire il faut se défaire de son propre regard et de ses propres mots, accepter lâeffraction de pensée par les yeux et les mots dâun autre.
Et effectivement on voit, avec les yeux du poète, traçant un poème-prose, un paysage de feuilles, terre, ciel, et forêt, yeux grands ouverts qui sont les yeux de lââme. On est dans un crépuscule dâombres et étoiles, on entend les voix obscures devinées.
Ãcriture du temps du confinement, où la réalité extérieure reste cependant violemment présente, un monde toujours en guerre contre les vivants et contre la vie elle-même (â¦) peu dâhorizon à cette absurde conjoncture quâest le fait dâêtre né.
Il cite Samuel Beckett (⦠juste avancer) et Michèle Vaucelle (déglutir le monde). Alors il faut écrire, et ce monde le restituer dans le cri. Injonction intérieure, éthique affirmée. Exigence qui croise celle de Jean-Pierre Siméon (La poésie sauvera le monde), quand il définit la poésie comme un acte de conscience aigu en sâappuyant sur Roberto Juarroz, quâil cite (la poésie⦠accélérateur de conscience). Ces deux mentions conviennent à la démarche de Michel Diaz, à la brûlure du poème vrai. Et de même ce que dit encore Jean-Pierre Siméon sur la poésie force dâobjection empêchant de se détourner du réel tel quâil est et tel que le livre la poésie. Câest cette vérité du langage qui ne ment pas que propose ce livre, tout en cheminant vers ce lieu où la lumière pleut.
Au bout du réel il y a la mort, celle que pense le guetteur crépusculaire qui écrit, et qui parle de nos peurs, et des impulsions de survie quâon dresse comme des écrans.
Ce livre ouvre ses pages, et il renvoie à dâautres chants, tristes ou pas. Au-delà de toute mélancolie il ouvre dâautres livres et entre dans un concerto de poèmes. Pas nâimporte lesquels, ceux qui contiennent le feu du duende (Lorcaâ¦). Ainsi, le lisant, jâentends, comme en surimpression, le Chant des âmes retrouvées, poème unique qui clôt le livre de François Cheng, ses récits de Quand reviennent les âmes errantes.
La mort a eu lieu ; la mort nâest plus, écrit François Cheng.
Et Michel Diaz poursuit sa méditation.
Il est celui qui penche son visage sur la mer (et nous aussi, lisant). Il regarde, écoute, accepte dâentendre les cris de peur, de douleur et de guerre, malgré le bruit des tumultes du monde, bruit qui les recouvre, masque. Sachant le silence il se lave et nous lave des bruits. Tension dâécriture, dire et les cris et le silence (celui qui permet dâatteindre le centre de la parole essentielle).
Jâai remarqué des reprises de mots sur une même page, toujours en tête des paragraphes.
Par exemple, tu et peut-être (p.11), deux fois chaque.
Et, page 17, répétition de celui qui penche son visage sur la mer, deux fois.
Prolongé, page 18, par trois paragraphes commençant par je lâeusse aimé (celui quiâ¦).
Ou ce vent, page 28, deux fois. devant, p.31, trois fois.
la nuit, tu marches dans toi-même, p.39, deux fois.
tu vis, tout le long de deux pages plus un paragaphe,p.42-43. Anaphoreâ¦
Je pourrais donner deux ou trois autres exemples. Et le dernier, offrande, p.86.
Lâeffet est rythmique. Ces mots ou bribes de phrases sont comme le battement dâune basse dans une composition musicale, permettant ensuite comme un envol du souffle.
Je relis la page 18 et câest tout son Ulysse que je retrouve, présence du personnage mythique tel que le voit Michel Diaz dans Le verger abandonné. Solitude libre qui assume tout de ses choix. Ulysse nâest pas nommé ici, pas évoqué. Mais son esprit hante cette page, à cause des étoiles, du corps ployé dans le vide, à cause des vagues, et de cet être, seul parmi les hommes (â¦) intraduisible et seul (â¦) unique survivant dâun impossible dire et dâune impensable pensée
Seul comme beaucoup dans ce temps de confinement.
Et sâil y a le matin, les collines, lâherbe, la terre, lâhorizon est vide dâêtresâ¦
Fracture bouleversante, le texte dédié à sa mère. En pleine période dâépidémie et dâenfermement, elle glisse dans lâoubli sans limite. Et il la voit se noyer au fond dâ
24/05/2022 | Lien permanent | Commentaires (2)
”Pour un éloge de l'impossible”. Miguel Casado traduit et présenté par Roberto San Geroteo
El día escinde la percepción / al colorear la tierra.
23/06/2019 | Lien permanent
”La mort n’est point notre issue”. Parole de poète, François Cheng
24/04/2019 | Lien permanent | Commentaires (1)
”Méditerranées”, d’Olivier Py. Le court métrage commenté sur plusieurs blogs et sites...
« Le rapport que certains peuvent avoir avec une terre je l'ai avec une mer. » Olivier Py (Entretien, mickrociné) /
« L’ensemble de mon travail au cinéma comme au théâtre est une interrogation sur l’identité de « méditerranéen » Olivier Py (citation en exergue, article de Version originale)
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Sur le site « Vivre à Belcourt » de Luc Demarchi, une vidéo : extrait d’un court métrage d’Olivier Py, « Méditerranées » (le 's' de nos pluralités…) http://belcourtois.com/index.php/2015/05/11/mediterranees...
Du commentaire de Luc Demarchi, je copie la conclusion, beau message qui correspond totalement à ma vision de la Méditerranée : le lien que cette mer crée entre les êtres divers qui vivent sur ses rives, la fraternité à l’horizon. Voici :
« Le réalisateur conclut son film en évoquant la Mer Méditerranée comme une dimension commune à tous ceux qui vivent ou qui ont vécu dans les pays qui la bordent et c’est bien grâce à ces Méditerranées que nous nous rejoignons et que nous nous retrouvons.
Au-delà des conflits passés ou présents, la Mer apparaît comme le lieu sacré du baptême qui nous mène ensemble vers la voie de la paix et de la fraternité.
On ne peut visionner ce document sans faire la relation avec l’œuvre passionnée d’Albert Camus pour ce pays, une œuvre que l’on perçoit en filigrane tout au long du film. »
J'ai regardé. C'est très bref, cet extrait, mais suffisant pour capter la beauté de ces moments simples. Il y a de l'amour dans le regard de ces êtres, et de l'amour dans le double regard porté sur eux : regard de ceux qui filment, se filment (dans la présence de l'instant), et de celui qui reprend ces bribes familiales et les recrée. Une étrange sorte de double énonciation... Mais là ce ne sont pas des personnages qu'un auteur fait vivre devant nous : des personnes réelles dans un passage fugace de leur vie. Bribes de temps méditerranéen... Que la mer y est belle! Image de paix... Et je les vois, attentive, avec, en surimpression, l'accélération des vies, le fracas de la guerre, la rupture avec leur lieu d'ancrage, l'exil, les années qui passent. Et puis simplement, de nouveau, comme des méditerranéens à la source de leur force vitale. D'une rive à l'autre c'est toujours la même Méditerranée, la terre des Noces de Camus (Luc Demarchi a raison de faire le lien). Terre de danseurs, comme le père, jeune, dans son arbre, ou la mère, qu'elle marche ou nage... Magnifique.
Il me faudra voir intégralement ce film, que je découvre avec grand retard...
Ce que j'ai lu de la démarche d'Olivier Py me fait adhérer totalement à cette démarche. Et je cosigne la première citation, mise en exergue de ma note...
Entretien avec Olivier Py sur mickrociné. Passionnant (Et les commentaires sont aussi à lire) : http://on.fb.me/1aIrwq3 [Il insiste sur cette réalité métisse du Méditerranéen, et du Pied-Noir, sur le croisement de l’intime et de l’Histoire, sur la souffrance familiale, le refoulé, évoque les Harkis, les camps. Identité (nous pourrions tous écrire ça) : « Et comme il y a un exil qui est un peu à l'origine de l'histoire familiale, le centre en est la Méditerranée, pas une terre. Le rapport que certains peuvent avoir avec une terre je l'ai avec une mer. C'est pour ça que je suis arabo-italo-espagnol, et c'est plus fondamental pour moi que mon identité française par exemple. » Politique et identité (Le difficile lien… Il est conscient de donner des clés, loin des jugements anachroniques.) : « Le matériau que j’avais me permettait en quelque sorte d’utiliser un voile poétique pour raconter une histoire sans jeter de jugements politiques qui n'ont plus de sens. Je suis très content en tout cas si jamais une partie des Pieds-Noirs retrouvait leur histoire et leur identité à travers ce film. »
« Méditerranées », sur Doc en courts (Palmarès 2012, nominé). : (Où il est dit ce que je percevais en surimpression, mais qui n’est pas encore explicite dans l’extrait présenté) : « Comment montrer l’Histoire ? Comment parler d’un souvenir aussi vibrant que la pellicule Super 8 sur lequel il est inscrit ? » (…) « Ici la guerre est en coulisse, mais qu’est-ce qu’une image de la guerre finalement? » / Lien devenu inactif...
Et sur Mémoblog de Paul Souleyre (blog référencé ici, cf. liste « Pages tissées… ») : « Olivier Py est un méditerranéen » :http://www.memoblog.fr/olivier-py-est-un-mediterraneen/ (Où il évoque la rencontre, idéologique et éthique, avec Luc Demarchi (de « Vivre à Belcourt » et la portée du film d’Olivier Py). Comment la conscience de l’identité méditerranéenne permet (Olivier Py, Luc Demarchi, Paul Souleyre – sur cette page) de vivre en cohérence son identité particulière et d’échapper aux enfermements des appartenances, quand elles sont limitantes (Pieds-Noirs, fils de Pieds-Noirs, ici – mais c’est une vérité qui est valable pour toutes les communautés humaines). Beau portrait du webmestre de Vivre à Belcourt dans cette page, et ample citation.
Autre note, Mémoblog : « Méditerranées, un film d’Olivier Py » http://www.memoblog.fr/film-olivier-py/ (Où Paul Souleyre dit son agacement, à la lecture d’une fiche wikipedia, devant un contenu erroné sur l’enfance d’Olivier Py – comme si le message de l’œuvre n’avait pas été compris : déni, là aussi, dans cette incompréhension, explique-t-il à juste titre).
Ample et bel article, sur Algériades, au cœur de l’identité méditerranéenne comprise à travers l’origine et la référence algérienne : http://www.algeriades.com/olivier-py/article/mediterranees-d-olivier-py (En conclusion, citation d’Olivier Py – entretien : « Nous avons une histoire en commun mais aussi un avenir. Et c’est ce monde de la Méditerranée qui aujourd’hui me semble une vraie, une magnifique utopie". »)
Sur cinemaniac.fr, une lecture qui tient compte de l’essentiel du message, compris profondément. Le film intégral se déroule, comme si nous étions en train de le visionner : « Méditerranées, l’été qui ne reviendra plus » : http://www.cinemaniac.fr/news/mediterranees-l-ete-qui-ne-reviendra-plus
Article de Version originale : (En exergue, une citation d’Olivier Py : « L’ensemble de mon travail au cinéma comme au théâtre est une interrogation sur l’identité de « méditerranéen ».) / Lien devenu inactif...
Le blogueur, sur Vu du balcon, rappelant le Grand Prix obtenu par ce film au Festival de Nice 2012, relie les souvenirs évoqués dans le film aux siens, jeune à Paris, pendant la guerre d’Algérie… Histoire : http://vudubalcon.blogspot.fr/2012/10/mediterranees.html
... Deux pages sur le site d’ARTE...
Le film… http://cinema.arte.tv/fr/article/mediterranees-dolivier-py
Zoom… http://cinema.arte.tv/fr/article/zoom-mediterranees
... Le DVD, page FNAC... http://video.fnac.com/a6211320/Mediterranees-DVD-DVD-Zone-2
.................. Voir aussi, note, Andalousie (illusion?)... http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2013/10/18/an...
................... Andalousie, Méditerranée, voir catégories et TAGS...
24/07/2013 | Lien permanent