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28/08/2020

L'Intranquille 18, revue sous le signe de Pessoa. Et quelques livres de L'Atelier de l'agneau...

Intranquille 18.jpgL’intranquille, c’est d’abord un nom, une référence qui met la publication "sous le signe de Pessoa". La revue de l’édition L’Atelier de l’agneau sera donc à l’affût des paroles exigeantes, venant de consciences questionnantes, dignes de l’héritage de Pessoa. Paroles traversant aussi les frontières. Beaucoup de traductions. Pour ce numéro 18, c’est l’allemand, le turc, l’espagnol (de Colombie et d’Espagne). Les textes sont bilingues, le plus possible.

Lisant j’ai commencé par les notes de lecture, quatre regards sur des publications.


Lectures, donc...
Denis Ferdinande a été séduit par un ouvrage de Stéphane Sangral, au très étrange titre, Préface à ce livre. (Un livre qui serait sa préface et donc ne serait pas, finalement). Ce qui semble, à travers ce qu’en dit cette note, être une méditation sur l’écriture, son achèvement jamais atteint, et l’affrontement intérieur à ce qui s’écrit en soi, ou ne peut s’écrire que dans un face à face "jusqu’au bout du miroir", avec les formes parfois éclatées de la langue.
Françoise Favretto inscrit un très ample parcours en poésie. Et, d’abord, des ouvrages d’auteurs étrangers, traduits. Je remarque un recueil édité par Zoé, poche (ces petits livres si abordables). De José-Flore Tappy. Livre préfacé par Philippe Jaccottet, qui dit d’elle qu’elle est "d’inspiration plutôt castillane". Françoise Favretto parle de sa capacité à "dire l’indicible" et de son écriture des éléments (le vent, l’eau).
Accent mis aussi, même rubrique, sur Éphéméride, poésie de Valérie Rouzeau. Un recueil de lettres, notes de journal, poèmes, travaux en chantier. Presque quarante années de notations, de quoi intriguer. C’est toujours intéressant d’entrer dans le laboratoire de quelqu’un qui écrit. On y retrouve en partie le sien. Valérie Rouzeau y a intégré ses traductions de textes de Sylvia Plath sur les abeilles. (Ce sera intéressant, pour moi, de les découvrir en écho à ma lecture du livre de Fabienne Raphoz, Terre sentinelle, ce qu’elle écrit sur les abeilles). Et Valérie Rouzeau, dit Françoise Favretto, ébauche là, aussi, une "anthologie du vers unique" (j’ai celle, précieuse, de Georges Schehadé, dont c’est le titre, et je l’ouvre souvent au hasard, reconnaissant ou pas l’auteur). Et c’est vrai que lisant cela on est tenté de prolonger la somme avec nos choix personnels, anthologie infinie, dialogue intime avec les œuvres. 
… Dans les publications est mentionné un livre d’artiste de Françoise Favretto, Le Pré, avec Dom et Jean-Pal Ruiz, éd. Ruiz. C’est effectivement un de ses domaines privilégiés de création. Eux sont des créateurs qui publient ainsi des auteurs qu’ils invitent, auxquels ils demandent des textes sur le thème du paysage. Pour penser la planète… 
Matthieu Gosztola a lu Florence Pazzottu, Alors, Flammarion-poésie. Quotidienneté, relève-t-il, dans les thèmes de ses poèmes. "Les lisant, un quotidien surgit où se rejoignent poétique et politique, intime et rumeur du dehors, dans une langue travaillée par l’œuvre de Mallarmé" (le rapprochement surprend, il faudra lire pour mieux saisir…). Par quotidien il précise qu’il indique ce qui est de l’ordre "de l’infini, de l’événementiel". Mais il reprend une phrase d’un recueil précédent pour caractériser la démarche ("ne pas laisser se refermer sur soi la nuit de l’impensé"). "Énigme", "équations insolubles". Ne pas "élucider", pour ne pas "éluder". Cette écriture, d’après ce qu’il en dit, interroge une "sauvagerie" du rapport à soi et à la création, pour arracher ce qui hante l’obscur intime (même par, ou pour, le rire).
… Suivent trois amples lectures de Jean-Pierre Bobillot. Mais qui ne se résument pas. D’œuvres très masculines (telles que je les perçois), et je n’ai pas les mots pour traduire ces univers, là. Il faudra lire (moi, je relirai).
 
Au début de la revue, un entretien. J’aime les entretiens. Ce sont des outils pour pénétrer le lieu des alchimies intimes de la création. Les questions provoquent une mise à nu. Comme si l'interrogation déclenchait une opération intérieure de conscience, rendait formulable ce qui est déjà su, mais pas toujours encore dit. Là c’est Gérard Jaulin que Françoise Favretto questionne. Lui est doublement artiste (peintre et comédien, et il parle des textes des pièces de théâtre avec la maîtrise d’un lecteur plus qu’accompli). On sent dans ses réponses une forte conscience de son art et des énigmes du réel ou de la condition humaine (en affinité avec Beckett). Les questions de Françoise Favretto ne sont pas intrusives. Touches légères qui posent juste le mot déclencheur. Lui va loin dans ses propres questionnements, qui prolongent l’invite. Il exprime "une énergie", celle de sa peinture qui donne à voir "des fragments d’humanité". Et du théâtre il a une sorte de radicalité dans l’exigence (cette radicalité qu’il voit chez Beckett). Parlant de la pièce de Gogol, Le journal d’un fou, ce qu’il dit du jeu qui s’imposait pourrait se dire aussi de toute création authentique. "Travailler comme un équilibriste en marchant sur un fil tendu au-dessus de ses propres abîmes. Plus que jouer, il fallait être." 
 
On découvre les poèmes-collages bilingues (allemand-français) d’Herta Müller (prix Nobel 2009). Anne Kubler, qui l’a traduite, explique ce qu’est son itinéraire linguistique. Passée d’une langue à une autre (du dialecte souabe à l’allemand, avec, aussi, l’expérience d’une sorte de langue du silence - signes des visages, des corps). La question de la langue est fondamentale. On s’y définit, réfugie, on s’y perd, aussi (et on la perd). Les exils sont d’abord linguistiques. On apprend comment la poète pratique ce qu’Anne Kubler appelle un "artisanat littéraire". Elle, qui est spécialiste de Paul Celan et des œuvres de l’exil, sait exactement ce qui se joue dans ces pratiques, loin d’être un jeu anodin. Nous avons sous les yeux dix poèmes, les collages (images et mots) et les textes traduits. La méthode (technique qu’on utilise en atelier d’écriture) provoque une libération de l’imaginaire, le hasard donnant des clés pour oser voir autrement les choses, et penser autrement le réel, le dehors, le dedans. Herta Müller ose. Et parle de la fatigue du vent fatigué par le vent, voit les yeux malades d’un "oiseau en soie raide". Elle mêle les temps, salue un mort qui "veut qu’on oublie qu’il est mort’". La nature, les animaux, des objets, les rues. Et tout d’un coup une réflexion, pour un poème en deux lignes. Ouverture vers une autre dimension. 
"et rien ne se passe dans l’alphabet de la peur si grossièrement têtu et en même temps aussi doux qu’un lézard comme le présent".
Car le hasard invité dans la technique de création est évidemment réinvesti par le contrôle conscient et inconscient de la pensée active. Et l’humour est présent aussi. 
 
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"Mon enfant / N’oublie pas / qui tu es //
 Humain d’abord / Sâme ensuite"
Malgré les "côtés sombres / de l’humain", que Risten Sokki craint plus que quoi que ce soit d’autre.
Le titre renvoie à la torsion des tendons des rennes, utilisés par ce peuple. La métaphore de cette torsion (double injonction du titre) représente la recherche des racines, le tissage à recréer. Son arrière-grand-père ayant été décapité elle sait de quoi elle parle. Même si "la neige / couvre / les traces de sang". Livre très important… On ne connaît pas ce peuple à la culture enfouie dans l’oubli par un pouvoir ayant peur (en plus de l’affirmation d’une identité minoritaire et rebelle) de ce qu’il croyait irrationnel alors que ces connaissances ancestrales nous seraient si utiles… 
 
J’ai lu avec émotion les textes de la poétesse turque Özge Sönmez (traduits par Luc Champagneur) dont on nous dit qu’elle est passée d’une écriture de l’intime à plus de collectif, les troubles du collectif. Oui, le présent du pays…
"tout homme / est un peu rêve désabusé n’est-ce pas"
Quand on sait l’actualité turque, ses prisons, ses exils, et ses drames, on se demande ce qui peut advenir pour quelqu’un qui écrit librement dans un pays sous dictature. 
 
Lecture de deux poètes colombiens, et d’un poète espagnol, José Vidal Valicourt, traduit par Gilles Couatarmanac'h. Ses 24 fragments sont un exercice de lucidité, de distance. Disparaître lors d'un solo de Coltrane. Lui-même, les autres, la ville. La littérature, présente dans la réflexion sur l’écriture et par des références. Ainsi Marguerite Duras (Détruire, dit-elle, est évoqué), et Celan (noyé dans la Seine). C’est le sujet, ce qui détruit. Les catastrophes. Historiques, totalitaires (le nazisme, les camps). Humaines et environnementales (Tchernobyl, et la "beauté létale"). "Je lis les marges infectes de l’Histoire." et "Tu parles comme si tu cachais un cadavre, comme si tu étais en train de réunir toutes la prose du mal." 
Programmes pour soi, dont "Accéder, enfin, à l’analgésie".
Mais "Je fréquente les hauteurs de glace et la solitude des oiseaux", ce qu’on peut interpréter diversement. Comme "loin des mots"… "enfin habiter la sérénité de cette planète vide"…  
 
Du dossier Villes fantômes j’ai regardé surtout le portfolio photographique (Nicolas Southon)  et lu les poèmes associés (de Camille Bloomfield). Des ombres, du flou, des silhouettes. Les passants, énigmes, car non reconnaissables. Solitudes sans rencontres. Pensée de l’absence. Une série photographique, esthétique et questions. Alliance réussie avec les textes.
'Il y a / les déjà-plus-là / les pas-tout-à-fait-là'
(...) 'Ils / sont unis en quête / de leur double ombrageux'
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D'abord j'ai envie de mentionner, et citer, un auteur dont je trouve qu’on ne parle plus assez. Louis-François Delisse. En citant des fragments de ses poèmes, que je prends dans deux livrets de L’Atelier de l’agneau.
"Et s’il ne restait qu’un os / de nous / ce serait encore une aile."
                                      D’arrière-saison
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"Le temps / enseigne au Voyageur que le voyage / ne sert qu’à effacer sa voie / et que le voyageur sera toujours/ sans voix pour dire la Voie / tant qu’il n’aura pas fait son affaire / au temps."
                          Ode au Voyage et à Henri Michaux
 
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"Seule l’imagination peut marier une rivière à une autre rivière / et s’échapper avec les deux rivières du massacre."
                                                Rasha Habbal
"J’ai encore le temps d’effacer ma mémoire des murs des têtes brisées et des yeux qui sont en train de fixer la mort dans les membres sacrifiés, asphyxiés ou écrasés."
                                                Fadwa Souleimane 
 
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Citations
"Assise dans l’escalier, j’écoute." (…) "Bien creusée de papier, brûlée de tous côtés par les allumettes de la mémoire." (…) "Le bruit de toutes ces étoffes qui tombent et quittent par la mer ce qui les retenait." (…) "Le passé dans les greniers, fiché ; caisses, enveloppes, draps de lin ou draps fin." (…) "S’est approchée de ce qui reposait : l’envolée des oiseaux, elle dit, mais je rêve : j’habitais tous les lieux où les images bougent et vont vers la réalité sans l’atteindre à aucun moment : simplement l’effleurement coin à coin - Coupure." (…) "Je gratte le papier comme je grattais le plancher, papier des nuages, carton des avions, petit passage entre les graines de grêle - serres trouées, plastique volant, battant le vent -." (…) "Je ne connaissais que les oiseaux." (…) "Et le treillis de la mémoire, cette petite ampoule au pied, gonflée d’eau, frottée de sel et de réglisse." (…) "Le rêve la pousse là où elle ne doit pas aller en réalité." (…) "On est féminine et dans la rue, on s’avance, on est chacune si différente, qui du vert, qui du bleu, qui du phosphorescent. On s’habite un peu dans le drame de la foule des femmes."
 
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Autre clé, l’exergue : Robert Walser ("Je m’interdis de comprendre quoi que ce soit. Comprendre ne pourrait que m’énerver."). Une parenté d’esprit est dite. 
Les aphorismes sont classés en parties, bien marquées par des titres, et des épigraphes d’une ligne. Ainsi "Surface de refroidissement" est suivi de "L’éternité n’est pas la durée de l’été". Et, plus loin, la partie "Situation de suite" est éclairée par la phrase "Incognito, ergo sum".
On trouve, lisant, des notations diverses (descriptions, humour du réel, remarques grinçantes, pensées profondes qui ne veulent pas en avoir l’air… ).
Citations
Les fées sont têtues. / - Où es-tu ? - Au bout d’un instant. / Tirer le cadavre à soi. / Une clarté aveuglante n’éclaire pas, elle aveugle. / J’ai beaucoup laissé au hasard. / Tant d’arbres abattus pour fabriquer des livres qui cacheront la forêt. / Il y en a (j’ai peur d’en faire partie) qui se laisseraient mourir plutôt que de toucher ou simplement regarder leur blessure. Par lâcheté, sans doute, mais aussi à cause d’une certaine idée du corps, et de l’être. / À mon avis, je ne sais pas. / Persiste et saigne. / Ce soir d’été, même pas pire que les autres, je n’ai qu’un désir : celui de faire partie du monde animal. N’importe quoi, mais je ne veux pas être exclu du monde animal. Je ne veux pas. / Je m’honore de la confiance de quelques bêtes. / La mort est un insecte doré qu’on tient entre le pouce et l’infini. / La vérité, ce serait la somme contradictoire de toutes les réalités.  / Ce qui est beau dans le monde, c’est qu’il y ait des murs et des bêtes. Ailleurs, c’est la guerre, la famine, Internet, et ici, et partout, une guêpe, un lézard, se glissent entre deux pierres, et aussi bien il en jaillit un cheval blanc. / La terrible immobilité des bêtes quand elles cessent de penser, le silence qu’on présume alors dans leur tête - comme je voudrais y atteindre ! / Attendre, ne pas anticiper. L’anticipation restreint le champ du possible. / Le souvenir, c’est la partie immergée de l’avenir. / Dieu ne m’a jamais rencontré. / Il n’y a pas de choc des civilisations. Il y a choc des barbaries.
 
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recension © MC San Juan
 
Liens 
Site de l’édition...
Sommaire de la revue N° 18, sur le site du diffuseur...

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