09/05/2023
8 mai. Mémoire. Donc relire Albert Camus...
En ce 8 mai, relire Lettres à un ami allemand d'Albert Camus...
Le 8 mai marque la mémoire de la victoire contre le nazisme et la fin de la 2de guerre mondiale. C'est aussi un jour d'hommage à Jean Moulin, résistant, qui mourut le 8 juillet 1943 des tortures de l'Occupant.
Camus, résistant (Combat clandestin), écrivit ses Lettres à un ami allemand, dont seules les deux premières furent publiées pendant la guerre, les deux autres à la Libération.
Regroupées par Gallimard en 1948, elles sont disponibles en collection de poche, Folio,1991.
Ce sont des textes qui donnent la mesure du refus de tout totalitarisme meurtrier. Échos pour l'actualité mondiale...
EXTRAITS :
Qu'est-ce que l'esprit ? Nous connaissons son contraire qui est le meurtre. Qu'est-ce que l'homme ? Mais là, je vous arrête, car nous le savons. Il est cette force qui finit toujours par balancer les tyrans et les dieux. Il est la force de l’évidence. Deuxième lettre, publiée début 1944 dans les Cahiers de Libération, Folio, pp. 35-49 (page 39 pour cette citation).
Vous n'avez jamais cru au sens de ce monde et vous en avez tiré l'idée que tout était équivalent et que le bien et le mal se définissaient selon qu'on le voulait. [...] Vous en avez conclu que l'homme n'était rien et qu'on pouvait tuer son âme, que dans la plus insensée des histoires la tâche d'un individu ne pouvait être que l'aventure de la puissance, et sa morale, le réalisme des conquêtes. Quatrième lettre, Folio pp.67-78 (page 69 pour cette citation).
Le livre, coll. Folio… https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070383269-lettres-a-un-ami-allemand-albert-camus/
Jean Moulin… https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Moulin
Un « Jean Moulin » inconnu, oublié. Lucien Sportisse, né à Constantine, résistant, assassiné par la Gestapo… https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Lucien_Sportisse
En Algérie c’est le 8 mais 45 qui est commémoré, massacre (d’environ huit cent personnes) en réaction à un massacre (moins en nombre, une centaine quand même… dont le maire socialiste, exemple de fraternité, mais…), aussi, lui-même déclenché par la mort d’un manifestant. Terreur contre terreur, la suite est tracée… Camus, justement, fidèle à ses valeurs, est le seul intellectuel d'envergure à dénoncer immédiatement la criminelle réaction disproportionnée des officiels du pouvoir français.
C’est commémoré en Algérie (ce qui est normal) mais très instrumentalisé par le pouvoir, comme tout ce qui peut attiser la haine et faire oublier l’état actuel du pays, le régime particulièrement répressif (emprisonnement de journalistes et blogueurs, développement des conceptions rigides de la religion - d’État, refus de revoir le droit pour rétablir une égalité juridique entre femmes et hommes, refus de reconnaître le caractère pluriel du pays, notamment culturel et linguistique, etc.). Il n’y aura pas de commémoration pour le massacre de Melouza, le 29 mai 1957, assassinat massif (374 morts) de la population musulmane du village par le FLN, le courant totalitaire (celui qui a éliminé les indépendantistes ayant d'autres visions : exil ou assassinat), courant qui n’admettait pas que des Algériens refusent ses ordres ou préfèrent le MNA. Et bien sûr il n’y aura pas de mots pour regretter le massacre de centaines de Français d’Algérie (chrétiens ou juifs de culture) à Oran, le 5 juillet 1962 (après le « cessez-le-feu » du 19 mars précédent, raison pour laquelle les Pieds-Noirs et Harkis ne reconnaissent pas la date du 19 mars comme jour à fêter. Harkis massacrés les mois qui suivirent ce « cessez-le-feu », et si maltraités aussi par la France).
Ce qu'il faut retenir c'est que la Terreur est toujours possible. Que le colonialisme a produit des totalitarismes, et que, si l'Indépendance a été "confisquée" par un parti, la cause n'est pas qu'algérienne, les intellectuels français (Métropole, Sartre et adeptes de visions totalitaires, justement) y sont pour beaucoup : ils ont créé une sorte de néo-colonialisme avec la bonne conscience de ceux qui croient avoir compris.
Le poète Ahmed Azeggah appelait, lui, à cesser de commémorer les massacres (poème « Arrêtez », lisible en Anthologie) :
Arrêtez de célébrer les massacres
Arrêtez de célébrer les noms
Arrêtez de célébrer les fantômes
[…]
Ce sang coagulé
Venin de la haine
Levain du racisme
...Il faut trouver un juste équilibre entre mémoire, Histoire (aux historiens) et… oubli.
00:03 Publié dans ACTU/MÉMO.valeurs.idées, Albert CAMUS, ALGERIE/Algériens.hist.mémo.culture | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : albert camus, camus, lettres à un ami allemand, jean moulin, lucien sportisse, 8 mai 1945, algérie, sétif, melouza, oran, valeurs, ahmed azeggah, citations, mémoire, oubli
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