24/06/2019
"Simplement... Presque blanc...". Lire la poésie de Jean-Claude Tardif
J’écris / pour oublier la parole
Je parle
pour écrire simplement
plus haut dans l’air
Jean-Claude Tardif
Simplement… Presque blanc… (Éditinter éds. 2018).
Le titre du recueil est l’affirmation d’une exigence, qu’on peut comprendre, première lecture, comme une poétique humble.
Que signifie « simplement » ? Est-ce une manière de dire « Ce n’est que cela » ? Ou de dire « Il n’y a rien à ajouter sur ce qui est offert ici en lecture : c’est juste posé, donné, sans volonté de complexification artificielle » ? J’y lis une éthique inverse de l’arrogance. Par un auteur qui a une très vaste culture poétique et une conscience aiguë de ce qu’est écrire.
Et « Presque » ? C’est le mot de l’intervalle entre ce qui est là et pas tout à fait là. Le mot de la marge, justement pour qualifier le « blanc », terme polysémique en poésie, mais aussi blanc des marges, quand le poème est dense, volontairement fragmentaire. « Presque » est l’adverbe du poétique, où le sens doit être évocation ouverte plus qu’affirmation fermée. Pour que le lecteur assume la part de co-création du texte.


Mais aussi parce que sont problématiques les réalités de notre modernité dans le rapport au « dire vrai « , en général. Cela c’est le contexte de toute expression consciente. Mais plus encore pour la poésie, car elle va plus loin que toute parole, que toute écriture, dans son rapport avec les ombres et les lumières tapies dans notre inconscient.

le temps, l’espace, les choses (« Art poétique », rééd., Poésie/Gallimard


Premier poème du recueil, le temps, mais celui, infime, entre une seconde et une autre, ce « rien ». Puis, page suivante, poème bref de trois vers, une question devant le miroir. Et la réponse qui suit, autre page, c’est encore le « rien ». Moi, en lectrice des taoïstes et bouddhistes, j’y vois une parenté philosophique (peu importe si lui la voit ou pas, le questionnement est là). Conscience du vide et volonté de le dire. Un constat, mais dans les sagesses évoquées c’est aussi un objectif, pour être capable de se déprendre du « moi » qui nous encombre, alors que nous pouvons savoir que peut-être dans le miroir il n’y a rien, le réel ultime étant autre, même nous. D’ailleurs il le dit : « En soi / se retirer / de soi / et plus encore /// comme / si le néant voulait dire / quelque chose ».
Le mot « silence » revient souvent dans ces pages, ce « trou blanc ». Et la méfiance devant les mots qui induisent en erreur et deviennent « cendres » / « sur la peau », mémoires paradoxales de douceurs heureuses. Notre vie a un rapport avec la mort et l’écriture en est la dépositaire. Si le mot juste échappe, alors il faut exiger plus, dit-il, en parlant de hauteur, et aller chercher à extirper le silence du corps même, celui qui s’insinue.. Exercice lucide de regard sur le rapport avec soi et le langage, la parole qui pout mentir. Cela passe par la peau, le corps. Il faut déchiffrer les traces dehors et dedans. Se taire peut être parfois proche du cri. Dire proche du masque.
Le blanc n’est pas que la marge ou le neutre, il est la non-couleur (la couleur, ce « mythe »), et le non-savoir reconnu. Écrire un poème est une entreprise de lutte avec le silence, aussi, et avec les mots qui pénètrent et bousculent notre être intime. Car les saisir c’est être traversé par eux, donc changé. Écrire « un » poème. En sous-titre c’est noté « poème(s) », car les poèmes brefs tissent « un » poème, une méditation suivie.
À l’inverse du blanc, dernier poème, autre non-couleur, le noir du point, d’une mouche sur un drap, d’une tache sur la peau. Ce reste qui emplit le vide en dehors du blanc, et qui est aussi l’espace de la mort. Ce dernier poème renvoie au premier, faisant penser au temps : « rien / si peu /// et pourtant ». Et pourtant toutes nos vies… La boucle du temps, structure circulaire du recueil.
Impossible, pour moi, de ne pas rapprocher ce livre de deux autres de Jean-Claude Tardif. Les titres trahissent la proximité des thèmes, en tout cas de certains, car chaque livre a sa logique, sa nécessité. D’abord « La vie blanchit » , éd. La Dragonne, 2014. Thématique du silence, aussi. Mais présence de gens, de lieux revisités,
réflexion sur la vie, la mort, la mémoire et l’oubli. (Un recueil où on entre facilement, car il fait le récit de moments du quotidien, des émotions du quotidien). Qu’est-ce qui blanchit ? Peut-être le temps. Peut-être quelque chose en nous qui se glace parfois devant les séparations, les pertes, ce qui disparaît, n’est plus. Ensuite « Nuitamment », Cadex Éds., 2001. La nuit n’est pas le noir du recueil actuel, mais le temps de l’intime, de l’amour (belle préface, une page, de Marcel Moreau). Donc le sombre peut avoir une autre signification, et le noir, dans ce livre, n’est pas non-couleur. En exergue au recueil, Baudelaire : « Ceux qui savent, me devinent ».

Je garde une tendresse particulière pour le recueil dont j’ai fait une recension antérieurement, « L’homme de peu ». Je mets ci-dessous le lien vers la note. C’est de ce livre que Philippe Claudel a pris une citation pour l’exergue de son roman « Les Âmes grises »…
MC San Juan
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Livres de Jean-Claude Tardif chez Éditinter, dont celui-ci (tout en bas, car 2018), disponible pour 8 €. Résumés, présentations, sur la page de l’édition… .
Ma NOTE du 17-07-2018 sur « L’homme de peu »…
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