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26/07/2015

"Terre sentinelle", poésie sentinelle… livre de Fabienne Raphoz

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C’est à la fois un ouvrage érudit, celui d’une naturaliste par « passion » pour l’évolution, et le recueil d’un poète qui cisaille des textes comme des fragments de poèmes éclatés, bribes-braises où l’on croise parfois des citations, en écho à la pensée. Certaines donnent des clés : « J’écris aussi loin que possible de moi », d’André du Bouchet, volonté de distance où le « je » s’efface comme personnage représenté. On lui refuse, à ce « moi », toute complaisance, tout repli, car ce qui compte c’est dire la conscience qui regarde le monde divers de la nature, cette présence à la présence animalière multiple, dont l’abeille est reine réelle et symbolique. Le « je » isolé se dissout dans « l’élégie / du je / commun » (p. 169).  Autre clé, aussi, parmi d’autres, la citation de José Angel Valente, pour une question qui reste en suspens (p.20).

Surprenant, peut-être, dans la forme qu’on croit devoir appartenir au poème, que l’inscription d’un texte documentaire entre un vers, « Nul n’est jamais très loin d’une rivière » (p.131) et un fragment poétique (p.133), fragment centré autour du Y (exemple parmi d'autres). Oui, affluents du poème, le savoir, l’observation, comme la métaphore éventuelle.

Cependant la réalité des vécus personnels reste comme un arrière-plan fondateur, nécessaire : évocation de la mère, notamment, beaucoup, douleur discrète de la maladie et de la mort, du père (p. 165), pour le « maintenant » fugitif, et fleurs ou forêts offertes à des prénoms-visages, et éloge-hommage, tout le vivant offert (p. 157). Arrière-plan, ou, au contraire, la vitre de sens à travers laquelle voir. Ou les deux, à la fois le soubassement de l’intime, pas très explicite, et l’écran de la perception, où projeter les questions terriennes.

Les lieux évoqués, les strates de la nature, retrouvent une région, celle de l’Arve, rivière native, lieu source d’un rapport au monde : nos lieux nous créent et leur évolution nous modèle ou nous interroge. On regarde et on sait mieux. Important, le regard, dans ce livre, pour vaincre le risque d’amnésie, de distraction, d’irresponsabilité devant le drame de la nature ravagée par nous : oublier les abeilles et la terre. « Terre sentinelle », la clé du titre est page 139 (« il neigenoire (...) et la terre / sentinelle  /// s'interrompt » ). Autre clé, la citation-exergue de Philippe Beck (p.141) : « Mais maintenant / a-t-on besoin d’aller vers l’enfer ? »

Somme : poème, récit fragmentaire, anthologie… et listes de noms, répertoire des êtres du vivant (comme la « proposition pour 35 noms d’espèces d’abeilles », p.51).

En exergue (p.11), cette citation de Guillaume Lecointre : « Tout récit est une sélection arbitraire d’instants au sein d’un continuum. », pour rencontrer cette pensée, p.15 : « La segmentation est l’origine d’une continuité ». Quel rapport avoir avec le temps et l’écriture du temps ? Les instants surgissent, vie personnelle et parcours des yeux sur le monde vivant. Peu importe la chronologie, ce qui fait récit et sens c’est ce qui reste de ce qui est perdu de l’enfance, l’origine de la perception : « Etre est d’origine davantage que survivre », p. 24 (mais cela concerne tout être vivant).

Quelques pages sont en anglais, et des mots glissés ici ou là dans le tissu des textes, comme des respirations dans le livre, pour le plaisir d’autres sonorités, où la rencontre des mots et des sons de l’anglais crée une autre musicalité du français… J’aime ce métissage linguistique : il est discret mais efficace. « Blue thinks / Blue sings / Blue talks » (p. 27) et (p. 29) « bleu rêve / rêve même / sans le bleu », vers que j’arrache à une longue méditation sur la couleur. Bleu, ici, ailleurs rouge ou vert. Même effet, musical et visuel, dans l’alternance des vers et des textes en prose, informatifs, ou des vers et des listes).

« Le chant précède l’oiseau » (p.65). Et le poème l’écrivain ?

Mais parfois il ne reste que le « fil » (p.83).

Je ne suis pas du tout l’ordre des pages, mais celui de mes relectures : des mots font écho, des pages résonnent, « traduisent » autrement les mots lus…

« Poreuse », traversée par la conscience de la terre (une urgence ?) c’est celle qui écrit qui devient sentinelle pour la terre « porteuse du porème / en fer de lance » (p. 143). Le poème devient ce qui déchiffre et donne à voir une imprégnation de savoir, un autre ressenti.

Voilà donc une somme d’écriture pour dire  cette porosité agissante, contre l’enfer de la « neigenoire », de la destruction. Contre la peur, la menace. La poésie, ici, donc, commence par « dire le nom des choses » : ce n’est « pas encore / le poème » mais « un peu / plus  /que lui  / déjà » (p. 16O). Dans l’interstice du moins et du plus l’écriture devient, intense et profonde (même s’il semble qu’il y ait une volonté de privilégier la surface des choses, pour rester dans la proximité simple et humble du vivant) et la réflexion sur la poésie, aussi, se prolonge dans les pages suivantes... « cela qui nous regarde nous regarde / vraiment » (p.161).

L’écriture est accompagnée par les dessins de Ianna Andréadis ( http://ianna.online.fr/livres.html ). La table des matières, elle, est en quatrième de couverture, comme un poème supplémentaire, du fait de titres très beaux.

recension © MC San Juan

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Liens :

Fiche wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fabienne_Raphoz

Page de l’édition Héros-Limite : Fabienne Raphoz : http://bit.ly/1Mvjq9M

Notes de lecture… sur :

Poezibao, par Florence Trocmé : http://bit.ly/1erPYm4

Le littéraire, par Jean-Paul Gavard-Perret : http://www.lelitteraire.com/?p=10474

Terres de femmes, par Angèle Paoli : http://bit.ly/1IzgzM8

Et, pour un autre recueil, sur Littérature de partout, par Tristan Hordé  : http://litteraturedepartout.hautetfort.com/tag/fabienne+raphoz 

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