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27/06/2020

Guy Viarre, Sans un. Poésie...

Nous venons sur les mains
percés
les yeux veufs.
         Guy Viarre, Sans un, éds. Unes, posthume (2004). Incipit
 
1. Viarre, Sans un.jpgJ’ai découvert un jour par hasard, en librairie, ce petit livre, Sans un, (en 8/11, ce qui correspond au désir de l’auteur). Minuscule ouvrage, pas même vingt textes, et au plus quatre vers pour les poèmes les plus longs. Ce recueil de poèmes très brefs (et de lignes aphoristiques) contient pourtant les traces de toute la pensée, je crois, de Guy Viarre. Ses thèmes (la mort, le corps, la solitude). Sa manière, une sorte de brèche ouverte dans les mots et les phrases, comme pour tenter de déchiffrer un sens peut-être impossible à capturer. Et cette impression étrange qu’il ne dit pas tout. Non pas de lui, c’est normal - personne ne le fait, mais de son texte, d’où il vient et quelle est la phrase commençante qu’il a rayée pour ne laisser que celle qui questionne, ouvre des paradoxes. ("Il ne trie pas sa rature / ni il ne l’emporte").


Lisant, on cherche à décrypter. Y a-t-il dans ce livre, autant ou plus qu’en un autre de lui, la clé de son suicide ? Et on s’interdit de chercher cela, pour ne pas trahir une écriture qui est celle d’un vivant (recueil envoyé en 1999 avec cette mention de la dimension 8/11). On y trouve un mystère cependant. Que savait-il de cet invisible qu’il évoque, dont les yeux "ne désespèrent pas" ? Et que signifiait cela pour lui ? Peut-être ce que sa notion d’intervalle (présente ici) ouvrait, l’idée que ce qu’on atteint du réel est "entre" ou "après" ("Passer est se perdre et franchir / et chercher / et casser la porte."). Et ce trouble entre "noirceur" (mot répété dans le recueil) et lumière. Ailleurs il écrit ceci : "Il n'y aura d'étoilement que mat" (Dire je meurs, livre posthume, 2008). Et on relit encore les mêmes pages, au titre troublant, Sans un, entre métaphysique et langage populaire. Il manque quelque chose à soi, malgré ce centre intense de pensée. Ou à cause de lui. Car la tête encombre ("Tout a été enlevé sauf la tête / pour l’entêtement"), elle est "comme un nœud". L’absence, finalement, c’est aussi soi, à soi. Le "trop" fait le vide. Le bruit mental anéantit le silence, comme les mots qui viennent en excès inscrire ce qu’il faut rayer. Dans Dire je meurs il reproche à la psychanalyse "de vouloir réparer notre silence". (Mais ce serait trop long, et sans doute inutile, que développer le rapport entre psychanalyse et silence - car peut-être que ce qu’elle répare ce n’est pas le même silence). 
 
Commencer à lire Guy Viarre, là, c’est accepter la secousse d’un coup de foudre devant la révélation d’une écriture qui se crée dans la radicalité d’une interrogation sur ce qui fait, notamment, notre présence regardante dehors et dedans. Qu’est cette conscience ("par où et quoi ?"), libre ou agie par des forces échappant aux mots, mais qui donnent aux mots une force neuve.
Dehors, les yeux ouverts. Dedans, les yeux fermés.
Le coup de foudre immédiat c’est pour se dire qu’on retrouve, enfin, quelqu’un qui ose basculer dans cette écriture qui, en même temps, sait et ne sait pas et le dit. Et affronte le vide (dehors et dedans…). Et même le vide de l’écriture poétique elle-même. 
Secousse bien plus que littéraire (ou tellement littéraire que cela devient autre chose). 
Après, c’est à nous d’affronter ce qu’il y a dans l’espace de ces pages. 
 
Une poésie qui passe par le corps mortel du lecteur. 
 
Puisque le lecteur co-crée le poème. Si le lecteur a peur d’un tel niveau de pensée (et d’implication) il doit vite aller lire autre chose (dans la masse des gentils textes sur les petites fleurs et les amours médiocres : cela ne manque pas sur la Toile, et, hélas, aussi, dans les catalogues…).
Ici c’est au contraire faire face à une métaphysique de l’inconfort où le poète semble se créer lui-même pour s’effacer (et nous avec). 
 
"Intransivité", dit Guy Viarre. Donc refus de "l’issue" par la saisie de quoi que ce soit qui produirait du narratif rassurant, comblant le vide, ou un quelconque horizon de certitude, voilant tout questionnement, toute contradiction.
 
recension © MC San Juan
 
LIENS
 
Présentation, Guy Viarre, éditions Unes… 
Ses trois livres du catalogue (en cliquant sur la couverture lire une citation)...
 
Guy Viarre, Fissile éditions. Présentation de l'auteur et ample bibliographie des publications par Fissile.
Citations associées à chaque livre…
 
Fiche wikipedia, Guy Viarre

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