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01/08/2022

Poésie. Quatre recueils de Raymond Farina, première approche

raymond farina,poésie,la gloire des poussières,alcyone,notes pour un fantôme,hétéroclites,n&b,une colombe une autre,des vanneaux,éclats de vivre,dumerchez,les hommes sans épaules,citations,livresBribe par bribe arracher la peau des souvenirs, pour n’être plus qu’âme.

Marie-Claude San Juan, Fragment 7, recueil miniaturisé, 36 traversées d’aubes crépusculaires, pré#carré, 2018

(C’est bien la première fois que je me cite en exergue… Mais, cherchant des fragments en relation avec ma ville de naissance – pour les offrir dans un groupe Fb des natifs de cette ville, sur deux rives - je retrouve celui-ci, minuscule, qui me semble correspondre en partie au processus d’effacement-dévoilement-arrachement exposé dans le premier recueil recensé ici, quel que soit le sens qu’on donne au mot âme…).

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Raymond Farina a réalisé une œuvre ample. Non quantitativement (même si on peut faire la liste de titres), mais par ce qui serait amplitude de vagues de questionnements, recouvertes par des vagues de possibles réponses, propositions ou intuitions émergeant du silence, dans une respiration de pages en pages. Regards et sens.

(Plusieurs livres chez Rougerie, deux à L’Arbre à Paroles, puis des publications qui suivent : éds. des Vanneaux, Dumerchez, N&B poésie, Alcyone…). Pas un nombre excessif, mais ce qui suffit à construire une architecture.

Cette note est un commencement...

Dans le numéro 53 de la revue Les Hommes sans Épaules, des pages lui sont consacrées, les poèmes suivant une dense présentation, qui insiste sur la discrétion de l’auteur, tellement que bien peu savent qu’il est l’un des meilleurs poètes français (oui, haute écriture), et rappelle qu’il est aussi traducteur (pour plusieurs langues). Je ne le connaissais pas encore suffisamment (à peine pour quelques poèmes, plus pour des traductions), or je découvre bien des raisons qui font que je me sente concernée par cette écriture et cette pensée. C’est pourquoi je reviendrai poursuivre cette lecture, d'une manière ou d'une autre.

 

Déjà, consulter la page de présentation de la revue HSE... http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Raymond_Farina...


L’univers du poète, natif d’Algérie, est d’un être accordé au monde, à la nature. Preuve, s’il en fallait, le recueil offert aux oiseaux (qui ne sont d’ailleurs pas présents qu’en ce seul livre de lui). Mais aussi conscience qui sait chercher des colères ou des émotions enfouies, pour évoquer ce que l’homme crée de terreur ou de haine, et dire des refus.  La formation philosophique de l’auteur sous-tend le regard de l’écrivain.

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raymond farina,poésie,la gloire des poussières,alcyone,notes pour un fantôme,hétéroclites,n&b,une colombe une autre,des vanneaux,éclats de vivre,dumerchez,les hommes sans épaules,citations,livresLa gloire des poussières, éd. Alcyone, coll. Surya. Poésie, 2020 

Ou quand une métaphore du minuscule permet de faire l’éloge du regard, et de méditer sur le temps, la mémoire, la réalité de faits brutaux ou tragiques (histoire humaine…) et cependant sur l’infini. Métaphore mais pas seulement, les poussières...

L’oiseau, dans ce livre, intervient souvent, comme messager de ce qui mérite même la majuscule de l’essence. Ainsi, l’Oiseau de la page 18, poème Connotations (p.18), est porteur de la question sur le fait qu’il signifie peut-être. Non signifie… quelque chose, mais signifie, donc Est, et évoque alors le présent de la présence vraie de soi, à soi. Connotations, car tout ramène à la mémoire, jusqu’à une simple fleur, tulipe jaune (et elle, pour ce qui fut un temps de terreur / à l’orée des années soixante). On est dans un jardin fait de souvenirs. Mais jardin quand même, la nature en contrepoint des horreurs. Fleurs, arbres, oiseaux. Particulier est le processus de la mémoire, il s’impose. Qu’est-ce qui se souvient, et comment ?

Cette rose en moi se souvient

de la roseraie d’un jardin

Mais le poète oppose un processus de mise au jour d’autres forces. Et s’il devait avoir un animal totem, pour ancrer l’infinie élaboration de lui-même et de l’écriture, et de lui-même par l’écriture, ce serait un oiseau. Mésange, moineau, ou colombe. Ou même peuple de colombes, animal pluriel.

Il se sait habité par des lieux, des couleurs, des jardins, des vols d’oiseaux, des ciels, et aussi par ce qui s’y associe (connotations…). Et les êtres qui hantent parfois les pages sont peut-être des figures de ce qui lutte en soi entre acceptation et refus des visions du passé. Mais à force de repousser ce qui fait écran au présent, pour être dans le présent, ce qui advient c’est l’effacement de ce qui emplit trop, mais, aussi, la perte de ce qui fut, dont les traces d’enfance. L’oubli du bleu (p. 17) inscrit une contradiction. Si les termites détruisent les images du manuscrit, symbole actif de la dévoration du monde faite par le temps, est-ce catastrophique ou désirable ? Ou paradoxalement catastrophique ET désirable ? Car ces images (pas les pages, mais ce qui est évoqué) deviennent lentement poussières. Et c’est cela, la gloire des poussières, leur triomphe. L’oubli. Car effaçant elles délivrent et leur force transformatrice permet le dévoilement qui, loin du ressassement, est processus libérateur, dont l’écriture est part agissante. Écrire ne serait-ce pas aussi être un peu termite qui broie ce qui émerge, ne gardant que le noyau imputrescible ?  

Quand on a vu de quoi l’homme est capable (Que la guerre était belle, p. 25…) expulser cela en refusant que ce soit une hantise, fait choisir l’horizon guérisseur qu’est la beauté, ces pluies de pétales d’or, ou le tourbillon d’ailes légères…  La beauté et la musique. Pas d’appartenance illusoire, pas de lieu d’ancrage certain, pas d’identité prisonnière (Départ de nulle part, p. 32).

Un poème, le dernier, semble faire, pour un ami lointain (qui peut-être existe, peut-être représente ce qui, en l’humain, en soi, hésite à pacifier son rapport avec la vie, la nature, les faits). Lui dire, se dire, qu’il faut savoir… oublier la vérité/ jouet de troubles stratégies, reconnaître l’usure des visages / qui ont joué la tragédie, et s’occuper de ses nuages, en faisant patienter la mort.

Je retrouve, dans ce poème, la trace de débats nombreux, pour beaucoup qui ont vu de quoi l’homme est capable et font parfois de ce rappel la mission de leur vie (oubliant la vie, leur vie). J’y vois un rappel des pièges possibles de l’idéologie, la nécessité de prendre distance, aussi, pour vivre et… être.

Débat infini en chacun, jamais résolu. Sauf transcendante sagesse atteinte, et prénom trouvé pour le moi possible qu’on peut atteindre en soi, celui qui va ouvrir la porte du monde. Que ce soit le dernier poème colore toute la pensée exposée dans ce livre. Et, dans le dernier vers, faire patienter la mort, en aboutissement de cette démarche, ce n’est pas s’occuper pour l’éloigner, ni l’attendre passivement, c’est aussi laisser dehors ce qui est mortifère, destructeur, dans des mémoires traumatisantes. C’est répondre à l’interrogation du début (p. 18), sur ce que connote encore une fleur. Est-ce qu’un jour ce sera aurore plutôt qu’horreur ?

Livre essentiel.

Citations…

Aujourd’hui les poussières reviennent dans mes poèmes. Elles pardonnent, sans se forcer, à un passant de l’infini, « d’épousseter le grand silence / qui s’installe entre les étoiles ».

(R.F. Extrait de son texte en 4ème de couverture)

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Il sait presque tout de la terre :

sa rumeur sibylline,

ses semences secrètes,

ses intentions fertiles,

ses fureurs éruptives,

ce qu’elle exige des racines,

des feuilles caressant le ciel (…)

p.15. (Ce qu’écoute l’enfant)

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C’est bien une histoire de ciel

que nous raconte le bleuet

p17. (L’oubli du bleu)

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Au temps où les villes suffoquent,

où l’hiver s’égare dans l’août,

où les ponts séparent des hommes

tandis que les unit la haine,

il va chercher l’humanité

dans les confidences des morts.

p.37. Deux minutes d’éternité : Poème II

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Et celui que je suis peut-être

demande à ceux qu’il pourrait être

d’esquisser pour lui un Orient

où l’on ne tue pas les enfants

avec la permission de Dieu,

où le jasmin reste licite

comme la joie et la Beauté. 

p. 42. (Questions sans réponse)

Page auteur, éds. Alcyone (avec des extraits de poèmes)... https://www.editionsalcyone.fr/446895588

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raymond farina,poésie,la gloire des poussières,alcyone,notes pour un fantôme,hétéroclites,n&b,une colombe une autre,des vanneaux,éclats de vivre,dumerchez,les hommes sans épaules,citations,livresNotes pour un fantôme, suivi de Hétéroclites, éd. N&B, 2020…

Chercher ce souffle d’être qui dirait d’où on vient réellement, ce qu’on est et devient, sous la protection de Lucrèce ou Dante… Mais aussi, dans un poème que Michaux, en exergue, offre à la transparence, tracer une scène sur l’invisibilité réelle de ce qui a disparu, réinventé par un rêve de détresse. Double invisibilité. Les fantômes sont multiples, question de regard, de symbole. Même l’identité est un fantôme qui erre en nous et nous fait errants (p.51). Et n’est-on pas parfois fantôme de soi-même, dans un temps de silence ? (p.37-38, Questions).

Citation…

Au-delà de ce nom / qu’on donne à tant de masques / il cherche, pour cerner / ce qu’on appelle moi, // un indice – qui sait ? - / une parcelle d’âme / au vertige des yeux //

p.11. (Le verger ravagé)

L'édition N&B... https://editions-n-et-b.org/wp/farina-raymond-notes-pour-...

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raymond farina,poésie,la gloire des poussières,alcyone,notes pour un fantôme,hétéroclites,n&b,une colombe une autre,des vanneaux,éclats de vivre,dumerchez,les hommes sans épaules,citations,livresUne colombe une autre, éd. des Vanneaux, 2006

(Parce que, dit en exergue Alphonse Toussenel, Le signe de la région maudite est l’absence d’oiseaux.)  Dans le recueil c'est l’oiseau, vivant, qui vole et chante, mais aussi l’oiseau dans un fragment de Kierkegaard, ou la colombesi gravement céleste de Braque. 

Une fois de plus j’ai recours / pour congédier / la pesante idée du Destin / intime oiseau à ton image / qui vole dans ma mémoire

(R.F. Incipit du recueil)

Page éditeur, éds des Vanneaux, extraits de poèmes du recueil…https://editionsdesvanneaux.wordpress.com/category/les-au...

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raymond farina,poésie,la gloire des poussières,alcyone,notes pour un fantôme,hétéroclites,n&b,une colombe une autre,des vanneaux,éclats de vivre,dumerchez,les hommes sans épaules,citations,livresÉclats de vivre, éd. Dumerchez, 2006…

Un livre qui serait sur la déchirure entre l’aspiration qui est celle, étymologiquement, du philosophe (et du poète digne d’être appelé ainsi, je trouve, car que dirait la poésie sans ce désir d’intense conscience ?) et la réalité de notre monde, de ce qu’en fait l’humain (ou le chaos des destins ?), cette extrême dissonance (p. 47).

Que serais-tu sagesse ?

Parole incandescente

qui calcine sans cesse

ce que  l’on dit du monde

p.39. Le feu vivant (titre de cette partie choisi en écho à un fragment d’Héraclite)...

Éd. Dumerchez... https://www.editions-dumerchez.fr

Recensions © MC San Juan

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