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Rechercher : le verger abandonné

La recension de Michel Diaz pour Le réel est… / DIÉRÈSE, revue de poésie (1er temps de lecture du n° 88…).

Diérèse.jpgPremier temps de lecture de la revue Diérèse (Daniel Martinez) car (très occupée autrement) j’ai cumulé un retard de plusieurs mois (revues et livres qui s’entassent mais ne seront pas abandonnés…). Et le numéro 89 attend aussi… 

Dans ce numéro 88 j’ai la joie de lire la superbe, et ample, recension que Michel Diaz a consacré à mon dernier recueil, Le réel est un poème métaphysique (extraits après mon introduction, 2ème partie de la note, suivie du lien vers le site de l’édition). Dans ce numéro je suis en compagnie des lectures qu’il a faites des livres de Jacques Robinet (Clartés du soir, Unicité - recueil que je suis en train de lire...), Richard Rognet (Dans un nid de flammes, L’herbe qui tremble), Jean-Pierre Boulic (Enraciné, La Part Commune). Mais j’ai découvert aussi autre chose. Un texte de Michel Diaz dont je lis surtout les recueils de poèmes et fragments poétiques (écriture que j’apprécie particulièrement et place « haut ») : dans cette revue, pages 199 à 215, un récit troublant, Un petit théâtre de ruines, dont l’exergue (La Rochefoucauld) révèle un sens, un questionnement (frontière indistincte entre vérité et mensonge, ou les fils étranges du destin).

Donc, sa recension. Une capacité intuitive qui lui fait savoir, au-delà des pages à déchiffrer, ce que celle qui écrit tente de décrypter, cet autre savoir dont l’écriture veut dire la souterraine conscience. Il sait, parce que sa démarche d’écrivain se situe dans un espace de profondeur signifiante.

Ce numéro doit être parcouru plusieurs fois, j'y reviendrai. J’y retrouve plusieurs noms connus, et des auteurs à découvrir. De ceux dont je connais l’écriture (en plus de Michel Diaz, dont je viens de recevoir le dernier ouvrage paru, Éloge des eaux murmurantes, créé avec le graveur Lionel Balard) je repère les noms (dans l’ordre des pages où ils apparaissent, pour des poèmes ou des notes de lecture) de Raymond Farina (j’ai fait une recension pour un de ses recueils, dans le numéro 23 de la revue L’Intranquille), Isabelle Lévesque, Béatrice Pailler (que je lis dans la revue À L’index, où nous partageons des pages avec Jean-Pierre Otte, Myette Ronday, et Michel Lamart, notamment, présents aussi dans ce numéro), Emmanuel Merle (nous avons eu un éditeur commun, il y a des années, et je suis attentive aux auteurs croisés ainsi ), Daniel Martinez (poète et éditeur de la revue), Luc-André Sagne (découvert grâce à des groupes littéraires sur Facebook), Jean-Louis Bernard (découvert par ses publications aux éditions Alcyone), Gérard Bocholier (découvert par des notes de lecture révélant un univers qui m’intéresse), Sabine Dewulf (lue aussi sur Facebook, ses thématiques rencontrant des espaces des miennes : lecture programmée d'un recueil récent, Près du surgissement). Mais je relirai aussi, dans ce numéro, l’éditorial d’Alain Fabre-Catalan, Au risque de la poésie, et j'irai découvrir les textes de la rubrique Poésies du monde

Cependant, là, mon sujet est cette lecture magnifique de Michel Diaz. Je choisis d’en extraire des fragments. Pour en mesurer la valeur sans trahir son art il faut lire son texte intégral, donc dans la revue…

……………………. Extraits :

« Mes photographies ne veulent rien illustrer. Mes textes ne commentent aucune image » prévient Marie-Claude San Juan dans le texte préliminaire de son recueil, Le réel est un poème métaphysique. Recueil composé de quatre sections, proses réflexivo-méditatives, poèmes, citations, qu’accompagnent 21 belles images photographiques de l’auteure elle-même. 

Le sujet du livre est donné dès les premières phrases de l’avant-propos, « Les voiles qui délivrent le caché » : « Éternel ET éphémère, le réel, avec ses traces qui s’effacent, poussière qui glisse entre nos doigts, nous précède et demeurera au-delà de nous, réalité toujours présente quand nous ne serons même plus poussière. Tant que la planète Terre sera planète. » 

Mais qu’est-ce que le « réel », cette notion à laquelle la poésie, en première ligne, se trouve confrontée, chargée d’en rendre compte ? Car le « réel » n’est pas le monde, “ la réalité ” telle que notre langue et notre culture avec ses mots, ses préjugés, ses croyances, l’a construite et continue de la modeler en fonction de nos perceptions nouvelles. N’est-ce pas plutôt ce tissu du monde, cette « peau » dont parle Marie-Claude San Juan et qu’elle appelle “ réel ”, qui fonde et déborde notre “réalité ”, la compréhension que nous pouvons avoir de ce qui est ? Ce “ réel ” n’est-ce pas surtout ce après quoi court le poète, mots en avant, comme un qui marche dans la nuit une lanterne à la main ? « Retourner le champ invisible, en écrivant », nous dit-elle. « Parfois tout est immédiat et donné, le palimpseste n’a été effacé et recouvert de signes que souterrainement. » Et elle ajoute : « Mais au-delà de l’instant saisi, cette brutale émergence d’une mémoire des yeux, préférer la permanente lenteur de la gestation de soi. Écrire ? Mettre ses yeux en mots, mais les yeux derrière les mots. » 

(…)

C’est donc cette écriture poétique qu’elle nous donne à lire aujourd’hui avec ce livre, proses et poèmes qui posent l’enjeu du livre (trouver ces « instants où l’immense se rencontre dans l’imperceptible, quand la lumière effleure des parcelles d’or que l’eau invente »), et le lieu même de cet enjeu : le poème comme une ouverture sur l’inconnu. Un petit rectangle de mots qui donne sur ce qu’on ne sait pas... 

Ce que nous dit ce livre, c’est qu’il n’y a pas de différence “ ontologique ”, comme disent les philosophes. Qu’il n’y a pas la réalité où nous vivons et une “autre réalité” (le réel) mais que c’est le même monde éprouvé différemment. 

(…)

« Le hasard peint des couches de marques sur le sol, les portes, les murs, en omniscient caché, créateur de sens. Le temps griffe les surfaces, trace, grave et demeure. Effleurage mystique du toujours non su, caresse du réel calligraphiant notre radicale ignorance. » Presque rien, pas grand-chose, voilà ce qui reste quand on se retourne et que les yeux ont regardé. Moins qu’un chemin, moins que des traces, juste un miroitement évaporé. Comme si rien n’avait jamais été. Mais si ce rien qui n’est quand même pas rien, et si ce n’est pas le rien d’en haut dont parlait Simone Weil, ce serait le rien d’ici-bas comme une transcendance qui logerait dans l’immanence, un rien germinatif, quelque chose de l’ordre de ce “ rien qui fait tout surgir ” dont parlait Sören Kierkegaard ? 

(…)

Ce livre est la démonstration que la quête spirituelle, se passant de toute référence à la transcendance divine, appartient aussi à qui a fait du monde l’objet de son amour et y adhère tout entier pour s’y confondre, ainsi que le disent les derniers mots du texte : « Objectif dénuement / rien ne possède / car rien n’est possédé. Le Je se dépouille même du Je. » Et dans cette démarche de regard que nous propose Marie-Claude San Juan, il n’y a aucune différence entre le sens et la lumière... 

Michel Diaz, 01/10/2022

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Diérèse et Les Deux-Sicileshttp://revuepoesie.hautetfort.com

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26/02/2024 | Lien permanent

René Char, En trente-trois morceaux

1. Char, 33 m..jpgOiseau jamais intercepté
Ton étoile m’est douce au cœur 
Ma route tire sur sa raie
L’air s’en détourne et l’homme y meurt.
  René Char, En trente-trois morceaux (texte1), 1956, GLM, Gallimard, 1983
 
C’est le premier fragment en vers des trente-trois textes de ce recueil. Poèmes brefs, numérotés, dont le plus long est le dernier, avec neuf vers. On trouve un sizain, le 16, et des quatrains, peu, des tercets, peu aussi. Des fragments de deux ou trois lignes de prose, des poèmes de deux vers. Et des lignes seules, phrases qu’on perçoit comme vers uniques, certaines, ou aphorismes tracés d’un trait.
Le préambule est très intéressant. À peine plus d’une page pour un récit, entre conte philosophique et texte narratif théorisant la poésie. Comme un conte zen ou soufi. L’auteur raconte qu’il sort, marchant dans ce moment du soir où "il est permis enfin de rapprocher les choses de soi avec une libre minutie." Et il pense à Proust, dans un lieu que Proust ne nomme pas mais que son œuvre aide à percevoir ("il le donne à toucher"). Déjà la littérature imprègne le quotidien le plus banal, sortir de chez soi pour marcher. Mais on bascule dans l’imaginaire. L’auteur sent, une nuit, le poids de ses livres sur sa tête (il cite des titres), pile qui s’écroule tout d’un coup. Les livres s’éparpillent en trente-trois éclats, et c’est pour avoir désiré le choix que ferait le "Temps". Je pense à un ancien conte racontant la mort d’un vieux sage, pas si sage car encombré de trop de livres et finissant écrasé par sa bibliothèque. Là c’est le poète qui accélère l’effet du désencombrement. "Je ramassai trente-trois morceaux. Après un moment de désarroi je constatai que je n’avais perdu dans cet accident que le sommet de mon visage." L’excès mental enfui, reste la création, qui s’élabore à partir des strates abandonnées des écrits précédents, dont il extrait des bribes.  
 
Ainsi, d'imaginaires éclats de livres, du papier qui se brise comme verre ou terre cuite, et ces brisures de textes échappent aux livres et deviennent livre essentiel. Trente-trois pages, un éclat par page.
 
Une note finale, de cinq lignes, qui suit le dernier poème, comme une postface (Fin des incidents de cette nuit), commence par cette phrase : "Nous voici de nouveau seuls en tête à tête, ô Poésie". 
Le récit introductif et la note finale donnent les clés de la démarche de René Char. Ce qui s’écroule ce sont les pages déjà écrites et publiées, dont il ne garde que le centre essentiel de ce qui voulut s’écrire, avant de retrouver le vide créateur, qui fait partir de rien. 
 
Le tissage à partir d’oeuvres écrites, la méthode utilisée pour créer ces fragments déchirés, est la traduction du processus similaire dans l’écriture de René Char, qui efface l’insignifiant, ne l’inscrit pas, ne gardant comme poème que Le Poème pulvérisé (titre d’un recueil, qui fut d’abord le titre d’un poème de ce recueil, J’habite une douleur).
 
L’oiseau, l’étoile, c’est l’inscription d’une aspiration à l’élévation de la pensée. Éthique ascensionnelle de la création et de la manière d’être au monde. 
Inquiétude des "yeux purs" qui...
"Cherchent en pleurant la tête habitable".
Pourquoi ? Parce que le regard (pur car sans intention, neutre) saisit ce que l’intellect, le cérébral (qui n’est pas le créatif) peut trahir. Ce n’est pas refus de la rationalité pensante, chez René Char, mais celui d’une sécheresse coupée des émotions vitales, et chargée de concepts stériles.
Peut-être est-ce pour refuser d’être une tête non "habitable" qu’il refuse si fermement l’inessentiel. Faire se rencontrer ce regard pur et les mots tracés passe par l’exigence du rare.
Si "La sécurité est un parfum" (magnifique image) ce n’est rien de plus que subtiles vibrations d’une fragrance intérieure, métaphore d’un état insaisissable, antinomique de ce que l’on définit habituellement comme impression d’être en sécurité.
Car
Le poète est 
"Veilleur éphémère du monde
  à la lisière de la peur".
Sachant être un passant voué à la mort, pour être vrai il faut rester au bord de cette conscience inquiète qui sait cela. Et sait aussi ce qui dans le monde crée sa révolte ("lance ta révolte").
Mais qu’est-ce que "l’écume du monde souterrain" canalisée par "les silencieux incurables" ? On peut y voir les scories de l’inconscient ou la richesse de l’imaginaire collectif que la création poétique peut saisir.
 
"Hâte-toi de transmettre
 Ta part de merveilleux…"
Les poètes se font "pèlerins extrêmes", justement avec ce sentiment d’urgence à devoir puiser dans l’enfoui de la conscience, de soi et de tous, mais en donnant "les prodiges à l’oubli secourable", ne conservant donc que l’écume… 
Et "la tristesse … déblaie". Demeure alors le dénuement de l’esprit devant la poésie à vivre et créer.
 
Dans le volume de la collection Poésie/Gallimard, ces pages sont suivies des notes Sur la Poésie (1936-1974). 
Où on lit ceci :
 "Un poète doit laisser des traces de son passage, non des preuves. Seules les traces font rêver".
Ou : "On ne crée que l’œuvre dont on se détache".
Et encore :
"Le poète se remarque à la quantité de pages insignifiantes qu’il n’écrit pas.’ Celles qui viendraient de ce ‘dont il ne meurt pas".
 Alors que dans le poème de l’incipit, "l’homme y meurt". Ce n’est pas la mort du corps mais le travail de dépossession de soi, à hauteur cosmique, symboliquement, guidé par la liberté de l’oiseau et la symbolique de l’étoile, la lumière. Là où l’homme ne tient pas le poète doit aller, lui qui veut être de ceux qui savent rester 'les obligés de l’inquiétude".
Froid des étoiles dans le poème 33, mais cela vient des "êtres bienveillants". 
Les "trente-trois morceaux" sont les scories d’un feu intérieur, la lave qui perdure, fragmentée. Comme les textes de Feuillets d’Hypnos (dans le volume de Fureur et mystère, pour Poésie/Gallimard). Mais eux directement fragmentaires.
Toujours l’essentiel, et rien d’autre.
 
recension © MC San Juan
 
LIENS...
 
En trente-trois morceaux, page Gallimard...
 
René Char, vidéo, Un siècle d’écrivains, émission FR.3...
 
1 CHAR.jpg
 
 
 
 
 
 
 
 
Albert Camus / René Char, Correspondance 1946-1959, Folio. (Dont échanges sur la création)...
 
Albert Camus / René Char, Correspondance 1946-1959.
Quelques citations, sur Babelio

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29/06/2020 | Lien permanent

1962-2012. GUERRE D’ALGERIE, Histoire, mémoires, présent, et futur à construire. DOSSIER... et LIENS

MONDE GUERRE.png

La presse a marqué l’anniversaire de mars (fin officielle de la guerre d’Algérie, mais pas des drames et des morts). L’indépendance, c’est après, et l’exode, c’est plus tard, l’été. J’ai lu, bien sûr, parfois avec une impression d’overdose (apprendre encore, apprendre, comprendre ? Ou réactiver des émotions ?). Parfois avec le sentiment, au contraire, d’un manque (tant de choses non dites, mal expliquées, refoulées, occultées).

J’ai mis du temps avant d’acheter le hors série du Monde, « Guerre d’Algérie, Mémoires parallèles ». D’abord à cause du titre. Parallèles, ces mémoires, vraiment ? Parallèles seulement ? Parallèles, lesquelles ? Algérie et France ? Mais quelle Algérie et quelle France ? L’Algérie du peuple ou l’Algérie du pouvoir ? La France métropolitaine ou celle des mémoires des natifs d’Algérie exilés ? Mémoires des historiens, des acteurs, ou des témoins ? Pays de 1962, ou pays actuels, en 2012 ? Oui, le numéro présente des mémoires parallèles, globalement. Mais les mémoires croisées de ceux qui veulent entrer dans la mémoire de l’autre, tout en assumant la leur, où sont-elles ? Je n’ai pas retrouvé tout à fait dans ce sommaire la force des problématiques posées avec tant d’humanisme lors de la conférence sur mémoire et histoire au Forum des images (voir ci-dessous, programme et bilan, deux notes). Mohammed Harbi, cependant, évoque la possibilité de mémoires partagées (pas encore communes, mais partagées).

Autre chose m’avait gênée, quand j’avais entrouvert le journal pour regarder rapidement l’avant-propos. Dès le début, une citation de Sartre, lui qui appelait au meurtre terroriste dans sa préface au livre de Frantz Fanon (ce qui avait scandalisé Jean Daniel). Sartre parlant de névrose au sujet de la France… on a les références qu’on peut… Mais le reste du texte de Michel Lefebvre pose d’une manière correcte la question des mémoires qui ne se rencontrent pas, dans cet avant-propos qui tient lieu d’éditorial…

 J’ai donc lu. En commençant par la fin : la bibliographie. Je la trouve très insuffisante, il aurait fallu deux pages. Ce qui manque semble correspondre à des choix, une vision partielle ou partiale : d’autres titres auraient pu rendre compte d’une réalité plus complexe. Benjamin Stora est omniprésent, et d’autres à peine évoqués, ou pas du tout (Cf. letexte de Roger Vétillard, mentionné plus bas, à propos de La Déchirure : même questionnement). Peu d’Algériens, peu de Pieds-Noirs. Pas de sites, la Toile est négligée : pourtant bien des adresses auraient pu être données, bien des pages indiquées (ne serait-ce que l’INA, mais pas seulement…). Absence de l’apport de la littérature (une bibliographie sans Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Albert Camus, Jean Pélégri, René-Jean Clot, et tant d’autres). Pas de filmographie… 

J’ai apprécié la publication du texte d’Albert Camus, sa « Trêve pour les civils », appel de 1956. J’ai lu les articles sur la torture, les viols (et la page, sur le poignard de Le Pen : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/16/le-grand-blond-au-poignard_1669337_3212.html ), les pages sur Jacques Chevallier, éclairantes aussi sur l’OAS (et je note qu’un livre sur lui va paraître en mai, «J. Chevallier, l’homme qui voulait empêcher la guerre d’Algérie », de José-Alain Fralon). L’entretien avec Mohammed Harbi est riche d’informations, et il y montre un esprit qui rejette le sectarisme, les visions figées : « La colonisation est un fait historique et social. Elle est ambivalente dans ses manifestations et c’est une erreur de dire qu’elle a été globalement positive ou globalement négative. » (Là il renvoie dos à dos les ultras de tous bords, extrémistes de droite ou de gauche). J’ai été intéressée par les témoignages, et notamment l’article sur Ali Aissaoui, fils d'ancien harki. Et j’ai aimé retrouver Jacques Ferrandez et ses BD. Mais je trouve qu’il manque des éclairages importants. Peu ou pas d’antériorité historique (un peu comme El Watan le reproche à La Déchirure : voir ci-dessous). Pas de présence collective des populations qui vivaient en Algérie, la complexité du sentiment d’appartenance à cette terre, la complexité des liens. Absence des « petits », des humbles et des pauvres. Rien ou presque sur la réalité coloniale, avec ses aspects divers – faits sociaux et culturels, injustices et apports. Et pas de questionnement au sujet du terrorisme (comme c’est fait à juste titre pour la torture). Les attentats contre les civils ont juste une place dans la chronologie…

Dans son texte sur les mémoires sous tension, B. Stora évacue d’une phrase la question du mur des victimes du FLN (Disparus), comme si c’était un facteur aggravant des tensions actuelles, comme si ces victimes n’avaient pas droit au respect, et leurs familles à un  lieu de recueillement… (Des controverses les avaient d’ailleurs assimilés à des activistes, ce qui est faux. Laissons les activistes avec les activistes et ne mélangeons pas tout…).

Un passage d'un texte (historienne, Sylvie Thénault) m'a interpellée. Idées reçues sur la guerre. Notamment une. Le fait qu'on ait confondu le rejet du FLN (pour ses méthodes, la terreur) et le rejet de l'indépendance. C'est une idée fausse qui perdure, oui. Mais de la même manière on confond l’anticolonialisme avec des pensées qu’on lui associe et qui n’ont pas à l’être. L'Histoire ne pouvait amener qu'à la fin de toutes les colonisations, quelle que soit leur forme (mais des colonisations continuent à être justifiées, cf. Tibet/Chine, pour ne donner qu’un exemple). Cependant refuser par principe le fait de coloniser ne force pas à penser le passé comme s’il se déroulait en 2012 : la conscience a changé dans les démocraties. Ces prises de conscience doivent être assumées par les pays, donc la France métropolitaine, dont les pouvoirs ont décidé de coloniser. Dénoncer le fait colonial ne doit pas devenir une condamnation des populations immigrées venues vivre et naître dans telle ou telle colonie. C’est pourtant ce qui se fait en France : les Pieds-Noirs sont utilisés comme alibi pour un déni historique (qui donc a colonisé si ce n’est la métropole des Français ? sûrement pas les immigrés espagnols ou les communards expulsés de force, ni les Alsaciens réfugiés, ni les Juifs berbères là depuis toujours… !). Jean Pélégri le disait bien dans son livre « Ma mère l’Algérie », on jettera l’opprobre sur les Pieds-Noirs qu’on accusera de tous les maux : habitude des métropoles, notait-il… Et penser la colonisation ne doit pas devenir (comme c’est souvent le cas) une sorte de catéchisme rigide posant des cadres où toute complexité des faits ne peut qu’échapper…            

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INFORMATIONS :

1830-1940 : "Un siècle de passions algériennes, Une histoire de l'Algérie coloniale", somme de Pierre Darmon : http://www.lepoint.fr/culture/2009-11-29/l-algerie-des-pa...

Guerre d’Algérie, fiche wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d'Alg%C3%A9rie

Chronologie, sur linternaute.com (quelques repères) : http://www.linternaute.com/histoire/categorie/49/a/1/1/histoire_de_la_guerre_d_algerie.shtml

Livre. « Que sais-je ?». La guerre d’Algérie, par Guy Pervillé : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=107

Le camp de LODI. « Le camp des oubliés », Nouvel Observateur, 2010  (Centaines de Pieds-Noirs indépendantistes arrêtés) :   http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20100318.OBS0307/lodi-le-camp-des-oublies.html

La Déchirure, documentaire France 2, de Benjamin Stora et Gabriel Le Bomin, avec la voix de Kad Merad.   Lire l’article du Parisien (Kad Merad raconte la guerre d’Algérie) : http://www.leparisien.fr/tv/kad-merad-raconte-la-guerre-d-algerie-11-03-2012-1899832.php  La qualité de ce documentaire n’est en général pas mise en doute, le sérieux de l’entreprise, mais il y a des controverses entre historiens français autour  de ce documentaire. Cf. Benjamin Stora et Daniel Lefeuvre : http://etudescoloniales.canalblog.com/archives/2012/04/10/23971171.html  Ou Roger Vétillard, qui met en question l’omniprésence de Benjamin Stora, et exprime quelques réserves concernant le film...  La réception en Algérie est assez critique (El Watan pointe la limitation du film à un axe qui occulte l’antériorité historique).

Dossier "Guerre d'Algérie'", sur Herodote  https://www.herodote.net/Guerre_d_Algerie-synthese-319.php 

« Fin de la guerre d’Algérie : le massacre d’Oran reste dans les mémoires » https://fr.wikipedia.org/wiki/Massacre_du_5_juillet_1962  

Enlèvements, Disparus. "Les Pieds-Noirs ont-ils été abandonnés par la France?", Le Point, 25-01-12 :  http://www.lepoint.fr/chroniqueurs-du-point/francois-guil...

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La tragédie des HARKIS...

Documents sur le site de l'association AJIR pour les harkis : http://www.harkis.com et sur le blog d'Harkis et droits de l’hommehttp://ahdh.blog.lemonde.fr

Harkis. VIdéo INA : http://www.ina.fr/video/CAA8200509301/les-harkis.fr.html 

L'EXIL. Texte de Serge Molines, sur Algérie-Pyrénées : http://www.algeriepyrenees.com/article-algerie-mon-amour-... 

Comment l'idéologie (des uns et des autres) déforme la réalité historique, jusqu'à nier des faits (massacres) ou à changer la réalité des causes (cf. Pierre Daum et son analyse idéologique haineuse de l'exode des Pieds-Noirs). Lire cette note au sujet des massacres de Harkis : Apprentis historiens (et manipulateurs), un article intéressant sur Harkis et Droits de l’homme : http://ahdh.blog.lemonde.fr/2016/04/02/les-harkis-la-2-cv... 

Sur les PIEDS-NOIRS... 

Les Pieds-Noirs, 50 ans après, Le Figaro : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/01/27/01016-... 

Pied-Noir (wiktionary) : https://fr.wiktionary.org/wiki/pied-noir 

Note historique, dossier Migrations, Pieds-Noirs (7 pages) : http://migrations.besancon.fr/quitter-son-pays/rapatries/... 

Fiche wikipedia, Pieds-Noirs : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pieds-noirs

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12/04/2012 | Lien permanent

Capter l'indicible, de Silvaine Arabo. Poésie (Rafael de Surtis, 2021, collection Pour une Terre interdite)

Capter   S Arabo.jpgDans l’eau bleue du temps

Je reconnaîtrai les signes

Silvaine Arabo, Capter l’indicible, éd. Rafael de Surtis, 2021, page 58

(…)

Ah ! Capter l’indicible

Dans l’avancée du vent

Et les soliloques des marées !

Capter l’indicible, page 65

Capter l’indicible… Beau titre, qui dit à la fois un programme et un itinéraire, vers un savoir déjà intégré mais toujours en devenir. C’est bien plus que l’histoire d’un livre, et l’écriture (la poésie car ce ne peut être que par elle) est ici un chemin de déchiffrement et traduction. Saisir par les mots ce qui est déjà présent, affleure à la conscience, mais doit traverser un écran encore, advenir comme une subtile part du monde perçu à partager. Ce qui est su, profondément, intuitivement, il faut le poser en phrases, et ce ne peut être que poème. Comment transmettre à la fois un monde intérieur et le réel du dehors, nature-terre et cosmos (celui que dit l’oiseau), quand la dimension est celle d’une initiation à la part sacrée de soi-même ? 

Avant même de lire le recueil (mais connaissant déjà bien la démarche de Silvaine Arabo) j’ai associé ce titre à celui d’un ouvrage qui est un dense partage d’expérience, celui de Marigal, Voyage vers l’insaisissable. Car c’est bien cela qui est en jeu, dans ce livre de Silvaine Arabo, et les précédents, voyage que celui d’une vie, parcours sachant voir au-delà des apparences, trajet du regard acceptant le mystère de ce qui peut-être restera en partie esquissé, laissant au lecteur à poursuivre ce déchiffrement. Car beaucoup est déjà donné.

Le recueil a été publié chez Rafael de Surtis, dans la collection Pour une Terre interdite (dont le nom est emprunté à un ouvrage du poète Patrice Cauda, hommage pour mémoire). L’indicible, l’interdit… Ce qui échappe ? Mais qui s’offre si on traverse les douleurs écrans (douleurs, je pense à Patrice Cauda autant qu’à nous tous et à certains passages des poèmes frôlant l’indicible). Dans ce titre il y a "terre" et il y a "pour", une dynamique vers. Et la terre, toute la terre, est présente dans les textes de Sivaine Arabo. Regardée, contemplée, méditée, interrogée. La photographie en couverture est d’elle, et elle éclaire la qualité de son regard, l’amour de la nature. Rivière, arbres, eau, reflets. J’ai cru d’abord voir une peinture (car elle peint aussi). Subtile délicatesse des couleurs, douceur et lumière. Cette terre, sa beauté, cette terre qu’on néglige… 

En avant-signe Silvaine Arabo a posé deux vers d’elle. Annonce d’intention.

Un grand cygne blanc dans le matin

               Double les transparences.

Cygne, blancheur, transparence. L’oiseau élégant, messager du sacré, d’une pureté qui est dénuement, signe minimal de présence du vivant, libre de nous. 

Peinture. Le premier poème peint un paysage, par touches légères. Lumière et ombre, trait d’une aile par son reflet, l’eau, les fleurs. Couleurs. Le bleu, le blanc. C’est un commencement, car ces mêmes couleurs reviennent dans les pages qui suivent, comme si la main posait des lignes, des épaisseurs, sur une toile. Donc on regarde ce qui est inscrit par la Trésorière de la lumière (premiers mots du livre, ordre lancé à soi-même), visuellement et symboliquement. Dessin et sens de l’infini où se rencontrent ciel et terre, l’oiseau reliant les espaces, et les couleurs initiant le lecteur, car c’est instinctivement que l’être humain reçoit la signification de ce bleu, de ce blanc, comme un miroir offert à la conscience.  Le bleu (ciel et mer bien sûr, déjà…) fait écho à des perceptions intérieures magnifiées par des sagesses ancestrales. Et cela domine, malgré la présence de la nuit, de l’ombre, et du vert des feuilles. 

Reconquérir en somme le privilège d’être

Face au monde oublieux

Le regard qui contemple cherche plus que la beauté. L’inscription de soi dans cette réalité, mais plus que la réalité de surface. Pour celle qui écrit, pour ceux qui lisent. Une méthode se trace même. Immobilité, acceptation, dénuement.

Ne bouge pas, accepte le rien

(…)

L’univers est en toi.

Oui, et ce bleu de l'infini dans la nature est aussi du bleu dans le corps subtil de chacun.

Et 

Ici est un ailleurs.

Les poèmes mènent à une traversée de conscience. Âmes des êtres et âme du monde, si tous accèdent à cette part secrète en eux. 

Est ainsi rejoint le souhait de Teilhard de Chardin, aspirant à une avancée des humains à une conspiration des individus (au sens noble) s’associant pour élever d’un nouvel étage l’édifice de la Vie. 

La poésie qui vaut d’être écrite et lue participe de cela.

Ce qui advient, au bout de ce regard-là, de cette capacité du "rien", c’est la joie.

Sentir à l’intérieur une joie qui délire

- Une joie prête une joie juste -

N’être que ce souffle une transparence

Bulle dorée de l’univers

Absence d’épaisseur, pur regard !

Capter l'indicible, p. 17

La démarche est consciente, assumée, dite. 

Nudité de nuit oiseaux cachés.

Dans l’alchimie souveraine

Elle - tisseuse – ouvrir bientôt les vannes de l’indicible (…)  

(page 19)

Alchimie du réel décryptée en alchimiste.

Car

Inscrire sur ses dix doigts les sceaux magiques

(…)

Les signes mutuels de la reconnaissance…

(p.21)

La structure de ce monde "capté" serait, mystérieuse structure cachée que l’imaginaire tente de saisir, cette symbolique géométrie de l’univers,

La Fleur Unique (p.24)

Écrire, penser (et vivre) c’est déchiffrer

D’obscurs palimpsestes (p.25)   

(...)

On saura.

Et c’est à André Malraux que je pense là, mais par l’intermédiaire de son traducteur (des Antimémoires, notamment) et ami japonais, Tadao Takémoto, qui, dans un texte passionnant (Malraux et le sens du sacré) introduit un entretien avec Malraux, décédé en 1976 (revue Nouvelles Clés n° 15, 1997), entretien publié très antérieurement au Japon. Tous deux avaient beaucoup échangé et Malraux parlait librement avec lui (indépendamment des entretiens à publier). Le sujet porte justement sur cette frontière entre le dicible et l’indicible, le visible et l’invisible, le saisissable et l’insaisissable (cf. Marigal, mentionnée ci-dessus). Mais aussi la mémoire, le souvenir de nos vies et de plus que nos vies, et même l'amnésie évoquée aussi par Silvaine Arabo au sujet de nos souvenirs de vie et d'amour. L'amnésie douloureuse des mémoires (p. 68).

Je relève une phrase de Tadao Takémoto (soucieux d’expliquer la profondeur de la pensée d’André Malraux, qu’il connaissait mieux que beaucoup de commentateurs français), phrase qui convient pour éclairer aussi la portée des textes de Silvaine Arabo.

La réalité est, heureusement, plus complexe que les schémas que nous projetons sur elle.

Et de Malraux il dit :

Malraux lui-même n’avait jamais abandonné sa quête essentielle, aux confins des mondes visible et invisible (une quête que, de façon très significative, les intellectuels français ont tout simplement ignoré dans son œuvre).

Ne pas ignorer cela en lisant Silvaine Arabo, car ce serait, comme pour Malraux, se tromper de rationalité, et rater quelque chose de précieux, ne pas bien lire. 

Elle, regardant, choisit de préférer la beauté, pour ne pas donner de force aux mots destructeurs. 

Plutôt inscrire la force du souffle.

Jubilation parmi les feuilles. (p.29)

Couleurs, encore, et de nouveau. En regardant les cimes bleues des glaciers et le cygne blanc. Mais aussi couleur d’or, fils d’or et d’argent et reflet doré. Donc la lumière…

Plutôt que le bruit, le silence, qui révèle les visions de l’imaginal du cœur.

Plutôt que l’agitation la douceur tranquille. 

C’est léger, glisse, et coule…

Déjà glissent les navires

(…)

L’aube coule s’écoule lumineux vertige (p35)

La terre est comme un vase d’or, l’univers Sourcier magique. Et déchiffrer c’est donc se faire aussi sourcière.

De la nature Une grande prière monte. Le mot prière revient page 38 comme dans le poème de la page 17. Pas de mots, c’est un état du monde dans le calme des soirs et le jaillissement du printemps. Un accord de tout avec tout.

C’était la note unique

L’arcane mystérieux

(p.39)

Mais il y a, dans ces poèmes et dans certains qui précèdent, comme la mémoire d’un autre regard. Présence et absence, joie et douleur, le temps.

Doucement j’étreins ton souvenir. (p.45)

Demeure le réel absolu (p.42).

Et les couleurs, l’eau bleue du temps. Mais l’air, le vent, les ailes, tissent autrement une transparence incolore, une pureté digne du vol des oiseaux. 

Dans l’air léger le vent du soir

Pureté qui abolit la volonté du mental.

Donc… J’attends  (…) J’attends.

Le "je" échappe à lui-même, pour une fusion avec plus que lui-même,

Densité suprême.

Plus loin, dernier poème, dernière strophe, même sens.

Et tout oublier – même soi –

Devenir

La mémoire des choses, des êtres, du silence

De ces étranges vibrations colorées

Qui traversent l’espace

Pour le nourrir.

(p.76)

LIENS… 

SITE Rafael de Surtishttp://www.rafaeldesurtis.fr/ 

Silvaine Arabo, éditions Alcyonehttps://www.editionsalcyone.fr/435026972 

Dernières recensions, ici…

DOSSIER Encres vives… http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2021/07/31/si...

Arcanes majeurshttp://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2020/05/18/po...

Deux recueils de Silvaine Arabohttp://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2020/05/17/po...

recension © MC San Juan

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MERCI à Silvaine Arabo pour ses messages.

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Parler du fascisme tapi dans l'islamisme...(MAIS...). Lectures... Courrier international...

fascisme,fondamentalisme,islamisme,intégrisme,terrorisme,e.i,daech,crimes,idéologie,politique,religion,islam,dieu,allah,coyances,culture,juifs,france,raison,irrationnel,peur,extrême droite,amalgame,haine,histoire,monde arabe,musulmans,québec,ukraine,liban,tunisie,londres,syrie,racisme,benchemsi,complexitéParler du fascisme, oui. Fascisme... C'est cela que désignent les auteurs de ces articles de nombreux pays, que le Courrier international publie, traduits. Journalistes ou écrivains, qui s'expriment dans le monde - et, précisément, aussi (voir les deux derniers articles), dans le "monde arabe" (notion controversée, mais qui recouvre une réalité culturelle et géopolitique cependant). Fondamentalisme qui est avant tout idéologique, politique. Fascisme qui ment en prenant le masque d'un attachement à une appartenance religieuse (même si celle-ci peut interroger ce qui en elle permet cette captation), et en emprisonnant les populations dont c'est la croyance ou la culture. (Ou dont c'est une des cultures, car les êtres sont tissés de cultures plurielles, surtout dans le contexte de notre univers mondialisé, diasporique, métissé, voyageur, nomade, connecté, traversé de réseaux...). Totalitarisme qui a un projet (fou peut-être, mais d'autres folies ont déjà réussi à opprimer terriblement : mémoire de l'Inquisition, du nazisme, du stalinisme...). Idéologie fondée sur des constructions mentales manipulatrices, une rationalité mêlée considérablement d'irrationalité (complotisme et négationnisme n'étant que deux aspects de la mise hors raison). Plongée mortifère dans le culte du passé, la peur de la femme, la peur du rire, du sport, de la musique, de l'art, de la pensée...

COURRIER ISLAM.jpgFascisme tapi dans l'islamisme... PAS dans l'islam des simples croyants ou des mystiques soufis. Vision qui peut être haineuse dans l'esprit de certains qui y trouvent un prétexte au refus de l'autre. Ce que veut imposer l'extrême droite, pour rejeter les musulmans, par pur racisme, xénophobie en tout cas, refus culturel, peur identitaire. Pas dans l'islam tel que le pratiquent la majorité des gens qui le vivent comme spiritualité. Donc pas en eux, seulement croyants parfois, ou même pratiquants - plus ou moins, comme dans toutes les religions. Pas en eux, sur lesquels on risque de projeter l'ombre des terroristes revendiqués musulmans. Projeter cela c'est projeter la peur, et ouvrir la place (dont d'autres pourront se saisir) pour les agressions, verbales ou physiques. Attention, NE PAS confondre... Eviter de superposer les mots et les gens (ou idéologie et croyance religieuse). L'extrême droite nous tend et nous tendra ce piège, qui n'est que le miroir de celui que tendent les islamistes djihadistes (cela conforte leurs analyses jumelles fondées sur la haine de l'Autre...). Confondre, c'est pratique, facile... c'est penser en raccourci. Cependant, ne pas penser en raccourci, c'est, aussi, interroger, comme le font de nombreux intellectuels musulmans et des islamologues, ce qui, dans les sources de la religion, peut autoriser la violence, la légitimer. Dans tous les textes de ces intellectuels la complexité est présente. Mais, si la complexité est présente, dans la pensée comme dans la réalité, l'interrogation devra se porter aussi sur le lien des religions avec les revendications identitaires, et sur le lien des appartenances idéo-religieuses avec la perception que les uns ont des autres (croyants ou incroyants, et croyants autrement). [En Norvège, Anders Behring Breivik, le terroriste chrétien qui tua 77 personnes et en blessa 151 en juillet 2011 - des cibles idéologiques - ne le fit évidemment pas au nom de l'islam, mais bien au nom de ses convictions politiques d'extrême droite, sous-tendues par le désir de défendre sa conception d'une identité européenne associée à la chrétienté, qu'il voulait préserver... Preuve que des fanatiques idéologiques peuvent se saisir du religieux à des fins politiques. Stratégiquement parfois, ou même sincèrement... Car le rapport avec la foi est subjectif, donc facilement passionnel, et peut devenir doctrinaire si les questionnements n'ouvrent pas la lecture des textes aux interprétations divergentes. Et, au-delà, si des clés ne sont pas données, culturellement, pour dire comment distinguer ce qui est de l'ordre de la spiritualité, de la recherche de sens, et ce qui est de l'ordre de la politique.] Religion, et religions, ou cultures imbriquées... Rien n'est simplement cela ou le contraire.  

Complexité? Bien mise à mal, encore, quand on enferme les êtres dans des catégories. Car que veut-on dire quand on dit "musulmans"? Ceux qui ne sont ni chrétiens, ni juifs, ni bouddhistes? (Cela ne rend pas forcément musulman...). N'y-a-t-il pas dans cette appellation, y compris pour refuser (à juste titre) tout amalgame avec les terroristes, une manière de désigner une origine? C'est hypocrite et mensonger. Lire la tribune d'Ahmed Benchemsi, parue dans Le Monde du 16-01-15 : "Le 'musulman modéré', une version actualisée du bon nègre". [Citations : "En les qualifiant de "musulmans", on les singularise déjà." (...) "L'islam, c'est d'une ridicule évidence, n'est inscrit dans le patrimoine génétique de personne." (...) "Sauf à considérer que leur origine ethnique conditionne leur façon de penser (ce qui est la définition même du racisme)"]. Texte intégral : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/01/16/le-musulman-modere-une-version-actualisee-du-bon-negre_4557616_3212.html   

Donc, LECTURES (citations...)...  

Vu de Québec. Quand l'idéologie tue, par Paul Journet, La Presse (Montréal, 09-01-15), Courrier international, 15/21-01-15 : http://www.courrierinternational.com/article/2015/01/14/vu-du-quebec-quand-l-ideologie-tue [ CITATIONS : "(S’interroger sur...) la part de responsabilité du modèle français d’intégration des minorités. Cet examen est prématuré et simpliste. Il repose sur une confusion entre trois concepts liés mais distincts. L’intégration des immigrants (...), la laïcité (...) et enfin l’intégrisme, la religion devenue militante et violente. Ni la laïcité, trop molle ou stricte, ni l’intégration déficiente ne causent l’intégrisme. Et elles ne suffiront pas à l’éteindre. (...) L’islamisme existe aussi dans des pays où l’intégration ne pose pas problème." ( ...) "Les djihadistes ne correspondent pas à un profil unique. (...) Certains sont fous, d’autres sont diaboliquement rationnels.". L’auteur insiste sur la nécessité d’admettre "le pouvoir meurtrier de l’idéologie" et d’éviter deux pièges. Le premier est de réagir en adhérant aux thèses de l’extrême droite, récupérant les attentats pour "amalgamer les islamistes à l’ensemble des musulmans qui pratiquent pourtant leur foi dans la paix." De réagir en croyant à la "bête théorie du choc des civilisations" qui "sert les islamistes" - par la polarisation qu’ils veulent créer pour "mieux recruter". Au contraire, "Il faut dénoncer sans relâche cette xénophobie.". L’autre piège, l’autre danger, est 'non pas de récupérer, mais d’étouffer le débat sur l’islamisme."

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Vu d’Ukraine. Le prix sanglant du ‘politiquement correct, par Sergueï Grabovskiy, Den (Kiev, 09-0-115), Courrier international, 15/21-01-15 : http://www.courrierinternational.com/article/2015/01/14/vu-d-ukraine-le-prix-sanglant-du-politiquement-correct [ CITATIONS : "Pour l’heure, ni l’Europe, ni les Etats-Unis, ni l’Ukraine ne sont prêts à exprimer ouvertement les faits essentiels qui ont abouti aux attentats terroristes à Paris, ni la réalité fondamentale qui se dissimule derrière ces actes." (...) "On ne parle pas seulement de religion, mais de politique parée d’atours religieux. Nous sommes face à une chose digne de l’obscurantisme médiéval" (...) "Pour être plus précis, cette idéologie terroriste est un fascisme islamiste, qui s’appuie sur des idées totalitaires et nourrit des ambitions planétaires. "/// "Ce terrorisme est très particulier, car il a pour objectif ultime la liquidation de la civilisation euro-atlantique (ou "judéo-chrétienne" comme elle se définit elle-même)." (...) "Attentats (...) absurdes" ( ?). "Non." (...) ".. ce sont des actes complètement rationnels qui s’inscrivent dans le cadre de cette vision du monde totalitaire." (...) "Il y a eu le bolchevisme, le fascisme et le nazisme, la vague de l’extrême gauche appelant à une révolution mondiale dans les années 1970, et maintenant il y a l’islam militant." L’auteur dit que, à son avis, la réponse aux attentats de Paris est "la fin de toute tolérance face aux agissements des fondamentalistes et des tenants du fascisme islamiste." (...) Car ne pas le faire "revient à saper les fondements de la démocratie européenne tout en donnant aux musulmans qui défendent les valeurs démocratiques le sentiment d’être abandonnés face au totalitarisme."

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Vu du Liban. "Le poing du fascisme", par Alex Rowell, Now (Beyrouth, 07-01-15), Courrier international, 15/21-01-15 : http://www.courrierinternational.com/article/2015/01/14/vu-du-liban-le-poing-du-fascisme  CITATIONS : "Les rues de Paris, qu’ont autrefois foulées Descartes, Diderot et Voltaire, ont été ensanglantées. Une fois de plus, l’esprit humoristique, ironique et intellectuel est frappé en pleine face par le poing du fascisme." (...) "Insondables illusions. Certains, bien entendu, verront dans ce qui s’est passé une sorte de justice expéditive à l’égard du passé colonial de la France ou de ses interventions récentes au Mali ou en Libye." (...) "La réalité a toujours prouvé exactement le contraire : ceux qui répondent à la satire par le meurtre doivent être non pas moins mais encore plus critiqués..."

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Vu de Tunisie. "Des imbéciles qui se réclament d'Allah", par Slaheddine Charlie Dchicha, Kapitalis (Tunis, 08-01-15), Courrier international, 15/21-01-15. CITATIONS : "Les fascistes qui ont tué les journalistes de Charlie Hebdo sont les mêmes qui égorgent des policiers et des soldats en Tunisie, et sèment la désolation en Irak, en Syrie et en Libye. Ainsi donc deux ou trois sinistres individus, parce que le hasard les a fait naître dans une famille musulmane, s’autoproclament porte-parole des musulmans et s’érigent en représentants de Mahomet voire d’Allah sur terre. Quelle prétention ! Quelle fatuité ! Quelle suffisance !" (...) "Ces criminels fanatiques et imbéciles prennent en otage les musulmans de France et d’ailleurs." (...) "Car ces fascistes sont les agents et les promoteurs autoproclamés d’un ordre totalitaire, le même qui émet une fatwa contre Kamel Daoud en Algérie. L’autoproclamation, voilà la malédiction du monde arabe et musulman." (...) "Le génial journaliste algérien Kamel Daoud a mille fois raison lorsqu’il affirme : "Si l’on ne tranche dans le monde dit arabe la question de Dieu, on ne va pas réhabiliter l’homme, on ne va pas avancer... La question religieuse devient  vitale dans le monde arabe. Il faut qu’on la tranche, il faut qu’on la réfléchisse pour pouvoir avancer."

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Vu du monde arabe. "Non, la France n'a pas mérité ça !", par Hazem Saghieh, Al-Hayat (Londres, 10-01-15), Courrier international, 15/21-01-15.  CITATIONS : "Les auteurs du crime contre la revue satirique Charlie Hebdo ont eu comme seules paroles, d’après ce qu’on en sait, les cris "Allahu Akbar” et l’affirmation qu’ils voulaient “venger le Prophète”. En revanche, des éditorialistes [arabes] et des militants des réseaux sociaux se sont efforcés de trouver des raisons auxquelles les criminels eux-mêmes n’auraient pas pensé et qui sont très loin de leur univers mental simpliste de terroristes. ///Cette ambiguïté, voire complaisance, dont ces éditorialistes font preuve face au crime s’explique par le sentiment que dans nos contrées le réflexe de faire l’unité [entre musulmans] prime les autres considérations. Alors qu’en un clin d’œil on voit les multiples guerres civiles qui déchirent le monde arabo-musulman, ce qui donne à cette “unité” un côté pathologique. Mettons de côté les accusations contre le sionisme, les mises à l’index de la France, des Etats-Unis et des puissances occultes, ainsi que les discours oiseux selon lesquels “eux-mêmes” [la France] l’ont cherché." (...) "Certains Arabes disent que les caricaturistes se sont moqués de l’islam mais pas de l’Holocauste. Le fait est qu’il y a une différence profonde entre les deux. Selon les dessinateurs de ce journal et selon les lois de leur pays, on a le droit de heurter les sensibilités religieuses et d’attaquer les symboles du sacré." (...) "C’est tout autre chose que de se moquer de drames humains récents, ayant fait des victimes dont des proches sont encore en vie. On peut se moquer de Moïse, mais pas de l’Holocauste." (...) "D’autres veulent “que les Juifs dégustent un peu, eux aussi, des souffrances que nous subissons” !  /// Or les Juifs ont bien assez dégusté au cours des dizaines de siècles, bien plus que nous Arabes. Personne, pas même les racistes parmi les Juifs, ne dit que les Arabes devraient subir la même chose. Certes, l’islamophobie existe dans les pays occidentaux. Mais il ne faut pas oublier que ces pays sont les seuls qui débattent de ce phénomène, l’analysent et le condamnent. C’est probablement la frustration que nous ressentons depuis [l’échec] des révolutions, échec qui nous prive de la liberté qui nous aurait permis, à nous aussi, de débattre de ces phénomènes, de les analyser et de les condamner."

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VU de Londres (article d’un écrivain, opposant syrien). Comment l'islamisme a triomphé, par Yassine al-Haj Saleh, Al-Quds Al-Arabi (Londres, 10-01-15), Courrier international, 29-01/04-02 :  http://www.courrierinternational.com/article/2015/01/29/comment-l-islamisme-a-triomphe Intro. Courrier int. : "Pour cet écrivain et opposant syrien, l’attrait de la modernité a été supplanté dans les pays arabes par la religion à partir des années 1970, alors que l’instruction cessait d’être un gage de progrès social et que se répandait la corruption." /// ARTICLE. CITATIONS : "L’acclimatation à la modernité n’a pas rencontré de résistance particulière dans le monde musulman pendant environ un siècle, de la deuxième moitié du XIXe siècle aux années 1970. Cela allait de pair avec l’amélioration des conditions de vie et l’apparition d’opportunités de promotion sociale, d’abord pour les hommes, ensuite pour les femmes." (...) "Quoi qu’il en soit, ce qui meut les sociétés arabes, à l’instar de n’importe quelle société, c’est la perspective d’améliorer la vie en ce bas monde." (...) "Que s’est-il donc passé dans les années 1970 pour que les choses s’inversent, pour que le voile soit à nouveau répandu et que les islamistes puissent prétendre se substituer à l’autorité de l’Etat ? On l’explique couramment par l’islam ou par une structure mentale propre aux musulmans. Cette vision des choses correspond à celle des islamistes eux-mêmes puisqu’ils prônent le "retour au véritable islam" et la primauté de la religion dans tous les aspects de la vie." // "Cette explication n’en est pas une. Pour commencer, parce que les musulmans ne sont pas entièrement  structurés par la religion. En revanche on peut faire remonter cette tendance, dont l’Etat islamique [Ei, Daech] représente le point culminant, à une idée forgée par  Sayyid Qutb, (...) l’idéologue égyptien des islamistes, idée selon laquelle il fallait s’écarter de la modernité." (Idée, dit l'auteur, qui s’est développée au moment où "les libertés reculaient" – dictateurs, enrichissements de tyrans." (...) "Ce nouveau climat a permis aux islamistes de répandre leur vision du monde. Aujourd’hui la première tâche consiste à renouer avec le progrès, c'est-à-dire à offrir au plus grand nombre des opportunités pour une vie meilleure."

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03/02/2015 | Lien permanent

Lecture de Roland Chopard. ”Parmi les méandres/Cinq méditations d'écriture”

1 CHopard.jpgÉcrire sans subterfuges et avec le désir de transgresser certains usages mêmes de la littérature: telle serait aussi la constance de la démarche.
Roland Chopard, Cérémonial du Livre/Première méditation 
 
L’œil était un élément cosmique mais aussi l’objet qui contient aussi bien l’infini que l’infime.
R.C., L’éveil/Deuxième méditation
 
Tout ce qui se fait vient de ces sensations intérieures en mouvement.
R.C. Les sensations mentales/Troisième méditation
 
Ces tris sélectifs prouvent aussi que la quête de soi est un long, difficile, mais indispensable travail poétique (…).
R.C. Le recours essentiel/Quatrième méditation
 
Ces mots qui se sont imposés sont des certitudes inconscientes qui désemparent l’œil (…).
R.C. L’effet (provoqué)/Cinquième méditation
 
Roland Chopard, Parmi les méandres/Cinq méditations d’écriture, L’Atelier du Grand Tétras, 2020
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À écriture intense, lecture intense, et longue relecture : c’est ce que mérite cet ouvrage.  Tout est dit, déjà, par le titre, le sous-titre et les exergues choisis par Roland Chopard. Une démarche difficile, plongée en eau souterraine de l’écriture. D’où vient son titre ? D’une pensée de Claude Louis-Combet, avec lequel il est en grande proximité d’exigence et qui offre une postface au livre. Voici cette phrase, dont la citation ouvre le livre, avant le Cérémonial du Livre, titre de la première méditation : "(…) l’expérience intérieure de l’écriture : un enfoncement méandreux en soi-même, à l’écoute de cette voix parfaitement limpide qui est cependant la voix de l’obscur, (…)". 
Dans les méandres on erre et on hésite, on accepte de se perdre. Et si c’est méditer en écriture on accepte de croiser de l’impensé, sans être sûr de pouvoir le saisir, en perdant la chronologie des bribes de conscience capturées. Donc pour entrer dans l’écoute de cette voix en soi qui permettrait de tracer des mots, et d’aboutir à un déchiffrement de l’espace secret à donner à lire à autrui, Roland Chopard choisit les voies indirectes, les détours que la dynamique même de l’écriture provoquera. Démarche de vulcanologue faisant émerger les scories et acceptant les brûlures préalables. Plonger c’est entrer dans la nuit profonde du soi, le non-su du langage, et extraire suffisamment de sens pour que ce soit dicible. Mais seule démarche qui vaille d’écrire. Cela c’est la dimension dans laquelle on entre en ouvrant ces pages. Et quels sont les auteurs dont les citations sont les exergues de chaque méditation ? Mallarmé, Char / Lao Tseu / Porchia / Steiner, Pessoa / Lautréamont… 
L’écriture comme méditation, et produit de la méditation. Paradoxe apparent, si on se souvient que méditer c’est se taire, entrer en silence. Au contraire, dit Stéphane Mallarmé en exergue, "méditer, sans traces, devient évanescent", et René Char insiste, "Le poète doit laisser des traces et non des preuves". Donc Roland Chopard suit l’exigence de Mallarmé ("du papier") et l’indifférence aux "preuves" édictée par Char. Alchimie du rêve plutôt qu’exercice mental.
Cérémonial du Livre, cette Première méditation. Livre avec majuscule. Comme Mallarmé, cet idéal du Livre absolu que tout écrivain authentique tente d'atteindre. Mais aussi comme Roland Chopard typographe-éditeur (AEncrages), pour qui l’objet livre est sacré. Dès le début de ce premier chapitre c’est parole de peintre, pour dire le commencement de l’acte de tracer. "Jouissance" que "noircir" le blanc de la page. L’écrivain va inscrire des signes sur du blanc, comme le calligraphe déroule des traits, et comme le peintre qu’il est aussi le fait. Cérémonial que cette mise en état d’écriture, mais sans rites, dit-il. Il sait que ce qui s’écrit et va s’écrire est le produit d’une lente maturation, un silence des mots en apparence, mais sourdement une écriture en gestation. D’où "un (re)jaillissement de mots"… Mais tracer obéit à une "intuition" qui permet d’appréhender la démarche adéquate pour "le véritable sursaut dans l’inconnu", loin du confort d’un savoir déjà là. C’est aussi tracer contre la perte de ce qui émerge et peut disparaître, et la perte de soi. Et c’est toujours le geste qui déclenche un autre geste intérieur pour répondre à une urgence intime.
 
Peinture de nouveau. Il compare les deux pratiques. Celle qui importe, là, est l’écriture. Mais SI… Si l’expression de ce qui vient passait par la peinture "ce serait par (dans) l’abstraction qu’il trouverait toutes les ouvertures". Mais comment, écrivant, s’affranchir "des apparences visibles du monde, réel ou imaginaire" ? Comment "concrétiser l’abstrait", et échapper à ce qui serait le figuratif dans l’écrit ? D’abord, "fuir les anecdotes". Poser des mots pour créer "la matérialité de la page noircie". Affaire d’œil. Plusieurs pages sur l’œil. Trois acteurs : le cerveau, l’œil, la main. Mais pas la parole ("mutisme qui le préoccupe"...). La main trace, l’œil évalue ou produit. Ce questionnement rejoint ce qu’il exprime de la démarche créative en marge de mes photographies abstraites dans notre livre commun. Il sait pourtant qu’un livre est en train de se poser sur les pages, ce "livre insoupçonné". Est-ce que "tourner en rond" c’est négatif ? Non, dit-il après avoir douté un peu : "les répétitions sont des valeurs qu’il prend en considération". Les méandres ne sont pas que l’espace de la profondeur intérieure, ils sont aussi ce que l’œil qui écrit veut parcourir en revenant poser des épaisseurs de mots sur des mots. Répétitions, surimpressions. Ce qui se rajoute efface, et c’est ainsi que le parcours élabore la voix "limpide" dont parle Claude Louis-Combet. Rituel d’écriture, sans rites superficiels. Vers le livre, "comme une quête de soi". Pas vers soi, de soi. Soi étant la matière du livre. 
 
Il. Pas de je pour exprimer son expérience. "Il" crée la distance nécessaire pour échapper aux anecdotes de surface.
 
Les mots entrent "dans l’expérience d’une austère et prégnante méditation". Et c’est toujours "ce constant effort de l’œil". C’est très novateur, cette manière d’investir l’écriture. Pas au sens où on le dirait d’un mouvement qui se voudrait moderne. Au contraire. Car penser en moderne ce serait être entré dans l’acceptation des "subterfuges", ce qu’il refuse.
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Lao Tseu met en garde contre les pièges de la vérité qu’on croit vérité. Car ce qui s’exprime "n’est pas la vérité absolue". Et il oppose "éveil" et "confusion". Mettre ce grand sage en exergue à une Deuxième méditation titrée L’éveil, cela intrigue. Va-t-on lire un témoignage mystique sur une expérience d’éveil, au sens d’un saut de conscience vers le Soi qui est plus que le soi ? Pas tout à fait. Mais alors comment associer les deux ? Car pour Lao Tseu il n’y a qu’un éveil, celui qui nous sortirait de notre condition d’endormis dans l’inconnaissance. Celui qu’écrit Stephen Jourdain dans Cette vie m’aime (Le temps qu’il fait, 1987). Lisons, alors…  
Au départ le cri du nouveau-né qu’il fut, que nous fûmes tous. Et, question, comment de ce cri arrive-t-on à l’écriture d’un livre ? Après des décennies de gestation. "Longue latence" (…) "travail secret". C’est cela aussi qui se produit chez les méditants cherchant l’éveil. Dans le silence de leur vie, sans afficher quoi que ce soit, voués à un processus intérieur qui n’a pas besoin de publicité, qui ne produit rien et ne doit rien à personne. Pas besoin de paraître, seul celui qui le vit le sait, et cela échappe à toute mesure sociale. Ce dont rend compte Roland Chopard est effectivement très proche de ces processus mystiques (même si ce n’est pas du tout son sujet). Car tout ce long travail sur la langue jusqu’à l’élaboration d’un texte à publier est passé par des étapes similaires. Le jeu, la présence au corps, la recherche, le temps. La pensée sur le "relatif", sagesse de lucidité. Le doute. L’exigence qui repousse le moment de faire exister hors de soi "l’essence des mots". 
 
Je vois là un cheminement qui peut correspondre à une voie initiatique. Et donc à l’affrontement, en soi, de ces étapes qui sont des morts traversées. Il écrivait, beaucoup, "lancé sur les pistes d’une singulière exploration". Jusqu’à l’élaboration d’un texte qui pouvait être livre. Mais c’est là qu’intervint le hasard de la destruction de toute trace de ce travail longtemps mûri. (C’est le sujet du livre antérieur, Sous la cendre, Lettres vives, 2016, recensé ici, voir le lien en fin de note). Choc, et traumatisme qui rejaillit sur le rapport aux mots. Vouloir "remplacer" l’œuvre perdue et se perdre un peu dans des recherches formelles et étymologiques, avec Edmond Jabès pour maître. Pas si formel ce jeu du langage, même si l’œil, extirpé du mot soleil, devient "un élément cosmique" et le soleil son "extension". Car cela provoque une analyse qui fonde un rapport à l’art. Même si, alors excessive, un temps, advient la croyance en "un pouvoir exceptionnel, démiurgique" de "tout acte d’écriture". 
 
Mais tout ce travail sur la langue, longtemps, et longtemps d’écriture sans publier, cela n’avait pas été sans produire une prise de conscience, un "réveil". Détachement par rapport à ces "carrières" d’écrivains à plein temps quand son écriture s’était inscrite dans les interstices libérés entre des tâches prenantes. Et plus de temps, ensuite, ne changeait pas ce regard détaché. Même l’expérience de la perte accidentelle des écrits a pu prendre une signification différente. Le désastre est peut-être devenu expérience fondatrice. Occasion d’un changement de perspective, de l’accès à la réalité de son identité d’auteur, loin des reconnaissances illusoires, artificielles, des miroirs inessentiels. Loin des polémiques stériles. Ce qui était perdu "continuait de subsister" (autrement, traces différentes). "Mais les pertes irréparables prenaient la valeur exemplaire d’un sort désormais ouvert en même temps sur un nouveau commencement." (…) "Il pénétrait dès lors, dans cet autre espace, là où s’ordonne, patiemment, la présente méditation : être dans un état de surveillance, d’éveil minimal, d’activité passive (…)."
 
C’est là que l’exergue prend sens. Car c’est une expérience de l’écriture qui est créatrice d’une autre conscience. Juste pour cet espace décalé entre les émotions du moi et une implication détachée, où je devient il. Accès enfin libre au lieu de son écriture authentique, qui ne cherche pas à séduire, mais, comme le dit René Char, inscrit des traces, non des preuves. Lieu d’une vérité relative, assumée tranquillement, libre de tout risque de confusion. Lao Tseu est entendu. Pour une métamorphose essentielle, à mesure humaine. "Retrouver une certaine pureté et même cette naïveté et cette ferveur lui suffisait." 
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Antonio Porchia introduit la Troisième méditation, Les sensations mentales, pour exposer une attitude intellectuelle  faite de laisser-faire, de renoncement au mental agissant par une volonté qui risquerait d’être celle du moi factice (on pourrait dire de l’ego). Acte de confiance en une dynamique intérieure qui sait mieux que la pensée de l’intellect. Une non-pensée agissante autrement. Le non-agir de Lao Tseu se retrouve là. (À ne pas confondre avec une paresse de retrait du monde. Non, une présence d’un autre ordre à ce qu’est le flux vrai de soi et du monde, le flux vrai de l'écriture).
 
Et Roland Chopard reprend ceci dès la première phrase. "Il sait bien que 'tout continue à se faire' en lui 'tout seul', car il y a ces sensations mentales, inviolables, - un ressassement à voix basse persistant en est la preuve - qui sont une incitation à faire surgir cette nouvelle matière vivante pour tenter cet arrachement salutaire." Ainsi, "sensations mentales" et non idées. Sensations. Ce qui se perçoit mais ne se cherche pas, ne se décide pas. 
 
Un troisième temps méditatif d’examen de l’expérience d’écriture. Prolongement mais aussi retour et recul sur le premier temps. Il observe ce qui se produit, continue à se produire de ce phénomène d’écriture en gestation. Fouillant dans le cerveau de ce il qui est lui. Distance prise avec le je. Mais la part subjective est là, comme matière de cette maturation. Ce que le corps et le cerveau créent avec le langage. Des bribes de mémoires de mots d’autrefois remontent à la conscience, altérées peut-être par le temps. Mais si cela vient ainsi c’est qu’il y a une raison, le cerveau met naturellement de l’ordre dans le "bouillonnement intérieur". Le désordre apparent des remontées de mots tient à la logique interne de la dynamique des méandres. Et les sensations mentales, spontanées, sont une matière pour le cerveau. Ces opérations mentales, "sensations", sont des phénomènes insaisissables mais œuvrant à l’élaboration de l’écrit. Malgré lui. Des bribes extérieures étrangères (lectures, citations) peuvent être des déclencheurs ensuite abandonnés. Ce laisser-faire qui s’observe demande cependant de faire un pas de côté. Même la subjectivité est matière. Et si le temps fait des ravages, altère les facultés peut-être, il a l’avantage de forcer un dépassement, d’épurer le magma trop riche. Tout finit par être "adéquat", pour faire advenir du sens. Une béance pour l’écriture, et la trace. "Une fulgurance se glisse subrepticement dans le flux disparate des strates, de tous ces lambeaux de gouffres, à saisir, comme des signes enfin perçus de cette réalité silencieuse et singulière."  Le temps est annulé, car ce qui vient d’une ancienne formulation mentale est réinvesti autrement. Pour "un (sur)saut dans le vide". 
 
Cela passe aussi par la frustration. Car cette respiration mentale efface et réinscrit sans cesse. Mais en ascète de l’écriture il en accepte l’enjeu. "Un ascétisme qui n’a rien de religieux." Une "exigence : d’une éthique autant que d’une esthétique".
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En exergue à cette Quatrième méditation, Le recours essentiel, Georges Steiner (pour le lien entre écriture, mémoire, et oubli) et Fernando Pessoa ("poète" de sa "prose")…  Que faire de traces d’écrits perdus que la mémoire reprend par bribes ? Les agencer pour créer des poèmes, vers libres ou formes autres réinvestissant ce qui fut ? Non. En quelque sorte il préfère détruire la mémoire de ce qui le fut par hasard, poursuivant l'effacement, en faisant au contraire matière de travail. En anéantissant ce qui appartient au passé enfoui  de la création il fait basculer l’écrit dans une autre dimension. La forme répond à la démarche. Et il crée "une prose qui ressemble à des suites de stances", dans un rapport paradoxal avec la poésie (avec "une certaine poésie") : distance, formelle, et proximité ("en approcher ses potentialités"). Le parcours de méandres intérieurs est une acceptation et une fuite. L’écriture aussi, dans ce qu’elle refuse des "figures typiques de la rhétorique et de la poésie", et bascule alors en "une écriture blanche mais assumée". Risque mesuré. 
 
Le rythme dont il parle et qu’il associe au regard (pendant qu’il écrit cela s’organise selon "des réactions rétiniennes plus compactes") pendant qu’on lit on le perçoit aussi à l’œil. Paragraphes denses et courts, espacés régulièrement, une respiration entre chaque densité de mots et la suivante. Il a choisi de ne pas se situer dans le confort d’un "genre" littéraire. Poème ou essai ? Fragments ou stances ? De même, dans ce choix de ne pas se plier aux injonctions de normes codifiées, il évacue ce qui surgit des émotions du je, ni "euphorie" ni "pessimisme" ou "inquiétude". Poser les émotions comme des faits pour anthropologue de soi-même. Il a trouvé, pour ces pages, "musicalité", "souffle", ‘"rythme". Et perçoit le processus souterrain qui est porté par les mots présents et annonce la potentialité d’une dynamique future d’écriture déjà agissante. 
 
Paradoxe d’œil. On découvre le livre page après page. L’œil ne peut saisir l’intégralité du texte qui fait livre. "Il faudrait que l’œil puisse voir le livre dans son intégr(al)ité pour savoir s’il existe vraiment."
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Par l’exergue, Lautréamont nous oriente dans "ces pages sombres"… Le sont-elles, sombres, celles qui suivent ? Pour cette Cinquième méditation, L’effet (provoqué)… Lisant, dès le premier paragraphe je retrouve le terme "initiatique" que j’ai utilisé en commentant la première méditation… Il sait pouvoir caractériser le déroulement de ces méditations en "parcours initiatique". Et les "tourments" du créateur qu’on a pu lire dans la traversée, il dit les avoir affrontés pour petit à petit s’en défaire. 
 
Revenant sur la forme des textes, fragments successifs de quelques lignes, il ne veut pas que le sens perçu soit celui de morceaux dispersés mais bien d’un ensemble élaboré. "Ce serait nier tout le labeur". Et c’est encore l’œil qui est le maître de la structure écrite et lue. Pour "transcender" les "errements" le "flou" est ici méthode de rigueur. Oui. Comme en photographie. On peut choisir de laisser advenir la part d’errance du sens, pour plus de sens. Dans ces pages c’est pour correspondre exactement aux étapes du processus. Le flou "brouille les pistes anecdotiques des lieux et des temps".   Et de nouveau le rôle de l’œil et de l’oubli. Pas de page possible, ni de livre, sans le regard. Pas de travail sans les séquences archaïques de la mémoire, sans l’oubli. "C’est la conscience indéterminée d’un chantier labyrinthique entrevu dès les premières errances et qu’il réinvestit, toujours avec audace et insistance."
 
Il faut du courage pour une "exploration intérieure" qui n’est pas "que de pensées". Ce n’est pas un essai qu’il écrit. Et pour saisir ce qu’il faut inscrire il choisit un statut autre, pour "retrouver les gestes élémentaires de l’artiste". Gestes mentaux et gestes concrets. Cela signifie choisir de créer en soi un espace vide qui peut laisser émerger l’imprévu des signes que le cerveau se fait à lui-même. Mais c’est assumer d’affronter "griffures" et "béances". Il faut saisir ces "matériaux psychiques" qu’une cristallisation mentale élabore en "une écriture comme venue de nulle part" et qui est cependant issue du cri premier du né au monde. Cri, parole, écrit. Fondre  ces signes en une essence primordiale, ou pe

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22/04/2021 | Lien permanent

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