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Rechercher : le verger abandonné

”Le verger abandonné”, de Michel Diaz. Ulysse errant choisissant le non-retour, ou l’ascèse d’écriture et d’être, en réc

VERGER M DIAZ.jpg
 
 
 
 
 
 
Car...
 
 
 
 
(En couverture, une photographie de Pierre Fuentes, une des contrées d'Ulysse... Comme une peinture du "bord du monde")
 
 
Car Pauvreté est lumière éclatante de l’âme.
(…)
Venu de la clarté, il pénétrait 
dans une clarté toujours plus grande,
et la gaieté habitait sa cellule.
 Rainer Maria Rilke, Le Livre de la pauvreté et de la mort
 (trad. de Jacques Legrand, Seuil, œuvres 2, poésie)
 
 En nous le lieu
 En nous l’instant
 Nous consentons à être
          le jour dans la nuit
François Cheng, Le livre du Vide médian (préface et poèmes)
 
Pauvreté… Comprendre dépouillement, détachement, arrachement à l'inessentiel. Même si dans le grand poème de Rilke la pauvreté des humbles est aussi présente. 
J’ai choisi ces exergues car ils me semblent être une entrée possible dans ce livre particulièrement profond, qu’on doit relire et relire pour arriver à s’en extraire assez pour en parler. Et c’est Rilke que Michel Diaz a mis en exergue, citant un autre fragment du même grand texte (pour la notion de dénuement et la mention de l’exil, dont on peut entendre plusieurs sens, jusqu’à l’éloignement de soi par soi). 
La lecture de François Cheng (je le développe dans une des dernières parties de ma recension), permet de comprendre une dimension essentielle du livre de Michel Diaz. Et notons déjà la présence du "lieu" et la notation sur "le jour dans la nuit" (thématique de la lumière et de l’obscurtité, centrale chez Michel Diaz).
L’écriture de ce "verger" est magnifique, la pensée est troublante, une méditation où nous devenons Ulysse errant, retrouvant nos propres exils et cherchant à apprendre cet itinéraire qui nous rendrait assez allégés et libres pour rejoindre la plus authentique part de notre être. 
Je note que ce livre a été récemment primé (prix du Cercle Aliénor de poésie et esthétique). Et j’ai trouvé que c’était très mérité. 
 
Publication des Éditions Musimot.
……………………………………………………………..................................
Qu’est donc ce verger abandonné par Ulysse ? Et de quel verger Michel Diaz tisse l’arrachement ? 
C’est à la fois un lieu et son absence, la marque d’un exil (lisant un poème de Michel Diaz, autre, j’ai pensé aussi exil de corps et âme : celui qu’on constate, celui qu’on élabore).
Le choix qu’il a fait de Rilke comme exergue est absolument adéquat. Car ce poème, ample, un des trois du Livre d’heures est un des très grands textes de Rilke, en affinité de démarche avec ce qu’écrit Michel Diaz. Et il donne la dimension de l’interrogation que les pages qui suivent vont tenter de fouiller plutôt que de cerner (poésie en prose que ces lettres d’Ulysse…). 
Exil, le mot y est. "Tu es en exil", écrit Rilke, invoquant ce "dénué de tout" qu’est François d’Assise (qui fascine aussi François Cheng) et parlant aussi à l’être en chemin de lucidité, en capacité d’appauvrissement, pour un dénuement qui arrachera identité illusoire et ancrage éphémère. Deux espaces en cela, d'abord. Celui de l’errance réelle traversant les frontières et les mers, généalogie qui nous habite, et histoire personnelle dont on ne sait pas toujours quelle hantise est prégnante. Et celui de la tragédie humaine qu’est l’absence à soi, l’encombrement qui coupe de sa réalité. À l’inverse, le dépouillement est l’horizon désiré qui nous fera "dénué de tout", perdant ce qui nous empêche d’être notre essence.
Dans la traduction de Rilke par Jacques Legrand, Pauvre a une majuscule, Pauvreté aussi, dans deux vers. Quand cela signifie ce dénuement du sage accompli, hissé à sa dimension haute. Même si le texte de Rilke magnifie aussi les simples pauvres, ceux du manque, et constitue une sorte de prière à Dieu (à la transcendance) pour qu’il aide l’humain dans ce chemin de renoncement qui est la capacité de porter la conscience de sa propre mort. Mort finitude et mort symbolique des apparences.
 
Et c’est tout cela qu’aborde Michel Diaz. 
 
Autres clés liées à Rilke. Le Livre de la pauvreté et de la mort suit celui de la vie monastique, et celui du pèlerinage. Un ensemble mystique. Or le voyage d’Ulysse n’est-il pas en quelque sorte un pèlerinage ? Et sa solitude volontaire, ici, qui le fait renoncer, dans le livre de Michel Diaz, au confort affectif, n’est-ce pas démarche d’enfermement monastique ? 
Rilke est donc une porte pour entrer dans l’univers de ce livre.
J’étais intriguée, après avoir tant lu Audisio et son Ulysse, de retrouver ce personnage méditerranéen mythique, mais faisant d’autres choix. 
 
David Le Breton a écrit une préface intuitive (titrée Aspiration à l’absence), insistant sur le détachement qui remplace la nostalgie. Et son évocation de Simone Weil lui fait rejoindre aussi la dimension mystique de l’exergue. Le lien avec Edmond Jabès, qu’il cite aussi, est très bien pensé ("Le lieu véritable est-il dans l’absence de tout lieu ? Le lieu, justement, de cette inacceptable absence."). Car Jabès est à la fois l’écrivain de l’exil réel, su et non su (parfois perdu dans les strates de notre inconscient) et de l’exil métaphysique, qu’il transforme en épreuve de sens et alchimie d’âme, en grand commentateur de la langue qui s’inscrit en lui, en tissant plusieurs, à l’égal d’un talmudiste éclairé. 
 
L’Ulysse de Michel Diaz écrit des lettres en se cherchant. Il trace ses doutes et hésitations en lissant son chemin dans les mots autant que dans les lieux. Vraies lettres, adressées à l’épouse, au fils, au vieux père. Mais ce ne sont que superbes songes de lettres, mots rêvés, confiés à la mer, au vent, au temps. 
 
À Pénélope il dit le désir d’abolir "temps et distance", sans savoir comment. L’espace de séparation est fait aussi de tout ce qu’il a vécu, univers si différent de son lointain verger.  Il est déchiré, rêvant de ses arbres et nostalgique de la douceur de la proximité des corps, douloureux de ce qu’il sait vivre où il est, dans ce temps d’hésitation, comme "à côté d’une source sans eau". Il désirerait revenir, pour trouver peut-être une partielle amnésie, l’oubli des horreurs violentes vécues.  Mais s’il croit écouter "ce silence" d’autrefois, il doute déjà, ayant besoin de se rassurer, en imaginant que son rêve de la nuit est un "présage". Et son dernier paragraphe, s’il y présente négativement son présent loin d’elle, pose les questions qui sont celles des crises de rupture. 
"Qu’aurait-il donc fallu pour que je ne vous abandonne pas ?"
C’est dire les manques (car il les cite), donc les savoir. 
 
Dans une autre lettre à Pénélope, qui suit celle au père, il parle du besoin qu’il aura de solitude avec ses arbres, au retour, avant de la rejoindre, elle. Il exprime sa peur de ce que l’absence aura créé de distance charnelle. Encore le doute, qu’il essaie d’écarter en faisant le récit de leur désir passé. A-t-il vraiment encore en lui mémoire du goût d’elle ou veut-il s’en persuader, alors qu’elle est "la dernière question et l’ultime réponse" ? 
 
Au père, Laërte, il promet son retour, l’espère en vie en se fiant encore aux rêves et aux devins. Il lui faut interroger les "bouches d’ombre", comme pour se défaire d’une sourde culpabilité à l’idée de la mort possible du vieux père, sans retour. Il dépeint négativement son errance, "ces illusoires nécessités que fait miroiter le désir de toujours aller plus avant", et "ce long chemin hasardeux". 
Autre lettre. Où le père est celui qui sait son identité mieux que lui-même. Mais justement c’est cela qui s’échappe. Ulysse, aux noms multiples de voyageur, homme de mille rencontres, est aussi Personne, celui qui répondit ainsi par ruse au Cyclope comme à un sphinx du destin. Quelle est la vérité du nom et quoi dire au père pour se dire vrai ? Seulement tracer les pas d’autrefois, reconnaissables. Ulysse-Personne doute de pouvoir dire ce qu’il sait de commun à tous deux. Mais ce non-savoir est plus fort qu’un simple retour à la connaissance de ce qu’il fut. "Je te dirai que je ne sais rien d’autre que ce que je sais depuis toujours". Comme s’il voulait se dépouiller des mémoires de son errance. Et, là, Michel Diaz dessine un autre portrait. Ulysse errant qui doute et craint. C’est Michel Diaz poète qui pense l’identité, ses masques et ses failles et le rapport au langage, à l’écriture. Car "c’est le mot qui manque qui résonne le plus longtemps entre les parois de son crâne". Dans la difficulté de répondre au "bruit de la question". Ulysse rêve d’un contact sans mots. Que sait-on de la vérité de notre parole ? Ulysse "imposteur" devant son père ? L’écrivain imposteur, "volé" (comme Ulysse) par lui-même ? Sauf si l’imposture est alors un chemin d’authenticité. Car se dépouiller d’un masque antérieur passe par une apparente imposture. Le mentir-vrai d’Aragon (j’y pense, alors) fonctionne peut-être de soi à soi pour un chemin de dénuement. Perdre un visage qui fut vrai, pour, mentant, et se mentant, révéler le visage sous le visage, qui sera plus vrai encore. N’est-ce pas le sens de l’itinéraire d’Ulysse ? Oublier sa voix, en créer une autre.
Mais Ulysse doute encore. 
 
De Pénélope il sait l’attente, la longue patience, ou croit pouvoir deviner ce que ce fut. Il espère ne pas avoir à lui parler du "remords de ses trahisons", s’en libérant auprès des arbres du verger, gardant pour elle la possible "tendresse". 
 
Le verger, quand il en parle à Laërte, c’est pour un magnifique éloge de la nature, celle des arbres, avec ce rêve dont il se souvient, que lui confia son père, de transmigrer en arbre, en figuier peut-être. On pénètre, avec Michel Diaz, dans l’esprit de l’arbre. Racine, tronc, sève et feuilles. On respire arbre. Si Laërte se rêve arbre, Ulysse semble s’identifier à ce rêve de repos non humain, en se glissant dans les sensations d’un olivier, dans le balancement doux du vent et des éléments. Libre de langage, enfin… Fantasme dans lequel nous entrons avec Michel Diaz, ou connexion vraie, et métaphore d’une autre sorte de dépouillement. Car la force du rapport aux mots doit savoir passer par le renoncement aux mots, le silence que le lien avec la nature sait trouver mieux que tout. Et ainsi Ulysse permet une réflexion qui concerne le rapport au langage, et intéresse la création littéraire, au sommet de l’exigence. 
 
Que dire à un fils, qui n’est plus un enfant ?
Que dire à Télémaque ?
La promesse d’un retour et de l’effacement de la blessure du départ. La parole du guerrier conscient de l’indicible qui ne sera pas partagé, affirmant à la fois un devoir accompli et la faillite de tout récit. La mémoire d’Ulysse lui dit presque l’incapacité d’assumer, et, tout en essayant d’exprimer l’espoir d’autre chose, l’impossibilité de redevenir père ou fils. Vient-il lentement à la conscience de l’inéluctable ou le sait-il sans se le dire ? 
Et, traduction possible, quand on est déjà loin dans le chemin vers soi-même, que ce soit par le voyage errant ou par l’ascèse de l’écriture (ou, Rilke, par la voie spirituelle qu'est aussi l'écriture), comment rejoindre autrui par le langage des jours loin de l’écrit et des sommets de solitude ? 
Le temps passe et le retour s’éloigne. Bateau échoué, île où survivre. Dans cette hâte forcée le verger devient comme un temple que préparerait son fils, et où il renaîtrait. Mais espace qu’il faudrait détruire ensemble. Abattre les arbres abandonnés pour en replanter d’autres. Étrange projection d’un retour où tout effacer, et effacement du retour. Ou élaboration d’un effacement créé en soi par des gestes intérieurs de conscience ? 
 
L’étrange contrée que découvre et décrit Ulysse à Pénélope est troublante, un monde d’eau et ciel dont Michel Diaz fait un tableau (c’est pictural, presque cinématographique) mystérieux. Un monde qui serait un ailleurs où la nature crée un mélange de murs végétaux et d’infini spectral. Ce qui "secrètement" travaille "à la séparation de tout royaume". Est-ce la nature qu’on voit, ou la représentation d’un cheminement intérieur qui se fait souterrainement dans la conscience d’Ulysse ? Qu’est ce royaume sans "commencement" ni "fin" ?
Celui de la joie possible au retour ?
Ou de la solitude gagnée sur le renoncement ?
Ou de la tristesse malgré tout, mais choisie ?
L’hésitation entre deux états ? Séparation que cet éloignement de soi dans une marche difficile vers on ne sait quoi. Mais volonté "seulement d’aller vers plus haut et plus loin". Démarche presque mystique d’accès à ce qui dépasse. 
 
Et dans la quatrième lettre au père la tristesse est palpable. Magnifique texte, aussi fort que celui sur la contrée étrange décrite à Pénélope dans la cinquième lettre, ou que celui sur le verger temple à détruire et recréer plus tard, ou celui sur le père et ses rêves d’arbre. Quand il parle de la nature Michel Diaz atteint des sommets de densité visuelle et conceptuelle. On regarde en cinéaste et on médite en philosophe antique, entre Grèce et Chine. Ce texte qu’Ulysse trace sur sa paume, comme il tracerait son nom sur celle de son père, s’il revenait ("dans le creux aveugle de ta paume"…), ce texte décrit un lieu de solitude, "triste, inaccessible aux larmes", mais "où il y a quelque chose de sacré". Lieu des morts qu’Ulysse croit sentir présents, comme une mémoire figée là. Mais lieu qui le repousse et l’attire. Il erre, ne sachant plus qui être et où aller, "indécision" inscrite dans le lieu et en lui. 
Allant peut-être vers "le chemin d’où l’on ne revient pas". Qui semble être d’abord celui de l’affrontement à la langue, pour l’écoute de ce qui vient d’un monde souterrain, marge fantomatique de l’univers et de soi. Page intense, sur cet appel des mots, ce souffle de "l’imprononçable", "indicible", "ineffable". 
Mais ce lieu, qui a en lui du "sacré", entraîne aussi vers une autre sorte de transmutation. Dépasser ce qui, "inquestionnable présence", est enfoui "sous la cendre d’une inépuisable détresse". Car il y a le signe qu’est "la lumière", réelle et symbolique. 
Et la question centrale :
"Vers quelle région de l’être me conduisent mes pas ?"
J’entends Michel Diaz à travers Ulysse. 
Vers quelle métamorphose essentielle conduit l’entreprise d’écriture ? 
 
Ulysse, continuant à s’adresser à son fils, peint un univers effrayant, de silence et de mort. Mais achève sa lettre dans un paradoxal retour à la présence de la parole "qui jamais ne cesse", et à ce qui retrouve une possible "ferveur". 
 
Hésitation, encore, mots vers Laërte, avec cette conscience de ce qui "toujours nous échappe". 
Et s’adressant de nouveau à Pénélope, il décrit encore un lieu "de désolation", qui est plutôt son espace intérieur, celui de ses "doutes". 
 
Puis le doute est dépassé. 
"Quelle raison", écrit-il à Télémaque, "ai-je de revenir ?".
Étranger devant des étrangers que le temps a séparés. Peur de la mort en miroir. Conscience de ne plus vouloir que "tourner la page de son passé". 
 
Basculement. Il est sûr maintenant de ce qu’il se doit à lui-même. Le message envoyé (mentalement) à Laërte est un adieu sans dire adieu. Plutôt une méditation, que les maîtres du zen ne renieraient pas, sur ce "Rien" qui est le renoncement aux masques qui entravent. Plutôt choisir le chemin "vers soi-même", "ce chemin qui ne serait rien d’autre que la voie des dieux". Le but c’est d’aboutir à soi, dans une plongée intérieure vers son "accomplissement". 
 
L’identité d’Ulysse c’est l’errance, comme fidélité à soi-même, refusant tout "leurre" qui serait un retour voué au mensonge et à la tristesse. C’est son testament pour son fils, en message de vérité. 
 
Tentant d’apaiser Pénélope il insiste sur le "dépouillement". Valeur du "nulle part", du "Rien", donnant force, pour ce qu’est "vivre", au "chemin qui va de nulle part à nulle part", "de rien au Rien". Conscience de notre mesure d’errants éphémères. 
Le "rien" qui mène au "Rien" est un chemin de sagesse où être fidèle à soi est l’éthique centrale. On ne peut que rapprocher ce qu’énonce Michel Diaz des sagesses pensant le vide, non comme un trou béant de néant mais comme une dimension de sens, saisie de l’être incernable. Profonde intuition philosophique et esthétique que l’itinéraire qu’il choisit pour son

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14/12/2021 | Lien permanent

Recension. Lignes de crête, de Michel Diaz

Diaz, Alcyone.jpgCette recension était prévue, j’apprécie de la relier à mon parcours de la revue Saraswati, où Michel Diaz est présent (note précédente).
 
En exergue au préambule, l'auteur a choisi de citer Thérèse d’Avila et Kant, pensées qui traduisent notre faim intérieure, et dans le corps du texte des lignes d’Alain Freixe (extraites de Comme des pas qui s’éloignent). 
Que dit ce préambule, qu’annonce-t-il ? Un questionnement, une recherche comme en apnée, où l’attention à "la solitude saturée de présence", que révèle la marche, est celle de "l’écoute du monde invisible où s’enracinent nos pensées les plus archaïques et dont nous recherchons toujours la clé". 
On retrouve, relisant ces pages, ce même désir de déchiffrement de l’entre-deux que révèlent les poèmes en prose des saisons : "ce cheminement sur la ligne de partage des eaux" (…) "vers des pierriers d’incertitude au pied desquels peuvent s’ouvrir des trouées de clarté comme des chaos de ténèbres". La démarche est éclairée aussi par la brève postface où l’auteur dit le rôle de la marche dans l’émergence des textes, et celui des "alchimies imprévisibles de la songerie".
Le livre est divisé en quatre méditations, offertes à Walter Benjamin, Friedrich Hölderlin, Claude Cahun,  et Alejandra Pizarnik. On comprend pourquoi le préambule parle du risque de bascule dans "des chaos de ténèbres", et pourquoi la postface mentionne la "douleur inexprimée".

Terrible marche que celle de Walter Benjamin, ce chemin sans retour (titre du texte), poursuivi par la police allemande, menacé, sans espoir, qui finit par se suicider le 26 septembre 1940, ne voyant aucune issue. 

"s’enfoncer dans sa propre blessure

 inverser le regard   le tourner

 plus profond que soi"

De même, c'est toucher la douleur qu'aborder les années d’Hölderlin proches de la folie, lui qui traça l’injonction superbe qui donne le titre de cette partie, Il faut habiter poétiquement le monde. S’il frôle la nuit de la conscience c’est peut-être pour avoir le courage, en poète, d’interroger le mystère des ténèbres humaines et de tenter les mots qui diront, "seul en sa solitude d’homme et en ses déchirures".

Pour aborder... 

"un silence qui vient chercher

 dans le remuement de la langue

 ce qui livre et délivre

 et que la parole ne savait pas 

 mais qui se disant la dépasse"

Compréhension intime qui fait que Michel Diaz tutoie Hölderlin en ami, en poète sachant ce que l’écriture qui exige rejoint aussi d’ombres douloureuses en soi.

‘tu questionnes ce nœud d’angoisse 

 où le sort t’a jeté’

Et pourtant, que ce soit pour Walter Benjamin ou Friedrich Hölderlin, derrière le désespoir la présence de ce qui permet quand même d’entrevoir un autre espace. 

Malgré la mort qui attend Benjamin, on le sait, le dernier texte est titré "comme on ouvre un chemin", et il évoque "une lumière pacifiée", peut-être pas seulement l’illusion d’un espoir avant la mort qui sera le dernier choix, mais la présence de ce qui "libère l’homme de son ombre". 

Et, pour Hölderlin... 

"derrière les yeux 

 ce qui importe est sans visage

 et sans regard"

(…)

" - à la fin

 une fleur inouïe et pure

 s’échappe à la pointe de l’être"

Dans le dernier texte dédié à Hölderlin, mélancholia, c’est Hölderlin qui parle : "je suis né dans le corps d’un ange". Mais ange incarné, et privé, amputé, de ses ailes : "Moi, je boite des omoplates". Comme l’albatros de Baudelaire, dont les ailes traînent sur le pont, et qu’un marin "mime, en boitant". Ailes qui symbolisent l’accès au "monde invisible" évoqué par le préambule. "Je" du poète, si fort qu’il est aussi celui de l’auteur du recueil, mais aussi "Je" de tout poète qui serait digne de l’exigence d’’Hölderlin.

Douleur aussi chez Claude Cahun, dans sa soif de liberté. La folie, elle l’a croisée pendant l’enfance, dans celle de sa mère. Mais c’est la guerre qui l’a affaiblie et qui la fera mourir relativement jeune. L’injustice nommée dans le premier texte c’est l’oubli de l’artiste et poète, retrouvée récemment. L’auteur répare l’oubli…

"Il faudra bien un jour, dis-tu" (…)

"que se lèvent ces mots qu’a semés ta parole."

Et, bien sûr, douleur, pour Alejandra Pizarnik, on le sait, suicidée à 36 ans, à sa troisième tentative. Qui peut savoir la source de son désespoir ? Elle est née en Argentine, mais sa famille était venue d’Europe et parlait encore le yiddish (pour elle il y eut surtout l’amour de l’espagnol de l’écriture, cependant). N’est-ce pas pourtant une clé pour comprendre la souffrance de celle qui parle, dans sa correspondance, de ses "vieilles peurs et terreurs", et écrit, dans un poème "Je m’habille de cendres". Une mémoire trans-générationnelle, la trace de l’exil familial, il y a de quoi nourrir un refus du monde réel. Et de quoi renvoyer en soi à "une zone épouvantable, où il n’y a que peur, peur, peur encore" (Journal). Cercle des peurs nées de l’Histoire, le premier texte dédié à Benjamin rejoint peut-être celui qu’habite Pizarnik. 

La dernière innocence, titre du texte dédié, et titre d’un de ses recueils, fragment emprunté à Rimbaud, Mauvais sang, d’Une saison en enfer. 

Mais Rimbaud poursuit... "La dernière innocence et la dernière timidité. C’est dit. Ne pas porter au monde mes dégoûts et mes trahisons." C’est donc tout cela qu’Alejandra Pizarnik dit, avec ce titre, et que reprend Michel Diaz pour elle. Lui parlant il dit "tu", mais il dit aussi "nous". 

"c’est l’haleine de l’aube

 délivrée de son dernier poids

 venue d’une douleur ancienne

 et des mots qui nous rêvent"

Son écriture, ou une force mystérieuse en elle, malgré tout.

"ce n’est rien qu’une force dressée 

 contre toutes les nuits à venir"

Mais si, en soi, elle, "nous"…

"il est temps de nous souvenir

 qu’en nous veille une inexorable lumière"… 

alors il y a toujours la menace de la mort, parce que le ciel est "trace d’une plaie muette"

et les "nuits glaciales" sont

"des nuits chargées de solitude".

Le dernier texte du recueil, présence au monde, est toujours pour Alejandra Pizarnik, elle dont il lui dit que "La mort est une grande malle en sommeil dans la chambre de ton poème". Mais, de ces mots "sidérés" et "sidérant le regard de celui qui les lit", Michel Diaz demande s’ils peuvent "nous consoler". "Et de quoi ?"

Paradoxe, que les mots des chagrins et peurs, des solitudes, puissent être consolateurs ? Ou justement est-ce parce que nous retrouvons en nous les mêmes interrogations et qu’on reçoit un baume en lisant qui a affronté ses ombres (comme le fit Rimbaud dans Une saison en enfer, que lut Alejandra Pizarnik). 

Consolés ? De quoi ? Il répond.

"Peut-être de devoir, face au miroir énigmatique, interroger toujours, sans détourner les yeux, la face sombre du destin."

et, ajoute-t-il, "de n’avoir pas su assez retenir’ cet intangible espace où s’inscrit ‘la présence du monde et la mémoire de tout ce qui fut".

Ce dernier texte répond aussi aux autres parties du recueil, il peut être lu comme une conclusion du tout. Consolateurs, aussi, les mots de (et sur) Walter Benjamin, Friedrich Hölderlin et Claude Cahun, comme ceux d'Alejandra Pizarnik. Des ombres, des mots pour les dire. Car ce sont aussi "les mots du jeu du vivre et du mourir". Ce que la poésie peut, et ce qu’elle doit (aider à "habiter poétiquement le monde") ce n’est pas mettre du rêve mensonger et de la joliesse sur la réalité, c’est "sans détourner les yeux" écrire la vie, la mort, le destin, le monde tel qu’il est, les douleurs telles qu’elle sont. Même si c’est "en lettres de sable et de vent", comme le fait le monde lui-même, laideur et beauté, ombre et lumière.

Car, je relis encore ceci…

"il est temps de nous souvenir

 qu’en nous veille une inexorable lumière"

Au début de la note précédente, voir aussi ma lecture des poèmes en prose de Michel Diaz (les saisons, Saraswati 16), premières pages de la revue.

J’ai remarqué, dans les coups de cœur de Silvaine Arabo (cette revue Saraswati 16), une recension qui m’intrigue, car elle rejoint un sujet sur lequel j’ai travaillé, pour rendre compte d’un livre de Gabriel Audisio, sur le personnage d’Ulysse (note qui suit). Et que Michel Diaz ait lui aussi consacré un livre à ce mythique méditerranéen m’intéresse particulièrement (je perçois là une porte supplémentaire, essentielle, pour entrer dans sa poésie). Donc, dans Le verger abandonné (éds. Musimot), Michel Diaz fait écrire Ulysse, des lettres pour dire son désir de continuer son errance. Je me demande si l'auteur connaît l’ouvrage de Gabriel Audisio et ce que changera cette lecture (à faire) de ma perception de l’Ulysse d’Audisio. Il me faudra définir le mien… Intéressante confrontation à venir. Mais j’ai trouvé un extrait de la préface de David Le Breton, sur le site de L’Autre livre (association d’éditeurs indépendants, et librairie à deux pas de chez moi…). Dans cette préface je vois des traces qui confortent certaines de mes intuitions (ou hypothèses) au sujet de ce que je pourrai découvrir dans ce livre… Des mots, une citation… 

Mais je reprends d’abord un passage de la recension de Silvaine Arabo.

"La probabilité, l’espoir d’être, au fond, sur un chemin qui mène quelque part… Il s’agit bien d’une fête spirituelle dont Ulysse prend peu à peu conscience du fond de ses abîmes… même s’il n’aime pas trop à se l’avouer et s’il lui plaît de voiler son hypothétique 'accomplissement' à venir de 'ténèbres'.         Une magnifique écriture, comme toujours chez Michel Diaz."

.........

LIENS

Lignes de crête, Alcyone, page de l’édition. Présentation, préambule, et quelques poèmes… http://www.editionsalcyone.fr/441615234

Site de Michel Diaz… https://michel-diaz.com

Poèmes de Michel Diaz, revue Saraswati 16 sur les saisons. Voir le début de la recension. Note précédente… http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2021/04/16/sa...

Le verger abandonné. Livre de Michel Diaz sur Ulysse (qui choisit l’errance). Extrait de la préface de David Le Breton, site de L’Autre livre, pages de l’édition Musimot… Je relève ce qui rejoint mes questionnements et fait, indirectement, le lien avec les thèmes d’Audisio (note du 27-02-21. Gabriel Audisio, l’ancêtre principal, et Gabriel Audisio, ou Ulysse poète, note suivante, datée du 22-03-21).

‘Mais peu à peu, au fil du cheminement, les contours de son monde intérieur s’effacent, et bientôt il ne reste rien de son identité première ni même de ses raisons d’être, sinon un renoncement progressif, une volonté de faire de son exil une errance perpétuelle au bord du monde dans la tentation de n’être plus personne. ‘Le lieu véritable est-il dans l’absence de tout lieu ? Le lieu, justement, de cette inacceptable absence’, nous dit Edmond Jabès. Telle est l’incise du texte de Michel Diaz de laisser dans l’esprit du lecteur un étonnement, un déséquilibre qui en fait tout le prix.’... https://www.lautrelivre.fr/michel-diaz/le-verger-abandonne

Recension © MC San Juan

Merci à Silvaine Arabo, tant pour la lecture de la recension - j'y suis très sensible - que pour la communication provoquée, tous ces signes...

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Saraswati 16. Les saisons en poésie...

Saraswati.jpgen ce crépuscule très bleu d’avril, entre toi et le temps, ces questions : est-ce l’instant qui passe et te traverse ou est-ce toi, poussé toujours au dos, le passant d’un instant immobile ? 
Michel Diaz, Printemps 1
 
Estaciones : eterno horizonte, espejo inmenso que rechaza objetivos
de futuro o los desdobla, los fosiliza, los aumenta
Saisons : éternel horizon, miroir immense qui rejette les buts 
d’avenir ou les dédouble, les fossilise, les augmente
Miguel Àngel Real, Saisons (traduction du poème en français par l’auteur)
 
Dire les incendies
les frimas à venir
les saisons déracinées 
Jean-Louis Bernard
 
(Trois fragments de poèmes publiés dans la revue Saraswati 16, Les saisons)
 
 
Les saisons, rythme de nos vies, respiration visuelle de nos paysages, et thème séculaire de la littérature… Le mot déclenche images et émotions, mémoire de moments et de lieux.
En couverture, sous une création d’Ève Eden (collage de troncs et de branches), une citation d’Albert Camus (de Retour à Tipasa, L’Été). Le hasard fait que c’est justement aussi un exergue d’un de mes poèmes, rencontre de lecture, phrase si forte qu’elle s’impose…
 
 
Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible.

Dans son éditorial Silvaine Arabo, l’éditrice, met l’accent sur le retour cyclique des saisons et renvoie aux notions du Yin et du Yang pour dire ce balancement entre deux polarités qui alternent, l’ombre et la lumière, et développer d’autres correspondances. 

Dans la revue, les poèmes des saisons constituent un ensemble en trois temps. Mais d’autres rubriques enrichissent le tout, pour près de deux cents pages.

L’art est très présent. Autres créations d’Ève Eden, mais aussi pages sur Lionel Balard (peintures, et entretien), Alain Tigoulet (photographies), et une rubrique sur des techniques japonaises, par Claire Berthouin. Ses créations, qui allient textile et végétal, sont très fines, subtiles, et l’on reconnaît l’esprit du Japon passé dans la main et les yeux d’une créatrice occidentale. 

La poésie n’est pas uniquement dans les textes sur les saisons. Présent, notamment, Federico Garcia Lorca, traduit par Annick Le Scoëzec. Suivent des notes de lecture (de Jean-Louis Bernard et Georges Cathalo) et les coups de coeur de Silvaine Arabo (qui m’a offert la joie de recenser Ombres géométriques frôlées par le vent). J’ai repéré des titres dans ces pages, dont deux que je vais mentionner ici.

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Sommaire, suite… 

Je vais d’abord parcourir - et citer - les poèmes des saisons, dans l’ordre. Pour certains auteurs j’évoquerai d’autres œuvres, lues ou à lire, dont un ouvrage découvert dans la revue. Puis je reviendrai en arrière, pour les autres rubriques (art, traductions, aphorismes).

Quelques mentions associées aux citations : deux livres de Michel Diaz, un recueil, Lignes de crête, et un ouvrage sur Ulysse - la note de lecture de Georges Cathalo recensant un ouvrage de Jean-Claude Tardif accompagnant des créations de Jean-Michel Marchetti - la revue de poésie créée par Colette Klein, Concerto pour marées et silence - deux recueils de Francis Gonnet - note sur l’entretien de Lionel Balard avec Silvaine Arabo, ce qu’il dit de sa peinture et du lien avec d’autres arts, dont la poésie, qu’il signe Léon Bralda - regard sur les photographies d’Alain Tigoulet et sur ce qu’écrit Laurent Bayart en marge d’elles - commentaires en marge des citations de Miguel Ángel Real et des traductions d’Annick Le Scoëzec - brève introduction des citations de Silvaine Arabo, aphorismes).

Liens : note qui suit, Lignes de crête, recueil de Michel Diaz  et page de l’édition Alcyone sur ce livre - Miguel Ángel Real, page de Recours au poème et page d’un site en espagnol - Annick Le Scoëzec, page sur une création théâtrale et entretien avec Silvaine Arabo - art, trois liens (Ève Eden, Alain Tigoulet, Lionel Balard). Et TAG (vers notes précédentes) : Saraswati

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Michel Diaz a écrit quatre amples suites en prose, deux sur la fin de l’hiver, deux sur le printemps. Suites est le terme qui m’est venu, car il y a quelque chose de musical dans ces pages fortement terriennes de marcheur.  Regard d’aube, horizon traversé par le passage fugace d’oiseaux, silence à peine habité par un de leurs chants. Après l’aube, le gris du crépuscule. Goût pour l’entre-deux, frontière entre le jour et la nuit, où le regard est plus intense, et, pour qui sait contempler, capable de créer un instant pour "un lambeau d’extase provisoire".

Citations...

"ce que l’on écoute, c’est ce que nous révèle une urgence de l’âme dans l’instant mis à nu, et ce que l’on entend, c’est la nuit qui pose le pied sur son ombre invisible, une forme, couleur, présence, un fantôme échappé du fond de la pensée, comme on sait que de l’autre côté d’une porte le temps s’est arrêté, une porte qui bat sans fin dans les années, et derrière laquelle on sait qu’on nous écoute

et si nous restons là, un goût de sel au cœur, guettant son ineffable tremblement, c’est que nous requiert une flamme, une mince flamme opiniâtre et son espérance, pour vivre, de ce peu de lumière qui peut, jour après jour encore, augmenter la lueur intérieure de nos silences, en nourrir cette absurde tendresse et immense pitié pour ce qui se lève toujours d’eau bleue, cette promesse enguenillée accoudée aux fenêtres de l’aube"

Fin d’hiver II

. et...

"il t’arrive, souvent, de t’asseoir au bord du chemin et de crayonner sur ton calepin ce que tu crois avoir compris de l’enfance du vent, d’épeler la vieillesse des pierres, de pousser ce soupir qui hausse le plafond du rêve, d’épouser pli à pli la vie jusqu’à sentir les jours pendre à tes cils et sonner leurs grelots, y entendre des voix plaintives monter lentement, lentement"

Printemps 1

De Michel Diaz j’avais justement lu, et aimé, son recueil, Lignes de crête (Alcyone, 2019). Magnifique ouvrage, que j’avais déjà l’intention de recenser, je le fais donc, note suivante car l’espace manque ici…

Dans les coups de cœur de Silvaine Arabo, j’ai remarqué la recension d’un autre livre de Michel Diaz, sur le personnage d’Ulysse, Le verger abandonné. Très intéressée et intriguée. Un fil rejoint ma lecture d’Audisio (notes précédentes)…  (J’en parle un peu plus dans la note suivante).

…...

Mes deux poèmes, amples aussi, suivent ceux de Michel Diaz et précèdent une citation de Khalil Gibran puis une création d’Ève Eden, tous voisinages dont je suis heureuse. Deux textes sur l’été, ma saison préférée. Ce qui illumine brûle, et La pluie est un lieu immuable. L’été, mais aussi la mémoire et l’oubli. Et la traversée vers l’autre côté de la conscience.

"L’été est circulaire,

 nostalgique de l’ascension spiralée

 il la prépare en nous,

 la métamorphose en cercles incandescents.

 C’est loin d’être évanescence inventée."

(…)

"Les mains incendient l’énergétique alchimie,

 symbiose du corps kabbaliste.

 Et c’est ce volcan qui le peut, 

 métaphorique été, 

 fuego."

Ce qui illumine brûle

. et… 

"Il pleut, et c’est dehors qu’il faut être.

 Déchirer le voile,

 tirer vers soi ce mur de nuages."

 La pluie est un lieu immuable

  MC San Juan

……

Je poursuis mon parcours par quelques citations

 

"on tresse chaque jour des liens

 avec des hôtes inattendus

 un soleil oublié rutilant de couleurs

 un violent orage d’été"

 Georges Cathalo,  Quotidiennes des quatre saisons

De lui j’ai noté avec intérêt la recension d’un livre de Jean-Claude Tardif, poète et éditeur (À L’Index, revue et plaquettes). Je connais bien son œuvre pour en avoir lu et recensé déjà plusieurs ouvrages, mais pas encore celui-ci, repéré, en attente. Plaquette publiée par Éditinter, Noir, suivi de Métamorphose du corps noir. Les textes de Jean-Claude Tardif accompagnent les peintures de Jean-Michel Marchetti, où le noir domine. Je connais les créations du plasticien, pour sa présence dans les publications d'À L'Index et en avoir vu aussi chez AEncrages. Promesse d’une méditation sur l’absolu de la couleur, ou sa négation, qu’est le noir. Occasion de relire Michel Pastoureau, sur le Noir, nous dit Georges Cathalo.

…...

"Les feuilles dorent et les générations meurent.

 L’azur ne s’émeut pas. Tout lui indiffère.

 Il a vu défiler la houle des humains."

Parme Ceriset, Saisons d’hommes

……

"Les saisons sont comme les étoiles : elles dévoilent rarement leurs secrets. La nuit venue, dans ce village du sud de la France, de vieux sorciers chenus viennent frotter leurs barbes hirsutes sur les feuilles de vigne que la fraîcheur du matin froisse de son cristal."

Jean-Pierre Védrines, Les Saisons

……

"Je te prendrai ma terre

 mon éveillée tranquille

 mon échouée sereine

 ma renouée d’argile

 au cœur de pâquerette"

Arlette Chaumorcel, Chant de la terre rouge

……

"Lilas citadelle

 de bucolique candeur

 te voilà drapé"

Georges Friedenkraft, Printemps (haïku)

……

"pétales de dahlias en flamme

        rouge et jaune d’été

                    feu  

                leur feu"

Maria Quintreau

……

"L’hiver éreintait les chemins et cernait la ferme dans un brouillard presque solide. Dans les aléas d’une levée de brume surgissaient les fantômes."

Daniel Rivel, Hiver au Violet

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Quelque part la lumière pleut, de MICHEL DIAZ. Poésie (Alcyone, 2022, collection Surya)

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Michel Diaz, Quelque part la lumière pleut, p. 13 (le titre vient d’un poème de Silvaine Arabo)

on n’écrit rien avec le rien, même en lisant dans son miroir ce vide qui s’étonne, ni rien non plus avec ce qui s’épuise à lutter contre l’ombre

Quelque part la lumière pleut, p. 25

mais surtout j’écoute le vent, j’écoute les murs, j’écoute les âmes

Quelque part la lumière pleut, p. 71

Je regarde d’abord l’encre de Silvaine Arabo qui introduit le livre (juste après un texte avant-signe). Je la regarde avec la même liberté intérieure que celle que j’ai devant les affiches déchirées que je cherche dans le métro, en capturant du regard des fragments pour recréer un autre imaginaire que peut-être personne n’aurait vu. Évidemment, là, nulle affiche déchirée, mais une création pensée, structurée, de l’art.

 

Cependant je sens que je réinvente peut-être l’œuvre (après tout c’est ce que l’œuvre veut aussi, toujours).

Ivresse des vents, est le titre de l’encre. Et voilà, avant d’être un lieu du livre de Michel Diaz, ce qui prolonge ma lecture de Capter l’indicible de Silvaine Arabo, livre où l’air et le vent font l’épure du réel. Mais dans ce livre de Michel Diaz, ouvert par cette image, dans les dernières pages surtout, celles de l’espoir, épure par l’air et le vent, aussi. Parenté d’univers dans l’exigence du regard et de l’écriture. Pas étonnant que ce livre de l’un soit dédié à l’autre. Par la dédicace, par le titre, par un exergue, par la citation finale et bien sûr avec cette encre.

Alors je regarde encore et reviennent deux vers de Silvaine Arabo… (Capter l'indicible).

Ultime salut au vent 

Et à l’oiseau.

Et des mots de son livre, encore. Jubilation, vertige.

Puis deux autres vers d'elle, même recueil…

Ce grand océan cosmique 

Qui nous interpelle sans cesse…

Toujours dans la présence de l’encre qui offre des clés pour lire ensuite au plus juste les pages qui viennent.

C’est cela que je vois dans l’encre, pas étonnée qu’elle soit là. Car l’Ulysse de Michel Diaz était déjà ce voyageur cosmique, dans l’abîme d’une profondeur, interrogeant le destin, les choix, et la bascule toujours possible vers un renoncement, un néant, ou au contraire l’ancrage d’être, démarche métaphysique au-delà des temps (Le verger abandonné, recension à lire ici, lien en fin de note). 

Dans l’encre, serait-ce Ulysse, ce personnage dont l’ombre contemple un gouffre bleu, près d’une sorte de fleur verte géante ? Gouffre de l’infini, car le bleu est sa couleur. Ombres séparées, deux silhouettes sombres, sur une rive ou un bateau, sous un fragment de ciel mauve et un envol d’oiseaux. La solitude des êtres dans les lieux vidés de vie. Mais ayant lu le livre qui suit, je vois aussi la barque de Charon dressé devant l’âme d’un mort et traversant le Styx avec lui. Alors Ulysse est aussi l’auteur écrivant pendant l’hiver du confinement, entendant la litanie quotidienne des morts, et qui évoque les fantômes des êtres perdus, ces inconnus, mais aussi les deuils personnels, ces présences-absences dans une maison. Comment penser nos vies sans penser la mort ?                      Et comment penser le monde tel qu’il est sans penser ce qu’il fait de la mort ? Cela est dans l’encre comme je la perçois, assez riche pour porter tout l’univers des pages de Michel Diaz en même temps que toutes les méditations de Silvaine Arabo.

Je ne peux qu’associer cette encre au logo de la couverture, belle conception de Silvaine Arabo, qui est la marque visuelle de l’édition Alcyone. J'y vois un infini, de la douceur.

Quelque part la lumière pleut.  Magnifique titre, cet emprunt à la poésie de Silvaine Arabo. Thématique commune aux deux auteurs, la lumière. Croire qu’un sens peut émerger, que l’écriture peut faire advenir et transmettre. Ou que, quelque part, cela s’offre si on le déchiffre. La lumière c’est aussi celle qui sourd du mystère de la camera obscura de nos yeux, au profond du regard, et dans la tension entre écrire et être. 

Mais un texte précède l’encre.

La première phrase offre les trois titres des parties du livre.

Dans l’incertain du monde

S’essayer à vivre plus loin

Travailler à l’offrande

Partir du constat, dire l’intention, agir pour un possible horizon.

Superbe texte, entre prose poétique et philosophie. Constat lucide concernant l’état du monde, et élan pour ne pas renoncer, éthique d’une présence agissante, par la conscience dans la création. Dans ce texte je trouve un souffle qui a la force de celui d'Albert Camus dans Noces ou L’Été. Et justement des refus similaires, la même ardeur vitale pour choisir de FAIRE, et un mot commun, qui vient de la même perception d’une nécessité, résister. Recoudre.

Michel Diaz veut (lui et nous, humains) qu’on travaille à recoudre les fêlures de l’âme, et, avec ce qui nous reste de raison… affronter le crépuscule des désastres à venir. Plutôt que d’accepter le désespoir (frôlé dans certains textes…) il choisit d’écrire que rien ne sera perdu dans l'éternité du silence, tant que (…). C’est donc notre choix….

Albert Camus, qui parle du malheur du siècle en refusant lui aussi le désespoir, veut qu’on sache sauver l’esprit, apaiser l’angoisse infinie des âmes libres. Et il écrit que Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste (…). (Les Amandiers, dans L’Été). 

Recoudre. Cela signifie qu’on part de ce qui est, et qu’on fait lien. C’est tisser avec le réel, pas avec des projections mentales. Du concret. Chez les deux auteurs la nature, pour rappeler notre ancrage dans le présent matériel et le voisinage du vivant. Du réel. Camus insiste, au sujet des amandiers de son texte. Ce n’est pas là un symbole. Non, pas un symbole, des arbres vraiment. De même la mer présente dans les deux textes. Pour Albert Camus, c’est le vent qui vient d’elle. Pour Michel Diaz c’est, dans cette page, celle que va rejoindre une rivière. Lui aussi pourrait insister et rappeler que la nature dont il parle, si présente, n’est pas un symbole. Elle est le vrai chemin pour ses pas de marcheur, l’ombre vraie du soir avec ses odeurs et ses sons, l’herbe réelle, des arbres qu’on peut toucher, des pierres qu’on ramasse (il en posait, raconte-t-il, comptant des jours dans notre hiver confiné). 

Ce texte d’avant-signe, qui préfigure la structure et la dynamique du livre entier, sera à lire et relire, pour qui veut saisir la densité de l’ensemble. Afin de s’en imprégner et d’en saisir la beauté. Il contient beaucoup, tant la perte que la joie, le temps, le silence, le visage et l’arbre. Et il inscrit une écriture qui n’appartient qu’à l’univers de Michel Diaz, une densité particulière, un rythme qui contient du silence, posé dans les virgules, dans les espaces entre les brefs paragraphes (pour le temps d’une respiration), et dans les mots qui donnent à voir, par touches légères (rose, mésanges, arbre…). Car le regard ne se trouve que dans l’immobilité du regard, même en marchant.

Chaque partie a ses exergues

Silvaine Arabo pour la première. Cinq vers de Triptyque. Pour inscrire le même regard que celui de l’avant-signe, un constat, et le souffle portant au-delà des douleurs.

Ensuite c’est Léon Bralda, La voix levée (pour un rêve vers un ailleurs autre), et Paul Verlaine, Sagesse (L’espoir …).

Enfin, dernière partie, André Gide, Nouvelles nourritures (le don… l’offrande).

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Dans l’incertain du monde

On ouvre les pages et s’offrent encore des paragraphes brefs, sans majuscules ni points, seulement des virgules pour marquer les espaces intérieurs. Écriture du marcheur qui dessine un chemin, un long couloir de mots où je vois l’image du rouleau de Jack Kerouac (Sur la route), comme si l’horizon d’un voyageur et celui d’un marcheur pouvaient se figurer de la même manière. Mais j’ai en mémoire, aussi, de longs parchemins enroulés, portant des textes sacrés conservés dans des monastères lointains. L’écriture et sa part sacrée, avec ou sans dieux. L’absence des majuscules fait couler doucement un fleuve de phrases, sans angles.

La route de Kerouac c’est une errance, sacrée à sa façon. Celle de Michel Diaz c’est une déambulation, autant intérieure que de pas, un parcours libre avec, comme bagage, le regard, des questions, et, peut-être, carnet et crayon. Les questions, c’est justement ce dont l’auteur dit vouloir créer un nœud coulant qui fera du lecteur inconnu le passager d’un espace de silence de funambule, le réceptacle, en son corps, d’une cicatrice inversée, mémoire d’une brûlure. Ambition, pour l’écriture, d’un pouvoir qui est très loin de la fadeur mièvre.  Une conception de ce que doit être la poésie, le contraire d’une jolie distraction. Conception active de la lecture, faite pour des mains tisonnières capables de chercher la lumière dans les traces du feu qui a brûlé les questions (et les réponses ?) par l’écriture. L’inconnu est aveugle, mais muet aussi. Car pour lire il faut se défaire de son propre regard et de ses propres mots, accepter l’effraction de pensée par les yeux et les mots d’un autre. 

Et effectivement on voit, avec les yeux du poète, traçant un poème-prose, un paysage de feuilles, terre, ciel, et forêt, yeux grands ouverts qui sont les yeux de l’âme.  On est dans un crépuscule d’ombres et étoiles, on entend les voix obscures devinées.

Écriture du temps du confinement, où la réalité extérieure reste cependant violemment présente, un monde toujours en guerre contre les vivants et contre la vie elle-même (…) peu d’horizon à cette absurde conjoncture qu’est le fait d’être né

Il cite Samuel Beckett (… juste avancer) et Michèle Vaucelle (déglutir le monde). Alors il faut écrire, et ce monde le restituer dans le cri. Injonction intérieure, éthique affirmée. Exigence qui croise celle de Jean-Pierre Siméon (La poésie sauvera le monde), quand il définit la poésie comme un acte de conscience aigu en s’appuyant sur Roberto Juarroz, qu’il cite (la poésie… accélérateur de conscience). Ces deux mentions conviennent à la démarche de Michel Diaz, à la brûlure du poème vrai. Et de même ce que dit encore Jean-Pierre Siméon sur la poésie force d’objection empêchant de se détourner du réel tel qu’il est et tel que le livre la poésie. C’est cette vérité du langage qui ne ment pas que propose ce livre, tout en cheminant vers ce lieu où la lumière pleut.

Au bout du réel il y a la mort, celle que pense le guetteur crépusculaire qui écrit, et qui parle de nos peurs, et des impulsions de survie qu’on dresse comme des écrans.  

Ce livre ouvre ses pages, et il renvoie à d’autres chants, tristes ou pas. Au-delà de toute mélancolie il ouvre d’autres livres et entre dans un concerto de poèmes. Pas n’importe lesquels, ceux qui contiennent le feu du duende (Lorca…). Ainsi, le lisant, j’entends, comme en surimpression, le Chant des âmes retrouvées, poème unique qui clôt le livre de François Cheng, ses récits de Quand reviennent les âmes errantes

La mort a eu lieu ; la mort n’est plus, écrit François Cheng.

Et Michel Diaz poursuit sa méditation.

Il est celui qui penche son visage sur la mer (et nous aussi, lisant). Il regarde, écoute, accepte d’entendre les cris de peur, de douleur et de guerre, malgré le bruit des tumultes du monde, bruit  qui les recouvre, masque. Sachant le silence il se lave et nous lave des bruits. Tension d’écriture, dire et les cris et le silence (celui qui permet d’atteindre le centre de la parole essentielle).

J’ai remarqué des reprises de mots sur une même page, toujours en tête des paragraphes. 

Par exemple, tu et peut-être (p.11), deux fois chaque. 

Et, page 17, répétition de celui qui penche son visage sur la mer, deux fois.

Prolongé, page 18, par trois paragraphes commençant par je l’eusse aimé (celui qui…).

Ou ce vent, page 28, deux fois. devant, p.31, trois fois. 

la nuit, tu marches dans toi-même, p.39, deux fois.

tu vis, tout le long de deux pages plus un paragaphe,p.42-43. Anaphore… 

Je pourrais donner deux ou trois autres exemples. Et le dernier, offrande, p.86.

L’effet est rythmique. Ces mots ou bribes de phrases sont comme le battement d’une basse dans une composition musicale, permettant ensuite comme un envol du souffle.

Je relis la page 18 et c’est tout son Ulysse que je retrouve, présence du personnage mythique tel que le voit Michel Diaz dans Le verger abandonné. Solitude libre qui assume tout de ses choix. Ulysse n’est pas nommé ici, pas évoqué. Mais son esprit hante cette page, à cause des étoiles, du corps ployé dans le vide, à cause des vagues, et de cet être, seul parmi les hommes (…) intraduisible et seul (…) unique survivant d’un impossible dire et d’une impensable pensée

Seul comme beaucoup dans ce temps de confinement. 

Et s’il y a le matin, les collines, l’herbe, la terre, l’horizon est vide d’êtres…

Fracture bouleversante, le texte dédié à sa mère. En pleine période d’épidémie et d’enfermement, elle glisse dans l’oubli sans limite. Et il la voit se noyer au fond dâ

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UKRAINE. LITTÉRATURE UKRAINIENNE, CULTURE...

Chevtchenko Seghers.jpegDécouvrir (ou relire) les auteurs ukrainiens... 

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Quand je serai mort, mettez-moi

Dans le tertre qui sert de tombe

Au milieu de la plaine immense,

Dans mon Ukraine bien-aimée 

(…)

Vous, enterrez-moi, levez-vous,

Brisez enfin, brisez vos chaînes (…)

Tarass Chevtchenko, Poètes d’aujourd’hui, Seghers, trad. Eugène Guillevic

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Sang argenté.jpgLe monde s'est refroidi avec son sang bleui

Pavlo Movtchane, Sang argenté, L'Harmattan, 2018, trad. Dmytro Tchystiak et Nicole Laurent-Catrice

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La résistance ukrainienne passe aussi par sa culture, arts et littérature. 

On connaît déjà des auteurs, dont on sait au moins leur naissance dans des villes qui sont maintenant ukrainiennes (l’étaient avant l’occupation soviétique et le sont redevenues). Bien sûr cela crée des confusions, quand des auteurs, nés en Ukraine et russophones ont écrit en russe, effet de l’histoire. 

La guerre, cette invasion par la Russie de Poutine, est en train de provoquer une affirmation linguistique de l’identité ukrainienne. D’autant plus que les occupations dont fut victime l’Ukraine au cours de son histoire ont combattu le développement de la langue ukrainienne. Un article du Figaro rend compte du réinvestissement qui se produit actuellement …

En Ukraine les russophones résistent à Poutine en apprenant l’ukrainien… Le Figaro…  https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/en...

Littérature ukrainienne.jpegEt quand on parle de littérature ukrainienne c’est de littérature en langue ukrainienne dont il s’agit d’abord. Les œuvres écrites en russe (ou autres langues) sont intégrées à la littérature russe (ou à d’autres littératures étrangères). On peut cependant considérer que c’est plus qu’un enrichissement universel venu d’une identité ukrainienne, qui se retrouve aussi dans les écrits produits en autres langues (cf. Nicolas Gogol, ou, auteur contemporain, Andreï Kourkov, qui était présent au Festival du livre de Paris, avril 2022. 

Une FICHE WIKIPÉDIA, Littérature ukrainienne,  propose un parcours des auteurs, qu’ils vivent en Ukraine même ou qu’ils fassent partie de la diaspora, dispersée dans divers pays… 

L’histoire littéraire est longue, de la tradition orale de la période ancienne, aux textes en latin ou vieux-slave de la culture des lettrés. L ‘importance des chants est permanente (et cela ne nous étonne pas, quand on voit à quel point la résistance, depuis le début de la guerre, passe par des chants que diffusent des Ukrainiens qui s’expriment sur les réseaux sociaux – chants et danses). 

La naissance de la littérature moderne date, nous dit-on, du XIXème siècle, avec une évolution de la langue écrite se rapprochant de la langue parlée.

Première œuvre mentionnée comme écrite en ukrainien moderne, le poème Eneyida d’Ivan Kotliarevsky (1769-1838). De lui, une pièce de théâtre, toujours jouée, Natalka Poltavka.

Mais l’auteur qui va être fondateur pour l’affirmation de la conscience nationale ukrainienne est le poète Tarass Chevtchenko (1814-1861). Il est présent dans la précieuse collection Seghers, Poètes d"'aujourd'hui.

Parmi les nombreux auteurs cités par Wikipédia, de la même génération que Tarass Chevtchenko , un nom est plus connu que d’autres, celui de Nicolas Gogol (1809-1852), mais s’il aborde des sujets ukrainiens il écrit en russe. Plusieurs mentions de poètes contemporains renvoient à des pages sur eux. Et une liste d’articles sur la culture ukrainienne permet de compléter nos connaissances.

Même fiche Wikipédia, encore (car source assez riche), une bibliographie indique des anthologies, dont plusieurs livres parus chez L’Harmattan. Manque cependant un ouvrage paru en 2018 dans cette édition, Sang argenté, de Pavlo Movtchane (voir exergue).... https://fr.wikipedia.org/wiki/Littérature_ukrainienne

Je lis régulièrement les poètes ukrainiens que traduit chaque jour Marc Georges, et qu’il publie sur son espace Facebook (chercher son nom). Une anthologie sera publiée à la fin de la guerre, imprimée en Ukraine, dans l’esprit de la reconstruction du pays. Le 48ème jour il a publié un poème de Yuri Ruf, mort le 2 avril en défendant son pays, son dernier poème, daté du 24 mars. « L’horizon rouillé s’est perdu dans les ténèbres »… 

PUBLICATIONS, littérature ukrainienne. Anthologies, études, éditions...

Antho Donbas.jpgL’Ukraine vue par les écrivains ukrainiens, 1995, de Victor Koptilov, éds L’Harmattan

(Une quarantaine de titres dans la collection Présence ukrainienne. Dont Anthologie du Donbasshttps://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalog...

Anthologie de la littérature ukrainienne du XIè au XXè siècles, 2004, Kyiv, éds Olena Teliha

Chapeye    Loin .jpgLes éds Bleu et Jaune. Plusieurs livres ukrainiens dans cette édition ouverte aux littératures de l’Europe, dont un récit d’Artem Chapeye, traduit de l’ukrainien, Loin d'ici, près de nulle part)… et Kobzar, de Tarass Tchevtchenko…  https://www.editionsbleuetjaune.fr

Clarinettes  .jpgClarinettes solaires, Anthologie de la poésie ukrainienne, mars 2022, Christophe Chomant éditeur, Rouen. Et Verger inassouvi,  de Dmytro Tchystiak, Magma polésien, choix de poèmes d’Ihor Pavlioukhttp://chr-chomant-editeur.42stores.com 

ukraine,littérature ukrainienne,poésie,harmattan,présence ukrainienne,éditions bleu et jaune,christophe chomant éditeur,livres,christian tortel,papalaguiNotre âme ne peut pas mourir, Taras Chevtchenko est republié par Seghers, action solidaire avec l'AMCFU France-Ukraine. 

 

 

 

 

SÉLECTION DE TITRES d'auteurs importants... 

Taras Chevtchenko, Testament, Kobzar

Âmes mortes Gogol.jpgNicolas Gogol, Les âmes mortes 

Chevaux de feu.jpgMykhaïlo Kotsioubynsky, Les chevaux de feu ou Les ombres des ancêtres oubliés (livre qui a inspiré le film de Paradjanov)

Ivan Franko, Le bonheur volé

Lessia Oukraïnka, La chanson forestière

Oksana Zaboujko, L'enquête sur le sexe ukrainien (roman)

 Kourkov abeilles.jpgAndreï Kourkov, Les abeilles grises, et Journal de MaïdanKourkov  Maïdan.jpg

Artem Chapeye, Loin d’ici près de nulle part

Pavlo Movtchane, Sang argenté (recueil, poèmes)

Vassyl Stous (1938-1985). Poète honoré à titre posthume comme Héros de l’Ukraine, mort en détention, condamné par le régime soviétique, pour dissidence. Il est cité dans des anthologies. Fiche wikipedia… https://fr.wikipedia.org/wiki/Vassyl_Stous

Grossman.jpegEt, de Vassili Grossman, né Ukrainien, vivant en Russie, persécuté par le pouvoir stalinien,

lire Vie  et destin, qui n’a été publié que des années après sa mort…  ayant été confisqué par le KGB en 1961 .

CHRONIQUE de Salomon Malka. Pourquoi il faut relire Vassili Grossmanhttps://www.lefigaro.fr/vox/culture/pourquoi-il-faut-reli...

POÉSIE

Recours au poème. 6 poètes ukrainiens, 2 mars 2022… https://www.recoursaupoeme.fr/6-poetes-ukrainiens/

L’Ukraine existe, la preuve par les poètes…  https://bonpourlatete.com/actuel/l-ukraine-existe-la-preu...

Nouvelles voix en Ukraine. Po&sie, Cairn.info... https://www.cairn.info/revue-poesie-2017-2-page-266.htm

Littérature ukrainienne. BLOG dédiéhttps://lettresukrainiennes.blogspot.com

SITE officiel sur l’Ukraine. Littératurehttps://ukraine.ua/fr/art-et-industries-creatives/littera...

L’écho.be (lecho.be) . L’Ukraine, sa littérature, sa culture (plus des liens vers des articles sur l’actualité)… https://www.lecho.be/culture/litterature/l-ukraine-sa-lan...

Discover Ukraine (pages sur la géographie, l’histoire, la littérature, l’art… etc.)... https://discover-ukraine.info/fr/info?literature

La boutique ukrainienne (livres, DVD, etc.)...  http://www.la-boutique-ukrainienne.com

ENTRETIEN avec la créatrice de la collection Présence ukrainienne chez L’Harmattan, Iryna Dmytrychyn, Kiev-Paris aller simple... https://www.translitterature.fr/media/article_980.pdf

ÉTUDE. Ligne de vie ou tracé de mort ? La frontière dans la littérature ukrainienne (éclairage passionnant sur le sens des mots, et du nom même de l’Ukraine selon les Ukrainiens ou selon les Russes ennemis)…  Par Nikol Dziub…  https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03088871/file/Ligne_...

LIVRE intégral, pdf. La littérature ukrainiennehttps://diasporiana.org.ua/wp-content/uploads/books/22197/file.pdf

NOTE du site de Christian Tortel, Papalagui, Littératures en fusion.

Ukraine, pays réel, poésie rêvée. Il cite des bribes de poèmes entendus lors d’une soirée organisée à Paris par un collectif (Mriya) d’artistes ukrainiens, russes, et français, soudés par le soutien à la résistance ukrainienne et à la société civile russe contre la guerre. J’en copie deux fragments :

Sur mon épaule, tu dessineras un papillon noir.

et

Moi-même, sans mythe, nue et vide.

https://papalagui.org/2022/04/17/ukraine-pays-reel-poesie...

Note © MC San Juan

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29/04/2022 | Lien permanent

UKRAINE. INITIATIVES solidaires... Poésie, art, et associations impliquées...

Chevtchenko  âme.jpgLa solidarité, c’est aussi l’engagement des internautes qui, sur les réseaux sociaux, répondent aux militants d’extrême droite et aux trolls très investis dans la propagation des intox. (Répondre, et, pour cela, s’informer au plus près des données transmises par les journalistes, tant les reporters de guerre que les analystes et commentateurs, et auprès des spécialistes de l’histoire et de l’actualité de l’Ukraine et de la Russie, le pays agresseur).

En lisant la presse, en écoutant, regardant, la télé (les images font comprendre plus que des mots, souvent, et les témoignages d’Ukrainiens entendus de loin).

Parmi les sites précieux, desk-russie (une mine d'informations et d'analyses rigoureuses). Dans le dernier numéro, 27 (articles lisibles en ligne sur le site), un film d'archives (et de témoignages) sur le Donbass est présenté en précommande, La Cacophonie du Donbass, d'Igor Minaiev (sortie le 18 mai). Il a pour but d'aider à "comprendre les origines de la guerre en Ukraine". Il "déconstruit la propagande soviétique puis russe". (Utile car un documentaire, très controversé - d'une poutinienne - est très diffusé par les réseaux complotistes)... https://desk-russie.eu

C’est, bien sûr, la solidarité, l’action des pays occidentaux qui livrent des armes pour aider la résistance des Ukrainiens contre l’envahisseur et ses crimes de guerre. (Et qui participent à la documentation pour garder traces et preuves, comme le font notamment des gendarmes français spécialisés).

Ce sont les rassemblements sur des places ou des marches, et les interventions de responsables de diverses structures…  

Et l’accueil, par ceux qui le peuvent, de réfugiés. Plus les convois humanitaires pour des dons et des transports (de réfugiés, aussi). 

Dire non à la guerre prend des formes nouvelles, par la diffusion de la culture ukrainienne, art et littérature, mais aussi par la création (poésie, art) et la publication de chroniques, d'essais (et la rediffusion de ce qui a déjà été publié, alertes parfois trop négligées).

Parcours de plusieurs initiatives…

Testament.jpgÉDITIONS qui ont des collections publiant des poètes ukrainiens…

Seghers (avec, notamment, son ouvrage de la collection Poètes d’aujourd’hui, 

sur Tarass Chevtchenko)... https://www.lisez.com/seghers/livres/4

Et Notre âme ne peut pas mourir, de Tarass Chevtchenko, que Seghers republie, 

aux bénéfices de l’AMCFU France-Ukraine (aide aux réfugiés)…  https://www.leslibrairAMCFUes.fr/livre/20885462-notreâme-...

L’Harmattan, coll. Présence ukrainiennehttps://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalog...

Les Éds Bleu et jaune (dont un récit d’Artem Chapeye, traduit de l’ukrainien)... https://www.editionsbleuetjaune.fr 

Christophe Chomant éditeur (anthologie de la poésie ukrainienne et recueil de Dmytro Tchystiak, Verger inassouvi, bilingue ukrainien-frnaçais)… http://chr-chomant-editeur.42stores.com 

POÉSIE 

J’ai déjà cité le travail de Marc Georges, qui traduit un poète chaque jour depuis le début de la guerre et le publie sur Facebook. Le but est de réaliser une anthologie qu’il fera imprimer en Ukraine après la fin de la guerre, au bénéfice de la reconstruction du pays. 

ukraine,stand up for ukraine,solidarité,poésie,art,jean lavoué,l'enfance des arbres,marilyne bertoncini,recours au poème,jeudi des mots,oxybia éditions,raphaël pitti,uossm,notre âme ne peut pas mourir,seghers,amcfu france ukraine,des ailes pour l'ukraine,rebecca morrison,illuminationsgalerie,éditions levantPoésie, encore. Jean Lavoué a réagi en écrivant régulièrement des poèmes, publiés sur Facebook. Il en a fait un recueil, Des ailes pour l’Ukraine, édité par son édition, L’enfance des arbres (créée en 2017). Les premières ventes lui ont permis de remettre des chèques à une association solidaire. (Au début il proposait ce livre à sa liste d’amis Fb). 

Ce recueil de Jean Lavoué, c’est un élan, envol du cœur pour porter un acte solidaire. En exergue, René Guy Cadou et Xavier Grall. Cadou, qui associe le chant d’un oiseau, dans le silence des ruines, désastre de la guerre, et le chant du poète devant les mêmes ruines. Et Grall qui dit la douleur, la souffrance. En quatrième de couverture, une citation brève, trois vers, puis un paragraphe pour présenter l’intention en rappelant les faits, la guerre lancée par la Russie, et une citation de Tarass Chevtchenko, ce poète ukrainien si important dans la conscience de l’identité nationale ukrainienne. Deux vers…

Notre âme ne peut pas mourir,

La liberté ne meurt jamais.

Intégré au cœur des pages un poème d’Armand Robin, Le programme en quelques siècles (La fausse parole), critique radicale et lucide de l’évolution idéologique du monde. Texte précédé par le poème de Jean Lavoué qui lui rend hommage, pour avoir su dénoncer le système soviétique quand tant en faisaient l’éloge, malgré la réalité de la famine génocidaire provoquée par Staline. (J’ai vu récemment la reproduction, fac-similé, d’un article de L’Humanité d’alors, niant les faits et parlant de propagande anticommuniste pour tout écarter en une phrase).

On feuillette le livre et on voit des dessins (dont celui de Tim Wootton, Une mésange bleue pour l’Ukraine * Paix / Blue tit for Ukrain* Peace), des photographies (mimosa sur ciel bleu, ou lumière trouant un sombre ciel nuageux, symbole d’espoir), une peinture (de Déborah Chock), une « fenêtre  ouverte » en face du poème d’Éluard qui l’évoque, La nuit n’est jamais complète, en guise d’excipit.

Début du livre, le premier poème de Jean LavouéJquestionne la place de l’oiseau dans le ciel ukrainien pris sous les bombes…

   Reste-t-il encore des oiseaux à contempler 

   Dans le ciel d’Ukraine,

   Y entend-on toujours leur chant ? 

Texte suivant, écho, chant contre chant, l’auteur évoque la difficulté de l’écriture face à la mort. Mais justement pour dire l’espoir de paix, et pour être part de ceux qui donnent courage, il écrit…

    Les mots nous sont retirés de la bouche,

    Nos poèmes meurent sous les bombes

    Avec ceux que l’on assassine à Kiev, à

    Marioupol et à Kharkiv. 

Évocation de Christiane Singer pour un poème où l’auteur oppose ce qui vient du cœur, « force rayonnante », à la violence.

Puis, poème suivant, espoir…

 Le juste triomphera. 

Autres poèmes, CITATIONS… 

   Il faut si peu de mots pour haïr, 

   Une pluie de bombes suffit. 

Pensée pour les Russes contre la guerre, aussi…

   Risquant des peines de prison

   Parce que, dans leur pays,

   La vérité est devenue un crime. 

LIENSDes ailes pour l’Ukraine 

Éds. L’enfance des arbreshttps://www.editionslenfancedesarbres.com/des-ailes-pour-... 

Revue Refletshttps://revue-reflets.org/des-ailes-pour-ukraine/

Bretagne actuellehttps://www.bretagne-actuelle.com/des-ailes-pour-lukraine...

Ouest-France…  https://www.ouest-france.fr/culture/livres/des-poemes-pou...

J’ai vu que des lectures de poèmes, DE et POUR l’Ukraine, étaient organisées dans diverses villes et à l’étranger. Paris, province. Québec, Espagne, Italie, etc. On ne peut tout énumérer… 

Des expositions de poèmes solidaires. Ainsi sur le mur Lennon de Prague.

Mur Lennon, voir le 2ème lien du Jeudi des mots, ci-dessous, car l’illustration est une photographie du mur chargé de poèmes…).

ukraine,stand up for ukraine,solidarité,poésie,art,jean lavoué,l'enfance des arbres,marilyne bertoncini,recours au poème,jeudi des mots,oxybia éditions,raphaël pitti,uossm,notre âme ne peut pas mourir,seghers,amcfu france ukraine,des ailes pour l'ukraine,rebecca morrison,illuminationsgalerie,éditions levantMarilyne Bertoncini, poète et revuiste (Recours au poème, Jeudi des mots) a lancé une opération poétique ambitieuse, un appel, invitation proposée à des poètes du monde entier. Écrire un poème pour la paix, solidaire de l’Ukraine. Une centaine de textes sont arrivés, de nombreux pays. Publiés petit à petit sur le site Jeudi des mots. Lecture et exposition le 28 avril à Nice. Un livre collectif sera édité par Oxybia éditions (au bénéfice d’une association d’aide à l’enfance dans la guerre).

Dernier volet, annonciateur de la fin, projet réalisé…  (C’est celui où mon poème est lisible, Des mots en bleu, et le poème de Consuelo Jiménez, La guerra, avec ma traduction). Plusieurs autres textes, dont celui de Jean-Claude Bourdet (et en marge droite de cette page, liens vers les pages précédentes et tous les autres auteurs)… http://jeudidesmots.com/mots-de-paix-et-desperance-suite-7

J’ajoute un lien, celui d'une page de Jeudi des mots, 7 avril 22, rendant compte d'un événement à Prague, avec l’introduction de Marilyne Bertoncini qui fait le lien avec son projet de livre, et un poème de John F. McMullen, poète américain, La communion des poètes, où, sous sa photographie du mur Lennon de Prague, il parle de l’initiative WeStandWithU de Poetizer (groupe international, lien sur la page)... http://jeudidesmots.com/la-communion-des-poetes-par-john-...

Voir aussi, note Littérature ukrainienne, la publication de poètes ukrainiens sur Recours au poème et autres sites ou blogs. Jeudi des mots, voir la page du 7 avril 22, pour lire un poème de Serhiy Zhadan, auteur ukrainiens. Alors je vais en parler.

Le soutien vient aussi de tous ceux qui partagent les initiatives pour les soutenir, comme, pour donner un exemple parmi d'autres, la poète Rebecca Morrison (poète américaine qui vit maintenant en France) sur son blog illuminationsgalerie.wordpress.com, qui a fait une note sur le projet de Marilyne Bertoncini en partageant le lien 7 du Jeudi des mots... Note titrée "Poems of peace and hope by an international group of writers". (Je précise que de nombreux poèmes sont bilingues, traduits en français par des participants auteurs et traducteurs). En consultant la liste des catégories on trouve l'indication d'une publication bilingue de l'auteur (elle est publiée en revues aussi en France)...  https://illuminationsgalerie.wordpress.com

Je note aussi ce que fait Christophe Condello (poète grenoblois qui vit à Montréal). Ainsi, sur son blog, christophecondello.wordpress. Si vous cliquez sur la catégorie "Humanisme", vous lirez un poème de Lucie Poirier (accompagné de la photographie de sa performance dans les rues de Montréal), Boutcha. Texte de solidarité qui exprime de la compassion pour l'horreur de ce que vivent des femmes en Ukraine (viol, terrible arme de guerre) et dit son soutien aux actions de militants russes contre la guerre, leurs performances similaires à Moscou. Et suivent d'autres poèmes solidaires, d'auteurs divers. À lire, une note pour les textes de Vladislava Simonova, poète ukrainienne, qui voudrait ainsi "... Au moins transmettre quelque chose au reste du monde par ces haïkus. Transmettre la tristesse que je ressens au quotidien dans ce chaos qui n'en finit pas". La note parle d'un autre partage, une publication en japonais (précisions sur le blog). En descendant sur la page on peut lire aussi Christophe Condello, Nous esquivons des murs / avec des portes (poème accompagné par une photographie, celle de la fenêtre de Lev Shevchenko, qui a mis des livres comme barricade contre les éclats de verre en cas de bombardemen

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29/04/2022 | Lien permanent

Diérèse, revue, et Les Deux-Siciles, parcours de lecture

DIERESE87.jpgParcours des trois derniers numéros de la revue Diérèse, n° 85-86-87 (et une échappée vers un plus ancien, 82, pour deux réflexions importantes, et des poèmes). Mais plutôt que prendre numéro par numéro je vais regrouper par rubriques (éditoriaux, études / poèmes / recensions, notes de lecture).

J’apprécie que les éditoriaux soient rédigés par des auteurs différents, qui présentent ce qu’est l’écriture pour eux, ce que signifie profondément cette entreprise de création. Tous ceux que j’ai lus, ne se limitant pas à une réflexion formelle ou à des questions de pure esthétique littéraire, développent plutôt une analyse de ce que signifie l’expérience d’écrire, son enjeu vital. Écrire fait intervenir des parts de sa vie différentes, dimensions qui s’imbriquent en strates complexes, et chacun peut mettre l’accent sur tel ou tel aspect : psychologie, corps, société, théorie, métaphysique…  Lisant ces textes on peut avoir envie de découvrir certains auteurs qu’on ne connaissait pas, quand on sent que la démarche correspond à ce qu’est, pour soi, juste exigence.

Couverture de la revue, maquette de Xavier Makowski.

Cependant, avant ce parcours j’ai envie de mentionner trois livres rapportés du Marché de la Poésie de juin, stand des Deux-Siciles. Ils feront l’objet d’une vraie lecture en automne…

Fragments & cætera. Une anthologie de poésie brève.

Établie et présentée par Jacques Coly.

Si profonde est la forêt. Anthologie de la poésie des Tang.

Traduite et présentée par Guomei Chen. Préface de Pierre Dhainaut.

D’Ores et Déjà (poésie), de Daniel Martinez.

ÉDITORIAUX

Ainsi, reprenant l’éditorial du numéro 82, L’écriture au présent, j’ai cherché ensuite dans la revue des textes de son auteur, Mathias Lair. Je retrouve mes mots : « juste » et « exigence », dans sa définition de ce qu’il se demande à lui-même, lui qui interroge les fictions de notre existence, pour retrouver le lieu du commencement que l’on avait oublié.

Je relève encore une phrase et un fragment :

Si je reconnais que je ne suis pas étranger à l’étrangeté qui me saisit, alors l’écriture devient une danse. […] L’expérience est ineffable. Hors-sens. Voilà pourquoi il faut l’écrire. Yves Bonnefoy l’appelle l’arrière-pays. 

Plus loin, une chronique de Joël Vincent, Profondeurs et chaos intérieurs, traite aussi de cette dimension particulière de l’écriture, quand on accepte d’aller chercher en soi jusqu’au désordre mouvant qui fait sens. Ce qui m’a d’abord retenue ce sont les exergues : Nelly Sachs, Büchner, Cioran, Nietzsche, Adorno. Parce que j’aime qu’il y en ait, qu’on tisse des liens avec les phrases d‘autrui, offrant à lire autre chose que soi. (J’ai parfois tendance à en mettre trop en tête de mes textes, mais je préfère l’excès au manque.) Ensuite, dans ces pages Joël Vincent cite de nombreux auteurs, en ayant la référence d’Elias Canetti (La conscience des mots) comme un fil qui structure la pensée. Lisant Anaïs Escot, Georges Valiadis ou Silvia Baron Supervielle il interroge la notion de « béance », le « vide » approché, l’identité non sue, la création de soi dans l’acceptation de ce qui n’est pas « balisé ».  Écritures qui appartiennent à l’espace de ceux, poètes, que Canetti, qu’il cite, nomme gardiens des métamorphoses . Beaucoup d’autres noms viennent appuyer la réflexion : René Char, Benjamin Fondane, Novalis, Pessoa, Merleau-Ponty, Philippe Jaccottet, Beckett, Celan, Ponge, Nietzsche, Rimbaud, Baudelaire, Michaux… Tous ayant su regarder leurs gouffres intérieurs et pu forger les mots. Et de nouveau, Canetti : Hors de l’actualité, hors de tout, parfois aussi hors de soi-même, si nous écrivons c’est avec une part de nous-même que nous ne connaissons pas entièrement, qui est nôtre et ne l’est pas, qui jaillit d’une ZONE OBSCURE et SECRÈTE  même pour nous. Secrète et parfois bouleversante.

Et pour conclure il écrit ceci : Ce qui parle souvent dans un poème n’est pas ce qui est, mais ce qui devient, c’est ce « désordre sacré » ou sacré désordre dont parle Rimbaud.

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Avec l’éditorial du numéro 85, Arcanes du poème, je retrouve une écriture que je connais bien, puisque c’est Michel Diaz qui écrit.

En exergue, Henri Thomas (Le besoin d’écrire est premier). L’expression, ensuite, résultant aussi du hasard, d’après l’auteur cité.

Michel Diaz ne nous invite pas à nous interroger sur la source de ce besoin d’écrire, recherche, dit-il, qui serait illusoire. Car…  Il est, ou il n’est pas

Par contre il relie la démarche d’écriture (et d’existence) au désir archaïque de fissurer ce qu’on nous a appris à concevoir de la réalité du monde. Opposant regarder  (qui ne suffit plus) à voir (qui ne se fait qu’avec nos yeux de l’intérieur), il rejoint ce que Michaux nomme, rappelle-t-il, espace du dedans, ou ce lieu où Werner Lambersy voit la possibilité de l’immensité. Je comprends ce qu’il met dans cette opposition entre regarder et voir. Une exigence de profondeur, possible selon la part de soi qui s’offre à la perception visuelle, volonté de nommer pour distinguer et dire une bascule de conscience, en quelque sorte. (Et c’est vrai que voir est étymologiquement de la nature de ce que Rimbaud cherche, se faire « voyant »). Même si, pensant à la photographie (qui capte, ou qui reste un geste mental) je mets, pour ma part, dans le verbe "regarder" une force de présence qui fusionne avec ce qui est de l’ordre de la captation par ces yeux de l’intérieur. Mais ce sens n’est pas toujours dans les emplois du mot, c’est vrai.

Ce qui intéresse Michel Diaz c’est une ouverture, un élargissement permettant à l’esprit d’accueillir le hasard, et (cette fois c’est une autre écoute dont il s’agit) il évoque l’équivalent des yeux de l’intérieur, ce qui serait l’oreille intérieure, capable de laisser surgir ce qui émane du silence d’avant la parole.

Pour faire comprendre exactement la dimension qui est en jeu, là, il reprend l’expression de Reverdy, état poétique. Et cite Jacques Ancet, qui ne séparait pas intensité de langage et intensité de vie.

Forger le poème, écrit-il, c’est aller nécessairement de l’obscur vers le sens. Là je retourne en arrière dans son texte. Forger, je pense au feu. Or il a utilisé l’expression matière-lave pour qualifier la substance insaisissable de cette opération de soi créant. Je traduis : alchimie. Et une transformation alchimique échappe au sujet, refuse les normes, accepte le désordre : Le sens, en fait, vient déranger un ordre qui échappe à toute raison. Ce qui compte, comme le dit Marina Tsvetaïeva, citée, c’est la résonance. Et comme, le rappelle-t-il, c’est inscrit dans les Illuminations de Rimbaud.

Pour Michel Diaz le poème est affaire d’âme.

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Dans le même numéro un entretien :

Pierre Schroven interroge Éric Brogniet

Interrogation au sujet du monde des machines et du virtuel. Reconnaissant l’intérêt de certaines découvertes (dispositifs de l’ordre de la machine) le poète dit que cela pose aussi la question de la conscience et de la liberté de penser. Autre univers la poésie : La parole poétique interroge un indicible quand l’homme prend conscience de son destin, de sa finitude, de sa solitude. […] Et… Dès l’origine, le poétique dit que l’imaginaire est la seule réponse à notre condition.

Mentionnant l’essai qu’Éric Brogniet a écrit sur Jacques Crickillon Pierre Schroven rappelle ce que cet auteur dit du poème et demande si celui-ci peut donc être le langage du cinquième monde (celui de la privation d’espace spirituel). Éric Brogniet, après avoir cité Jacques Crickillon, dit que le poème est un voyage vers un Orient comme figure à la fois du Tout et du Rien, une anabase du fond et de la hauteur, une voix dans le Vide, un voyage sur nul chemin, une question sans réponse.

Dans la réponse suivante il définit le poète comme artisan, chercheur, expérimentateur.

Et, pour conclure, il inscrit sa philosophie de vie : toujours chercher à établir ma demeure dans la métamorphose.

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Numéro 86, dans Le soulèvement poétique, Pierre Dhainaut commence par affirmer la nécessité de dire non. Et pour cela trouver aussi les mots qui ont le souci de la justesse. Expression, d’abord, de la colère, du dégoût. Dire non aux fauteurs de guerre, et aux décideurs de néant. Dire non aux idéologies religieuses et politiques qui justifient le besoin de terroriser, de tuer.

Il rappelle qu’il avait quatre ans en 1940. Et pour la poésie il veut que ce soit un soulèvement qui concerne tout l’être, une insurrection. Cependant ce n’est pas une poésie engagée qu’il propose, car il la pense limitée dans ses perspectives, contraire à l’esprit même d’une activité vraiment créatrice. L’écriture, alors, ne peut se contenter du non : Non est un terme qui se clôt sur lui-même. Et la poésie dépasse les antagonismes, elle engendre ce oui qui intègre le non et l’accroît.

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Et dans ce numéro un dossier de contributions sur son œuvre, issues d‘une Journée d’étude.

En présence de Pierre Dhainaut

Incessante l’approche

Textes d’Anita Lavernhe-Grosset, Jean Attali, Sabine Dewulf, Patricia Castex-Menier, suivis d’un poème de Pierre Dhainaut, Un fil nous guide, fac-similé du manuscrit. J’en cite un extrait ici :

Un fil nous guide, d’une substance inconnue,

innocente, de la soie comme un son

Suit la reproduction d’une peinture de l’auteur, Mon sommeil est un verger d’embruns.

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Mais j’ai lu aussi avec intérêt les pages de Michel Diaz sur Jean-Paul Bota. Ce qui l’interpelle dans l’écriture de ce poète c’est qu’elle le mette en face de ce surgissement énigmatique, de cet impondérable qu’est la poésie, parce qu’il ne veut pas faire poésie. Au début de sa réflexion Michel Diaz a cité Henri Michaux, qui ne trouve pas particulièrement de la poésie dans les poèmes, mais dans n’importe quel genre, soudain élargissement du monde. Et Michel Diaz est plutôt d’accord avec cette affirmation. Moi aussi, pour une raison. Qui est que trop de textes ne correspondent pas à une nécessité, et je serais tentée d’ajouter, nécessité métaphysique. Ou, autre souffle incontournable, à une évidence d’ordre presque physique. Cri ou chant des viscères. Poursuivant ma lecture je trouve dans ce texte une mention de Thelonius Monk qui rejoint ce que je viens d’écrire : une force qui le guide, qu’il exsude chaque fois qu’il se met au piano. Puis il cite Keith Jarret, pour rapprocher la création de Jean-Paul Bota du même processus d’improvisation. Peut-être que ce qui peut me déplaire (et déplaire à Michel Diaz) dans certaines œuvres, en poésie, c’est qu’elles mentent. Or la musique ne le peut pas, ni la danse, comme c’est possible avec les mots qui peuvent masquer l’absence de source authentique, de nécessité.

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Et enfin, éditorial du numéro 87, par Nicolas Rouzet. Sans titre.

Reprenant la formule d’Alberti au sujet de la peinture, une fenêtre ouverte sur le monde, il propose de l’appliquer à la poésie. L’ouverture il la définit par un élargissement là où on ne l’attend pas, à des formes plus populaires. Il cite le slam, le rap, le street-art…

Après avoir évoqué le jardin de Christian Bobin il déplace cette notion de fenêtre vers une autre forme d’ouverture, celle de notre paysage intérieur, celui de ce lieu où l’âme pourra enfin résonner avec l’instant présent que nous fuyons sans cesse, lieu de l’Éternité, finalement.

Le poème comme chemin vers l’Ouvert (rilkéen, donc).

Enfin il cite Philippe Jaccottet, pour ce moment de vrai oubli qui fasse cesser l’attachement à soi et donc l’opacité de la vie. Et termine sur l’image des pas du poète (ou un symbole de liberté créatrice).

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Pensée de la création. Justement, ce qui advient alors, les poèmes.

Autre parcours, donner à lire, sans commenter.

CITATIONS

Numéro 82

Daniel Martinez

Présence de Pieter Bruegel l’Ancien :

Nuit de lune noire sur La Chute

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13/08/2023 | Lien permanent

Poésie. Quatre recueils de Raymond Farina, première approche

raymond farina,poésie,la gloire des poussières,alcyone,notes pour un fantôme,hétéroclites,n&b,une colombe une autre,des vanneaux,éclats de vivre,dumerchez,les hommes sans épaules,citations,livresBribe par bribe arracher la peau des souvenirs, pour n’être plus qu’âme.

Marie-Claude San Juan, Fragment 7, recueil miniaturisé, 36 traversées d’aubes crépusculaires, pré#carré, 2018

(C’est bien la première fois que je me cite en exergue… Mais, cherchant des fragments en relation avec ma ville de naissance – pour les offrir dans un groupe Fb des natifs de cette ville, sur deux rives - je retrouve celui-ci, minuscule, qui me semble correspondre en partie au processus d’effacement-dévoilement-arrachement exposé dans le premier recueil recensé ici, quel que soit le sens qu’on donne au mot âme…).

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Raymond Farina a réalisé une œuvre ample. Non quantitativement (même si on peut faire la liste de titres), mais par ce qui serait amplitude de vagues de questionnements, recouvertes par des vagues de possibles réponses, propositions ou intuitions émergeant du silence, dans une respiration de pages en pages. Regards et sens.

(Plusieurs livres chez Rougerie, deux à L’Arbre à Paroles, puis des publications qui suivent : éds. des Vanneaux, Dumerchez, N&B poésie, Alcyone…). Pas un nombre excessif, mais ce qui suffit à construire une architecture.

Cette note est un commencement...

Dans le numéro 53 de la revue Les Hommes sans Épaules, des pages lui sont consacrées, les poèmes suivant une dense présentation, qui insiste sur la discrétion de l’auteur, tellement que bien peu savent qu’il est l’un des meilleurs poètes français (oui, haute écriture), et rappelle qu’il est aussi traducteur (pour plusieurs langues). Je ne le connaissais pas encore suffisamment (à peine pour quelques poèmes, plus pour des traductions), or je découvre bien des raisons qui font que je me sente concernée par cette écriture et cette pensée. C’est pourquoi je reviendrai poursuivre cette lecture, d'une manière ou d'une autre.

 

Déjà, consulter la page de présentation de la revue HSE... http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Raymond_Farina...

L’univers du poète, natif d’Algérie, est d’un être accordé au monde, à la nature. Preuve, s’il en fallait, le recueil offert aux oiseaux (qui ne sont d’ailleurs pas présents qu’en ce seul livre de lui). Mais aussi conscience qui sait chercher des colères ou des émotions enfouies, pour évoquer ce que l’homme crée de terreur ou de haine, et dire des refus.  La formation philosophique de l’auteur sous-tend le regard de l’écrivain.

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raymond farina,poésie,la gloire des poussières,alcyone,notes pour un fantôme,hétéroclites,n&b,une colombe une autre,des vanneaux,éclats de vivre,dumerchez,les hommes sans épaules,citations,livresLa gloire des poussières, éd. Alcyone, coll. Surya. Poésie, 2020 

Ou quand une métaphore du minuscule permet de faire l’éloge du regard, et de méditer sur le temps, la mémoire, la réalité de faits brutaux ou tragiques (histoire humaine…) et cependant sur l’infini. Métaphore mais pas seulement, les poussières...

L’oiseau, dans ce livre, intervient souvent, comme messager de ce qui mérite même la majuscule de l’essence. Ainsi, l’Oiseau de la page 18, poème Connotations (p.18), est porteur de la question sur le fait qu’il signifie peut-être. Non signifie… quelque chose, mais signifie, donc Est, et évoque alors le présent de la présence vraie de soi, à soi. Connotations, car tout ramène à la mémoire, jusqu’à une simple fleur, tulipe jaune (et elle, pour ce qui fut un temps de terreur / à l’orée des années soixante). On est dans un jardin fait de souvenirs. Mais jardin quand même, la nature en contrepoint des horreurs. Fleurs, arbres, oiseaux. Particulier est le processus de la mémoire, il s’impose. Qu’est-ce qui se souvient, et comment ?

Cette rose en moi se souvient

de la roseraie d’un jardin

Mais le poète oppose un processus de mise au jour d’autres forces. Et s’il devait avoir un animal totem, pour ancrer l’infinie élaboration de lui-même et de l’écriture, et de lui-même par l’écriture, ce serait un oiseau. Mésange, moineau, ou colombe. Ou même peuple de colombes, animal pluriel.

Il se sait habité par des lieux, des couleurs, des jardins, des vols d’oiseaux, des ciels, et aussi par ce qui s’y associe (connotations…). Et les êtres qui hantent parfois les pages sont peut-être des figures de ce qui lutte en soi entre acceptation et refus des visions du passé. Mais à force de repousser ce qui fait écran au présent, pour être dans le présent, ce qui advient c’est l’effacement de ce qui emplit trop, mais, aussi, la perte de ce qui fut, dont les traces d’enfance. L’oubli du bleu (p. 17) inscrit une contradiction. Si les termites détruisent les images du manuscrit, symbole actif de la dévoration du monde faite par le temps, est-ce catastrophique ou désirable ? Ou paradoxalement catastrophique ET désirable ? Car ces images (pas les pages, mais ce qui est évoqué) deviennent lentement poussières. Et c’est cela, la gloire des poussières, leur triomphe. L’oubli. Car effaçant elles délivrent et leur force transformatrice permet le dévoilement qui, loin du ressassement, est processus libérateur, dont l’écriture est part agissante. Écrire ne serait-ce pas aussi être un peu termite qui broie ce qui émerge, ne gardant que le noyau imputrescible ?  

Quand on a vu de quoi l’homme est capable (Que la guerre était belle, p. 25…) expulser cela en refusant que ce soit une hantise, fait choisir l’horizon guérisseur qu’est la beauté, ces pluies de pétales d’or, ou le tourbillon d’ailes légères…  La beauté et la musique. Pas d’appartenance illusoire, pas de lieu d’ancrage certain, pas d’identité prisonnière (Départ de nulle part, p. 32).

Un poème, le dernier, semble faire, pour un ami lointain (qui peut-être existe, peut-être représente ce qui, en l’humain, en soi, hésite à pacifier son rapport avec la vie, la nature, les faits). Lui dire, se dire, qu’il faut savoir… oublier la vérité/ jouet de troubles stratégies, reconnaître l’usure des visages / qui ont joué la tragédie, et s’occuper de ses nuages, en faisant patienter la mort.

Je retrouve, dans ce poème, la trace de débats nombreux, pour beaucoup qui ont vu de quoi l’homme est capable et font parfois de ce rappel la mission de leur vie (oubliant la vie, leur vie). J’y vois un rappel des pièges possibles de l’idéologie, la nécessité de prendre distance, aussi, pour vivre et… être.

Débat infini en chacun, jamais résolu. Sauf transcendante sagesse atteinte, et prénom trouvé pour le moi possible qu’on peut atteindre en soi, celui qui va ouvrir la porte du monde. Que ce soit le dernier poème colore toute la pensée exposée dans ce livre. Et, dans le dernier vers, faire patienter la mort, en aboutissement de cette démarche, ce n’est pas s’occuper pour l’éloigner, ni l’attendre passivement, c’est aussi laisser dehors ce qui est mortifère, destructeur, dans des mémoires traumatisantes. C’est répondre à l’interrogation du début (p. 18), sur ce que connote encore une fleur. Est-ce qu’un jour ce sera aurore plutôt qu’horreur ?

Livre essentiel.

Citations…

Aujourd’hui les poussières reviennent dans mes poèmes. Elles pardonnent, sans se forcer, à un passant de l’infini, « d’épousseter le grand silence / qui s’installe entre les étoiles ».

(R.F. Extrait de son texte en 4ème de couverture)

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Il sait presque tout de la terre :

sa rumeur sibylline,

ses semences secrètes,

ses intentions fertiles,

ses fureurs éruptives,

ce qu’elle exige des racines,

des feuilles caressant le ciel (…)

p.15. (Ce qu’écoute l’enfant)

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C’est bien une histoire de ciel

que nous raconte le bleuet

p17. (L’oubli du bleu)

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Au temps où les villes suffoquent,

où l’hiver s’égare dans l’août,

où les ponts séparent des hommes

tandis que les unit la haine,

il va chercher l’humanité

dans les confidences des morts.

p.37. Deux minutes d’éternité : Poème II

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Et celui que je suis peut-être

demande à ceux qu’il pourrait être

d’esquisser pour lui un Orient

où l’on ne tue pas les enfants

avec la permission de Dieu,

où le jasmin reste licite

comme la joie et la Beauté. 

p. 42. (Questions sans réponse)

Page auteur, éds. Alcyone (avec des extraits de poèmes)... https://www.editionsalcyone.fr/446895588

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raymond farina,poésie,la gloire des poussières,alcyone,notes pour un fantôme,hétéroclites,n&b,une colombe une autre,des vanneaux,éclats de vivre,dumerchez,les hommes sans épaules,citations,livresNotes pour un fantôme, suivi de Hétéroclites, éd. N&B, 2020…

Chercher ce souffle d’être qui dirait d’où on vient réellement, ce qu’on est et devient, sous la protection de Lucrèce ou Dante… Mais aussi, dans un poème que Michaux, en exergue, offre à la transparence, tracer une scène sur l’invisibilité réelle de ce qui a disparu, réinventé par un rêve de détresse. Double invisibilité. Les fantômes sont multiples, question de regard, de symbole. Même l’identité est un fantôme qui erre en nous et nous fait errants (p.51). Et n’est-on pas parfois fantôme de soi-même, dans un temps de silence ? (p.37-38, Questions).

Citation…

Au-delà de ce nom / qu’on donne à tant de masques / il cherche, pour cerner / ce qu’on appelle moi, // un indice – qui sait ? - / une parcelle d’âme / au vertige des yeux //

p.11. (Le verger ravagé)

L'édition N&B... https://editions-n-et-b.org/wp/farina-raymond-notes-pour-...

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raymond farina,poésie,la gloire des poussières,alcyone,notes pour un fantôme,hétéroclites,n&b,une colombe une autre,des vanneaux,éclats de vivre,dumerchez,les hommes sans épaules,citations,livresUne colombe une autre, éd. des Vanneaux, 2006

(Parce que, dit en exergue Alphonse Toussenel, Le signe de la région maudite est l’absence d’oiseaux.)  Dans le recueil c'est l’oiseau, vivant, qui vole et chante, mais aussi l’oiseau dans un fragment de Kierkegaard, ou la colombesi gravement céleste de Braque. 

Une fois de plus j’ai recours / pour congédier / la pesante idée du Destin / intime oiseau à ton image / qui vole dans ma mémoire

(R.F. Incipit du recueil)

Page éditeur, éds des Vanneaux, extraits de poèmes du recueil…https://editionsdesvanneaux.wordpress.com/category/les-au...

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raymond farina,poésie,la gloire des poussières,alcyone,notes pour un fantôme,hétéroclites,n&b,une colombe une autre,des vanneaux,éclats de vivre,dumerchez,les hommes sans épaules,citations,livresÉclats de vivre, éd. Dumerchez, 2006…

Un livre qui serait sur la déchirure entre l’aspiration qui est celle, étymologiquement, du philosophe (et du poète digne d’être appelé ainsi, je trouve, car que dirait la poésie sans ce désir d’intense conscience ?) et la réalité de notre monde, de ce qu’en fait l’humain (ou le chaos des destins ?), cette extrême dissonance (p. 47).

Que serais-tu sagesse ?

Parole incandescente

qui calcine sans cesse

ce que  l’on dit du monde

p.39. Le feu vivant (titre de cette partie choisi en écho à un fragment d’Héraclite)...

Éd. Dumerchez... https://www.editions-dumerchez.fr

Recensions © MC San Juan

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01/08/2022 | Lien permanent

Martine BLIGNY, peintre. ART en Arles... Exposition collective

art,peinture,exposition,arles,vénus éternelle,femmes,corps,visages,martine bligny,bligny,peintre,poésie,citationsdans le favorable, le considérable, / j’avance

Monique Rosenberg, La Splendeur déjà, Poèmes, éd. L'Harmattan

J’ai mis en exergue de ma note une citation de poète qui me semble traduire aussi la démarche de l'artiste, c’est l’impression qu’on a, regardant. Et cet exergue va bien avec la photographie où on la voit peindre. 

Pour ses peintures il semble que Martine Bligny puise dans une mémoire souterraine, ancestrale, et c’est cependant d’une puissante modernité...

En regardant ses créations on entre dans un mystère qui nous fait traverser le temps, alors que les visages peints, eux, semblent le traverser pour sourdre des murs et advenir. Comme si l’artiste, peignant, n’avait fait qu’aller chercher dans la mémoire des pierres la trace de traits dont elle porterait le souvenir en elle, profondément. Des bleus, des ombres, couleurs qui diffusent intérieurement une lumière sourde, qui peut-être émane des yeux de ces êtres si loin si proches, ou de l’énergie des corps. Antiquité ? Moyen-Âge ? Errants d’ailleurs mais de notre siècle ? Visages de danseurs méditants, immobiles, qui nous regardent. 

MARTINE BLIGNY.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et nous, si on regarde en même temps tous les visages de la page google, par exemple (justement parce qu’ils sont sur deux rangs, tous) il y a inversion du regard. Comme pour une seule peinture mais c’est plus évident. Ils nous contemplent d’au-delà des siècles, comme pour interroger notre humanité. Beauté de traits dont l’étrangeté vient de la pureté silencieuse de l’expression. Silence de l’âme, calme du sens. Qu’avez-vous fait de votre silence ? disent les portraits...  Qu’avez-vous fait de votre visage ? Des visages du monde ?

Pour la photographie de l’artiste au travail, on peut aller, aussi,  sur l’ancien site, abandonné. La force signifiante du geste, la peinture étant ce geste de tracer, qu’il soit inscrit là comme  un instant volé à la solitude de la création, c’est une symbolique entrée dans l’univers des visages et des corps peints par Martine Bligny,  d’autant plus qu’on y voit la peinture qui est élaborée.

Son ancien site... http://martine.bligny.free.fr/    

 
Des créations, galerie Au-delà des apparences… 

Très beau texte de Christian Noorbergen, lu sur son site (mais lien inactif pour cette page). CITATION : "Noyé de haute mémoire, un visage s'abîme dans la mer des visages. Tous les dehors du monde ont disparu. Martine Bligny efface les excès de la réalité, les blessures du dedans, et les effets provisoires du monde."   

En ligne un texte d’elle, précieux, où elle explique son choix de peindre des visages. À lire en ligne. CITATIONS...
"J'ai choisi de peindre la figure humaine, miroir de soi, en partant de ses représentations diverses. (...) Par la peinture, j'essaie de montrer les forces, les énergies qui sous tendent les formes de la figure dans l'espace du tableau. Seule la vibration de la chair nous ramène ici et maintenant, dans la pure présence de la figure... le tableau vivant résonne en nous, au diapason de notre âme." Lien, artsper.com… https://www.artsper.com/fr/artistes-contemporains/france/...

Quelques œuvres de Martine Bligny à voir sur google images... http://bit.ly/1HtiOPA

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23/03/2015 | Lien permanent

CHINE. Liu Xiaobo et Liu Xia sacrifiés en silence…

Avant que tu rentres dans ta tombe, n’oublie pas de m’écrire une lettre avec les cendres de tes os, et de me laisser ton adresse dans le néant obscur. 

Liu Xiaobo, poème, cité par Libération, 11-12 déc. 2010.

 

Je reprends cet exergue posé sur une note ancienne, car il convient à la situation. C’est comme s’il se parlait à lui-même, maintenant, ou prêtait sa voix à sa femme… (Mes notes sur Liu Xiaobo ou Liu Xia se retrouvent en mettant le nom en recherche. Elles reviennent parfois un peu en désordre, bizarrement, 2010 avant 2013…).

On a réagi à la mort de l’écrivain avec peine, dans les réseaux sociaux, la presse...

Mais en même temps c’était avec une colère rentrée. Car c’est comme si le silence l’avait enfoui toutes ces années, abandonné par le monde (en tout cas celui qui pouvait tenter d’intervenir, les gouvernants - à part des communiqués prudents). Les actions des associations militantes des droits humains n’auront pu le faire délivrer, ni faire cesser le contrôle absolu de la vie de sa femme. Et nous, impuissants, malgré des mots jetés comme des bouteilles à la mer, sur des blogs ou sur des pages de journaux.

VIVRE.jpgD’une certaine manière il aura été amené à la mort, la maladie étant accélérée par des conditions dures de privation de liberté et par les émotions qui devaient être les siennes.

Des années volées.

Il ne faut pas oublier sa femme (voir la pétition associée à un article d’Amnesty international). 

Poète et artiste (ou deux fois artiste) elle a vécu la prison de la séparation, et elle vit maintenant son deuil dans la solitude que lui impose le régime.

Le prix Nobel donnait un retentissement à cet emprisonnement, mais n’a pas changé le regard du pouvoir.

Il fut le visage symbolique de l’ensemble de ceux qui sont arrêtés pour avoir écrit, ou dit, ou en avoir défendu d’autres (les avocats sont nombreux à être poursuivis…). N’oublions pas les autres : blogueurs, journalistes, dissidents divers (dont les adeptes du Falun Gong, qui, pour le régime, ont le tort de critiquer le PC chinois et de revendiquer, comme d’autres révoltés, la démocratie).

J’ai choisi quelques liens, dont une vidéo magnifique d’Amnesty, des articles, et une note d’un site qui mérite consultation pour beaucoup de ses pages, La Chine autrement (où j’ai trouvé aussi une vidéo).

D’abord, deux vidéos… puis des articles ou pages de sites, dont une pétition (Amnesty).

Liu Xia lisant ses textes (poèmes de solitude, blog La Chine autrement)… http://bit.ly/2uzU6fG 

Et la magnifique vidéo d’Amnesty, sur le parcours de Liu Xiaobo… http://bit.ly/2uAkEgH 

Protestation de RSF après la mort de l’écrivain… http://bit.ly/2uh9iPp  

Présentation d’un livre dans la revue en ligne « Recours au poème », « Élégies du 4 juin » (Gallimard, coll. Bleu de Chine). Par Vincent Motard. Citations : « Vingt ans de poèmes. Un par an, pour l'anniversaire du 4 juin 1989, ce jour où des grévistes de la faim chinois, étudiants ou citadins lambda, ont été chassés de la place Tian’anmen. » (…) « Le poète dit non à cette fin possible de la résistance ; il écrit la mort, le sang, les mères en deuil, les jeunes qui ne vieilliront jamais, sa propre jeunesse qui hurle, qui saigne, qui pleure, mais surtout qui veut, non, qui exige de vivre, pas seulement de survivre ; le poing levé, avec de l'encre au bout des doigts. »… 

Le livre, page sur le site de l’édition Gallimardhttp://bit.ly/2tFQDJw

Autre livre, « Vivre dans la vérité »… http://bit.ly/2w2tIZE

Sur Amnesty international en anglais, un article qui déplore la perte « d'un géant des droits humains ». Mais aussi, même page, il y avait une pétition pour la libération de Liu Xia, sous leur photographie… http://bit.ly/2tMohQb 

La pétition donnée ci-dessus était nécessaire car la situation de Liu Xia, poète et photographe, inquiétait. Voir cet article du Monde (effrayant, ce qui est montré du moment des obsèques)… http://lemde.fr/2u0ysRc 

Sur un blog critique, La Chine autrement, une note récente sur les apparences et la réalité.... « Il y a beaucoup de raisons de se tromper sur les réalités chinoises »… http://bit.ly/2tM40fj  

On peut aussi consulter les dossiers « Chine » du Courrier international et tags presse, Amnesty, RSF, Acat, HWR...

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MISE à JOUR après le décès de Liu Xiaobo.

...... FICHE WIKIPEDIA... LIU XIAOBOdécédé le 13 juillet 2017 en prison. Le pouvoir fit disperser ses cendres dans la mer... Sa femme Liu Xia (poète et photographe) a réussi, finalement, à quitter la Chine, après bien des épreuves. Elle est réfugiée en Allemagne...  https://fr.wikipedia.org/wiki/Liu_Xiaobo 

....... Qui était le Prix Nobel de littérature Liu Xiaobo, mort en captivité ?, FranceTVinfo...  https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/qui-etait-liu-xia...

……. ....... "L’hommage impossible", en Chine. La Chine veut effacer sa mémoire… http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20180712-chine-mort-liu-...

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25/07/2017 | Lien permanent

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