08/12/2025
Concerto pour marées et silence, revue, n°18, 2025

La réflexion de Colette Klein qui ouvre la revue a pour exergue une citation de Romain Rolland sur la musique (« la parole la plus profonde de l’âme »), texte qu’elle aime rappeler, et qui convient à ces numéros structurés en mouvements musicaux par les poèmes de Pierre Esperbé, dont un recueil donne son titre à la revue. Textes de lui, « né dans l’infini des êtres », qu’on aime relire.
Colette Klein (revuiste, écrivaine et artiste) dit avoir renoncé à écrire de la poésie au moment de l’invasion de l’Ukraine, ayant le sentiment de la vanité du combat contre la guerre, lassitude qui n’a pas amoindri cependant son engagement pour soutenir les auteurs réprimés par des dictatures et l’expression de son désir de paix. Ce désespoir, qui ne l’empêche pas d’écrire autrement, est apaisé par la poésie qu’elle publie des autres, la trace d’espoirs, l’expression d’un idéal. Elle a relevé plusieurs fois, dans des textes reçus, publiés dans ce numéro, le mot paix, et en copie des fragments pour clore son texte.
Écrire de la poésie malgré les grandes douleurs dans le monde ? C’est une question qui est souvent posée, et qui le fut après Auschwitz (Adorno). Comme si les mots du poème ne pouvaient plus porter du sens contre l’absence de sens. Cependant des auteurs ont relevé le défi. Ainsi Charlotte Delbo, Primo Levi (poème liminaire « Si c’est un homme ») ou Paul Celan, qui subvertit la langue du bourreau (et langue maternelle) en la déconstruisant de l’intérieur et en l’habitant souterrainement de mots autres, jusqu’à des traces étymologiques de l’hébreu, créant du texte caché sous le texte, inscrivant du contraire.
Cette douleur de Colette Klein devant la présence envahissante de la guerre et de la violence, je l’ai trouvée, échos qui se croisent, dans une chronique de Raphaëlle Milone (La Règle du jeu, décembre 2025), analyse se référant à Franz Werfel, Einstein, Wells, pour questionner l’utopie d’un monde sans guerre : « Et si les visionnaires que l’histoire a relégués au rang de doux rêveurs étaient, en réalité, les seuls à avoir vu juste ? ». Elle les oppose à « nos temps de haut cynisme, de toisant nihilisme ». Elle leur emprunte l’idée d’une sorte d’association d’esprits éclairés, et précisément le projet de Franz Werfel, qui, en 1937, « hanté par le processus totalitaire qui menaçait » proposa de « fonder une Académie mondiale des poètes et des penseurs », utopie dont elle regrette le scepticisme qu’elle provoqua.
Écrire de la poésie pour résister ? Mais quelle poésie ? Pas, comme l’écrit Kenneth White dans Le mouvement géopoétique (Poesis), si ce n’est « que l’art de faire des vers sur des banalités, l’expression d’états d’âme à fleur de peau, associé à tout ce qui est vaguement imaginaire, fantastique, sentimental ou mièvre ».
Autre écho au texte introductif de Colette Klein, la recension, par Murielle Compère-Demarcy (Rebelle(s) Mag), d’un livre où ses peintures accompagnent les textes de Gérard Gaillaguet. Les Obstinés est le titre, et « Dans ce livre, l’Obstination devient une manière d’habiter le monde : obstination de l’écriture comme obstination du geste pictural. ». Il faut lire intégralement cette recension qui montre comment ce livre est une des réponses de Colette Klein aux inquiétudes de son questionnement posé en tête de la revue.
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Parcours, non exhaustif... dans l’ordre des pages
POÈMES, quelques citations
Richard Roos-Weil
« La tristesse du roi »
J’aurais voulu dire
Des mots si peu emplis de moi
...
Isabelle Lévesque et Pierre Dhainaut
« L’arbre rouge », poème à deux voix, strophes qui alternent
Pierre Dhainaut
À présent que sont partis les oiseaux
qui tournoyaient jusqu’à toucher les flammes,
ils se font entendre en hiver par silence
par trous d’ombre, la couleur ne s’affaiblit pas.
Isabelle Lévesque
La couleur faite arbre coule dans nos veines,
sacre parfait d’une institution fragile.
Le chiffre est seul dans cette forêt
- décision d’un peintre aveugle.
...
Béatrice Pailler
« Vert Fleuve »
Foyer du temps
heure intense
sur la langue
la vie des mots.
...
Jean-Pierre Otte
« Le temps des femmes bouleversées »
... Il n’y a plus personne dans le réel du monde
mais des foules mortes-vivantes
dans les miroirs d’un présent en trompe-l’œil
...
Pierre Rosin
Lorsque je les regarde se faufiler
entre les lames de la terrasse
je me demande
s’il arrive aux lézards
de regretter leur ancienne peau
[...]
Ou s’ils considèrent
sans se préoccuper du temps qui passe
s’être dépouillés d’un vieil habit [...]
qui les aurait empêchés de devenir ce qu’ils sont
...
Frédéric Tison
« Poèmes inédits »
Parfois la folie est une barque, Ô Amie, la folie est une barque.
[...]
Être maintenant au sein du déséquilibre
Ô funambule !
[...]
Même les anges perdent leurs ailes.
...
Michel Diaz
« Entre l’énigme et l’évidence »
Se tenir là. Muscles rompus par trop d’errances. Un souffle, à peine. Au tracé souterrain. En bordure d’oubli.
[...]
Il n’y a rien à dire comme il n’y a plus rien à faire d’un alphabet de cendres, l’ombre nous touche au front, s’installe à la fenêtre qui ne reflète aucune image
...
Léon Bralda
« De lait chaud et de pierres taillées »
Sur les vitres du monde : les embâcles traînant leurs amas de silence aux crues de la mémoire.
...
Michel Capmal
« Hors saison »
La plage archaïque. [...] Des organismes sans organes, erratiques, obstinés. Qui veulent nous confier les ultimes rudiments d’une langue sacrée, perdue, dévastée.
...
Guénane
« Les Idées sont des tiges folles »
Tant de douleurs de colères
faudrait-il que la terre entière
s’habille de noir
porte le deuil d’elle-même ?
...
Murielle Compère-Demarcy
Oiseaux migrateurs
creusant le miroir ailé
aux miroitements multipliés
de nous-mêmes
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NOTES de lecture, plusieurs (sélection)
L’Écorce du silence, d’Isabelle Poncet-Rimaud (Unicité). Lecture de Jean Bellardy :
« chaque poème est un pur diamant » [...] « à la lisière du mystère » [...] « douce puissance dans les images » .
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Traverser l’obscur (Musimot), de Michel Diaz, lu par Marie-Christine Guidon : « ce dire si particulier dont il a le secret, les mots fécondés par un souffle ». [...] « Traverser l’obscur, n’est-ce pas, malgré tout, s’exposer à l’éblouissement ? »
...
Et pourtant (Arfuyen), de Pierre Dhainaut, lu par Jean-Louis Bernard : « Pierre Dhainaut réconcilie en son ouvrage l’éclat et l’obscur [...], le seuil et le passage [...], le visible et l’invisible, abolissant ainsi le soupçon qui plane sur les limites de la langue. »
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Recension, Marie-Claude San Juan
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LIENS :
Sommaire du numéro 18, 2025 :
https://www.coletteklein.fr/concerto-pour-marees-et-silen...
Concerto pour marées et silence, revue annuelle, présentation :
https://www.coletteklein.fr/concerto-pour-marees-et-silen...
Notes antérieures, 2024 etc. Tag Concerto pour marées et silence, ou simplement « Concerto »
02:26 Publié dans Recensions.REVUES.poésie.citations.©MC San Juan | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : concerto pour marées et silence, revue, colette klein, poésie, pensée, citations, concerto, valeurs
06/08/2024
Concerto pour marées et silence n° 17, 2024, revue de poésie
Pour le monde je suis né dans ma date de naissance //
Mais je suis né dans l’infini des êtres
Pierre Esperbé, Concerto pour marées et silence
Le titre magnifique de la revue est celui d’un recueil de Pierre Esperbé (Guy Chambelland, 1974), qu’il accepta d’offrir. Ses textes structurent chaque numéro de la revue, lui donnant une composition musicale, en trois parties (Moderato, Adagio, Allegro), chacune introduite par un poème de Pierre Esperbé, de Concerto...
Musique, aussi, l’exergue permanent, appuyant le choix, une citation de Romain Rolland :
« Si la musique nous est si chère, c’est qu’elle est la parole la plus profonde de l’âme, le cri harmonieux de sa joie et de sa douleur. »
Ce numéro publie des citations plus amples de Pierre Esperbé, pour marquer le centenaire de sa naissance. Et cette fois des QR codes permettent d’entendre sa voix.
Avant même le premier texte, et après le dernier poème publié, il y a, comme toujours, une citation qui ouvre l’ensemble et une qui le ferme, parfois deux. Cette fois c’est Cathy Jurado, un extrait d’Intérieur nuit, puis Georges Cathalo quatre vers d’Ils ont peur, et enfin Marie-Ange Sebasti, avec un fragment d’Empoigner la lumière.
Le texte introductif de l’éditrice, Colette Klein (poète et peintre) parle du défi de l’écriture et de l’édition : « Je passe ma vie à lutter contre l’idée qu’en écrivant on jette des pierres dans des puits sans fond. Et, pourtant, il m’est impensable de ne pas relever le défi de chercher à remonter au jour ces pierres qui risqueraient de rester hors de portée. » Dans le numéro précédent elle parlait de son « monde utopique », celui « où les mots des poèmes ont plus de sens que ceux que l’on peut lire dans les journaux qui mettent à la une les crimes de l’humanité. »
00:04 Publié dans Recensions.REVUES.poésie.citations.©MC San Juan | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : concerto pour marées et silence revue, pierre esperbé, colette klein, poésie, citations
16/04/2021
Saraswati 16. Les saisons en poésie...
en ce crépuscule très bleu d’avril, entre toi et le temps, ces questions : est-ce l’instant qui passe et te traverse ou est-ce toi, poussé toujours au dos, le passant d’un instant immobile ? 11:01 Publié dans LIVRES, MC San Juan.(récents), Recensions.REVUES.poésie.citations.©MC San Juan | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : saraswati, saisons, alcyone, silvaine arabo, poésie, citations, michel diaz, miguel Àngel real, jean-louis bernard, annick le scoëzec, federico garcia lorca, colette klein, pierre esperbé, marc-henri arfeux, francis gonnet, Ève eden, lionel balard, alain tigoulet, claire berthouin, georges cathalo, jean-claude tardif, marie-claude san juan




















