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13/06/2022

Une inquiétude (Le Quatuor), d’Hervé Bougel, ou un livre en marge des siens, qui précèdent ou suivent…

une inquiétude  H.Bougel.jpgje suis un caillou

une concrétion grise

friable

au fond de l’eau

dérangée par aucun bruit

j’arrive

au sein de mes os

au cœur

de mon cœur

Hervé Bougel, Une inquiétude (Le Quatuor), éds Mazette, 2019, pp.21-22

Après avoir été longtemps l’éditeur de pré#carré, avec des volumes ou des feuillets créés artisanalement comme des objets précieux, tout en menant travail professionnel (dans les livres, en bibliothèque, à Grenoble) et écriture personnelle, Hervé Bougel a interrompu ces publications pour se consacrer d’abord à sa propre œuvre (voir la note posée en lien ci-dessous). Mais la passion éditoriale est revenue aussi, après son départ à Bordeaux, par un goût pour la typographie et la création d’une petite édition de créations où les mots pourront s’associer au pictural. Les Éditions de l’Estey, du nom d’un ruisseau près de chez lui.


Une inquiétude… Ce livret a été publié en 2019 par les éditions Mazette, dans la collection Brèche, vouée à des formes brèves (ce livre a une cinquantaine de pages, sans bords externes, exergues ou paratextes d’un genre ou d’un autre, à part une très brève notation – une écriture donnée comme une parole brute, telle que venant d’une voix de femme, la comédienne censée parler de son inquiétude).

Le Quatuor car la pièce comporte quatre parties (pièce car c’est pensé comme jeu théâtral, monologues d’une femme seule en scène, sur un espace vide sans décor, devant un mur qui peut lui servir parfois d’appui, pour son jeu, ou peut-être son corps, quand les mots semblent traduire une lassitude qui épuise, ou quand les mots échappent et qu’elle dit vouloir se taire).

La musique a un rôle, puisque l’auteur pense (seule indication de mise en scène en dehors du vide et du mur de béton) à des moments musicaux, pour un violoncelle, au début, entre les parties (comme pour mettre en relief une sorte de silence porté paradoxalement par les poèmes des monologues) et à la fin. Mais étrangement, à la lecture, sachant cette intention, on recrée dans sa tête cette musique (on peut imaginer l’ombre d’un violoncelliste dans un coin de la scène, un peu à l’écart) et on entend quelque chose qui console de l’inquiétude exprimée et à la fois amplifie la tristesse peut-être associée parfois.

La femme qui parle à travers les mots de l’auteur ne sait pas si ce sentiment, cette émotion (ce qu’elle tente de définir et d’évacuer) est grave ou pas, chose importante, oui, même si c’est banal, tant les autres vivent cela aussi. Mais elle exprime un emprisonnement dans ce souci (qui me tient / me détient). Sans savoir pourquoi cette impression envahissante et sans savoir ce qu’il faut faire / ce qui conviendrait. Ne sachant pas apaiser ce trouble, mais sachant ce qu’il n’est pas (ce n’est pas l’ennui / c’est violent l’ennui). Mais il y a un savoir, qui affleure, des causes qu’on pourrait dire inconscientes, de ce qui déborde en elle-même, atteignant le corps (pas un affrontement /mais une violence / organique). Peur de ce qui pourrait survenir, mais refus (donc peur) de regarder en soi ce que je ne veux pas voir / jamais. Conscience que ce souci intérieur qui obsède prive de la connaissance des belles choses en soi et dehors.

L’auteur se fait psychanalyste de son personnage, et donc de tous ceux que la comédienne représente. Comédienne qui jouerait la pièce, mais aussi comédienne en tant que personnage, symbole du théâtre faux que l’être humain joue avec lui-même, refusant ses vérités dérangeantes, restant au bord de sa réalité, se mentant, sans le courage d’aller vers être.

Et dans la deuxième partie s’affirme la passivité de l’attente, non séparable d’un vide intérieur, celui que l’absence de décor figure aussi. (Lisant, si on entend la musique entre certaines pages on a aussi dans les yeux le vide d’un espace nu). On croise un univers qui a des points communs avec celui des personnages de Beckett, l’exploration des questions existentielles, être et chercher à comprendre ce que cela signifie…

je dois être vide

vidée

emmurée

détenue

Mais dans la même partie s’élabore un désir de mise à nu, de dépouillement de soi. Ce que figure l’image du caillou, de la pierre. Désir qui peut avoir plusieurs sens. Comme un premier aboutissement morne de cette attente passive. Ou au contraire comme l’émergence d’une autre intelligence d’être avec soi, désespérée peut-être mais plus lucide, par la conscience que quelque chose attend en moi (dit-elle), ce que son attente passive repousse et qui ne sera pas, ne sera / rien.

La troisième partie est celle d’un choix, le renoncement aux mots qui ne sont pas de ma voix (le personnage renverrait les mots à l’auteur ?).

J’aime bien mieux me taire

(…)

peut-être un mot m’a-t-il manqué

Et c’est le temps d’une envie d’enfouissement, en commençant par se rêver assise dans l’herbe puis mangée par l’herbe. Rêve d’enfouissement dans la matière végétale.

ni aveugle ni morte

mais construite

(…)

close

et définitive

La quatrième partie est celle d’un retournement. Car si demeure l’inquiétude et cette envie de n’être pas, pensant la perspective de sa mort (sans chair / sans os), ou d’un effacement dans la vie même (être nulle part (…) démise de moi-même), il y a au contraire une sorte d’acceptation de ce qui vient d’elle, autant le sombre des miasmes d’angoisse que la perception d’un corps qui existe.

j’entends tout battre en moi

le ventre et la peau

(…)

c’est moi

je suis là

Le retournement intérieur fait de l’attente une patience autre.

c’est moi

c’est là que je suis

(…)

là où j’ai la patience d’être

d’être moi.

.

recension © Marie-Claude San Juan

LIENS…

PAGE des éditions Mazettehttps://www.editions-mazette.fr/une-inquietude-le-quatuor

NOTE précédente. Parcours de plusieurs livres d'Hervé Bougel. 21-07-2019... http://tramesnomades.hautetfort.com/archive/2019/07/21/de...

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