30/07/2021
Ritournelle pour un jardin de pierre, de Michel Lamart (suite d'une lecture esquissée le 19-05-21)
Ritournelle pour un jardin de pierre, de Michel Lamart, À L’Index, coll. Les Plaquettes, 2018.
Quand j’ai commenté le titre c’était pour rendre compte d’un ouvrage que j’aurais voulu lire (qui était épuisé - et que, depuis, j’ai pu lire). Pour une note sur plusieurs plaquettes, toutes liées au regard. Mais j’avais lu quelques mots sur le site d’À L’Index (Le livre à dire, Jean-Claude Tardif). Et je connaissais suffisamment de textes et travaux de Michel Lamart pour avoir l’intuition de sa démarche et pour deviner que ses mots, accompagnés par des monotypes de Marie Desmée, devaient être un riche exercice de regard. J’avais lu ce qu’il écrivait dans un beau dossier, Autopsier un mirage, consacré à un poète photographe, Michel Mourot, publié par À L’index (n° 38) et recensé ici.
Et le titre, lui, était là, pour faire son office de titre. C’est-à-dire, avant qu’on ait ouvert la moindre page, laisser imaginer ce que pourrait être l’ouvrage (et constater ensuite qu’on a pu se tromper, ou qu’au contraire on a eu l’intuition d’au moins une vérité des textes…). Ritournelle, c’est léger, c’est humble, un petit chant sans importance (qui ne veut pas se donner d’importance), mais c’est aussi ce qui malgré soi tourne dans la tête, avec ses refrains, ses répétitions, le léger devenant parfois triste. Et si la ritournelle est offerte à un "jardin de pierre", plusieurs possibilités (seule la lecture saura…). Je pense aux jardins zen, superbes et dépouillés, espaces de méditation, voulant signifier un détachement qui capte l’éternité. Je pense aussi aux déserts de pierre, juste avant le sable, secs (j’en connais), lieux qu’on peut aimer (adorer) et qui donnent envie d’y rester, où la seule herbe est de cailloux. Jardin de pierre, cela évoque les cimetières, où, sur les tombes, on pose des pierres en hommage. Mais la pierre peut signifier aussi ce qui est dur et froid, les déserts émotionnels, des douleurs qui figent, ou (qui sait ?) des joies qui sidèrent. En tout cas le titre est bon, qui donne à penser, en se trompant peut-être. Ou pas. (Si les significations se cumulent, ce qui est parfois le cas).
Puis j’ai pu lire. Et je garde le sens que mon déchiffrement prêtait au titre. Il convient à ma lecture de l’ensemble. Qui suit…
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En exergue, Jacques Dupin ("rien qu’une image / qui s’enfonce / dans le glacier", Contumace), et une maxime sans auteur (la crainte qu’aurait le Bouddha "face à un poète mineur").
Plusieurs parties, six. Voir en soi, Dans le paysage, Recherche du sommet, Être de pure lumière, Népal, Retour du Népal.
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Voir en soi
Comme dans son récit de lieu (Eire, Encres vives, note suivante) on retrouve le désir de garder en soi la trace de ce qui est regardé, de l’inscrire en soi, et dans le poème, mais aussi de savoir regarder autrement ces sommets.
"Mais ils ne sont
Pas toi"
En faire un exercice d’acceptation de son étrangeté. L’être minéral ne se mesure qu’à la marche ascensionnelle. Mais le poète cherche à dire la "Minéralité
Du paysage"
avec ce qui serait la "Minéralité
De la langue"
À moins que ce ne soit la langue qui résiste, comme la pierre.
Histoire de voyage, de corps, et d’âme. "Mesure
De l’infini"
Ce qui en rend compte c’est le "blanc", la "neige". `
"Neige métaphysique".
Le voyage des sommets est une expérience de dépouillement de soi, des mots (donc du mental).
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Dans le paysage
"Tu es
Ce que tu vois"
Une frontière est franchie, là. Comme l’effet de ce vide mental installé, pour n’être que regard.
"Regarder
À travers soi
Ce qui n’est pas soi
Et nous domine"
Savoir de présence au lieu et rien d’autre que cela. Entrer "Dans le paysage".
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Recherche du sommet
Le sommet enseigne le contraire de la domination. C’est le sens de cette partie. Et il enseigne ce que l’homme n’est pas et ce qu’il est. Valeur de l’humain qui doit partir de l’humain. Le mot "base", ici, fait penser au "pas" de Lao-Tseu ("Le voyage de mille lieues commence par un pas"). Mesure. Le peu pour le plus, sans vouloir le plus. Et conscience de la Nature, qui ne se domine pas.
"La Nature / N’est pas / La mesure / De l’homme
Elle enseigne / À l’homme / Qu’il ne doit pas / À elle / Se mesurer"
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Être de pure lumière
Et de nouveau l’esprit du Tao (ma perception). Le non-agir de Lao-Tseu. Mais la maxime sur la crainte du Bouddha prend sens aussi, là. Car le Bouddha en soi préfère le silence et le rien immobile. Pour créer le possible de la traversée par l’énergie transformatrice. Donc le poète lâche les mots le temps de sa présence à la fois à lui-même, "Hors / Le chaos / des mots", et sa présence aux sommets de pierre. "J’adhère à la montagne". Comprendre à la fois une adhésion de compréhension de ce que dit la nature à l’homme, et adhésion physique, comme écrit dans les deux premiers vers de cette partie sur la "pure lumière".
"Réconcilier en moi
Biologique et minéral".
Alors savoir "L’universelle continuité
Des êtres et des choses".
Expérience de méditation, tant dans la marche que dans l’assise, dont les traditions savent que l’assis "Involue", écrit-il. Retour à la profondeur sans mots, et démarche du "voir" comme le conçoit Georges Didi-Huberman, il me semble (tel que je le lis).
Feu qui brûle pour un retour à l’essentiel. Mais l’être est
"Brûlé vif
Par sa propre
Parole"
Retournement. Il brûle ce qui le brûle.
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Népal
Marche nécessaire, et peut-être inutile, se demande-t-il, repensant à la chambre de Pascal…
Si "L’infini
Est en nous".
Mais cette confrontation à un ailleurs, en refusant les pièges des images touristiques, produit une sorte d’intégration d’une identité qui dés-identifie, met hors de sa langue, donne au corps une proximité avec les éléments et paysages. Un devenir hors appartenances. "Je suis le jardin de pierre"… Et le "torrent", le "mur de pierres sèches", le "Yak", le "paysan". Je suis ce que je vois, donc, dit son expérience. Et il évoque autres errants "célestes"… Walt Whitman, Kerouac, Thoreau, Rimbaud, Nietzsche. Habité par le renoncement "à tout", car "tout m’est offert".
"Le rien devient
Tout"
Un espace créé en soi. Ce n’était pas inutile…
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Retour du Népal
Conscience que celui qui revient n’est pas le même qui partait.
Et que le retour n’est pas séparation totale, le pays quitté demeure en soi. Ce qui a été, départ, "l’arrachement au sol" fait voir en soi un des "cailloux" du "Jardin de Pierre" (jardin métaphore, à la fois, de notre planète et d’un univers intérieur. Qui pourrait être le jardin zen des méditants, que le titre me faisait voir avant même la lecture des pages. Symbole d’une pureté d’être, pas inaccessible, mais à portée de qui se dépouille des charges mentales qui encombrent.
Le poème dit le rêve d’une métamorphose humaine par la rencontre des sagesses d’Orient.
"Voyager / C’est philosopher"
(Oui. Écrire, aussi...)
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Recension © MC San Juan / Trames nomades
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LIENS...
Page Michel Lamart. Le Printemps des Poètes… https://www.printempsdespoetes.com/Michel-Lamart
Michel Lamart, Carnet d’Eire, Encres vives. Recension, MC San Juan/Trames nomades. Note qui suit…http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2021/07/31/mi...
Note antérieure. Les plaquettes, À L'Index... (mise à jour, 30-07-21, avec la suite de cette lecture…) http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2021/05/19/pl...
23:26 Publié dans POÉSIE, Recensions.livres.poésie.citations©MC.San Juan | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ritournelle pour un jardin de pierre, michel lamart, poésie, regard, voyage, montagne, népal, métaphysique, conscience, spiritualité, sagesses, à l’index, les plaquettes, jean-claude tardif, le livre à dire
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