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25/06/2019

"Autopsier un mirage". Dossier Michel Mourot, poète et photographe (À L'Index N° 38)

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photographique un en-deçà de la langue
où la nuit se sente progresser
     Michel Mourot, 'Dans le coeur de la distance', éds. de La Différence, 2005
 

michel mourot,poésie,photographie,À l’index,À l’index 38,autopsier un mirage,jean-claude tardif,hervé carn,michel cosem,michel lamart,patrick mouze,béatrice pailler,christian travaux,james sacré,denis rocheAu centre du paysage, un œil.
et la lumière comme on sculpterait 
le tonnerre d’une caresse
   Michel Mourot, 'Façons du feu, Façons du froid' (31 poèmes hors recueils). À L’Index 38, 2019
 
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comme d’un objet fractal.
chaque vers, la réduction
exacte du poème entier
    Michel Mourot, 'Approches du poème par le désespoir de l’air'
(Textes du tapuscrit hors recueil, À L’Index 38, 2019. Ce titre est dans le recueil 'Intimités du chaos', éds de La Différence, 2007)
                                       Michel Mourot (poète et photographe, 1948-2009)


Je n’avais jamais rien lu de Michel Mourot, dont je ne savais rien, et donc pas du tout ce qui m’a tout de suite interpellée et intéressée : qu’il soit poète « et » photographe. C’est ce « et » qui m’a donné envie de lire attentivement ce dossier au beau titre, « Autopsier un mirage » (titre qu’on retrouve en entrée du texte de Michel Lamart, qui étudie, notamment, la création photographique et le visible dans la poésie de l’auteur. Ce titre traduit bien le projet du dossier complet, qui veut nous faire pénétrer dans le mystère d’un destin d’écriture et de regard (interrompu par un accident de voiture). Mais dit aussi à quel point il ne se donne pas d’emblée. Et « autopsier », le poète cherche cela dans son écriture et pour l’écriture. Il y a une acuité de recherche qui se veut en quelque sorte une effraction du langage. Dans certains textes il déchire tout : lignes, mots, syllabes, lettres, signes. Même la ponctuation est détournée de ses effets (un point suivi d’une minuscule, par exemple, prend un autre sens que celui d’une fin de phrase, il marque son espace dans la phrase même). Parfois c’est cela et parfois pas du tout. Deux directions, deux manières de faire trace.
 
Jean-Claude Tardif, l'éditeur, nous dit, en un bref avant-propos, les conditions de l’existence de cette publication. Rencontres, fidélités. Les sept contributeurs nous font entrer dans l’intimité complexe d’un artiste, et dans une oeuvre qui est beaucoup, me semble-t-il, déchirure. 
 
Ainsi, on lit…
Hervé Carn (qui se souvient de ses rencontres avec le poète, autour du cinéma et de la poésie).
Michel Cosem (poète et éditeur, qui le publia, à « Encres vives »).
Michel Lamart (à l’initiative du dossier ).
Patrick Mouze (qui présente des inédits).
Béatrice Pailler (qui écrit des poèmes en marge des photographies de sol et d’eau).
Christian Travaux (qui étudie les paradoxes du travail de « désécriture »  du poète, sa « rage » à casser, biffer, griffer, abréger, pour, dit-il, « écrire l’écrire »).
Et le poète James Sacré (qui le connut par le hasard d’une recension que fit Michel Mourot sur un de ses livres, ce qui le fit vouloir le rencontrer). Et qui, rappelant le méchant propos d’un poète d’alors au sujet des textes de Michel Mourot qu’il qualifiait de « galimatias », dit que l’auteur, lui, ne prenait pas cela péjorativement, car il y retrouvait la qualité (donc au contraire de l’intention négative) de sa démarche de déconstruction. James Sacré, montre justement, à partir de cela
 (rejoignant la lecture de Christian Travaux) la force littéraire de ces biffures et cassures - car elles sont conscientes, et nommées dans les poèmes (« gestes foudroyés », « séisme »). Oui, il y a toujours des gens qui veulent avec arrogance juger les autres sans les comprendre… Et, à l’inverse, des écrivains se faisant lecteurs pour révéler ce qu’ils reconnaissent dans une œuvre, comme ceux-ci dans ce numéro.
 
Michel Mourot affirme une volonté formelle de la destruction des normes du poème, tout en cherchant avec obstination à construire, à structurer le poème et le recueil (on voit des plans divers et des variantes), en défaisant et reprenant autrement l’ordre et les titres. Il bouscule, crée des scansions, des heurts, met des signes, des chiffres, des parenthèses…
Parenthèses. J’aime ce mode de pensée, car c’en est un, où on inscrit ainsi l’in-fini (le non fini) d’une interrogation sur le sens. Façon de dire que rien n’est figé, qu’il y a encore autre chose à dire. Et même s’il n’y a rien de noté, juste le signe, la parenthèse est l’inscription d’une digression intérieure, la pause dans la pensée pour plus de pensée (ou au contraire la méfiance de ce qui serait un « trop » de pensée). Et simplement l’espace suggéré du regard non transcrit. Le photographe en lui sait qu’il ne peut tout dire de la vue, que la poésie est visuelle mais échappe cependant à une totalité illusoire de la captation des images. Entre la poésie et la photographie Denis Roche mettait un « parce que » liant les deux créations, l’une imposant l’autre. J’ai l’impression que, quoi que puisse être une possible concordance entre eux (puisque Michel Mourot connut et apprécia l’oeuvre de Denis Roche) c’est différent. Je crois que ce serait, là, un « malgré ». La poésie malgré la photographie, et inversement. Tension : « Cerner le lieu, qu’y puis-je ? ». Mais de toute façon l’œil est omniprésent. Écrivant c’est parfois comme s’il frottait les mots pour les user et en faire sortir le visible, rien que le visible, à force d’effacer le reste : « Les abréviations sont des mots foudroyés ». (Poète foudroyé ?).
 
J’aime, dans les trois photographies proposées, que ce soit matière d’eau, présence du sol, « matière-fantôme » : « Je photographie la pluie » écrit-il. Et : « la voix nous vient des pierres. / on n’échappe pas au sol. » Il va loin, dans ce sens : « l’écriture me vient des pieds ». Peut-être car ainsi il poursuit l’auscultation du réel et de soi, mais pas devant une table. Saisir la topographie des lieux comme il trace une typographie heurtée. Démultiplier les cadres du réel en marchant, car les regards successifs impriment des images en surimpression, et cela dérange l’immobilité, les certitudes sur ce qui est. Alors que l’immobilité peut faire mentir la perception. Ainsi il déchiffre les « cicatrices de la terre » et choisit «  Plutôt l’incertitude ».
 
Pour moi c’est une rencontre majeure que cette lecture. Émue devant des proximités étonnantes (en ce qui concerne la photographie et ce qu’on peut dire de la photographie). Moi avec ma série de flaques, fascinée par ces surfaces d’eau, ce qu’elles révèlent. Mes ombres sur le sol, et ma réflexion sur ce rapport au sol, à la surface. Mais j’aimerais que des photos de lui soient regroupées dans un livre (avec ce qu’il a pu écrire sur la photographie et le regard, dont les citations lues dans À L’index, à ce sujet). 
 
J’aurais aimé le citer beaucoup plus, tant j’ai apprécié de passages des textes. Mais il y a la revue pour les lire… 
 
MISE à JOUR... Le dossier est complété par un CD. Je l'avais vu, pas encore écouté au moment de la recension (un problème technique sans doute, je ne sais plus). La VOIX... Entendre les poèmes dits apporte une dimension particulière, une émotion, et certainement une compréhension supplémentaire.
 
recension © MC San Juan
 
Réponse au commentaire (transmise aussi directement).
Merci, Michel, pour ce retour. C'est précieux, quand on écrit sur le travail des autres, que savoir comment ils reçoivent cette lecture. Ces recensions sont l'autre face de mon écriture, qui compte, car la lecture est au sommet des pratiques préalables à la création, pour moi. J'ai aimé ce dossier, beaucoup, car il traite de questions qui me sont intimes, et l'art double de Michel Mourot est celui d'un frère en regard. Les auteurs qui ont ouvert, avec art, le sens profond de sa démarche ont fait oeuvre juste.
Et, oui, il manquait la mention du CD, la voix. Et c'est effectivement un "plus" dans ce dossier. C'est très émouvant d'entendre ainsi des poèmes dits. Depuis j'ai fait une mise à jour.
 
LIENS... 
Sur une conférence (à Reims, par Michel Lamart et Patrick Mouze ) autour de ce numéro d’À L’Index…Texte introductif. 
Bio-bibliographie, liste des livres (dont plusieurs à rééditer…).
À L’Index N° 38
Commande : Le livre à dire, Jean-Claude Tardif, 11 rue du Stade, 76133 Épouville. Le dossier, et le CD associé (voix de l’auteur) 17€

Commentaires

Merci chère Marie-Claude pour la richesse de votre recension. Vous avez su saisir l'essentiel de votre réception dans des formules qui rendent compte d'une vraie rencontre intellectuelle et poétique. Quel cadeau vous nous faites en retour, nous les concepteurs du numéro! J'aurais aimé connaître aussi votre impression à l'écoute de la lecture du CD. Car il s'agissait bien, pour moi, de faire entendre une voix.
Très cordialement,
michel lamart

Écrit par : michel lamart | 12/07/2019

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